Le Secrétaire général préconise des financements « à bas coût, à long terme et à grande échelle » pour relancer les objectifs de développement durable
On trouvera, ci-après, le texte de l’allocution du Secrétaire général de l’ONU, M. António Guterres, prononcée au forum de 2024 du Conseil économique et social sur le suivi du financement du développement, à New York, aujourd’hui:
Je remercie le Conseil économique et social d’avoir organisé ce forum, consacré à une thématique essentielle pour le développement et l’édification du monde meilleur auquel nous aspirons toutes et tous, à savoir le financement.
Le financement est le carburant du développement. Or, le réservoir de nombreux pays en développement est presque à sec. Il en résulte une crise du développement durable. Une crise causée par la persistance de la pauvreté et la montée des inégalités. Une crise causée par la faim, le manque d’éducation et l’effondrement des infrastructures. Une crise causée par la catastrophe climatique et des chocs de plus en plus fréquents et aigus. Une crise qui, si on ne fait rien pour l’enrayer, compromettra la stabilité, la prospérité et la paix pour les décennies à venir.
Toutes les crises, toutes les épreuves sont liées par un dénominateur commun: le manque de financement. De nombreux pays en développement sont tout simplement incapables de réaliser les investissements nécessaires au développement durable, ainsi que de se doter des systèmes et des services dont leurs populations ont besoin.
Et lorsqu’ils se tournent vers le système financier mondial pour solliciter son aide, ils découvrent que celui-ci n’est pas en mesure d’apporter un filet de sécurité afin de les protéger contre les chocs. Ils découvrent un système incapable de les aider à progresser sur la voie de la stabilité et de la durabilité. Ils découvrent un système qu’ils n’ont pas contribué à créer ni à façonner, et qui reste insensible à leurs besoins.
Ces pays découvrent un système qui ne fonctionne plus. Le résultat est éloquent.
Les objectifs de développement durable ne tiennent qu’à un fil – et avec eux, les espoirs et les rêves de milliards de personnes dans le monde.
Chaque année dans le monde, ce sont autour de 4 000 milliards de dollars qui nous manquent pour pouvoir financer la réalisation des objectifs de développement durable, un chiffre en forte hausse par rapport aux 2 500 milliards de dollars qui faisaient défaut l’année précédant la pandémie de COVID-19. Ce déficit de financement grandissant s’accompagne d’une fracture financière de plus en plus marquée entre les pays qui peuvent accéder à des financements à des taux abordables et ceux qui n’y parviennent pas.
Il ne s’agit plus d’une simple question de « nantis » et de « démunis ». l s’agit de savoir qui a accès aux financements lorsqu’il en a besoin – et qui n’en reçoit pas. Il s’agit d’une question de justice.
Il suffit d’observer la façon dont le système financier mondial gère la dette. De nombreux pays en développement sont écrasés sous le rouleau compresseur de la dette. À l’échelle mondiale, quatre personnes sur dix vivent dans des pays où les gouvernements dépensent davantage de ressources pour rembourser des intérêts que pour financer l’éducation ou la santé.
Dans les pays les plus pauvres du monde, les paiements annuels effectués au titre du service de la dette sont supérieurs de 50% à ce qu’ils étaient il y a seulement trois ans. En Afrique subsaharienne, le service de la dette a absorbé près de la moitié de l’ensemble des recettes publiques en 2023.
Pays après pays, les progrès en matière de développement sont rapidement anéantis par des crises incessantes, les paiements du service de la dette entravant les dépenses sociales essentielles et les investissements dans les ODD.
L’argent circule dans la mauvaise direction, des pays qui en ont besoin vers ceux qui n’en ont pas besoin. Rembourser la dette pour les pays en développement, c’est comme gravir une échelle qui s’enfonce dans des sables mouvants.
Une économie en croissance est le meilleur moyen de réduire le fardeau de la dette et d’augmenter les recettes nationales pour des investissements clefs. Nous avons besoin d’une vague d’investissements pour combler le déficit de financement et donner aux pays en développement une chance d’offrir une vie meilleure à leur population.
Nous devons continuer de faire pression pour que les pays en développement bénéficient d’un financement à long terme et à un coût abordable à hauteur de 500 milliards de dollars par an au titre du plan de relance des objectifs de développement durable. Le Plan de relance a été salué par les dirigeants du monde lors du sommet sur les ODD et dans la déclaration des dirigeants du G20 à New Delhi. Il est désormais temps de passer de la parole aux actes et de proposer des financements à bas coût, à long terme et à grande échelle.
Premièrement, les pays développés doivent se mobiliser, sous l’égide du G20. Les discussions sur les augmentations générales de capital des banques multilatérales de développement devraient s’ouvrir dès maintenant. Dans le même temps, les donateurs doivent respecter leurs engagements en matière d’aide publique au développement.
En 2022, seuls quatre pays ont atteint ou dépassé l’objectif convenu de 0,7% du revenu national brut. L’aide publique au développement a augmenté sur le papier, mais elle est de plus en plus dépensée au sein même des pays donateurs, privant les pays en développement des ressources dont ils ont besoin. J’appelle tous les pays donateurs à atteindre leurs objectifs et à débloquer ces fonds.
Deuxièmement, les banques multilatérales de développement doivent faire un meilleur usage des ressources auxquelles elles ont déjà accès, sans entraîner de coûts supplémentaires pour les actionnaires. Il s’agit notamment de trouver des moyens pour les banques multilatérales de développement, les banques centrales et les agences de notation de crédit de donner le feu vert aux moyens d’allonger les bilans des banques, en tirant parti des vastes sommes de capital exigible que les pays actionnaires des BMD ont à leur disposition dans les banques centrales.
Il s’agit de déployer des systèmes de financement novateurs – tels que des instruments de capital hybride qui augmentent la capacité de prêt et attirent les capitaux privés. Les banques multilatérales de développement doivent réajuster leurs modèles économiques afin de mieux tirer parti du financement privé à un coût raisonnable pour les pays en développement.
Troisièmement, nous devons prendre des mesures audacieuses pour atténuer le désastre de la dette. Tout nouveau financement devrait être affecté à des investissements productifs et au développement durable – et non au service d’une dette insoutenable et excessivement coûteuse. Les systèmes et mécanismes existants de restructuration de la dette doivent être renforcés.
L’Initiative de suspension du service de la dette et le Cadre commun du G20 pour le traitement de la dette n’ont pas tenu leurs promesses. L’Initiative de suspension du service de la dette était de portée et de durée trop limitées, la suspension expirant juste au moment où les taux d’intérêt s’envolaient. Il faut envisager d’accorder aux pays qui traversent des crises de liquidité des pauses dans le remboursement de leur dette.
Quant aux pays qui supportent le poids d’une dette insoutenable, il est temps de repenser l’architecture de règlement de la dette afin de leur offrir un allègement substantiel qui leur évitera de subir de nouvelles crises.
Indépendamment des intentions et efforts initiaux, force est de constater que le Cadre commun n’a pas fait son office. Il n’a pas non plus été bénéfique aux nombreux pays qui continuent d’afficher les taux d’endettement les plus élevés. L’heure du changement a sonné.
Et enfin, quatrièmement, nous devons accroître la représentation des pays en développement à travers l’ensemble du système et dans toutes les décisions qui sont prises. En juillet, nous célébrerons le quatre-vingtième anniversaire de la Conférence de Bretton Woods, qui a donné naissance à l’architecture financière internationale actuelle. Mais les pays qui ont le plus besoin de ces systèmes et institutions n’étaient pas présents lors de la création de ces dernier – un manque de représentation qui persiste encore aujourd’hui. Au nom de la justice, ces pays doivent et méritent d’avoir voix au chapitre.
Le Sommet de l’avenir en septembre, et la Conférence internationale sur le financement du développement, qui doit avoir lieu l’année prochaine, seront deux occasions rares de rassembler les pays du monde entier pour réformer l’architecture financière mondiale afin qu’elle soit au service de tous les pays qui en ont besoin.
Tirons le meilleur parti de ces occasions. C’est le moment d’être ambitieux. C’est le moment de réformer. C’est le moment de mettre en place un système économique et financier mondial qui profite à la planète et à ses habitants.
Je me réjouis d’être à vos côtés dans cette vaste entreprise, qui doit nous permettre de façonner un monde plus inclusif, plus juste, plus pacifique, plus résilient et plus durable – pour les générations d’aujourd’hui et de demain.