Neutralité carbone, financements à la hauteur et adaptation aux impacts: trois « impératifs » pour éviter la « catastrophe climatique », selon le Secrétaire général
On trouvera, ci-après, le texte de l’allocution du Secrétaire général de l’ONU, M. António Guterres, prononcée à l’Université de Columbia sur « l’État de la planète », à New York, aujourd’hui:
Je remercie l’Université de Columbia de son accueil et je souhaite la bienvenue à celles et ceux qui, dans le monde entier, nous ont rejoints en ligne. C’est une manière inhabituelle de se rencontrer, mais l’année qui s’achève ce mois-ci n’aura ressemblé à aucune autre.
Nous faisons face à une pandémie dévastatrice, le réchauffement planétaire atteint de nouveaux sommets, la dégradation de l’environnement n’a jamais été pire et nous accusons de nouveaux reculs sur la voie des objectifs mondiaux qui pourraient rendre possible un développement plus équitable, plus inclusif et plus durable.
Pour dire les choses simplement, la planète est dans un piètre état. L’humanité fait la guerre à la nature. C’est une entreprise suicidaire. Car la nature répond toujours coup pour coup, et elle le fait déjà avec une force et une fureur de plus en plus grandes. La biodiversité s’effondre. Un million d’espèces sont menacées d’extinction. Les écosystèmes disparaissent sous nos yeux. Les déserts gagnent du terrain. Les zones humides sont en train de disparaître. Chaque année, nous perdons 10 millions d’hectares de forêts.
Les océans sont victimes de la surpêche – et envahis de déchets plastiques qui les étouffent. On assiste aussi à l’acidification des mers, sous l’effet du dioxyde de carbone qu’elles absorbent. Les récifs coralliens blanchissent et meurent. La pollution de l’air et de l’eau tue 9 millions de personnes par an, soit plus de six fois le nombre de victimes ayant succombé à la pandémie.
Et comme les êtres humains et le bétail empiètent de plus en plus sur les habitats des animaux et perturbent les espaces sauvages, il n’est pas impossible que nous voyions davantage de virus et d’autres agents pathogènes passer des animaux aux hommes.
N’oublions pas que 75% des maladies infectieuses humaines émergentes ou nouvelles sont des zoonoses.
Aujourd’hui, deux nouveaux rapports faisant autorité publiés par l’Organisation météorologique mondiale et le Programme des Nations Unies pour l’environnement montrent que nous frôlons la catastrophe climatique.
L’année 2020 est en passe de devenir l’une des trois années les plus chaudes jamais enregistrées au niveau mondial – en dépit de l’effet refroidissant qu’a eu La Niña cette année. La décennie qui s’achève a été la plus chaude de l’histoire de l’humanité. L’océan atteint des records de chaleur. Cette année, plus de 80% des océans du monde ont connu une vague de chaleur marine.
Dans l’Arctique, l’année 2020 s’est caractérisée par une chaleur exceptionnelle, avec des températures supérieures de plus de 3 degrés Celsius à la moyenne – et de plus de 5 degrés dans le nord de la Sibérie.
En octobre, la formation de glace de mer arctique n’avait jamais été aussi limitée – et maintenant, le regel est plus lent que jamais. La tendance de long terme à la fonte de la glace du Groenland s’est poursuivie, avec 278 gigatonnes en moyenne de perdues par an. Le permafrost fond et libère du méthane, un puissant gaz à effet de serre.
Les incendies et les inondations, les cyclones et les ouragans apocalyptiques deviennent la norme. La saison des ouragans dans l’Atlantique Nord a vu 30 tempêtes, ce qui en fait une saison record et représente plus du double de la moyenne de long terme. L’Amérique centrale est encore sous le choc des deux ouragans consécutifs qu’elle a essuyés et qui constituent l’un des épisodes les plus intenses jamais vus pour ce type de tempêtes ces dernières années. L’an dernier, de telles catastrophes ont coûté au monde 150 milliards de dollars.
Les confinements liés à la COVID-19 ont permis de réduire temporairement les émissions et la pollution. Mais on enregistre toujours des niveaux records de dioxyde de carbone, et la tendance est à la hausse. En 2019, les niveaux de dioxyde de carbone ont atteint 148% des niveaux préindustriels. En 2020, la tendance à la hausse s’est poursuivie malgré la pandémie.
Les émissions de méthane sont quant à elles montées en flèche, représentant 260% des niveaux préindustriels. Les émissions d’oxyde nitreux, un puissant gaz à effet de serre, un gaz qui attaque également la couche d’ozone, ont augmenté de 123%.
Les politiques climatiques ne sont toujours pas à la hauteur de l’enjeu. Les émissions sont désormais de 62% supérieures à ce qu’elles étaient au début des négociations internationales sur le climat, en 1990. Chaque dixième de degré de réchauffement est important.
Aujourd’hui, nous en sommes à 1,2 degré de réchauffement et nous observons déjà des extrêmes climatiques et une volatilité sans précédents dans toutes les régions et sur tous les continents. Nous nous dirigeons vers une augmentation de la température de 3 à 5 degrés Celsius au cours du XXIe siècle. La science est très claire: pour limiter l’élévation de la température à 1,5 degré Celsius au-dessus des niveaux préindustriels, le monde doit réduire la production de combustibles fossiles d’environ 6 % par an d’ici à 2030.
Mais le monde s’engage dans la direction opposée – et prévoit une augmentation annuelle de 2%. L’assaut ainsi livré à notre planète a des retombées qui compromettent l’efficacité des efforts que nous faisons pour éliminer la pauvreté et menacent la sécurité alimentaire. Et cela rend l’action que nous menons en faveur de la paix encore plus difficile, car ces perturbations sont à l’origine d’instabilités, de déplacements et de conflits.
Ce n’est pas une coïncidence si 70% des pays les plus vulnérables face aux changements climatiques sont aussi parmi les plus fragiles sur les plans politique et économique. Ce n’est pas un hasard si 8 des 15 pays les plus exposés aux risques climatiques accueillent une mission de maintien de la paix ou une mission politique spéciale des Nations Unies. Comme toujours, ce sont les personnes les plus vulnérables au monde qui sont les plus touchées. Ce sont les personnes qui ont la moindre part de responsabilité dans le problème qui en souffrent le plus. Même dans le monde développé, les personnes marginalisées sont les premières victimes des catastrophes et les dernières à s’en relever.
Soyons clairs: les activités humaines sont à l’origine de notre plongée dans le chaos. Mais cela signifie aussi que l’action humaine peut nous aider à nous en sortir. Faire la paix avec la nature sera la grande œuvre du XXIe siècle. Ce doit être la première priorité. La priorité absolue. Pour tout le monde. Partout.
Dans ce contexte, le relèvement de la pandémie doit être vu comme une occasion à saisir. La perspective d’un vaccin offre un rayon d’espoir. Mais pour la planète, il n’existe pas de vaccin. La nature a besoin d’un plan de sauvetage.
En venant à bout de la pandémie, nous pouvons également éviter le cataclysme climatique et restaurer notre planète. C’est un test de notre volonté politique qui prend des dimensions épiques. Mais en fin de compte, c’est aussi un test moral.
C’est aux générations futures que nous empruntons les 1 000 milliards de dollars nécessaires au relèvement de la COVID-19. Jusqu’au dernier centime. Nous n’avons pas le droit d’utiliser ces ressources pour mettre en place des politiques qui les accablent d’une montagne de dettes sur une planète en ruine.
Il est temps de passer à l’action. Nous avons une chance de ne pas simplement relancer l’économie mondiale, mais de la transformer. Une économie durable reposant sur les énergies renouvelables sera le gage de nouveaux emplois, d’infrastructures plus propres et d’un avenir résilient.
Grâce à l’avènement d’un monde inclusif, les personnes pourront jouir d’une meilleure santé en exerçant pleinement leurs droits humains, et vivre dans la dignité sur une planète saine. Se relever de la COVID-19 et réparer notre planète doivent être les deux faces d’une même pièce.
J’aimerais d’abord aborder avec vous la question de l’urgence climatique. Il y a trois impératifs pour parvenir à faire face à la crise climatique:
Premièrement, nous devons atteindre la neutralité carbone à l’échelle mondiale dans les 30 prochaines années. Deuxièmement, nous devons faire en sorte que les financements mondiaux soient au diapason de l’Accord de Paris, le plan mondial pour l’action climatique. Troisièmement, nous devons accomplir une percée en matière d’adaptation afin de protéger le monde –et en particulier les personnes et les pays les plus vulnérables– contre les impacts climatiques.
J’aimerais maintenant revenir sur chacun de ces trois impératifs. Premièrement, la neutralité carbone – réduire à zéro les émissions nettes de gaz à effets de serre. Ces dernières semaines, nous avons constaté des évolutions positives importantes. L’Union européenne s’est engagée à devenir le premier continent climatiquement neutre d’ici à 2050 – et j’espère qu’elle décidera de réduire ses émissions d’au moins 55% par rapport aux niveaux de 1990 d’ici à 2030. Le Royaume-Uni, le Japon, la République de Corée et plus de 110 pays se sont engagés à atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050. L’administration entrante des États-Unis a annoncé qu’elle poursuivrait le même objectif. La Chine s’est engagée à y parvenir avant 2060.
Cela signifie que d’ici au début de 2021, des pays représentant plus de 65 % des émissions mondiales de dioxyde de carbone et plus de 70 % de l’économie mondiale auront pris des engagements ambitieux en matière de neutralité carbone. Nous devons profiter de cet élan et en faire un véritable mouvement. L’objectif central que s’est donné l’Organisation des Nations Unies pour 2021 est de constituer une véritable coalition mondiale pour la neutralité carbone. Je suis convaincu que l’année 2021 peut être une année bissextile d’un nouveau genre – celle d’un bond en avant vers la neutralité carbone.
Chaque pays, ville, institution financière et entreprise devrait adopter un plan de transition vers zéro émission nette d’ici à 2050 – et j’engage les principaux émetteurs à montrer l’exemple en prenant dès maintenant des mesures décisives pour réaliser cette vision, ce qui signifie réduire les émissions mondiales de 45% d’ici à 2030 par rapport aux niveaux de 2010. Et ceci doit se refléter clairement dans les contributions déterminées au niveau national.
Chaque personne a un rôle à jouer, puisque nous sommes toutes et tous des consommateurs, des producteurs, des investisseurs. Nous avons un atout de notre côté: la technologie. Et nous pouvons étayer notre action sur une analyse économique solide. Plus de la moitié des centrales à charbon en activité aujourd’hui coûtent plus cher à faire fonctionner que ne le serait la construction de nouvelles installations de production d’énergie renouvelable. Le secteur du charbon part en fumée.
D’après l’Organisation internationale du Travail, si des pertes d’emploi sont inévitables, la transition vers des énergies propres entraînera la création nette de 18 millions d’emplois d’ici à 2030.
Mais il est essentiel que ce soit une transition juste. Nous devons reconnaître les coûts humains de la transition énergétique. La protection sociale, le versement d’un revenu minimum provisoire et les programmes de reconversion et de perfectionnement peuvent aider les travailleurs et permettre de traverser plus facilement les changements entraînés par la décarbonisation. L’énergie renouvelable est aujourd’hui le premier choix, non seulement du point de vue de l’environnement, mais aussi pour l’économie.
Mais il y a des signes qui ne laissent d’être inquiétants. Certains pays ont profité de la crise pour revenir sur les mesures qui avaient été prises pour protéger l’environnement. D’autres misent sur l’exploitation des ressources naturelles et renoncent à toute ambition climatique. Les membres du G20, dans leurs plans de sauvetage, consacrent maintenant 50% de plus aux secteurs liés à la production et à la consommation de combustibles fossiles qu’aux énergies à faible intensité de carbone. Tous doivent dépasser le stade des déclarations de bonnes intentions et prouver que l’on peut accorder du crédit à leurs paroles.
Prenons un exemple, celui du transport maritime. Si le secteur du transport maritime était un pays, il serait le sixième plus grand émetteur de gaz à effet de serre au monde. L’an dernier, lors du Sommet sur l’action pour le climat, nous avons lancé la Coalition Objectif zéro dans le transport maritime pour obtenir que les navires de haute mer passent à zéro émission d’ici à 2030. Pourtant, les politiques actuelles ne sont pas à la hauteur des promesses qui ont été faites. Pour que le secteur du transport maritime respecte ces engagements, des mesures réglementaires et fiscales doivent être prises et appliquées. Sans cela, l’objectif zéro émission nette ne sera qu’un horizon lointain.
Il en va de même pour l’aviation. Les signataires de Paris sont tenus de soumettre leurs contributions déterminées au niveau national révisées et améliorées, avec leurs objectifs de réduction des émissions, d’ici à 2030.
Dans 10 jours, je convoquerai, avec la France et le Royaume-Uni, un Sommet sur l’ambition climatique pour marquer le cinquième anniversaire de l’Accord de Paris. Dans moins d’un an, nous nous retrouverons à Glasgow pour la COP26. Ces manifestations sont, pour nous tous, des occasions à ne pas rater pour préciser la manière dont les nations comptent s’y prendre pour accomplir des progrès et reconstruire en mieux, en reconnaissant que les responsabilités sont communes mais différenciées en fonction des circonstances nationales –tel que décrit dans l’Accord de Paris- et conformément à l’objectif commun qui consiste à parvenir à la neutralité carbone à l’échelle mondiale d’ici à 2050.
Deuxièmement, la question du financement. Les engagements visant à ramener les émissions nettes à zéro envoient un signal clair aux investisseurs, aux marchés et aux ministres des finances. Mais nous devons aller encore plus loin. Il faut que toutes les administrations traduisent ces engagements en politiques, plans et objectifs assortis de calendriers précis. Cela donnera aux entreprises et au monde de la finance les assurances et la confiance dont ils ont besoin pour investir dans cette réduction des émissions nettes à zéro.
Il est grand temps: de taxer le carbone; de supprimer progressivement le financement des combustibles fossiles et les subventions dont ils bénéficient; d’arrêter la construction de nouvelles centrales à charbon et de mettre un terme au financement du charbon comme source d’énergie, à l’intérieur comme à l’étranger; de faire peser l’impôt non plus sur le revenu mais sur le carbone, non plus sur les contribuables mais sur les pollueurs; d’intégrer l’objectif de neutralité carbone dans toutes les politiques et décisions économiques et budgétaires; et de rendre obligatoire la divulgation des risques financiers liés au climat.
Les fonds doivent être versés à l’économie verte, aux programmes de résilience, d’adaptation et de transition équitable. Nous devons aligner tous les flux financiers publics et privés sur l’Accord de Paris et les objectifs de développement durable. Les institutions de développement multilatérales, régionales et nationales, ainsi que les banques privées, doivent toutes s’engager à adapter leurs prêts à l’objectif mondial de zéro émission nette.
J’exhorte tous les propriétaires et gestionnaires d’actifs à décarboniser leurs portefeuilles et à se joindre aux grandes initiatives et partenariats lancés par l’ONU, notamment l’Alliance mondiale des investisseurs en faveur du développement durable et l’initiative « Net-Zero Asset Owner Alliance » qui représentent aujourd’hui 5 100 milliards de dollars d’actifs.
Les entreprises doivent remanier leurs modèles d’activité et les investisseurs doivent exiger des entreprises qu’elles fournissent des informations sur la résilience de ces modèles. Au niveau mondial, les fonds de pension gèrent 32 000 milliards de dollars d’actifs, ce qui leur donne une marge de manœuvre unique pour faire pencher la balance. Ils doivent prendre les mesures nécessaires pour faire pencher la balance.
J’appelle les pays développés à tenir la promesse qu’ils ont faite il y a longtemps de prévoir chaque année 100 milliards de dollars pour aider les pays en développement à atteindre les objectifs climatiques que nous avons en commun.
Nous ne sommes pas encore au but. Il s’agit d’équité, de justice et de solidarité, les intérêts privés devant reposer sur des principes éclairés. En préparation de la COP26, je demande à tous les pays de trouver un compromis sur l’article 6 de l’Accord de Paris, afin que nous puissions doter les marchés du carbone des règles claires, équitables et soucieuses de l’environnement qu’il leur faut pour fonctionner pleinement.
Par ailleurs, je salue les travaux de l’équipe spéciale formée en septembre, dont les membres, représentant 20 secteurs et 6 continents, sont chargés d’élaborer un plan directeur pour les marchés privés de la compensation carbone à grande échelle.
Troisièmement, les percées indispensables dans les domaines de l’adaptation et de la résilience. L’adaptation à un climat en mutation rapide est une course contre la montre. Elle ne doit pas être omise dans l’action climatique. Jusqu’à présent, l’adaptation représente 20% du financement de la lutte contre les changements climatiques et n’a atteint que 30 milliards de dollars en moyenne en 2017 et 2018. Non seulement cette carence entrave les travaux indispensables de réduction des risques de catastrophe, mais elle trahit un manque de sagacité. La Commission mondiale sur l’adaptation a constaté que chaque dollar investi dans des mesures d’adaptation pouvait rapporter près de 4 dollars de bénéfices.
Nous avons à la fois un impératif moral et un argument économique imparable pour aider les pays en développement à s’adapter et à renforcer leur résilience aux impacts climatiques actuels et futurs.
Avant la COP26, tous les donateurs, les banques multilatérales et nationales de développement devraient s’engager à augmenter la part de financement consacrée à l’adaptation et à la résilience jusqu’à au moins 50% de leur soutien financier à l’action climatique.
Les systèmes d’alerte précoce, les infrastructures résistantes au climat, l’amélioration de l’agriculture en sol aride, la protection des mangroves et d’autres mesures peuvent produire un dividende double: éviter des pertes futures et générer des gains économiques et d’autres avantages.
Le soutien à l’adaptation doit devenir une action à grande échelle, préventive et systématique. C’est particulièrement urgent pour les petits États insulaires en développement, dont l’existence même est menacée. La course à la résilience est aussi importante que la course vers l’objectif de zéro émission nette.
Rappelons qu’il est impossible de séparer l’action climatique de l’état de la planète au sens plus large. Tout est lié – les biens communs mondiaux et le bien-être mondial. Cela signifie que nous devons agir à plus grande échelle, de manière plus holistique et sur maints fronts simultanés, pour préserver la santé de notre planète, dont dépend toute vie. La nature nous nourrit, nous habille, étanche notre soif, produit notre oxygène, façonne notre culture et nos croyances et forge notre identité même.
Si l’année 2020 devait devenir une « grande année » pour la nature, la pandémie nous réservait un tout autre sort. Maintenant, nous devons profiter de l’année 2021 pour faire face à notre urgence planétaire. L’année prochaine, les pays se réuniront à Kunming pour élaborer un cadre de la biodiversité pour l’après-2020 en vue de mettre un terme à la crise d’extinction des espèces et d’engager le monde sur la voie d’une vie en harmonie avec la nature.
Aucun des objectifs mondiaux fixés pour 2020 en matière de biodiversité n’a été atteint. Il faut donc que nous rehaussions nos ambitions et redoublions de détermination pour atteindre des objectifs mesurables et mettre en place des moyens d’agir, en particulier des mécanismes de financement et de contrôle.
Concrètement, cela signifie: des zones de conservation plus nombreuses et plus vastes, gérées efficacement, afin de stopper nos agressions contre les espèces et les écosystèmes; une agriculture et une pêche favorables à la biodiversité, réduisant notre surexploitation et la destruction du monde naturel; l’élimination progressive des subventions négatives – les subventions qui détruisent les sols sains, polluent les voies d’eau et rendent la pêche tellement vorace qu’elle vide les océans; le passage d’une extraction minière non viable et destructrice de la nature à des modes de consommation durables à grande échelle.
La biodiversité, ce n’est pas seulement une pléthore d’espèces sauvages charmantes et attendrissantes, c’est la matrice palpitante et respirante de la vie elle-même.
En 2021 également, les pays organiseront la Conférence sur les océans afin de protéger et d’améliorer la santé de tous les environnements marins. La surpêche doit cesser; la pollution par les produits chimiques et les déchets solides –notamment les plastiques– doit être réduite de façon drastique; les réserves marines doivent être fortement multipliées; et les littoraux doivent être bien mieux protégés.
L’économie bleue offre un potentiel remarquable. Déjà, les biens et services issus de l’océan génèrent 2 500 milliards de dollars par an et produisent plus de 31 millions d’emplois directs à temps plein. Ou du moins, c’était le cas jusqu’à ce que la pandémie frappe.
Il faut une action mondiale urgente pour récolter ces fruits et protéger les mers et les océans de la planète contre les nombreuses agressions qu’ils subissent. La Conférence mondiale sur les transports durables qui se tiendra l’année prochaine à Beijing doit aussi renforcer ce secteur vital tout en s’attaquant à son empreinte écologique préjudiciable. Le Sommet sur les systèmes alimentaires cherchera à transformer la production et la consommation alimentaires mondiales. Les systèmes alimentaires sont l’un des principaux facteurs qui nous empêchent de respecter les limites écologiques de notre planète.
Au début de 2021, nous lancerons la Décennie des Nations Unies pour la restauration des écosystèmes, afin de prévenir, d’arrêter et d’inverser la dégradation des forêts, des terres et d’autres écosystèmes dans le monde. La Décennie est un cri de ralliement pour toutes celles et tous ceux qui veulent s’attaquer à la double crise de la perte de la biodiversité et des changements climatiques par des actions pratiques et concrètes.
La Conférence internationale sur la gestion des produits chimiques établira un cadre de gestion des produits chimiques et des déchets pour l’après-2020. Selon l’Organisation mondiale de la Santé, une bonne gestion des produits chimiques permettrait d’éviter au moins 1,6 million de décès par an.
L’année 2021 sera également essentielle pour faire avancer le Nouveau Programme pour les villes. Les villes du monde sont en première ligne du développement durable: elles sont vulnérables aux catastrophes mais aussi vecteurs d’innovation et de dynamisme. N’oublions pas que plus de 50% de l’humanité vit déjà dans les villes – et ce chiffre atteindra près de 70% en 2050.
En bref, l’année prochaine nous offre d’abondantes possibilités d’arrêter le pillage et de commencer la guérison. L’un de nos meilleurs alliés est la nature elle-même. Le moyen le plus puissant d’atténuer les changements climatiques en utilisant la nature, c’est de réduire radicalement la déforestation et de procéder à une restauration systémique des forêts et autres écosystèmes.
En effet, les solutions basées sur la nature pourraient permettre de réaliser un tiers des réductions des émissions nettes de gaz à effet de serre requises pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris. Le Forum économique mondial a estimé que les perspectives d’activité offertes par la nature pourraient créer 191 millions d’emplois d’ici à 2030. À elle seule, l’initiative Grande Muraille verte en Afrique a créé 335 000 emplois.
Les connaissances autochtones, acquises au fil de millénaires d’échanges étroits et directs avec la nature, peuvent nous montrer la voie. Les peuples autochtones représentent moins de 6 % de la population mondiale et pourtant ils s’occupent de 80 % de la biodiversité terrestre mondiale. Nous savons déjà que lorsqu’elle est confiée aux soins des peuples autochtones, la nature se dégrade moins vite qu’ailleurs. Les peuples autochtones vivent sur des terres qui sont parmi les plus vulnérables aux changements climatiques et à la dégradation de l’environnement: il est grand temps de les écouter, de récompenser leurs connaissances et de respecter leurs droits.
Il faut aussi reconnaître le rôle central que jouent les femmes. Les conséquences des changements climatiques et de la dégradation de l’environnement touchent plus durement les femmes. En effet, elles représentent 80 % des personnes déplacées par les changements climatiques. Mais elles forment également l’épine dorsale de l’agriculture et sont les principales gardiennes des ressources naturelles. Elles sont au rang des plus grands défenseurs et défenseuses des droits humains en matière d’environnement. Et la signature des accords sur l’action climatique est directement corrélée à la représentation des femmes dans les parlements nationaux. Alors que l’humanité met au point des stratégies pour la gouvernance des ressources naturelles, la préservation de l’environnement et la construction d’une économie verte, nous avons besoin de plus de décideuses à la table des négociations.
Je viens de parcourir en détail l’anatomie d’une urgence, mais je discerne aussi des raisons de nourrir espoir. Je vois qu’au fil de l’histoire toute une série de progrès nous révèle le champ des possibles: tels que la préservation de la couche d’ozone, la réduction des taux d’extinction d’espèces ou l’agrandissement des zones protégées. De nombreuses villes deviennent plus vertes. L’économie circulaire réduit les déchets. Les lois environnementales ont de plus en plus de portée. Au moins 155 États Membres de l’ONU reconnaissent désormais légalement que le droit à un environnement sain est un droit humain fondamental.
Et le corpus des connaissances est plus vaste que jamais. J’ai été heureux d’apprendre, par le Président Bollinger, que l’Université de Columbia avait créé une École du climat, la première école nouvelle de l’établissement depuis un quart de siècle. Félicitations! C’est une merveilleuse preuve de sagesse et de leadership académiques. Je suis ravi de savoir qu’un si grand nombre de membres du Réseau des solutions pour le développement durable sont parmi nous aujourd’hui en tant qu’invités spéciaux: présidentes et présidents d’université, chancelières et chanceliers, doyennes et doyens, professeurs et autres universitaires.
Dans le cadre de son initiative « Impact universitaire », l’ONU collabore avec des établissements d’enseignement supérieur du monde entier. La contribution des universités est essentielle à notre réussite.
Un monde nouveau est en train de prendre forme. De plus en plus de personnes reconnaissent les limites des critères conventionnels, tels que le produit intérieur brut, qui peuvent faire passer des activités nuisibles à l’environnement comme positives sur le plan économique.
Les mentalités évoluent. De plus en plus de personnes comprennent qu’elles doivent faire leurs propres choix au quotidien pour réduire leur empreinte carbone et respecter les limites de la planète. Et nous sommes inspirés par des vagues de mobilisation sociale soulevées par la jeunesse. Des mouvements de protestation dans la rue aux campagnes de sensibilisation en ligne; de l’enseignement en classe à l’engagement collectif; des bureaux de vote aux lieux de travail, les jeunes poussent leurs aînés à faire ce qui doit être fait. Et nous sommes dans une université.
C’est un moment de vérité pour les peuples comme pour la planète. La COVID et le climat nous ont conduits à un seuil. Nous ne pouvons pas retourner aux anciennes normes d’inégalité, d’injustice et de domination inconsciente de la Terre. Nous devons au contraire nous engager sur une voie plus sûre, plus durable et plus équitable. Nous disposons d’un cadre d’action à cette fin: le Programme de développement durable à l’horizon 2030 et l’Accord de Paris sur les changements climatiques.
Le chemin est devant nous: les solutions sont là. L’heure est venue de transformer la relation de l’humanité avec le monde naturel – et les rapports des humains entre eux. Et c’est ensemble que nous devons le faire. La solidarité, c’est l’humanité. La solidarité, c’est la survie. C’est la leçon que nous a enseignée l’année 2020. Face à la désunion et au désarroi sévissant aujourd’hui dans un monde qui s’échine à contenir la pandémie, retenons cette leçon et changeons de cap pour la période charnière qui s’annonce.