Conflits urbains: le Secrétaire général appelle les parties belligérantes à s’abstenir d’utiliser des armes explosives à large rayon d’impact dans les zones habitées
On trouvera, ci-après, le texte du discours du Secrétaire général de l’ONU, M. António Guterres, prononcé lors du débat public du Conseil de sécurité sur la guerre urbaine et la protection des civils, à New York, aujourd’hui:
Je remercie la Norvège et le Premier Ministre d’avoir organisé ce débat public. Je suis heureux que M. Peter Maurer, Président du Comité international de la Croix-Rouge, ait pu se joindre à nous.
Aujourd’hui, plus de 50 millions de personnes sont touchées par des conflits en milieu urbain. Elles font face à des dangers qui sont propres à ce contexte.
Lorsque les hostilités se déroulent dans les villes, les civils courent un risque beaucoup plus élevé d’être tués ou blessés. Dans certains cas, on peut les prendre pour des combattants. Dans d’autres, les dommages causés aux civils sont souvent entièrement prévisibles, mais les parties au conflit ne prennent pas de mesures pour les éviter ou les réduire. Lorsque des armes explosives sont utilisées dans des zones habitées, environ 90 pour cent des personnes tuées ou blessées sont des civils.
En milieu urbain, l’utilisation d’armes explosives, en particulier celles qui ont un large rayon d’impact, comporte un risque élevé de conséquences aveugles. Ces armes peuvent avoir des effets dévastateurs sur les civils, dans l’immédiat ainsi qu’à long terme. Nombreuses sont les victimes qui sont atteintes de handicaps permanents et qui subissent de graves traumatismes psychologiques. Souvent, les infrastructures d’eau, d’électricité et d’assainissement sont endommagées; les services de santé sont gravement compromis.
Pour ne citer que quelques exemples: à Gaza, l’année dernière, des dizaines d’écoles et de centres de soins ont été endommagés lors des combats. Près de 800 000 personnes ont perdu l’accès à l’eau courante, ce qui a accru le risque de maladies tout en entravant davantage les soins de santé. En Afghanistan, une attaque aux explosifs devant un lycée de Kaboul en mai dernier a entraîné la mort de 90 élèves, principalement des filles, et fait 240 blessés.
Au-delà des souffrances physiques et psychologiques, les dommages causés aux écoles ont aussi des effets indirects, qui vont de l’interruption de l’éducation des enfants à l’augmentation de la probabilité de mariage précoce ou de recrutement dans des groupes armés. Une étude réalisée en 2020 au Yémen a montré que l’utilisation d’armes explosives lourdes dans les zones habitées avait perturbé l’ensemble des ressources et des systèmes du pays. De l’Afghanistan à la Libye, de la Syrie au Yémen et au-delà, les risques pour les civils augmentent lorsque des combattants circulent parmi eux et mettent des installations et du matériel militaire à proximité d’infrastructures civiles.
Les conflits en milieu urbain vont bien au-delà des conséquences immédiates qu’ils ont pour les civils. Ils peuvent causer des sièges et des blocus, dont les effets sur les populations sont terribles, celles-ci courant le risque de mourir de faim. La guerre urbaine force des millions de personnes à quitter leur foyer, contribuant ainsi à un nombre record de réfugiés et de personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays. Quatre ans après la destruction de 80% des habitations à Mossoul, en Iraq, on estime que 300 000 personnes sont toujours déplacées.
La guerre dans les villes occasionne des millions de tonnes de débris, qui présentent des risques tant pour l’environnement que pour la santé des populations. En raison du grand danger que représentent les engins non explosés, les personnes déplacées ne peuvent pas rentrer chez elles. Et la destruction massive dans les zones urbaines fait reculer le développement de plusieurs décennies, sapant les progrès vers les objectifs de développement durable.
Le coût humain effrayant que représente la guerre dans les villes n’est pas inévitable; c’est un choix. Je voudrais présenter quelques mesures visant à prévenir et à atténuer ces terribles effets.
Premièrement, toutes les parties doivent pleinement respecter le droit humanitaire international. Ces dernières années, le non-respect de ces lois est de plus en plus préoccupant. Les attaques contre des civils ou des infrastructures civiles, les attaques aveugles et l’utilisation de civils comme boucliers humains sont interdites. Les parties au conflit doivent prendre des mesures pour minimiser les dommages indirects causés aux civils; ceci est d’autant plus crucial lorsque le conflit armé se déroule dans des zones urbaines.
En outre, il faut poursuivre les auteurs des violations graves. Les États Membres doivent avoir la volonté politique de mener, dans toute la mesure du possible, des enquêtes et des poursuites concernant les crimes de guerre présumés, chaque fois qu’ils se produisent. Nous le devons aux victimes et à leurs proches - et c’est également crucial afin que cela soit un moyen de dissuasion puissant.
Deuxièmement, les parties au conflit ont des options. Elles doivent adapter leurs armes et leurs tactiques lorsqu’elles font la guerre dans les villes, car elles ne peuvent pas se battre dans des zones habitées comme elles le feraient sur des champs de bataille ouverts. Même lorsque les armes explosives sont utilisées dans le respect du droit des conflits armés, elles peuvent causer des dommages dévastateurs aux civils.
Par conséquent, toutes les parties belligérantes doivent s’abstenir d’utiliser des armes explosives à large rayon d’impact dans les zones habitées. Je demande instamment aux États d’appliquer les bonnes pratiques qui permettent de réduire les conséquences humanitaires de ces armes. Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires a publié une compilation des politiques et pratiques militaires à cet égard. Je me félicite des efforts déployés en vue de l’élaboration d’une déclaration politique visant à remédier aux préjudices causés par l’utilisation de ces armes. Je demande instamment à tous les États Membres de s’engager à éviter l’utilisation d’armes explosives à large rayon d’impact dans les zones habitées.
Troisièmement, la protection efficace des civils dans le contexte des guerres urbaines exige des politiques et des pratiques supplémentaires efficaces qui vont au-delà de cet engagement. Les parties au conflit devraient donner suite aux allégations de dommages causés aux civils et aux habitations, marchés et infrastructures civils et en tirer des enseignements, afin d’évaluer l’impact de leurs opérations et de voir comment minimiser les dommages.
Cette pratique pourrait contribuer à une politique de ventes d’armes plus responsable. Consigner le nombre de victimes peut aider à faire la lumière sur le sort des personnes disparues, à trouver des moyens de minimiser les dommages causés aux civils et à garantir l’obligation de rendre compte, la reprise et la réconciliation. Les parties à un conflit doivent veiller à ce que leurs forces armées soient formées à suivre ces politiques et pratiques, ainsi que d’autres bonnes pratiques. Et tous les États devraient établir des cadres directifs nationaux pour la protection des civils, qui s’appuient sur ces politiques et pratiques.
Pour finir, j’exhorte tous les États Membres à user de leur influence sur leurs partenaires et alliés afin de garantir le respect du droit humanitaire international et l’adoption de bonnes pratiques. Le Conseil de sécurité a un rôle central à jouer à cet égard. Je compte sur tous les membres du Conseil pour tenir compte des défis de la guerre urbaine, demander des mesures de protection spéciales et utiliser tous les moyens à leur disposition pour mettre fin aux dommages tragiques et évitables causés aux civils. Et bien sûr, la meilleure solution serait d’éviter la guerre en milieu urbain.