Conférence de Munich: le Secrétaire général dégage quatre impératifs pour faire de 2021 « l’année pour nous mettre sur les rails »
On trouvera, ci-après, le texte de l’allocution du Secrétaire général de l’ONU, M. António Guterres, prononcée à l’occasion du volet de la Conférence de Munich sur la sécurité consacré au thème « priorités d’action à l’échelle mondiale », aujourd’hui:
Merci beaucoup. C’est un grand plaisir d’être de retour à Munich, même si c’est de manière virtuelle. La complexité et l’ampleur des épreuves et des défis que nous traversons à l’échelle mondiale vont croissantes, mais les mesures prises pour les affronter restent insuffisantes et manquent de cohésion. Tel un rayon X, la COVID-19 a mis au jour les fractures profondes et les fragilités du monde, qui vont bien au-delà des pandémies et de la santé publique.
Une catastrophe climatique se profile à l’horizon. Inégalités et discriminations effilent le tissu social. La corruption érode la confiance. La lutte pour les droits des femmes régresse. Les objectifs de développement durable sont loin d’être atteints. Les comportements dignes du Far West observés dans le cyberespace ont créé de nouveaux vecteurs d’instabilité.
Et même le régime de désarmement nucléaire s’effrite, bien que les États-Unis et la Fédération de Russie aient pris l’heureuse décision de proroger le nouveau Traité de réduction des armements stratégiques. Maintenant, 2021 est l’année pour nous mettre sur les rails. Nous devons profiter du relèvement après la pandémie.
Selon moi, quatre impératifs se dégagent. Premièrement, il nous faut un plan mondial de vaccination. Les vaccins doivent être disponibles et abordables pour toutes et tous, partout dans le monde. Il est en effet crucial d’assurer l’équité en matière de vaccination si l’on veut sauver des vies et redresser l’économie. Les pays doivent redistribuer les doses excédentaires et verser les milliards de dollars nécessaires à la pleine mise en œuvre de l’initiative COVAX.
Il nous faudra aussi au moins doubler la capacité de production mondiale par la voie du partage de licences et du transfert de technologie. Je pense que le G20 est bien placé pour mettre en place une équipe spéciale d’urgence qui serait chargée d’élaborer un plan de vaccination mondial associant les pays, les entreprises, les organisations internationales et les institutions financières qui ont l’autorité, l’expertise et les capacités productives et financières nécessaires. Je suis prêt à mobiliser l’ensemble du système des Nations Unies pour soutenir cet effort, en commençant par l’Organisation mondiale de la Santé.
Notre deuxième priorité doit être d’atteindre la neutralité carbone d’ici le milieu du siècle. Il y a des raisons d’espérer. Des pays produisant plus de 65% des émissions de gaz à effet de serre et représentant plus de 70% de l’économie mondiale se sont engagés à atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050. Fixons-nous l’objectif d’élargir cette coalition de façon à parvenir à un taux de 90% d’ici à la Conférence sur les changements climatiques qui se tiendra en novembre à Glasgow.
Tous les pays, villes, entreprises et institutions financières devraient fixer des critères de référence pour assurer la transition vers la neutralité carbone au cours des 30 prochaines années. Il faut commencer dès maintenant en prenant des mesures concrètes: Fixer le prix du carbone. Mettre fin au subventionnement et au financement du charbon et des autres combustibles fossiles, et réinvestir les fonds ainsi libérés dans les énergies renouvelables et dans une adaptation équitable.
Troisièmement, nous devons apaiser les tensions géopolitiques et consolider la diplomatie en faveur de la paix. Il est impossible de régler les problèmes les plus graves si les pays les plus puissants font opposition. Notre monde ne supportera pas un avenir dans lequel les deux plus grandes économies diviseraient la planète en deux zones opposées, de part et d’autre d’une Grande Fracture, chacune dotée de sa propre monnaie dominante et de ses propres règles commerciales et financières, de son propre Internet et de ses propres capacités en matière d’intelligence artificielle. Une fracture technologique et économique risque de se muer en fracture géostratégique et militaire. C’est ce que nous devons éviter à tout prix.
Je réitère également mon appel en faveur d’un cessez-le-feu mondial. Nous avons vu poindre çà et là des signes encourageants dans le cadre de certains processus de paix solides. Mais ailleurs, les combats continuent. Nous sommes tous perdants. Il nous faut également instaurer un cessez-le-feu au-delà des champs de bataille traditionnels: aussi bien dans les foyers, les lieux de travail, les écoles et les transports publics, où les femmes et les filles font face à une épidémie de violence, que dans le cyberespace, où des attaques en tous genres se produisent chaque jour. Les technologies numériques doivent servir le bien, ce qui suppose aussi une interdiction totale des armes létales autonomes, l’aspect le plus dangereux que l’intelligence artificielle peut apporter au futur de la guerre.
Quatrièmement, il est temps de redéfinir la gouvernance mondiale à l’aune du XXIe siècle. Les accords de sécurité collective conclus il y a plus de 75 ans ont permis d’éviter une troisième guerre mondiale. Nos principes communs doivent résister à l’épreuve du XXIe siècle, ce qui suppose de trouver de nouveaux moyens de livrer des biens publics mondiaux, de parvenir à une mondialisation équitable et de résoudre les problèmes communs. Nous n’avons pas besoin de nouvelles bureaucraties.
Mais nous devons renforcer le multilatéralisme de sorte qu’il s’appuie sur des réseaux reliant les organisations internationales et régionales, les entités économiques et politiques. Et qu’il soit inclusif et mobilise les entreprises, les villes, les universités et les mouvements pour l’égalité des genres, l’action climatique et la justice raciale. Et un multilatéralisme qui respecte les droits des générations futures.
Nombreux sont celles et ceux qui pensent que la multipolarité grandissante observée dans le monde permettra de garantir la paix, mais revenons sur ce que l’histoire nous a enseigné. Il y a plus d’un siècle, l’Europe était multipolaire, mais il n’y avait pas de mécanismes de gouvernance multilatérale. Et quel a été le résultat? La Première Guerre mondiale.
L’heure est venue pour nous de faire preuve de solidarité et de coopération internationale afin de nous attaquer aux problèmes toujours plus grands et plus complexes auxquels nous faisons face. C’est par notre détermination que nous pourrons atteindre nos objectifs communs: j’en suis convaincu. Je vous remercie.