Commission de la population et du développement: 30 ans après la Conférence du Caire, les États Membres sont engagés à poursuivre son Programme d’action
À l’ouverture de la cinquante-septième session de la Commission de la population et du développement, ce matin, les hauts responsables de l’ONU et deux experts ont tourné leurs regards vers le point de départ de ces travaux et des progrès majeurs accomplis depuis, alors que cette année marque le trentième anniversaire de la Conférence internationale sur la population et le développement (CIPD), tenue au Caire en 1994, et de son Programme d’action. En faisant le point sur le chemin parcouru, ils ont reconnu que beaucoup reste à faire pour la réalisation des engagements pris, en appelant à s’appuyer sur les faits et à éviter la peur face aux chiffres.
Dans un bilan qui a été repris par les quatre autres orateurs, Mme Amina J. Mohammed, Vice-Secrétaire générale de l’ONU, a fait remarquer que la population mondiale est passé de 5,6 milliards d’individus à 8,1 milliards depuis la CIPD. Sans s’attarder sur les raisons de ce bond, elle a exhorté le monde à se préparer à la poursuite de la croissance démographique en Afrique subsaharienne et à une croissance lente ou à un déclin en Asie, en Europe, en Amérique du Nord, ainsi qu’en Amérique latine et dans les Caraïbes. Cette préparation est d’autant plus cruciale que 164 millions de femmes en âge de procréer n’ont actuellement pas accès aux services de planning familial.
Comme les autres intervenants, Mme Mohammed a rappelé que les tendances démographiques sont redéfinies par les changements climatiques, l’urbanisation croissante, les montée des technologies numériques et en même temps des inégalités, ainsi que leur connexion avec les objectifs de développement durable (ODD). Elle a appelé à « rester vigilants » face aux remises en cause des droits à la santé sexuelle et reproductive. « Il faut défendre la dignité de toutes les personnes et suivre des approches fondées sur les droits dans nos politiques de population et de développement. »
Pour faire face aux principales tendances démographiques au cours des prochaines décennies, la Vice-Secrétaire générale a préconisé une approche axée sur la santé et l’éducation, invitant à se focaliser sur les soins préventifs et l’apprentissage tout au long de la vie. Elle a également misé sur un financement public garantissant des conditions de vie décentes aux prestataires de soins, dont la plupart sont des femmes. Mme Mohammed a réclamé de manière générale des progrès vers l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes, arguant que les ODD ne pourront être atteints si la moitié de l’humanité est exclue. La jeunesse, les femmes, la société civile, les communautés locales et les petites et moyennes entreprises doivent faire partie du processus, a-t-elle encouragé.
« Il faut réagir vite pendant qu’il est encore temps », a exhorté Mme Noemí Espinoza Madrid (Honduras), Présidente de la Commission de la population et du développement, dans un « monde polarisé » où les droits à la santé sont attaqués, l’éducation est remise en question et l’emploi est menacé par les progrès de la technologie. Se disant encouragée par les résultats obtenus 30 ans après la CIPD, la Présidente a prié les États Membres de redoubler d’efforts dans la gestion des changements démographiques, en garantissant l’équité et le respect des droits humains, en particulier dans les pays du Sud. Cela se fera par la mise en œuvre du Programme d’action de la CIPD, a-t-elle réitéré, et notamment par une répartition plus équitable des ressources et des richesses du monde.
Pour Mme Natalia Kanem, Directrice exécutive du Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP), le chemin parcouru en 30 ans ne doit pas être vu « que comme des faits et des chiffres ». Ces données racontent « une histoire inspirante des partenariats » du Fonds avec les gouvernements, la société civile, les bénévoles communautaires, le secteur privé et les gouvernements locaux dans 130 pays, a-t-elle salué. « Beaucoup reste à faire », a néanmoins prévenu la Directrice exécutive rappelant une analyse réalisée en 2020 par le FNUAP selon laquelle il suffirait de 222 milliards de dollars de nouveaux investissements pour, d’ici à 2030, mettre fin à la mortalité maternelle, garantir l’accès universel à la planification familiale et protéger les femmes et les filles contre la violence fondée sur le genre. Un autre domaine d’action à privilégier est selon elle la participation des femmes à la vie active: son augmentation fait accroître le PIB par habitant de près de 20%.
La CIPD a d’ailleurs changé son approche des questions démographiques qui est axée désormais sur le leadership des femmes, des jeunes et de la diversité de genre, ainsi que sur l’égalité des sexes et l’accès à la santé sexuelle et reproductive. C’est ce qu’a souligné Mme Sarita Gupta, Vice-Présidente de la Fondation Ford qui a fait valoir le financement offert par la fondation pour des programmes mettant l’accent sur le démantèlement des barrières structurelles qui ralentissent l’objectif d’égalité des sexes. Des programmes qui visent également l’accès aux droits sexuels et reproductifs et la protection des défenseurs des droits des femmes.
« Vous avez sauvé des vies, aidé des femmes à s’autonomiser et donné des chances aux jeunes », a salué pour sa part M. Jose Miguel Guzman, fondateur et Président de NoBrainerData, en s’adressant aux leaders qui ont mis en œuvre le Programme d’action de la CIPD. Lui aussi étant conscient de tout ce qu’il faut encore accomplir, l’expert a averti de l’inefficacité des politiques visant à renverser la tendance du déclin du taux de fécondité, proposant dès lors d’impliquer le secteur privé. Il faut également réexaminer les facteurs qui influencent les décisions d’avoir des enfants, a-t-il recommandé. Sur la question du vieillissement, l’expert a douté des connaissances des décideurs politiques sur ces questions et s’est demandé si les pays à revenu faible ou moyen étaient prêts à affronter ces changements, appelant à définir une vision à long terme pour aborder ce problème. Pour ce qui est de la migration internationale, M. Guzman a misé sur le Pacte mondial sur les migrations, adopté en 2018 par l’Assemblée générale. « Assurons-nous d’utiliser les faits sur les défis démographiques et non la peur, a-t-il lancé, afin que chacun puisse s’épanouir sur la Terre ».
Soucieux lui aussi de s’appuyer sur des « faits » et des « projections » scientifiques, le Secrétaire général adjoint aux affaires économiques et sociales, M. Li Junhua, a détaillé les efforts de la Commission de la population et du développement et de la Division de la population du DESA, qui établit des projections sur la population mondiale. Celles-ci sont largement reprises par les scientifiques, par exemple pour évaluer l’impact du climat sur la dynamique démographique.
La Commission tient sa session annuelle jusqu’au 3 mai.