Le Secrétaire général demande d’investir dans la cohésion sociale, d’enrayer la haine propagée en ligne et de renforcer les valeurs comme la fraternité humaine
On trouvera, ci-après, le texte du discours du Secrétaire général de l’ONU, M. António Guterres, prononcé lors de la séance du Conseil de sécurité consacrée aux valeurs de la fraternité humaine pour la promotion et la pérennisation de la paix, à New York, aujourd’hui:
Je remercie le Gouvernement des Émirats arabes unis d’organiser cet important débat sur les valeurs de la fraternité humaine pour la promotion et la pérennisation de la paix.
C’est un immense privilège d’être rejoint aujourd’hui par Son Éminence Ahmed Al-Tayeb, le Grand Imam d’Al-Azhar Al-Sharif, et Son Excellence l’Archevêque Paul Richard Gallagher, Secrétaire pour les relations avec les États du Saint-Siège. Je souhaite également la bienvenue à Latifa Ibn Ziaten, qui s’exprimera au nom de la société civile.
Les chefs religieux sont des alliés incontournables dans notre quête commune de paix dans le monde. Mon distingué prédécesseur Dag Hammarskjöld avait jadis observé, et je le cite: « L’ONU se tient en marge – forcément en marge – de toutes les confessions. Mais c’est néanmoins un instrument de foi qui s’inspire de ce qui unit les grandes religions du monde, plutôt que de ce qui les divise ».
Toutes les grandes religions mobilisent les impératifs de fraternité humaine, de respect mutuel et de compréhension. Ces valeurs universelles animent la Charte des Nations Unies et sont au cœur de notre action en faveur de la paix, de la justice et des droits humains.
Maintenir la paix et empêcher la guerre, c’est la raison d’être de ce Conseil. Des menaces à la paix multiformes peuvent émaner de rivalités autour du pouvoir et des ressources, de violations des droits humains, de la faiblesse de la gouvernance, de la pauvreté extrême, des inégalités et de la marginalisation, qui engendrent le désespoir.
Trop souvent, le dénominateur commun, lorsqu’un conflit éclate ou s’envenime, c’est la haine de l’autre. La haine nourrit les pires pulsions de l’humanité. Elle accélère les clivages et la radicalisation et mène à des atrocités criminelles. Elle en est également le résultat, contribuant à des cycles épouvantables de violence qui peuvent durer des décennies.
Elle favorise la violence, effiloche le tissu social et ronge les piliers de la stabilité. Bref, elle est souvent le cœur sanglant du conflit. Ce cœur qui pompe le venin et la division dans tout le système sanguin du corps politique mondial.
Partout dans le monde, nous constatons un déferlement de xénophobie, de racisme et d’intolérance, de misogynie violente, d’islamophobie, d’antisémitisme virulent et d’attaques contre des minorités chrétiennes. Les mouvements suprémacistes et néonazis sont aujourd’hui la principale menace à la sécurité intérieure de plusieurs pays, celle qui évolue le plus rapidement.
La diabolisation de l’autre. Le dénigrement de la diversité. Le mépris des droits humains. Ces fléaux ne sont pas nouveaux en notre époque mais leur rapidité et leur portée sont inédites. Les médias sociaux ont doté ceux qui sèment la haine d’un porte-voix mondial pour répandre leur fiel. Aujourd’hui, aucun complot n’est trop scandaleux pour trouver un vaste public, aucun mensonge n’est trop absurde pour alimenter un délire en ligne.
Des affirmations non vérifiées et de purs mensonges peuvent acquérir une crédibilité instantanée, au même titre que les faits et la science. Ils sont souvent acceptés, voire encouragés par les dirigeants politiques. Des idées et des propos haineux, jadis marginaux, intègrent le courant dominant, durcissent le discours public et déclenchent des violences réelles.
On en ressent les effets partout, et ils sont mortels: les auteurs des attaques haineuses contre la mosquée de Christchurch, la synagogue de Pittsburgh et l’église de Charleston avaient tous été radicalisés en ligne.
L’ONU elle-même n’est pas à l’abri de cette menace. En 2022, un sondage parmi les Casques bleus a révélé que 75% d’entre eux considéraient leur sécurité et leur sûreté comme étant directement menacées par la mésinformation et la désinformation. Les coordonnateurs résidents, les envoyés, les médiateurs et les Casques bleus ont tous donné l’alerte.
Et bien sûr, bon nombre de questions dont le Conseil est saisi sont directement influencées par les discours de haine amplifiés par les technologies modernes. En Bosnie-Herzégovine, en Libye et ailleurs, les discours de haine accentuent les tensions intercommunautaires et sapent la confiance dans les institutions.
En République démocratique du Congo et en République centrafricaine, les discours de haine servent à vilipender les minorités tandis que les campagnes de désinformation dénigrent et discréditent les soldats de la paix et les humanitaires des Nations Unies.
Au Myanmar, les médias sociaux ont été exploités pour avilir et diaboliser la minorité Rohingya, incitant à des attaques et des violences. En Iraq, la récente prolifération de discours de haine contre les Yézidis à Sinjar fait renaître, parmi la communauté, la crainte de nouvelles atrocités criminelles. La liste ne fait que s’allonger.
La haine est un danger qui nous guette tous et que chacun doit combattre. Nous devons collectivement renforcer nos défenses. Premièrement, nous devons enrayer la haine qui se propage en ligne. En début de semaine, j’ai lancé une note d’information pour promouvoir l’intégrité de l’information sur les plateformes numériques.
Un code de conduite pourrait aider les États Membres, les plateformes numériques et d’autres parties prenantes à rendre l’espace numérique plus inclusif et plus sûr pour chacun, tout en défendant le droit à la liberté d’opinion et d’expression et le droit d’accès à l’information.
Dans le cadre de Notre Programme commun, nous nous attelons à un Pacte numérique mondial en vue d’un avenir numérique ouvert, libre, inclusif et sûr pour tous, fermement ancré dans les droits humains et la non-discrimination.
Deuxièmement, alors que nous nous dirigeons vers des sociétés de plus en plus multiethniques et multireligieuses, nous devons investir dans la cohésion sociale. Nous devons veiller à ce que chaque communauté se sente respectée dans son identité unique, tout en se sentant pleinement appartenir à la société dans son ensemble. Nous devons reconnaître la diversité comme une richesse de toute société – et non comme une menace.
La haine prend racine dans le terreau de l’ignorance et de la peur. Mais lorsque nous enrichissons le terreau de la connaissance avec des faits, de la science et de la vérité historique, la haine ne peut pas se répandre comme une mauvaise herbe mortelle. Cela demande de garantir une éducation de qualité pour tous, partout, y compris pour les femmes et les filles. Cela demande de soutenir des systèmes éducatifs qui inculquent le respect de la science et qui célèbrent l’humanité dans toute sa diversité. Et cela demande une hausse des financements pour l’éducation, la consolidation de la paix et la solidarité mondiale.
Enfin et surtout, il nous faut renforcer les valeurs de compassion, de respect et de fraternité humaine et garantir des espaces civiques libres et sûrs. C’est le meilleur antidote contre le poison de la discorde et de la division. Il nous faut tous agir, au niveau des organisations internationales, des gouvernements, de la société civile et du secteur privé. Et les chefs religieux doivent intervenir partout.
Le fait est que nous voyons aujourd’hui des exemples d’intolérance dans toutes les sociétés et parmi toutes les religions. Les chefs religieux ont le devoir d’empêcher l’instrumentalisation de la haine parmi leurs fidèles.
La déclaration sur « la fraternité humaine pour la paix mondiale et la coexistence commune » corédigée par Sa Sainteté le Pape François et Son Éminence le Grand Imam d’Al-Azhar Ahmed Al-Tayeb, est un modèle de compassion et de solidarité humaine. Elle exhorte les dirigeants religieux et politiques à mettre un terme aux guerres, aux conflits et à la dégradation de l’environnement. Elle demande aux croyants de se reconnaître et de se respecter les uns les autres, de s’unir et de travailler main dans la main, pour le bien de l’humanité.
En cette période de conflits, inspirons-nous de cette déclaration et renouvelons notre attachement à rester unis, comme une seule famille humaine. Ensemble, nouons une alliance de paix, ancrée dans les valeurs de la fraternité humaine. Riches en diversité, égaux en dignité et en droits et unis en solidarité.