LDC5: le premier dialogue de haut niveau à Doha appelle à investir dans les populations des pays les moins avancés (PMA) pour ne laisser personne de côté
DOHA, 5 mars -- La première table ronde thématique d’une série de huit, organisées parallèlement au débat général de la LDC5, la cinquième Conférence des Nations Unies sur les pays les moins avancés (PMA), a été consacrée cet après-midi à l’action sur les populations, en vue de ne laisser personne de côté. « Investir dans les personnes, éradiquer la pauvreté et renforcer les capacités » est aussi l’un des six domaines d’intervention identifiés par le Programme d’action de Doha adopté en 2022. C’est donc à juste titre que les experts du développement, les représentants d’États Membres et d’organisations internationales et non gouvernementales, ont rappelé en filigrane que le succès du programme de développement des Nations Unies réside dans la traduction de cette promesse en réalité dans les PMA.
Vu que les 334 millions de personnes vivant dans l’extrême pauvreté dans les PMA représentaient 46,3% de toutes les personnes vivant dans cette situation dans le monde, des orateurs ont souligné que l’un des domaines clefs d’action est la lutte contre la pauvreté qui s’est accentuée avec la pandémie de COVID-19. Pour M. Shameran Abed, Directeur exécutif de BRAC International, une organisation à but non lucratif basée à Nairobi, au Kenya, et dont la mission est d’autonomiser les personnes et les communautés en situation de pauvreté, il existe des programmes à même de sortir les populations des PMA de la pauvreté. Reste maintenant la volonté politique pour les mettre en œuvre. Il a évoqué des solutions pragmatiques, appuyées par des décennies de recherche. De même, la lutte contre l’insécurité alimentaire occupe une place de choix. Le Programme d’action de Doha en faveur des PMA a d’ailleurs reconnu la nécessité de faire face à l’insécurité alimentaire dans les PMA et lancé un processus visant à établir un système de stockage spécifique pour ces pays. Le Secrétaire général de l’ONU a déjà préparé un rapport sur ce mécanisme.
Dans ce sillage, l’Allemagne a relevé que la guerre en Ukraine et la pandémie de COVID-19 ont accentué les problèmes d’insécurité alimentaire. C’est pourquoi le pays a lancé une alliance mondiale contre l’insécurité alimentaire, a souligné M. Jochen Flasbarth, Secrétaire d’État au Ministère fédéral de l’économie et de la coopération au développement de l’Allemagne. Pour développer l’agriculture, la santé et la production industrielle par l’atome, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) est engagée dans le renforcement des capacités des PMA, a déclaré son Directeur général adjoint, M. Hua Liu. Il a déploré le fait que la science, la technologie et l’innovation soient inégalement réparties à travers le monde. Pourtant, ces domaines fournissent des données cruciales pour une prise de décisions « éclairée ». Des données plus fiables sont ainsi nécessaires pour les décideurs, a rappelé le Directeur exécutif adjoint du Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), M. Omar Abdi.
À côté du chantier pour les données, une étude de la Banque mondiale a établi que l’égalité entre les sexes et l’autonomisation des femmes et des filles requièrent encore d’énormes efforts, a constaté Mme Victoria Kwakwa, Vice-Présidente pour l’Afrique australe et du Sud au Groupe de la Banque mondiale. Elle a expliqué que l’égalité des genres conduit à des retours d’investissements élevés. Il est donc question aujourd’hui de lever les obstacles structurels et d’établir, par exemple, des programmes de mentorat en faveur des femmes pour accélérer les progrès, notamment dans les PMA. Mettant l’emphase sur cette question, la Directrice générale du Département des relations extérieures et de la coopération de Monaco, Mme Isabelle Rosabrunetto, a appelé à « ne laisser aucune femme à la traîne ». Il faut inclure davantage les femmes à la prise de décisions, a insisté M. Retselisitsoe Matlanyane, Ministre des finances et de la planification du développement du Lesotho. Le moment est venu de passer à l’action dans ce domaine, a renchéri Mme Pilar Cancela Rodriguez, Secrétaire d’État à la coopération internationale d’Espagne. En outre, M. Andrzej Duda, l’un des deux présidents de la table ronde et Président de la Pologne, a demandé de se focaliser aussi sur les jeunes et sur leur potentiel. À sa suite, plusieurs intervenants ont rappelé la place centrale de l’éducation qui est l’un des investissements de premier choix pour les populations. Pour M. Leonardo Garnier, Conseiller spécial du Secrétaire général de l’ONU pour le Sommet sur la transformation de l’éducation, il faut que l’école soit ouverte à tous, et les enseignants doivent être des acteurs de changement. Il a estimé que les 3 000 milliards de dollars investis dans l’éducation à travers le monde restent insuffisants. De même, cette somme est inégalement répartie, avec 63% d’investissements faits dans les pays développés où se trouvent à peine 20% de la population mondiale en âge de scolarisation. Dans les PMA en revanche, c’est 0,6% de cette somme globale qui est investie, ce qui contribue à perpétrer les inégalités mondiales. Pourtant, l’éducation est un investissement qui paye, a-t-il affirmé, rappelant que chaque dollar investi dans l’éducation primaire rapporte 50 dollars dans les pays développés, et 5 dollars dans ceux en développement. Il faut que cela passe au moins à 30 dollars dans ces derniers pays, a-t-il plaidé.
Il faut également mentionner que le Programme d’action de Doha a confié au Secrétaire général de l’ONU le mandat d’entreprendre une étude de faisabilité en vue de la création d’une université virtuelle pour soutenir l’enseignement universitaire de deuxième et troisième cycles en ligne, dans les domaines des sciences, de la technologie, de l’ingénierie et des mathématiques. En attendant, la Suisse investit chaque année 3 milliards de dollars dans la coopération internationale, notamment dans l’éducation et les compétences, car l’éducation est une richesse qui perdure, a affirmé Mme Patricia Danzi, Directrice générale de l’Agence suisse pour le développement et la coopération. De même, la Finlande alloue près de 50% de son aide internationale à l’éducation aux PMA, a témoigné dans le discours d’ouverture Mme Tarja Kaarina Halonen, ancienne Présidente de la Finlande. Pour elle, une éducation de qualité est essentielle pour réduire la pauvreté, faire progresser l’égalité des sexes, lutter contre les changements climatiques et contribuer au développement durable. Le Président de la Somalie, M. Hassan Sheikh Mohamed, et le Vice-Président de la République-Unie de Tanzanie, M. Philip Isdor Mpango, ont à leur tour insisté sur la place de l’éducation dans leurs pays respectifs.
L’ancienne Présidente de la Finlande a souligné l’importance des services de santé sexuelle et reproductive pour la couverture sanitaire universelle et le développement des systèmes de santé. D’autres orateurs ont aussi mis l’accent sur le renforcement des services de santé et des filets de sécurité sociale qui ont montré leur importance en période de pandémie.
M. Achim Steiner, Administrateur du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), a par ailleurs demandé aux donateurs d’investir dans l’électricité et l’eau potable dans les PMA, des domaines dans lesquels l’agence qu’il dirige est focalisée. Seuls 33% des populations des PMA ont accès à Internet contre 80% dans les pays développés, a-t-il relevé en notant le besoin de réduire cette fracture numérique. L’Administrateur a aussi demandé de régler le problème de l’encourt de la dette des PMA. Il faudrait également renforcer la participation des pays en développement à la gestion des ressources marines, a souhaité M. Michael Lodge, Secrétaire général de l’Autorité internationale des fonds marins. Le principe de base est d’investir dans les personnes, a insisté le Ministre d’État et Ministre des affaires étrangères de Singapour, M. Sim Anen. C’est d’ailleurs le capital humain qui est la seule ressource de ce petit État, a-t-il dit.
Former les cadres et experts nationaux dans les PMA ne suffit pas, a retorqué le représentant d’Haïti au Qatar qui a fait observer que ceux-ci sont très vite attirés par les « sirènes de l’immigration ». Il est vrai que 53% des déplacés du monde se trouvent dans les PMA et ont besoin de soutien, a indiqué M. Antonio Vitorino, Directeur général de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Selon lui, un soutien économique aux PMA permettrait de garder ces cadres dans leur pays et d’éviter la fuite des cerveaux. Il est vrai qu’il faut désormais tenir compte du capital humain et ne plus se focaliser seulement sur le produit intérieur brut (PIB) comme mesure du développement, a expliqué Mme Cristina Duarte, Secrétaire générale adjointe et Conseillère spéciale du Secrétaire général de l’ONU pour l’Afrique.
En concluant les travaux, M. Lazarus McCarthy Chakwera, Président du Malawi, et Coprésident de la table ronde, a appelé la communauté internationale à saisir l’opportunité du Programme d’action de Doha pour agir et transformer les potentiels en prospérité. Et pour y parvenir, il faut, ensemble, développer de nouvelles stratégies pour libérer les énormes opportunités qu’offrent les PMA.