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Population et développement: les organisations non gouvernementales veulent avoir voix au chapitre dans les politiques de sécurité alimentaire

En terminant ce matin son débat général entamé lundi, la Commission de la population et du développement a entendu une douzaine d’organisations non gouvernementales (ONG) plaider pour que les décideurs les impliquent davantage dans les processus d’élaboration, de mise en œuvre et d’évaluation des politiques en matière de sécurité alimentaire.  À la veille de la clôture de cette session annuelle, le Président de la Commission a animé une discussion avec les États Membres sur « le rôle et l’organisation futurs » de la Commission. 

M. Eric Tiare Yemdaogo (Burkina Faso) a expliqué cet après-midi que cette réflexion doit, entre autres, permettre à la Commission de la population et du développement de voir comment elle peut renforcer son travail, en veillant à ce qu’il soit adapté à l’objectif visé.  À ce sujet, le Danemark, au nom d’une dizaine de pays, a proposé que les délibérations de la Commission soient guidées par l’ambition de « faire la différence » dans la vie des femmes et filles du monde entier.  Pour le Mexique, le consensus, même s’il est souhaitable pour l’adoption des décisions, ne doit pas être considéré comme une « camisole de force ».  En revanche, la Fédération de Russie a dit ne pas comprendre le bien-fondé de cette discussion, puisque les méthodes de travail ont été revues et adoptées en 2016.  Le Danemark a pourtant insisté sur la promotion de la participation de la société civile dans les travaux de la Commission, rejoignant ainsi l’appel à plus d’inclusion lancé par les ONG. 

Des ONG, telles que l’International Planned Parenthood Federation ou la Swasti, qui fait partie de l’Alliance mondiale pour la santé reproductive des femmes, ont ainsi demandé que la société civile soit partie prenante aux solutions mondiales pour les problèmes d’alimentation.  L’Asian Pacific Resource and Research Centre for Women (ARROW) a également appelé les États de sa région à partager le processus de prise de décisions avec les femmes, les filles et les adolescentes afin de les aider à sortir du cycle de la pauvreté et l’insécurité alimentaire.  À son tour, le Centre pour les droits de l’homme et la recherche sur les changements climatiques a déclaré que pour lutter contre l’insécurité alimentaire et nutritionnelle, il faut une augmentation significative des investissements responsables dans une agriculture qui respecte, protège et promeut les droits de l’homme.

L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) avait commencé par inviter les dirigeants à tenir compte des personnes qui se déplacent lors de l’élaboration des politiques agricoles, particulièrement dans des pays confrontés à des urgences humanitaires. 

En début de journée, la Commission a tenu un débat avec des experts sur le programme de travail en matière de population.  Quatre panélistes ont présenté leurs expériences respectives pour anticiper les défis concernant les personnes âgées, les femmes, la santé reproductive des adolescents ou encore les incidences de la pandémie de COVID-19 sur la mortalité.  La Commission était saisie d’un rapport du Secrétaire général (E/CN.9/2021/5) sur l’exécution du programme et le bilan des activités menées dans le domaine de la population en 2020 par la Division de la population du Département des affaires économiques et sociales de l’ONU. 

L’objectif auquel le programme de travail contribue est de permettre aux responsables de l’élaboration des politiques et au grand public de mieux cerner les tendances démographiques et de mieux comprendre les liens qui existent entre les changements démographiques et le développement durable, grâce à des données factuelles.  La Commission de la population et du développement, en tant qu’organe directeur de la Division de la population, formule des lignes directrices sur le programme de travail lors de sa session annuelle.

Contrairement aux séances de ces jours derniers qui se sont tenues à distance, la Commission de la population et du développement se réunira en présentiel demain, vendredi 23 avril, à 10 heures, afin de se prononcer sur les projets de proposition et sur toute autre question en suspens, avant de conclure sa cinquante-quatrième session.

EXÉCUTION DU PROGRAMME ET FUTUR PROGRAMME DE TRAVAIL DU SECRÉTARIAT DANS LE DOMAINE DE LA POPULATION

Panel d’experts sur le programme de travail en matière de population, suivi d’un débat interactif

Modéré par M. JOHN WILMOTH, Directeur de la Division de la population du Département des affaires économiques et sociales des Nations Unies (DESA), cet échange a permis à des experts de la France, du Japon, du Mexique et de l’Afrique du Sud de présenter leurs expériences respectives pour anticiper les défis concernant les personnes âgées, les femmes, la santé reproductive des adolescents ou encore les incidences de la pandémie de COVID-19 sur la mortalité. 

Répondant à une première question sur l’importance des données statistiques et démographiques, Mme GÉRALDINE DUTHÉ, Directrice de recherche de l’Institut national d’études démographiques de la France, a dit l’importance de la publication annuelle de prévisions qui rendront davantage visibles les conséquences de crises qu’on ne peut pas détecter par le biais d’analyses quinquennales. 

Mettant l’accent sur les défis et perspectives en matière de vieillissement de la population au Japon, Mme REIKO HAYASHI, Directrice générale adjointe de l’Institut national de recherche sur la jeunesse et la sécurité sociale du Japon, a mis l’accent sur la notion de « ratio de dépendance lié à l’âge » qui tient compte de l’espérance de vie.  Elle a jugé important que la Division de la population du DESA calcule ce ratio pour tous les pays du monde à des fins de comparaison. 

De son côté, Mme GABRIELA RODRÍGUEZ RAMÍREZ, Secrétaire générale du Conseil national mexicain de la population, a mis en exergue de multiples inégalités exacerbées par la pandémie en notant qu’un foyer sur trois a perdu la moitié ou plus de ses revenus.  Notant qu’un quart des foyers étaient des foyers « élargis » au Mexique, elle a expliqué que cette situation rendait un confinement irréalisable.  Elle a jugé impératif d’anticiper le vieillissement de la population et les défis y afférents, en notant que la constitution mexicaine garantit la retraite à tous les habitants de 68 ans et plus. 

Répondant à une question sur les moyens de suivre les spécificités démographiques d’une communauté en mettant l’accent sur la santé sexuelle et reproductive, M. JACQUES VAN ZUYDAM, Directeur du Service national de la population de la République d’Afrique du Sud, a noté que les indicateurs relatifs aux adolescents en la matière n’ont pas progressé depuis 1990 malgré de nombreuses initiatives gouvernementales. 

Si l’experte française a estimé qu’il faudra des années pour mesurer et comprendre les conséquences de la pandémie de COVID-19 sur la mortalité mondiale, son homologue mexicaine a souligné l’importance de la sensibilisation pour endiguer le problème des grossesses non désirées au Mexique, où l’on prévoit 120 000 grossesses non désirées dans les 10 prochaines années. 

Pour sa part, l’experte japonaise a appelé à prendre des mesures pour remédier aux causes qui limitent la fertilité dans son pays.  Son homologue de l’Afrique du Sud a proposé à la Division de la population de créer un recueil en vue de partager des rapports plus substantiels des gouvernements. 

Dans le cadre d’un échange avec les États Membres, la Fédération de Russie a notamment suggéré que les pays soient sollicités avant de valider les données les concernant publiées par les Nations Unies.  « Lorsque vous préparez des documents programmatiques, nous vous encourageons à faire attention à ce que les termes et concepts utilisés soient conformes à ce qui a été agréé au niveau intergouvernemental », a lancé la délégation russe aux responsables de la Division de la population. 

MESURES POUR LA POURSUITE DE LA MISE EN ŒUVRE DU PROGRAMME D’ACTION DE LA CONFÉRENCE INTERNATIONALE SUR LA POPULATION ET LE DÉVELOPPEMENT AUX NIVEAUX MONDIAL, RÉGIONAL ET NATIONAL

POPULATION, SÉCURITÉ ALIMENTAIRE, NUTRITION ET DÉVELOPPEMENT DURABLE

Suite et fin du débat général

L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) a ainsi indiqué que les enjeux d’agriculture, de sécurité alimentaire et de migrations urbaines sont interconnectés.  Dans de nombreux pays, notamment développés, la main d’œuvre des migrants est parfois cruciale pour effectuer des récoltes.  Mais avec la COVID-19, cette main d’œuvre se fait rare du fait des restrictions sur les déplacements, avec un impact sur les récoltes.  L’OIM a donc invité les dirigeants à tenir compte des personnes qui se déplacent lors de l’élaboration des politiques agricoles, particulièrement dans des pays faisant face à des urgences humanitaires.  Elle a aussi plaidé pour que les États mettent en œuvre le Pacte mondial sur les migrations.

La Fondation FEMM qui œuvre dans la santé reproductive des femmes a, pour sa part, affirmé que la santé peut affecter la capacité d’assurer une nutrition adéquate, grâce à la capacité de chercher un emploi rémunéré ou bien de transformer les aliments nutritifs.  Certaines conditions de santé, y compris celles liées aux hormones, nécessitent également des programmes de nutrition particuliers, notamment pour les femmes.  L’organisation a relevé que malheureusement, de nombreuses femmes ne sont pas conscientes du lien entre les hormones et leur santé (mentale et physique), et le lien important que cela implique pour la fertilité et la planification familiale.  La Fondation FEMM propose donc une éducation reproductive et hormonale et aide les femmes à comprendre le fonctionnement des diverses méthodes de planification familiale et leurs effets secondaires potentiels. 

L’International Planned Parenthood Federation (IPPF) -Western Hemisphere Region- fournit également des services de santé et en matière de droits sexuels et reproductifs.  L’organisation a rappelé que la nutrition et la sécurité alimentaire sont des éléments essentiels de la santé maternelle, infantile et sexuelle et reproductive des femmes, filles et adolescentes.  Alors que la pandémie de COVID-19 exacerbe les inégalités de santé et de genre, les femmes et les filles sont confrontées à des obstacles supplémentaires pour accéder aux soins de santé sexuelle et reproductive, a relevé l’IPPF.  En effet, des centres ont été contraints de fermer et certaines opérations ont dû être suspendues.  Pour répondre aux besoins urgents des femmes et des filles, l’IPPF a jugé nécessaires des services intégrés pour éliminer les obstacles, stéréotypes et discriminations dont sont victimes les femmes.  Dans le même esprit, l’International Planned Parenthood Federation (IPPF) a ajouté que ce sont les femmes qui sont « l’épine dorsale de l’économie rurale », en particulier dans les pays en développement.  Dans la région d’Amérique latine et des Caraïbes, les femmes rurales sont responsables de plus de la moitié de la production alimentaire, mais ne détiennent que 30% des titres fonciers et ne reçoivent que 10% du crédit agricole.  Les disparités entre les sexes en matière de sécurité alimentaire sont encore plus prononcées pour les personnes identifiées comme étant des femmes autochtones et afro-descendantes, les femmes rurales, les femmes handicapées, réfugiées et migrantes. 

Pour l’ONG Franciscans International, la détérioration des moyens de subsistance des paysans est aussi le résultat de situations liées aux changements climatiques.  Une réalité néfaste que l’on peut lier à l’imposition d’un ensemble de politiques d’exclusion qui visent à profiter aux grandes entreprises.  Dans la région d’Amérique latine et des Caraïbes, de nombreuses familles comptent sur les envois des fonds des migrants pour survivre.  Cependant, toutes les familles paysannes ne parviennent pas à envoyer leurs jeunes travailler à l’étranger.  En général, les gouvernements ont des actions sociales comme la livraison des denrées alimentaires et d’intrants agricoles, même si cela passe malheureusement par des actes de corruption et le trafic d’influence, a dénoncé Franciscans International.  L’organisation a déploré que ces mesures impliquent aussi l’introduction de semences transgéniques ou hybrides qui menacent la biodiversité et les semences indigènes.  Et cela finit par profiter à l’agro-industrie, s’est inquiétée l’ONG. 

À son tour, le Centre pour les droits de l’homme et la recherche sur les changements climatiques a déclaré que pour lutter contre la sécurité alimentaire et nutritionnelle, il faut une augmentation significative des investissements responsables dans une agriculture qui respecte, protège et promeut les droits de l’homme. Le Centre a appelé à aider les 800 millions de personnes souffrant de la faim chronique à travers le monde.  De même, des politiques de croissance démographique sont nécessaires en raison de la pandémie, et il faut intégrer une perspective des droits de l’homme dans les stratégies de croissance démographique.  Selon l’ONG Haïti Cholera Research Funding Foundation Inc, il faut en effet tenir compte de la démographie car il a été démontré par exemple dans l’État de Floride aux États-Unis que certains comtés sont plus vulnérables à l’insécurité alimentaire que d’autres.  La fondation a demandé une plus grande solidarité pour lutter contre l’insécurité alimentaire des enfants.

La Commonwealth Medical Trust a appelé en particulier à se pencher sur le cas des personnes âgées dont la capacité à se déplacer pour acheter des aliments pendant la pandémie a diminué.  Dans certaines sociétés aisées, l’obésité est un problème qui a été exacerbé par les restrictions du confinement, puisque les gens sont obligés de pratiquer la suralimentation associée au manque d’exercice.  « L’information et l’éducation nutritionnelles doivent cibler avant tout les femmes et les filles, car ce sont les femmes qui décident de ce qui est consommé à la maison. »  Pour sa part, la Fédération internationale des associations d’étudiants en médecine a invité les États Membres à réaliser des transformations critiques de la production agricole, tout en veillant à éliminer le gaspillage alimentaire.  Étant donné que les jeunes sont en première ligne de la production agricole, la Fédération a exigé l’intégration des perspectives des jeunes dans la formulation et la mise en œuvre de cadres politiques locaux et mondiaux qui traitent de la sécurité alimentaire. 

L’Asian Pacific Resource and Research Centre for Women (ARROW) a également plaidé pour que les États de la région fassent progresser le contrôle et la prise de décisions des femmes, des filles et des adolescentes afin de les aider à sortir du cycle de la pauvreté et l’insécurité alimentaire.  Les États de la région Asie-Pacifique ont été invités à renforcer les mesures pour atténuer les effets néfastes de la pandémie de COVID-19 et s’attaquer aux conséquences qui ont un impact disproportionné sur la vie des femmes et des filles.  De ce fait, la désagrégation des données est cruciale pour inclure les femmes et les filles vivant dans les zones rurales.

Enfin, le Women’s Health and Education Center (WHEC) a appelé les dirigeants mondiaux à se rassembler et à offrir une réponse urgente et coordonnée à la crise de la COVID-19.  Cela passe d’abord par le renforcement de la confiance du public dans la science, car c’est essentiel pour modifier les comportements et réduire les taux de transmission.  L’ONG a ensuite plaidé pour un accès universel aux solutions, notamment les vaccins.  Enfin, Swasti, une organisation qui fait partie de l’Alliance mondiale pour la santé reproductive des femmes a insisté pour que la société civile soit partie prenante aux solutions mondiales pour les problèmes d’alimentation.

RÔLE ET ORGANISATION FUTURS DE LA COMMISSION DE LA POPULATION ET DU DÉVELOPPEMENT

À l’entame de cette brève session, le Président de la Commission de la population et du développement, M. ERIC TIARE YEMDAOGO (Burkina Faso), a rappelé que le Bureau de la cinquante-troisième session avait entamé une réflexion sur le rôle et l’organisation futurs de la Commission de la population et du développement.  Cette initiative a été prise pour trois raisons.  Premièrement, conformément à la résolution 72/305 de l’Assemblée générale, cette réflexion doit permettre à la Commission d’évaluer la nécessité de continuer de publier chaque année des documents négociés et de veiller à ce que ceux-ci privilégient l’action et conduisent au resserrement de la coopération. 

Deuxièmement, conformément à la résolution 2016/25 du Conseil économique et social (ECOSOC), elle doit permettre à la Commission de voir comment renforcer son travail, en veillant à ce qu’il soit adapté à l’objectif visé.  Troisièmement, la Commission doit pouvoir revenir sur les difficultés qu’elle a rencontrées ces dernières années pour parvenir à un consensus sur une résolution relative au thème spécial, puis envisager la voie à suivre.  Les résultats de cette réflexion, qui s’appuyait en particulier sur une enquête et des consultations virtuelles, ont été récapitulés dans un document de séance informelle, paru sous la cote E/CN.9/2021/CRP.1 (en anglais), dont la Commission est saisie.

S’exprimant au nom d’un groupe d’une dizaine de pays, le Danemark a dit qu’il faut que les délibérations de la Commission soient guidées par l’objectif d’apporter un changement positif dans la vie des femmes et filles du monde entier, tout en veillant à promouvoir la participation de la société civile aux travaux de la Commission.  De son côté, le Bélarus a estimé que les décisions prises par la Commission par consensus sont mises en œuvre par chaque État dans le respect de sa législation nationale.  La délégation s’est opposée à l’insertion, dans les documents finaux des sessions, de terminologies qui ne font pas l’unanimité, ou à mentionner des engagements pris par un groupe restreint d’États. 

La Fédération de Russie a dit ne pas avoir compris le bien-fondé de l’inclusion de cette discussion dans le programme de la session 2021.  Elle a précisé que le rôle et l’organisation futurs de la Commission sont contenus dans les résolutions de l’Assemblée générale et du Conseil économique et social.  En outre, les méthodes de travail ont été revues et adoptées en 2016.  La délégation a insisté pour que les documents finaux des sessions continuent d’être adoptés par consensus.  Dans ce contexte, le résumé de la session fait par le Président apparaît « superflu ».  Si l’Égypte a jugé qu’avec la volonté politique, les choses peuvent avancer au sein de la Commission sans avoir besoin de modifier ses méthodes de travail, le Mexique a dit que même si le consensus est souhaitable, il faut qu’il permette d’avancer et ne doit pas être considéré comme une « camisole de force ».  Parfois, s’il faut voter sur un paragraphe pour avancer, alors il faut le faire, a ajouté la délégation. 

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