La prévention n’est pas un outil politique, mais une voie réaliste vers la paix, explique le Secrétaire général dans un exposé au Conseil de sécurité
On trouvera, ci-après, l’allocution que le Secrétaire général de l’ONU, M. António Guterres, a prononcé lors du débat du Conseil de sécurité consacré au maintien de la paix et de la sécurité internationales à travers la diplomatie préventive tenu à New York, aujourd’hui:
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les représentants, merci de mettre en lumière l’importance de la diplomatie préventive. La question de la prévention ne reçoit pas toujours toute l’attention qu’elle mérite.
Sans doute parce qu’il est difficile de mesurer les résultats d’un conflit étouffé dans l’œuf ou d’une guerre évitée, ou d’évaluer ce que l’on gagne en empêchant la souffrance de milliers de personnes.
Nous avons des reporters de guerre – mais pas de reporters de paix. Mais la prévention est indispensable à l’instauration d’une paix durable. La prévention est l’objectif ultime du travail de ce Conseil et des résolutions que vous adoptez pour aider les pays à instaurer la paix et la stabilité et à régler leurs différends avant qu’ils ne dégénèrent en conflit armé.
Elle est la raison d’être de l’Organisation des Nations Unies. Cette organisation a été créée sur les cendres de la Seconde Guerre mondiale dans le but, comme énoncé dans notre Charte, de ne plus faire subir à l’humanité l’inhumanité de la guerre.
Mesdames et Messieurs les représentants, depuis 76 ans, le système des Nations Unies offre au monde une instance de dialogue et met à sa disposition des outils et mécanismes de règlement pacifique des différends.
Je pense notamment à la Cour internationale de Justice, qui donne à la prévention une dimension juridique; au Conseil économique et social, qui fait du développement durable un instrument de lutte contre les conflits ; aux résolutions jumelles adoptées par l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité en 2016, qui nous ont rappelé une fois de plus que la prévention devait être au cœur de nos objectifs communs de consolidation et de pérennisation de la paix ; aux femmes et aux hommes de cette organisation qui travaillent au quotidien pour instaurer, consolider et maintenir la paix dans certains des endroits les plus difficiles et les plus dangereux de la planète ; la prévention est essentielle.
C’est la raison pour laquelle j’ai placé mon programme de prévention au cœur de mon premier et de mon second mandat de Secrétaire général. J’ai appelé à un sursaut de l’action diplomatique au service de la paix afin de garantir que les solutions politiques restent toujours et avant tout le moyen privilégié de régler les différends.
Nous devons pour ce faire revoir l’ensemble des instruments qui composent l’architecture de paix des Nations Unies et mieux intégrer la prévention et l’évaluation des risques dans la prise des décisions à l’ONU.
Il nous faut innover et anticiper davantage ; il nous faut notamment instaurer un système beaucoup plus solide d’évaluations mensuelles des risques au niveau régional et de prise de décision au plus haut niveau et mieux aider les États Membres à gérer et à atténuer les risques de crise.
Il nous faut notamment faire les liens qui s’imposent entre tous les facteurs de conflit, notamment la pauvreté, les inégalités et les changements climatiques.
Car l’histoire a montré que les conflits n’étaient pas le fait du hasard. Mais ils ne sont pas non plus une fatalité. Trop souvent, ils sont le résultat de divers problèmes que l’on n’a pas su voir ou régler, notamment: les écarts en matière d’accès aux produits de première nécessité, tels que la nourriture, l’eau, les services sociaux et les médicaments ; les lacunes dans les systèmes de sécurité ou de gouvernance, qui permettent à des groupes s’estimant lésés de se regrouper pour trouver des moyens d’accéder au pouvoir par la force ; le manque de confiance – dans les gouvernements, les institutions et les lois, ou des uns envers les autres ; le manque de tolérance et de cohésion sociale, qui trouve son origine dans la discrimination, les préjugés et les griefs, anciens ou nouveaux ; ou les inégalités – entre riches et pauvres, entre pays et à l’intérieur des pays, et entre hommes et femmes.
Tous ces problèmes sont des facteurs potentiels de violence, voire de conflits. Mesdames et Messieurs les représentants, la prévention consiste en définitive à enrayer les conflits et les guerres avant même qu’ils ne surviennent, et à désamorcer – par le dialogue – les tensions qui provoquent les divisions et la guerre et qui mettent chaque jour des millions de vies en danger.
Mais la prévention consiste aussi à faire en sorte qu’aucune mère ne doive sauter un repas pour nourrir ses enfants, à offrir l’espoir d’un avenir meilleur, par l’éducation, l’accès à des soins de santé et la perspective d’un revenu, à promouvoir la tolérance, la confiance, l’égalité et le respect des droits humains, qui sont le fondement d’une société pacifique, à combler les écarts de développement à l’origine des conflits et à concrétiser les promesses des objectifs de développement durable pour toutes et tous, en pleine égalité, à briser le cercle vicieux du conflit et de la division et à enclencher un cercle vertueux de développement et de paix.
La diplomatie a un rôle essentiel à jouer pour initier ce mouvement. Dans mon rapport intitulé « Notre Programme commun », je propose un Nouvel Agenda pour la paix, fondé sur une vision plus globale et plus complète de la sécurité mondiale.
Un agenda qui vise non seulement à consolider la paix, à renforcer la résilience dans les situations de précarité et à empêcher la reprise de conflits. Mais qui reconnaît également l’importance du développement durable dans la prévention de la violence et du déclenchement des conflits.
Pour les femmes et les hommes qui composent le personnel des Nations Unies, la diplomatie préventive et le développement vont de pair. Ils sont indissociables. Mesdames et Messieurs, nous le savons: la diplomatie préventive fonctionne.
J’ai systématiquement usé de mes bons offices – parfois publiquement, parfois en coulisses – pour tenter de désamorcer les conflits et de faire progresser la paix.
Différends frontaliers, crises constitutionnelles ou électorales ou pourparlers de paix fragiles – les exemples ne manquent pas : nos bureaux régionaux, nos envoyés spéciaux, nos missions politiques spéciales et nos opérations de maintien de la paix sont à pied d’œuvre, 24 heures sur 24, partout dans le monde.
Un élément central de notre stratégie de prévention est la collaboration avec les organisations régionales et sous-régionales - de l'Union africaine aux organisations sous-régionales de toute l'Afrique, de l'Union européenne à l’ASEAN et au-delà.
Ces organisations sont des voix essentielles de la paix et jouent un rôle clé dans le renforcement de la confiance et du dialogue dans le cadre de nos efforts de prévention et de résolution des conflits.
Notre travail avec nos partenaires pour aider à préparer et à assurer des élections pacifiques est une autre partie essentielle de nos efforts de prévention - y compris les dernières élections à Madagascar, en RDC, en RCA, au Malawi, en Zambie et à São Tomé et Príncipe.
En Somalie, associés à l’Union africaine et à l’Union européenne, nous œuvrons avec les parties en présence pour enrayer l’escalade des tensions dans un contexte électoral instable.
Et en Libye, nous collaborons étroitement avec les autorités de transition pour veiller au respect du cessez-le-feu et faire en sorte que le pays saisisse cette occasion de paix à l’approche des élections prévues le mois prochain.
Au-delà des élections, le Centre régional des Nations Unies pour la diplomatie préventive en Asie centrale réunit les pays de la région pour qu’ils élaborent ensemble des stratégies communes de partage des ressources en eau et de lutte contre le terrorisme.
Au Mali, avec la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest et nos partenaires, nous soutenons la transition politique afin de garantir un retour pacifique et rapide à l’ordre constitutionnel, dans un contexte parfois difficile.
Dans la région des Grands Lacs, mon envoyé spécial s’emploie à instaurer une confiance mutuelle entre les pays et entre les dirigeants.
Le Coordonnateur spécial pour le développement au Sahel œuvre de concert avec toutes les entités pour construire la paix et aider les populations de la sous-région. La Commission de consolidation de la paix soutient le processus de paix en Papouasie-Nouvelle-Guinée et les programmes de paix au Soudan du Sud.
Enfin, dans le contexte du COVID-19, nos coordinateurs résidents et nos équipes de pays soutiennent la riposte à la pandémie, tout en répondant aux besoins des populations en proie à des situations d’urgence humanitaire, d’Haïti au Yémen en passant par le Myanmar.
Mesdames et Messieurs, Nous sommes fiers de notre action, mais nous savons qu’il faut faire bien davantage pour faire converger notre action humanitaire et nos efforts de paix et de développement.
Dans mon rapport intitulé « Notre Programme commun », je préconise d’instaurer dans toutes les sociétés un nouveau contrat social ancré dans les droits humains, axé sur des progrès rapides dans la mise en œuvre du Programme de développement durable à l’horizon 2030.
Pour ce faire, il nous faut investir de toute urgence pour garantir à toutes et à tous une couverture sanitaire universelle, la protection sociale et l’éducation – et, bien sûr, l’accès aux vaccins contre le COVID-19.
Il nous faut corriger les inégalités qui empêchent des groupes entiers de participer à la vie civile et économique et à la prise de décision. Il nous faut mettre fin aux inégalités de pouvoir et de participation entre hommes et femmes.
Il nous faut concrétiser notre engagement en faveur des droits humains et passer de la parole aux actes dans toutes les situations. C’est essentiel pour prévenir les crises. Mais il nous faut aussi renforcer les instruments de la diplomatie préventive pour l’avenir, comme cela a été proposé dans l’Agenda pour la paix.
Il nous faut de meilleurs dispositifs d’alerte précoce, de meilleurs outils de prospective stratégique – notamment des données et des analyses plus fines – pour parvenir à une compréhension commune des menaces et repérer et éviter les crises imminentes.
Il nous faut renforcer nos capacités de médiation, en première ligne de l’action diplomatique menée pour consolider la paix dans les sociétés du monde entier.
Il nous faut élargir le vivier de femmes dirigeantes qui pourront être nommées à des postes d’envoyées ou de spécialistes de la médiation, tout comme nous avons fait augmenter le nombre de soldates de la paix et de femmes à la tête de nos missions sur le terrain.
Enfin, il nous faut renforcer la collaboration entre les entités des Nations Unies, notamment avec la Commission de consolidation de la paix, pour tirer parti de notre savoir-faire collectif au moyen de rapports et de dialogues réguliers.
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les représentants, La prévention n’est pas un outil politique – mais une voie réaliste vers la paix.
Pour que la diplomatie préventive et le développement contribuent à la paix à laquelle nous aspirons tous, nous avons besoin du soutien total de ce Conseil, et même de tous les États Membres.
Nous avons connu trop d’occasions manquées en matière de prévention à cause de la méfiance entre États Membres sur leurs motivations respectives. C’est compréhensible.
Nous vivons dans un monde où les rapports de force ont toujours été déséquilibrés. Un monde où règne la pratique du deux poids deux mesures et où les principes sont appliqués de manière sélective et injuste.
Un monde où la prospérité et le développement sont inégalement répartis. Un monde où des groupes entiers ont été laissés de côté par la pauvreté et la discrimination.
Une paix durable exige un travail constant avec les dirigeants, les communautés et tous les partenaires afin de construire la stabilité que seul le développement inclusif peut apporter.
Voici le message que j’adresse à ce Conseil - soyez à nos côtés pour construire la paix par le dialogue et la collaboration. C’est la seule solution viable pour bâtir notre avenir commun.