Vingt et unième session,
6e & 7e séances plénières, matin & après midi
DH/5470

Instance permanente: les représentants des peuples autochtones dénoncent l’impact désastreux des activités extractives

Une vingtaine de délégations et représentants des peuples autochtones ont pointé ce matin, au quatrième jour des travaux de l’Instance permanente sur les questions autochtones, l’impact désastreux des activités extractives, de la déforestation et de la monoculture intensive et de la militarisation sur le bien-être et les droits humains des populations autochtones.

Achevant le dialogue entamé la veille avec le Rapporteur spécial sur les droits des peuples autochtones et le Mécanisme d’experts sur les droits des peuples autochtones, ils ont appelé ces derniers à assurer le respect du principe de « consentement préalable, libre et éclairé », y voyant le meilleur moyen de garantir la mise en œuvre de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.  Les délégations ont ensuite débattu des travaux futurs de l’Instance permanente, notamment sur les questions intéressant le Conseil économique et social (ECOSOC) et sur les nouveaux problèmes.  Les travaux se sont poursuivis dans l’après-midi avec un débat sur les six domaines d’action (économique et social, culture, environnement, éducation, santé et les droits humains) de l’Instance permanente en relation avec la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

En écho à ces interventions, le Rapporteur spécial a estimé que la clef de tous ces défis était le droit à l’autodétermination, notamment sur les terres et les ressources, avant de prévenir qu’il ne suffit pas de reconnaître ces droits, mais d’assurer leur mise en œuvre en promulguant des lois appropriées.  Il a aussi indiqué vouloir mener une étude sur les zones protégées qui font état de nombreuses violations des droits humains.

Les mesures d’adaptation et d’atténuation aux changements climatiques, dont la construction de digues et barrages, ne doivent plus être prises sans le consentement éclairé des populations autochtones concernées, a exigé Indigenous Peoples Rights International pour qui la lutte contre les changements climatiques ne doit pas servir de prétexte pour violer leurs droits collectifs.

Le Danemark, au nom des pays nordiques, s’est alarmé du fait que les militants des droits autochtones souffrent de représailles, d’attaques, d’enlèvement et de meurtres partout dans le monde.  Dans ce contexte, la délégation a jugé indispensable de respecter le principe du « consentement préalable, libre et éclairé », dans le cadre des activités économiques qui affectent les vies des autochtones.

Reconnaissant les conséquences psychologiques tragiques des mauvais traitements infligés aux enfants autochtones dans les pensionnats, le Canada a dit sa volonté d’établir une « vérité salvatrice », tandis que l’Australie a appelé à s’assurer que la coopération internationale et les négociations multilatérales soient profitables aux droits économiques des populations autochtones.

Deux représentants des peuples autochtones du Brésil ont ensuite dénoncé l’impact de la déforestation et de la monoculture sur les modes de vie de 300 peuples autochtones du Brésil.  Si la première s’est particulièrement inquiétée des répercussions du recours massif à des produits chimiques, dont les pesticides et autres intrants chimiques, sur la qualité de vie des autochtones, le second a fustigé les politiques du Président Bolsonaro qui démantèlent des décennies d’acquis en matière de droits des autochtones brésiliens.  Réagissant à cette intervention, le Brésil s’est vanté d’une délimitation des terres autochtones qui garantit les droits d’un million d’autochtones parlant 200 langues sur 12% du territoire national.

« Qu’en est-il de nos droits à un accès à une eau potable ? a demandé le Groupe des jeunes autochtones avant de préciser que l’armée américaine continue de polluer impunément des réserves d’eau potable des terres autochtones.  Une représentante des Mi’kmaq a mis l’accent sur la valeur ajoutée des connaissances des femmes autochtones pour limiter l’impact des activités extractives sur la durabilité des territoires autochtones, avant d’appeler à examiner les répercussions de la militarisation des territoires sur les femmes autochtones.

Le principal problème des droits autochtones est l’hypocrisie de la politisation et du deux poids, deux mesures, a déclaré la représentante de l’Iran, avant de fustiger le mépris des droits autochtones par le Canada et les États-Unis.  « Nos croyances et nos sites sacrés doivent être protégés, afin que notre vision du monde soit préservée », a dit une représentante des Mayas.  Sur le même ton, la représentante de l’Association des femmes peules et peuples autochtones du Tchad (AFPAT) a appelé à la valorisation des connaissances autochtones en matière de santé.

Après le Mexique qui a appelé à tenir compte des recommandations de l’Instance, le Fonds de développement pour les peuples autochtones a jugé indispensable la création d’un mécanisme de suivi à cette fin.  Déplorant pour sa part la persistance de lois obsolètes qui marginalisent les peuples autochtones, le Conseil circumpolaire inuit a souhaité que les peuples autochtones soient consultés en marge de tous les accords et instances multilatérales les concernant.  Il a également indiqué avoir publié, en 2020, un rapport montrant comment les États ont sapé les droits des populations inuites.

L’Équateur a fait part de ses efforts pour adapter ses services de santé aux principes et valeurs du système sanitaire autochtones et développer un système d’éducation bilingue prenant en compte les valeurs autochtones, ainsi que pour disposer d’une administration de la justice capable d’assurer la compatibilité entre le droit national et le droit coutumier.

À son tour, le Centre de ressources des Tatars de Crimée a demandé une étude sur la situation des autochtones lors des conflits entre États, expliquant que depuis 2014, des milliers de jeunes autochtones ont été incorporés de force dans l’armée russe et sont aujourd’hui obligés de se battre contre leur propre pays.

Le Fédération de Russie a indiqué qu’elle reconnaît 47 petits peuples autochtones et avait mis en place un système Internet mobile permettant aux peuples nomades et semi-nomades, notamment les éleveurs de rennes, de pouvoir communiquer entre eux.  De son côté, l’Inde a souhaité que la notion de peuple autochtone ne soit pas utilisée pour créer des distinctions artificielles et porter atteinte à l’intégrité territoriale d’un État.  Enfin, plusieurs groupes autochtones ont estimé que la création d’écoles en immersion dans les langues autochtones était le meilleur moyen de préserver les droits de ces peuples.   

Au cours du débat sur les six domaines d’action de l’Instance permanente (développement économique et social, culture, environnement, éducation, santé et droits humains), M. Phoolman Chaudhary, membre de l’Instance (Népal), a jugé urgent de comprendre la vision particulière des peuples autochtones, notant que les défis auxquels ils font face ont une origine complexe liée à la colonisation, l’accaparement des terres et des années de marginalisation et d’isolement.  Il a appelé à mettre en œuvre les recommandations de la Convention 169 de l’OIT « qui a la capacité de transformer leur vie », notant en outre que leurs coutumes, systèmes de gouvernance et sagesse peuvent s’avérer utiles pour résoudre des problèmes complexes comme les changements climatiques.

Il a invité à trouver le moyen de mieux mesurer les progrès réalisés par les États Membres dans l’application de la Convention 169 et d’autres instruments.  Nous devons établir une liste de performances des États, a suggéré le membre de l’Instance permanente ajoutant que cette liste pourrait être élaborée chaque année ou tous les deux ans afin de mieux connaître les réalités que connaissent les peuples autochtones et attirer l’attention de la communauté internationale.  

Pour sa part, Mme Irma Pineda Santiago, membre de l’Instance (Mexique), a présenté un rapport consacré à la propriété intellectuelle collective et l’appropriation des idées et des créations des peuples autochtones qui recommande que les États Membres élaborent des lois et des politiques publiques pour accorder aux communautés autochtones le contrôle absolu sur leurs créations, connaissances, découvertes, œuvres et autres éléments qui sont le fruit de leur génie, de leur imagination et de leur créativité́.  

Notant que les peuples autochtones n’ont pas l’argent pour payer les frais des procédures juridiques et judiciaires encourus pour protéger leurs droits, M. Simón Freddy Condo Riveros, membre de l’Instance (Bolivie), a engagé l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) à assumer ses responsabilités « parce les propriétés intellectuelles des autochtones ne sont pas des marchandises ».  

L’OMPI a indiqué que des négociations sont en cours en vue de finaliser un accord sur un ou plusieurs instruments juridiques internationaux relatifs à la propriété intellectuelle qui assureront une protection équilibrée et efficace des ressources génétiques, des savoirs traditionnels et des expressions culturelles traditionnelles.  Elle a également suggéré que les peuples autochtones établissent des accords de collaboration avec des instituts de recherche ou l’industrie afin de développer conjointement des inventions brevetables dérivées de savoirs traditionnels, sur la base du consentement libre, préalable et éclairé.

L’OMPI ne comprend pas la question quand elle nous demande de travailler avec les entreprises privées afin de développer conjointement des brevets, a réagi M. Simón Freddy Condo Riveros, membre de l’Instance (Bolivie).  Les tissus et les habits des femmes autochtones font partie intégrante de leur identité et de leur culture donc ne sont pas des marchandises, s’est indigné le Mouvement national des tisserandes maya du Guatemala qui a dit être préoccupé par les tentatives des industries textiles et de la mode d’accaparer la propriété intellectuelle autochtone sur leurs tissus.  La représentante a également demandé de respecter l’arrêt de la Cour constitutionnelle du Guatemala sur une affaire concernant le vol de la propriété culturelle autochtone sur leur tissu traditionnel.  Il faut un instrument juridique contraignant pour le respect du principe de consentement libre, préalable et éclairé sur cette question spécifique, a-t-elle insisté.  

Partisan d’une modification radicale des systèmes alimentaires, M. Geoffrey Roth, membre de l’Instance (États-Unis), a relevé que les connaissances traditionnelles et les bonnes pratiques autochtones ont des capacités transformatrices, notant que la coalition mondiale sur les systèmes alimentaires autochtones qui sera dirigée par les peuples autochtones, constituera un espace de travail collectif pour ces communautés, les États Membres et les institutions des Nations Unies afin qu’ils œuvrent ensemble sur nos systèmes alimentaires.  Le Fonds international de développement agricole (FIDA) a annoncé que cette année, ses travaux se focalisent notamment sur la protection des systèmes alimentaires durables des peuples autochtones.  Nous devons œuvrer ensemble pour faire en sorte que les connaissances sur les systèmes alimentaires des autochtones influencent la COP27, a renchéri l’Organisation des Nations Unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO).

De son côté, la Rapporteuse spéciale sur la violence à l’égard des femmes, ses causes et ses conséquences a insisté sur les risques très particuliers auxquels sont confrontées les femmes et les filles autochtones qui souffrent d’un réseau complexe des formes structurelles de violence qui sont consciemment commises contre elles par des acteurs étatiques comme non étatiques.  Cette torture met à mal leur vie spirituelle et culturelle et frappe le cœur même de la structure sociale de leur communauté et de leur nation, s’est inquiété Mme Reem Alsalem, qui a dénoncé la persistance de l’impunité pour ces crimes ainsi que le manque de données sur la violence sexiste.

Dans la discussion qui a suivi, la Communauté des Caraïbes (CARICOM) a exhorté à agir rapidement pour sauver les peuples autochtones des conséquences graves des changements climatiques en faisant le suivi des mesures prises au niveau mondial pour contrer les changements climatiques et en leur octroyant les ressources dont ils ont besoin.    

La représentante des Zapata de Colombie s’est opposée à l’embrigadement des enfants autochtones pour qu’ils prennent les armes y compris par les groupes armés.  La Colombie a alors assuré que son gouvernement est engagé à respecter l’accord de paix signé avec les FARC.  Le Guyana a déclaré que la protection des droits fonciers autochtones est une priorité du Gouvernement qui a lancé un projet d’accès à Internet pour 200 communautés autochtones.  Le Honduras qui n’avait pas de politique nationale pour les peuples autochtones, a fait part de son intention de créer des institutions pour les affaires autochtones et d’élaborer un programme chargé d’apporter un conseil juridique aux peuples autochtones.

La Fédération des Premières Nations de Saskatchewan a déclaré que la loi canadienne empêche les Amérindiens de recourir aux tribunaux alors que leurs ressources sont accaparées par les provinces qui les excluent de force de l’économie.  Nous sommes réduits à la survie, a dénoncé le représentant qui a appelé à corriger les lois et les politiques injustes.  Il a de surcroît demandé au pape François d’annuler la bulle Romanus Pontifex de 1455 qui a conduit à la colonisation des peuples autochtones dans le monde.

Le Conseil circumpolaire inuit, qui s’exprimait également au nom du Conseil sami, a alerté pour sa part que la guerre en Ukraine menace la stabilité et la coopération en Arctique.  L’Arctique doit rester une zone de paix comme l’a voulu le Président Mikhail Gorbatchev, a rappelé le représentant qui a suggéré une pause temporaire de la présidence russe du Conseil circumpolaire jusqu’en 2023.  Préoccupés par le sort des peuples autochtones en Ukraine et en Russie, les deux Conseils ont également voulu en savoir plus sur le sort du peuple tchoukotka en Russie.

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