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Les droits humains ne sont pas un luxe dont nous pouvons nous passer, mais la solution à de nombreux problèmes du monde, souligne le Secrétaire général

On trouvera, ci-après, le texte de l’allocution du Secrétaire général de l’ONU, M. António Guterres, prononcée au Conseil des droits de l’homme, à Genève, aujourd’hui:

La Déclaration universelle des droits de l’homme a été adoptée il y a 75 ans.  Dans ce texte ont été énoncés, pour la première fois, des droits qui s’appliquent à tous les êtres humains, partout et en tout temps.  Sa version anglaise, qui est le document le plus traduit au monde, ne compte que 1 300 mots – et pourtant, tout est dit de l’expérience humaine.  La Déclaration universelle énonce le droit à la vie, à la liberté et à la sûreté; le droit à l’égalité devant la loi; le droit à la liberté d’expression; le droit de chercher asile; le droit au travail, à la santé, à l’éducation, et bien d’autres droits encore.

Or, alors que nous célébrons son soixante-quinzième anniversaire, la Déclaration est attaquée de toutes parts.  L’invasion russe de l’Ukraine a déclenché les violations les plus massives des droits de l’homme que nous vivons aujourd’hui.  Elle a provoqué la mort, la destruction et des déplacements à grande échelle.  Les attaques contre les populations et les infrastructures civiles ont fait de nombreuses victimes et causé d’indicibles souffrances.

Le Haut-Commissariat aux droits de l’homme a recensé des dizaines de cas de violences sexuelles liées au conflit commises contre des hommes, des femmes et des filles.  De graves violations du droit international humanitaire et du droit international des droits humains à l’égard de prisonniers de guerre, et des centaines de cas de disparitions forcées et de détentions arbitraires de civils, ont également été documentés.

Malheureusement, la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui devrait être notre modèle commun, est trop souvent utilisée à mauvais escient et de manière abusive.  Elle est dédaignée, souvent par ceux-là mêmes qui l’exploitent à des fins politiques.  Certains gouvernements en rognent les fondations, d’autres les torpillent.  Les droits humains font aujourd’hui l’objet d’un mépris en public et d’un dédain en privé qui doivent nous faire réagir. 

Nous devons nous placer du bon côté de l’histoire.  Nous devons défendre les droits humains de tous et de toutes, partout.  Il nous faut donner un nouveau souffle à la Déclaration universelle et veiller à ce qu’elle soit pleinement appliquée pour qu’elle nous permette de faire face aux défis d’aujourd’hui et de demain.  Il y a trois ans, j’ai lancé ici même mon appel à l’action en faveur des droits humains, qui est notre fil directeur.

Les droits humains n’ont rien d’un luxe dont nous puissions nous passer, le temps de trouver une solution aux autres problèmes du monde.  Ils sont la solution à de nombreux problèmes du monde.  Aux crises actuelles, de l’urgence climatique à l’utilisation néfaste des nouvelles technologies, les droits humains apportent la réponse.  Les droits humains sont inhérents à l’existence humaine.  Le Véda hindou, Confucius dans ses Analectes, la Bible, le Coran — tous postulent des droits et des devoirs très similaires.

La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, pierre angulaire de la Révolution française de 1789, énonçait les droits à la liberté et à la propriété ainsi que la liberté d’expression, la liberté de presse et la liberté de religion.  Mais ces droits bénéficiaient exclusivement aux hommes qui étaient citoyens – pas aux femmes, ni aux esclaves, ni aux minorités.  La défenseuse française des droits des femmes qui avait osé publier un pastiche de cette déclaration réservée aux hommes a été jugée pour trahison et exécutée.

Moins de quatre-vingt-dix ans plus tard, en 1875, naissait mon grand-père maternel.  Il a été un modèle important et une source d’inspiration tout au long de ma vie – un homme qui m’a tant conté ses expériences qu’elles font désormais partie intégrante de mes propres souvenirs.  À sa naissance, le projet colonial, édifié sur des violations massives des droits humains, était alors en plein essor en Afrique, en Asie et dans les Amériques.  L’esclavage, qui est le déni pur et simple des droits humains, avait récemment été aboli aux États-Unis mais il subsistait, ailleurs et sous d’autres formes, et a perduré pendant de nombreuses années.  Partout, les femmes étaient sous le joug des hommes.

Si mon grand-père a grandi dans une époque marquée par des horreurs du point de vue des droits humains, il a, de son vivant, été le témoin d’extraordinaires progrès.  L’abolition officielle de l’esclavage, l’accession à l’indépendance de la plupart des colonies, l’obtention du droit de vote par les femmes, et la reconnaissance générale des droits civils et politiques, notamment de la liberté d’expression et d’association.  Au début du vingtième siècle, les conséquences néfastes de l’industrialisation ont mis en relief l’importance des droits sociaux et économiques.  Les organisations de la société civile et les mouvements syndicaux ont été les fers de lance de la lutte pour le droit à l’éducation, à la santé, à la sécurité sociale et à des conditions de travail décentes pour tous.

Un demi-siècle plus tard, des cendres d’un monde ravagé par les hécatombes de deux guerres mondiales et les effroyables crimes de la Shoah naissaient les signes d’un renouveau: l’Organisation des Nations Unies et la Déclaration universelle des droits de l’homme.  La Déclaration universelle énonce les droits qui sont inhérents à tous les êtres humains, en tout temps: c’est une réalisation sans précédent.  Et grâce aux efforts de la défenseuse indienne des droits des femmes Hansa Mehta, l’égalité en droits des femmes et des hommes a été explicitement établie, dès le départ: « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits ».

La génération de mon grand-père a connu un siècle de progrès en matière de droits humains, qui sont allés de pair avec des avancées remarquables dans le domaine du développement humain.  En 1900, plus de 80% des personnes dans le monde vivaient dans la pauvreté.  Elles étaient moins de 10% en 2015.  En moyenne, l’espérance de vie était de 32 ans.  Elle dépasse aujourd’hui les 70 ans.  Sept personnes sur dix étaient analphabètes.  A présent, c’est moins de deux.

Au lieu de poursuivre cette progression, nous avons fait marche arrière.  L’extrême pauvreté et la faim augmentent, pour la première fois depuis des décennies.  Près de la moitié de la population mondiale, soit 3,5 milliards de personnes, vit dans des zones en danger climatique.  Ces vastes zones sont en passe de devenir des zones sinistrées du point de vue des droits humains, où les inondations, les sécheresses et les tempêtes font que le risque de mourir des effets des changements climatiques est 15 fois plus élevé qu’ailleurs.  Cent millions de personnes – un chiffre record – ont été contraintes de fuir les violences, les conflits et les violations de leurs droits humains.  Hier encore, un énième terrible naufrage en Méditerranée a coûté la vie à de nombreuses personnes qui étaient en quête d’un avenir meilleur pour elles-mêmes et pour leurs enfants.

Les droits des réfugiés et des migrants sont des droits humains.  Ils doivent être respectés sans discrimination.  Tant que des bandes criminelles contrôleront les routes migratoires, des personnes continueront à périr.  Nous avons besoin de routes sûres, ordonnées et légales pour les migrants et les réfugiés.  Et nous devons faire tout notre possible pour prévenir les pertes de vies humaines en fournissant des services de recherche et de sauvetage et des soins médicaux – c’est un impératif humanitaire, et une obligation morale et juridique. 

En Ukraine et ailleurs, chaque jour apporte de nouvelles preuves que des violations des droits humains –exécutions sommaires, tortures, disparitions forcées ou violences sexuelles– sont commises.  Partout dans le monde, l’antisémitisme, le sectarisme antimusulman, la persécution des chrétiens, le racisme et l’idéologie suprémaciste blanche sont en marche.  Les minorités religieuses, linguistiques et ethniques, la communauté LGBTQI+ et les autres communautés minoritaires sont la cible d’actes de harcèlement et de haine.  Les droits sexuels et procréatifs des femmes sont bafoués; la discrimination et la violence fondées sur le genre sont monnaie courante.

La liberté d’expression est en faillite et le nombre de professionnels des médias tués dans le monde l’année dernière a augmenté de 50% – un chiffre épouvantable.  Les inégalités de toutes sortes créent des clivages de plus en plus profonds dans les sociétés.  La cohésion sociale et la confiance s’abîment dans le fossé béant entre nantis et démunis.  La pandémie s’est soldée par une pandémie d’atteintes aux droits civils et politiques, et a mis à nu les violations systématiques des droits économiques et sociaux, notamment l’exploitation du travail accompli par les femmes dans les soins non rémunérés.

L’avenir suscite des inquiétudes encore plus grandes.  Si l’humanité ne se libère pas, dès à présent, de sa dépendance aux combustibles fossiles, les points de basculement climatiques critiques écraseront les droits humains des générations futures.  L’utilisation abusive des nouvelles technologies pourrait menacer les droits humains dans des proportions inimaginables.  Les générations futures pourraient hériter d’un monde dénué de protection contre la mésinformation, la désinformation et les mensonges.  D’un monde divisé où le gagnant rafle toute la mise.

Nous devons tirer les leçons que nous enseigne l’histoire.  Alors que les points chauds se multiplient sur Terre et que de nouveaux dangers mortels se profilent à l’horizon, nous devons nous battre pour nos droits.  Nous devons protéger et promouvoir le consensus mondial autour de la Déclaration universelle, et avancer vers une nouvelle ère: celle des droits humains pour toutes et tous.  Pour ce faire, nous devons concentrer notre action sur les droits que nous avons déjà reconnus mais aussi –dans un prodigieux bond en avant– promouvoir une nouvelle génération de droits.

Le rapport intitulé « Notre Programme commun » présente une vision de l’avenir centrée sur les personnes et leurs droits.  Un nouveau contrat social permettant de rebâtir la confiance et la cohésion sociale.  Un nouveau Pacte mondial permettant de surmonter les divisions et de mieux faire entendre la voix des pays en développement dans la prise de décisions.  Et un Nouvel Agenda pour la paix, fondé sur une vision intégrée du continuum de la paix – de la prévention à la médiation, en passant par le maintien et la consolidation de la paix.  L’appel à l’action en faveur des droits humains énonce sept domaines où nous devons travailler d’urgence: les droits au cœur du développement durable, les droits en période de crise, l’égalité des genres, l’espace civique, les générations futures, l’action collective, et de nouveaux possibles.

À l’Organisation des Nations Unies, nous modifions notre manière de travailler, conscients que les droits humains sont au cœur de tout ce que nous entreprenons.  Nous accordons la priorité à la corrélation entre droits humains et prévention des conflits et des crises de toutes sortes.  En juillet de cette année, le Haut-Commissaire et moi-même lancerons un nouvel Agenda pour la protection.  Cette initiative importante visera à renforcer le soutien apporté par le système des Nations Unies aux États Membres pour protéger les personnes et leurs droits, en temps de paix autant qu’en période de crise et de conflit.

J’ai eu le privilège de travailler avec trois Hauts-Commissaires: Zeid bin Ra’ad al Hussein de Jordanie, Michelle Bachelet du Chili, et à présent Volker Türk d’Autriche.  Tous sont des leaders et défenseurs des droits humains remarquables.  Ils ont accompli les missions confiées par ce Conseil, et ont également publié de leur propre chef plus de 170 rapports nationaux et thématiques importants au cours de ces six dernières années.  Ces rapports portent notamment sur les changements climatiques au Sahel, les migrations en Europe et dans les Amériques, et les préoccupations en matière de droits humains dans différents contextes, notamment en Afghanistan, au Chili, en Éthiopie, au Guatemala, en Libye, au Sahel, en Ukraine et au Xinjiang… pour n’en citer que quelques-uns.

Ce Conseil, vos différents mécanismes, y compris l’Examen périodique universel, les Procédures spéciales et les Organes de suivi des traités, ainsi que le Haut-Commissariat, sont essentiels pour créer une dynamique de progrès.  Cette institution soutient les efforts des défenseurs et défenseuses des droits humains qui, avec courage, risquent la persécution, la détention et même la mort dans l’accomplissement de leur travail vital.  Vos missions d’établissement des faits, vos commissions d’enquête et vos experts indépendants sont essentiels aux principes de justice et de responsabilité.

La Cour internationale de Justice occupe un rôle unique en matière de justice et de responsabilité internationales.  La Cour pénale internationale est l’institution centrale du système de justice pénale internationale; elle incarne la vocation de placer les auteurs des crimes les plus graves face à leurs responsabilités.

Je me réjouis des progrès accomplis afin que les violations des droits humains soient poursuivies aux niveaux national et régional – y compris les violations commises par le secteur privé.  Les actions en justice à l’encontre des entreprises qui détruisent le climat constituent une avancée importante.  Les producteurs de combustibles fossiles et leurs financiers doivent comprendre une vérité élémentaire: la poursuite de méga-profits, alors que tant de personnes perdent leur vie et leurs droits, aujourd’hui et à l’avenir, est totalement inacceptable.

Alors que nous célébrons l’impact de la Déclaration universelle des droits de l’homme, notre pire ennemi est la complaisance.  Car en matière des droits humains, l’histoire reste à écrire.  Nous devons continuer à faire des droits humains une réalité dans la vie des populations du monde entier.  Nous devons nous inspirer des mouvements de libération et de protestation qui ont accompli d’énormes avancées au cours du siècle dernier – l’abolition de l’esclavage, la décolonisation, le suffrage universel, le mouvement féministe et la fin de l’apartheid.

La société civile, les défenseurs des droits humains, les personnes en situation de handicap, les femmes, les filles et les jeunes du monde entier sont déjà dans la rue, et exigent la protection de tous les droits humains, pour toutes et pour tous.  Je suis à leurs côtés.  Nous devons tous être à leurs côtés.

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