Coup d’envoi de la vingt-quatrième session de l’Instance permanente sur les questions autochtones
« Nous voulons prospérer sans complexe en tant que peuples autochtones. » C’est en ces termes que la Présidente élue par acclamation de la vingt-quatrième session de l’Instance permanente sur les questions autochtones a donné le coup d’envoi des travaux, qui dureront jusqu’au 2 mai, en en fixant les priorités alors que les progrès s’avèrent encore trop lents en ce qui concerne la mise en œuvre de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.
Mme Aluki Kotierk, une leader inuite du Canada, a observé en effet que si l’adoption en 2007 de la Déclaration a constitué une étape historique, les progrès restent inégaux et, dans de nombreux cas, purement symboliques. Trop de peuples autochtones sont encore exclus des décisions qui touchent directement ce qui leur est le plus cher -leurs terres, leurs territoires, leurs cultures et l’avenir de leurs communautés-, a-t-elle regretté, notant que les principes attachés à ces trois domaines constituent le fondement même de leur identité, de leur survie et de leur autodétermination.
Souhaitant que la mise en œuvre de la Déclaration aille au-delà d’une simple reconnaissance symbolique, la Présidente de la session a donné plusieurs axes. Il faut l’intégrer pleinement dans les lois, les politiques et les institutions nationales, a-t-elle d’abord exigé du haut de la tribune de l’Assemblée générale, sous les applaudissements nourris de la salle. Cette mise en œuvre doit guider les efforts en matière de développement, de protection de l’environnement et de consolidation de la paix, a-t-elle expliqué en demandant qu’elle se reflète dans les budgets et les investissements financiers ainsi que dans le travail de chaque État et de tous les organes de l’ONU.
Concrètement, la Présidente Kotierk a invité à utiliser la Décennie internationale des langues autochtones comme moyen de préserver la culture autochtone. Elle a sensibilisé sur l’importance pour ces peuples de bénéficier de services publics essentiels dans leurs langues autochtones. Elle a également annoncé le lancement, cette année, d’un dialogue intergénérationnel et interrégional axé sur les droits des femmes autochtones, en rappelant que, partout dans le monde, ces femmes subissent une discrimination fondée sur le genre, des violences et une marginalisation systémique. Un constat partagé par la Ministre colombienne de l’environnement et du développement durable, Mme Lena Yanina Estrada Añokazi, elle-même issue de la tribu Uitoto Minika, une nation autochtone de l’Amazonie colombienne.
Les écueils de la transition verte pour les autochtones
Sur un autre volet, la Présidente de l’Instance a pointé que la transition mondiale vers une économie plus verte a intensifié la demande en minéraux essentiels, tels que le lithium, le cobalt et le nickel, dont beaucoup se trouvent sous les terres et territoires sacrés des peuples autochtones. « Nous ne pouvons ignorer la menace que cela représente pour nos droits, nos terres et nos modes de vie. » Les activités extractives, lorsqu’elles sont menées au mépris du droit à l’autodétermination et du consentement libre, préalable et éclairé des peuples autochtones, constituent une autre forme de colonisation, a-t-elle dénoncé, un point de vue également partagé par la ministre colombienne.
Le Secrétaire général de l’ONU, M. António Guterres, est également revenu sur cette question en évoquant l’exploitation illégale du mercure sur les terres du peuple Kaliña au Suriname, dont il a été témoin. « L’ère de l’énergie propre doit être à l’origine de progrès en matière de droits des peuples autochtones », a-t-il déclaré.
« Nous ne sommes pas contre le développement, mais celui-ci doit se faire selon nos conditions et être équitable », a tranché la Présidente de l’Instance. Elle a annoncé que cette session abordera notamment la question du respect des principes de la Déclaration dans le contexte de l’économie verte, dans le but de veiller à ce que les solutions aux changements climatiques ne deviennent pas de nouvelles formes d’exploitation des peuples autochtones. À l’instar de la ministre colombienne, elle a signalé que le Pacte pour l’avenir, dans sa mesure no 32, consacre ces demandes.
Financements directs et leadership autochtone
En ce qui concerne les financements nécessaires à la mise en œuvre de la Déclaration, Mme Kotierk n’a pas manqué de plaider pour qu’ils soient directs, durables et accessibles pour soutenir les initiatives, les institutions et les systèmes de connaissances dirigés par les peuples autochtones, arguant que personne n’est mieux placé qu’eux-mêmes pour définir leurs priorités. « Nous avons les solutions », a-t-elle assuré. Dès lors, si la communauté internationale veut vraiment réaliser le Programme de développement durable à l’horizon 2030, elle doit investir dans le leadership autochtone et cocréer des mécanismes équitables, transparents et fondés sur le principe du partenariat.
Abondant en ce sens, le Secrétaire général a fait quatre recommandations: renforcer l’Instance permanente; veiller à la reconnaissance du leadership, des droits et des besoins des peuples autochtones, pour les prendre en compte dans tous les domaines; donner la priorité à ces peuples et à leurs projets dans les financements; et mettre en œuvre toutes les recommandations du Groupe chargé de la question des minéraux critiques pour la transition énergétique.
Reconnaissant que la mise en œuvre de la Déclaration ne soit pas un processus aisé, le Président du Conseil économique et social (ECOSOC), auprès duquel l’Instance agit comme organe consultatif de haut niveau, a néanmoins insisté sur le fait que ce processus doit se poursuivre sous la direction des peuples autochtones eux-mêmes. M. Bob Rae, vêtu d’une chemise offerte le matin même par les représentants des communautés autochtones du Canada, a appelé à reconnaître la contribution précieuse de ces peuples, en leur assurant le plein soutien de l’ECOSOC.
L’un des vice-présidents de l’Assemblée générale a reconnu que l’Instance reste une plateforme essentielle, non seulement pour célébrer la riche diversité culturelle et linguistique des peuples autochtones, mais aussi pour les écouter directement, apprendre de leur sagesse et mieux comprendre leurs défis en même temps que leurs aspirations. « Cette compréhension nous permet d’élaborer des politiques plus efficaces pour répondre à leurs besoins. »
Gros plan sur les droits des femmes autochtones
Les délégations ont ensuite pris part, durant l’après-midi, à un dialogue interactif de haut niveau au cours duquel la Présidente de l’Instance permanente sur les questions autochtones, Mme Aluki Kotierk (Canada), a fait observer qu’avec leurs connaissances uniques, les femmes autochtones jouent un rôle central dans la préservation des écosystèmes et la lutte contre les changements climatiques.
Il faut veiller à ce que les systèmes de connaissances autochtones soient pris en compte dans tous les aspects de la vie sociale, au même degré que les connaissances scientifiques, a souligné la Ministre de l’environnement de la Colombie. Première autochtone colombienne à accéder à un poste au Gouvernement du pays, Mme Lena Yanina Estrada a expliqué que les connaissances et savoirs endogènes des femmes autochtones sont intégrés dans les plans d’aménagement des zones forestières de la Colombie. En outre, le ministère qu’elle dirige veille à l’intégration des femmes autochtones à tous les niveaux de prise de décisions sur les questions climatiques notamment.
Les femmes autochtones forment certes l’ossature de leur communauté, mais leur sécurité reste une grande préoccupation, a constaté une jeune de la nation Anishinabek du Canada. Notant que les féminicides d’autochtones sont l’un des obstacles systémiques qui les empêchent d’exercer leur leadership, Mme Autumn Peltier a appelé à promouvoir le mentorat afin de permettre à ces femmes de faire montre de leur leadership aux niveaux national et mondial. Ne vous intéressez pas seulement aux selfies et à TikTok, mais engagez-vous véritablement sur les questions de durabilité, a-t-elle lancé à l’intention de « ses sœurs ».
Un membre de l’Instance permanente, M. Vital Bambaze (Burundi), a évoqué une légende répandue dans la région des Grands Lacs et notamment en République démocratique du Congo (RDC), selon laquelle tout homme qui entretient des rapports intimes avec une femme autochtone deviendrait de fait invulnérable aux balles. Cette pensée expose les femmes dans la région a des niveaux élevés de violence, a-t-il dénoncé en appelant ONU-Femmes à agir. De son côté, la Directrice exécutive d’ONU-Femmes, Mme Sima Bahous, a promis que l’agence onusienne allait poursuivre la promotion de la participation des femmes autochtones, avant d’appeler les États Membres à prendre des mesures idoines pour défendre les droits des femmes autochtones, notamment à la propriété foncière.
Abordant une autre problématique, l’Organisation internationale du Travail (OIT) a indiqué que 49,3% des femmes autochtones sont au chômage, et que 90% exercent dans le secteur informel et sont dénuées de droits et de protection sociale. Dans cette veine, les États-Unis ont dit appuyer l’autonomisation économique des femmes autochtones afin qu’elles puissent soutenir leur communauté. Une jeune autochtone d’Alaska a réagi à travers un plaidoyer pour dénoncer l’Administration Trump qui considère leurs terres ancestrales comme des champs d’hydrocarbures à exploiter. « Nos terres sacrées sont trop importantes pour être sacrifiées », a-t-elle clamé sous un tonnerre d’applaudissements.
Mme Tarcila Rivera Zea du peuple Quechua (Pérou) a signalé que la participation des femmes autochtones à la Conférence internationale sur la population et le développement du Caire de 1995 avait marqué un tournant décisif quand elles ont, pour la première fois, évoqué leurs droits sur la scène internationale. Elle a souhaité que les débats sur leurs droits adoptent une approche intergénérationnelle, appelant en outre à intégrer les connaissances autochtones dans les systèmes éducatifs afin de lutter contre le racisme et la discrimination.
Il faut également lutter contre la discrimination des migrants autochtones, a ajouté une représentante du peuple Inuit, alors que le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme a plaidé pour le respect du droit à la santé sexuelle et reproductive. Une représentante de la fédération des peuples autochtones du Nord de la Fédération de Russie a milité en faveur de la défense du mode de vie de femmes autochtones nomades qui se consacrent à l’élevage des cerfs. Le Bangladesh a aussi évoqué la situation des femmes rohingya, déplacées par le conflit au Myanmar et dont les droits sont violés dans leur pays.
Une autochtone parlant au nom des peuples d’Okinawa a dénoncé les discriminations du Gouvernement japonais qui ne permet pas aux femmes de l’île de participer aux programmes étatiques les concernant. Une autochtone de l’Amazonie brésilienne a dénoncé la pollution par le mercure des sols de la région du fait de l’exploitation minière. « Les banques prennent nos territoires et piétinent nos droits », a-t-elle dénoncé.
De son côté, la représentante de l’Union africaine a estimé que les bonnes mesures ne seront prises en faveur des femmes autochtones que si un recensement effectif est mené pour dénombrer ces différents peuples présents partout en Afrique.
Par ailleurs, M. Rodrigo Eduardo Paillalef Monnard (Chili), membre de l’Instance, a dénoncé l’absence d’un collègue n’ayant pas pu obtenir de visa pour se rendre à la session.
Après une cérémonie traditionnelle d’ouverture de la session et de bienvenue pendant laquelle le Chef Tadodaho Sidney Hill, de la nation Onondaga, a exprimé sa gratitude envers « Mère Nature », l’Instance a élu par acclamation sa présidente ainsi que ses vice-présidents, à savoir Mme Hannah McGlade, Mme Naw Ei Ei Min, M. Rodrigo Eduardo Paillalef Monnard, M. Geoffrey Roth et Mme Hindou Oumarou Ibrahim. M. Suleiman Mamutov a, lui, été élu au poste de Rapporteur. L’ordre du jour de la session a également été adopté.
L’Instance permanente a aussi rendu hommage à la mémoire de Sa Sainteté le pape François, chef de l’Église catholique et souverain de l’État de la Cité du Vatican qui est décédé tôt ce matin.
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