En cours au Siège de l'ONU

SG/SM/22073

Le Secrétaire général plaide au Conseil de sécurité pour une coopération multilatérale face aux dynamiques criminelles, en misant sur l’état de droit et la prévention

On trouvera, ci-après, le texte de l’allocution du Secrétaire général de l’ONU, M. António Guterres, prononcée lors du débat du Conseil de sécurité, intitulé « Criminalité transnationale organisée, multiplication des défis et nouvelles menaces », à New York, aujourd’hui:

Je salue l’initiative prise par l’Équateur d’appeler l’attention sur les menaces croissantes que représente la criminalité transnationale organisée. 

Souvent invisible mais toujours insidieuse, la criminalité transnationale organisée constitue une menace redoutable pour la paix, la sécurité et le développement durable partout où elle sévit.  Et elle est présente partout, dans tous les pays, qu’ils soient riches ou pauvres, du Nord ou du Sud, développés ou en développement.  Quant au cyberespace, c’est devenu un eldorado virtuel pour les criminels.

Les activités de la criminalité transnationale organisée prennent de nombreuses formes, mais les ramifications sont les mêmes: gouvernance affaiblie, corruption et zones de non-droit, violences effrénées, morts et destructions. 

Les flux financiers illicites ne représentent pas des chiffres abstraits.  Ils se traduisent par des milliards d’occasions manquées en matière de développement, la perte de moyens de subsistance et une aggravation de la pauvreté.  Rien que sur le continent africain, la fraude fiscale, le blanchiment d’argent et les flux financiers illicites font perdre plus d’argent que l’ensemble des sommes reçues au titre de l’aide publique au développement.

La traite des personnes –violation odieuse des droits humains fondamentaux qui s’en prend aux plus vulnérables– se poursuit en toute impunité.  Au lieu de s’améliorer, la situation s’aggrave, en particulier pour les femmes et les filles, qui constituent la majorité des victimes de la traite dans le monde.

Le trafic de drogue –l’activité la plus lucrative des groupes impliqués dans la criminalité transnationale organisée– atteint des sommets, créant des vecteurs de violence à travers le monde.

Le commerce illicite des armes à feu, qui ne cesse de croître, alimente les conflits, fait des millions de morts et de blessés et contribue à une augmentation spectaculaire des activités criminelles dans de nombreuses régions du monde.  Cette question a d’ailleurs été au cœur des échanges que j’ai eus lors du dernier sommet de la CARICOM.  Le trafic de ressources naturelles, d’espèces sauvages et d’autres produits de base et services est destructeur pour les populations et pour la planète. 

Toutes ces activités sont de plus en plus liées entre elles et commanditées par de véritables multinationales de la criminalité internationale.  Dans un monde en crise, les économies illicites trouvent un terrain fertile pour se développer.

Les répercussions socioéconomiques de la pandémie de COVID-19 et le relèvement inégal qui s’est ensuivi, les inégalités croissantes, la crise du coût de la vie, la réduction de la marge de manœuvre budgétaire ainsi que l’aggravation de la pauvreté et du chômage affaiblissent l’autorité de l’État, détériorent le tissu social et accroissent l’insécurité.

La criminalité transnationale organisée et les conflits s’alimentent mutuellement.  La criminalité est un catalyseur de conflits. Et lorsque les conflits font rage, la criminalité prospère.  La criminalité sape l’autorité et les institutions de l’État, érode l’état de droit et déstabilise les structures qui sont chargées de faire appliquer la loi. 

De l’Afghanistan à la Colombie, la production et le trafic de drogues illicites ont alimenté des conflits violents de longue durée.  Partout dans le monde, des groupes criminels sèment la violence, la peur et l’insécurité en cherchant à avoir la mainmise sur les itinéraires utilisés par les trafiquants.

Haïti est pris dans un cercle vicieux: effondrement de l’État, escalade de la violence en bande organisée et essor du commerce illicite d’armes à feu introduites en contrebande dans le pays.  Ce commerce illicite incite les gangs à prendre le contrôle des ports, des autoroutes et d’autres infrastructures essentielles. 

Au Myanmar, la traite des personnes et les escroqueries en ligne, souvent organisées depuis l’étranger, se développent dans un contexte de violence, de répression et d’érosion de l’état de droit depuis la prise du pouvoir par les militaires en 2021.

Dans de nombreux conflits, les activités des groupes impliqués dans la criminalité transnationale organisée et des groupes armés se rejoignent et s’entrecroisent, ce qui rend encore plus difficile le règlement des conflits.  Les liens qui existent entre la criminalité organisée et le terrorisme sont particulièrement préoccupants. 

Les organisations criminelles développent des alliances opportunistes avec des acteurs armés désignés par ce Conseil comme groupes terroristes, souvent pour tirer profit de diverses formes de trafic. 

Quant aux groupes terroristes, ils cherchent à établir des liens avec la criminalité organisée pour financer leurs activités.  Au Sahel, le commerce illicite de carburant, de drogues, d’armes et de ressources naturelles fournit des ressources opérationnelles aux groupes armés de la région, menaçant la vie et les moyens de subsistance de millions de personnes. 

Les réseaux criminels utilisent les énormes sommes d’argent générées par leurs activités pour engager des groupes armés qui les protègent, ce qui rend d’autant plus complexes les conflits en cours, comme c’est le cas en Libye. 

En Somalie, la mainmise des Chebab sur le commerce illicite du charbon de bois fait régner l’insécurité dans toute la région et dévaste les forêts, ce qui a des répercussions dramatiques.

Le Conseil de sécurité considère de longue date, notamment dans sa résolution 2482, que la criminalité transnationale organisée représente un danger pour la paix et la sécurité internationales.  Mais nous devons faire plus pour renforcer nos défenses. 

Je vois trois domaines d’action prioritaires.  Premièrement, nous devons renforcer la coopération.  Les groupes criminels opèrent au-delà des frontières et des zones géographiques.  Nous devons apporter une réponse mondiale à ce problème mondial.  La coopération multilatérale est la seule voie permettant réellement de s’attaquer aux dynamiques criminelles qui alimentent la violence et prolongent les cycles de conflit.

Nous avons le schéma directeur: la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée et ses trois protocoles additionnels.  Je demande à tous les États Membres d’appliquer pleinement la Convention et de collaborer et s’entraider pour enquêter sur les organisations criminelles et les amener à répondre de leurs actes devant la justice.

Par ailleurs, dans le cadre du Pacte mondial des Nations Unies de coordination contre le terrorisme, nous aidons les États Membres à s’attaquer aux liens existant entre la criminalité transnationale organisée et le terrorisme.  J’espère que les États Membres parviendront à un consensus sur un nouveau traité relatif à la cybercriminalité afin d’approfondir la coopération tout en protégeant les droits humains en ligne, comme énoncé dans mon rapport intitulé « Notre Programme commun ».

Il est essentiel de renforcer la coopération internationale et régionale pour faciliter la collecte, le partage et l’échange de données – car on ne peut pas prendre pour cible ce que l’on ne voit pas.  La criminalité organisée n’a pas perdu de temps pour exploiter les cryptomonnaies et les outils numériques.  Notre réponse doit être encore plus rapide, plus organisée et plus axée sur les données. 

Deuxièmement, nous devons renforcer l’état de droit.  L’état de droit est à la base de l’action que nous menons pour trouver des solutions pacifiques aux conflits et lutter contre les menaces multiformes liées à la criminalité transnationale organisée.

Lorsque l’état de droit est efficace, il offre un potentiel inégalé pour instaurer la confiance entre les institutions et les personnes.  Il crée des conditions d’égalité des chances et contribue à réduire la corruption.  Il est le fondement des droits humains et permet un développement social, politique et économique durable, qui ne laisse personne de côté. 

Toutes les parties prenantes – États Membres, organisations régionales, société civile et secteur privé – ont la responsabilité de veiller au respect de l’état de droit.  Mais la réalité d’aujourd’hui est que de nombreux pays ne sont pas loin de basculer dans l’état de non-droit.  Des prises de pouvoir inconstitutionnelles au piétinement des droits humains, les gouvernements eux-mêmes contribuent au désordre et à l’impunité. 

Lorsque l’état de droit est faible, toutes les sphères de la vie publique et privée en subissent les conséquences: l’impunité prévaut, la criminalité se développe et le risque de conflit violent augmente de manière exponentielle.  Ma nouvelle vision de l’état de droit vise à l’ancrer au cœur de toutes les activités de notre organisation.  Nous sommes prêts à aider les États Membres à renforcer l’état de droit avec le concours de nos équipes de pays dans le monde entier.

Troisièmement, nous devons renforcer la prévention et promouvoir l’inclusion.  Cela signifie redoubler d’efforts pour réaliser le Programme de développement durable à l’horizon 2030, le meilleur instrument dont nous disposons pour créer les conditions économiques et sociales dans lesquelles la criminalité organisée ne peut pas réussir. 

Cela signifie garantir le respect de tous les droits humains: civils, politiques, économiques, sociaux et culturels.  Cela signifie combattre la cybercriminalité et faire obstacle plus efficacement aux groupes criminels qui utilisent la technologie à chaque étape de leurs activités malveillantes. 

Cela signifie concevoir des stratégies de prévention de la criminalité qui tiennent compte du vécu de l’ensemble des groupes et des composantes de la population, et tout particulièrement des minorités, des femmes et des jeunes.  Cela signifie faire progresser l’égalité des genres, car la participation effective des femmes est essentielle à la réussite de la prévention des conflits ainsi qu’au rétablissement et à la pérennisation de la paix.   

À maintes reprises, les réponses purement militaires et axées sur des mesures de répression ont montré non seulement leurs limites, mais aussi leurs effets contre-productifs.  Nous devons nous efforcer d’atteindre un meilleur équilibre entre prévention et sécurité.  La lutte contre la criminalité ne doit jamais servir d’excuse pour bafouer les droits humains. 

À chaque étape, nous devons rester vigilants face à la nature sans cesse changeante du crime organisé, et repenser [continuellement] nos approches – tant dans nos méthodes de travail que dans notre coopération avec les autres.  Nos efforts doivent être cohérents, coordonnés, adaptés à chaque situation et axés sur la prévention.

Le Conseil de sécurité a un rôle essentiel à jouer dans notre lutte collective contre la criminalité organisée.  Mais pour réussir, nous devons agir ensemble et rester unis.  Ensemble, engageons-nous à créer un monde plus pacifique et plus stable – un monde libéré du crime organisé. 

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