Face à l’héritage du colonialisme et au patriarcat, le Secrétaire général déclare que la pandémie de COVID-19 est l’occasion de reconstruire un monde plus égalitaire et durable
On trouvera, ci-après, le texte de l’allocution du Secrétaire général de l’ONU, M. António Guterres, prononcée lors de la Conférence Nelson Mandela sous le thème « Lutter contre la pandémie d'inégalités: un nouveau contrat social pour une nouvelle ère », à New York aujourd’hui
J’ai le privilège de me joindre à vous pour rendre hommage à Nelson Mandela, leader extraordinaire, ardent défenseur de grandes causes et personnalité incarnant un idéal pour le monde entier.
Je remercie la Fondation Nelson Mandela de cette occasion qui m’est donnée et salue l’action qu’elle mène pour que la vision que Nelson Mandela avait du monde ne se perde pas. Et j’adresse mes condoléances les plus sincères à la famille Mandela ainsi qu’au Gouvernement et au peuple sud-africains à l’occasion du décès de l’Ambassadrice Zindzi Mandela, qui nous a quittés bien trop jeune en début de semaine. Qu’elle repose en paix.
J’ai eu la chance de rencontrer Nelson Mandela à plusieurs reprises. Je n’oublierai jamais sa sagesse, sa détermination et sa compassion, qui transparaissaient dans tout ce qu’il disait et faisait. En août dernier, j’ai visité la cellule de Madiba à Robben Island. Je suis resté là, debout, à regarder à travers les barreaux. J’ai ressenti beaucoup d’humilité en pensant à l’exceptionnelle force mentale et à l’immense courage qui l’animaient. Nelson Mandela a passé 27 ans en prison, dont 18 à Robben Island. Mais il n’a jamais laissé cette épreuve le définir – ni lui ni sa vie. Nelson Mandela ne s’est pas abaissé au niveau de ses geôliers. Sa noblesse d’âme lui a permis de libérer des millions de Sud-Africains; il est devenu une source d’inspiration dans le monde et une icône moderne. Il a consacré sa vie à combattre les inégalités, lesquelles ont atteint des proportions critiques dans le monde au cours des dernières décennies et constituent une menace croissante pour notre avenir.
Aujourd’hui, à l’occasion de l’anniversaire de Madiba, je parlerai de ce que nous pouvons faire pour lutter contre les inégalités, qui prennent diverses formes et dont les différentes strates se renforcent mutuellement, avant qu’elles ne détruisent nos économies et nos sociétés.
La pandémie du COVID-19 a braqué les projecteurs sur cette injustice. Le monde est en crise. Les économies sont en chute libre. Nous avons été mis à genoux – par un virus microscopique. La pandémie a mis en évidence la fragilité de notre monde. Elle a mis à nu les risques sur lesquels nous avons fermé les yeux pendant des décennies: systèmes de santé inadéquats; protection sociale insuffisante; inégalités structurelles; dégradation de l’environnement; crise climatique.
En quelques mois, des régions entières qui faisaient des progrès dans l’élimination de la pauvreté et la réduction des inégalités ont connu un recul de plusieurs années. Ce sont les plus vulnérables qui sont les plus exposés au virus: les personnes vivant dans la pauvreté, les personnes âgées, les personnes handicapées et les personnes souffrant de maladies préexistantes. Les travailleurs et travailleuses sanitaires sont en première ligne: plus de 4 000 d’entre eux ont été contaminés rien qu’en Afrique du Sud. Je leur rends hommage.
Dans certains pays, les inégalités en matière de santé sont amplifiées: des hôpitaux privés, mais aussi des entreprises et même des particuliers, stockent de précieux équipements dont tout le monde a un besoin urgent. Un exemple tragique d’inégalité. Les retombées économiques de la pandémie touchent celles et ceux qui travaillent dans l’économie informelle; les petites et moyennes entreprises; les personnes qui prennent soin des autres, ces personnes étant principalement des femmes. Nous sommes face à la plus grave récession mondiale depuis la Seconde Guerre mondiale et à la chute des revenus la plus vertigineuse depuis 1870. Elles pourraient plonger cent millions de personnes de plus dans l’extrême pauvreté. Nous pourrions être témoins de famines sans précédent.
La pandémie de COVID-19 a été comparée à une radiographie qui révélerait des fractures dans le fragile squelette des sociétés que nous avons construites. Elle fait ressortir les aberrations et les contre-vérités que l’on entend partout: Le mensonge selon lequel le libre-échange peut permettre de fournir des soins de santé à toutes et à tous; La fiction selon laquelle le travail non rémunéré qui consiste à apporter des soins à autrui n’est pas un travail; L’illusion de croire que nous vivons dans un monde post-raciste; Le mythe selon lequel nous sommes tous dans le même bateau. Car si nous naviguons tous dans les mêmes eaux, il est clair que certains sont dans des méga-yachts tandis que d’autres s’accrochent aux débris qui dérivent.
Les inégalités définissent notre époque. Plus de 70% de la population mondiale est aux prises avec des inégalités croissantes en matière de revenus et de richesses. Les 26 personnes les plus riches du monde détiennent autant de richesses que la moitié de la population mondiale. Mais les inégalités ne se mesurent pas qu’à l’aune du revenu, du salaire et de la richesse. Dans la vie, les chances se déclinent en fonction du genre, de la famille, de l’origine ethnique, de la race, du handicap ou de l’absence de handicap, et de bien d’autres facteurs.
Il existe de multiples inégalités croisées, des inégalités qui se renforcent mutuellement génération après génération. La vie et les attentes de millions de personnes sont en grande partie déterminées par leur situation à la naissance. Ainsi les inégalités vont-elles à l’encontre du développement humain – pour chacun et chacune d’entre nous. Nous en subissons toutes et tous les conséquences.
Des niveaux élevés d’inégalité sont associés à l’instabilité économique, à la corruption, aux crises financières, à la hausse de la criminalité et à une mauvaise santé physique et mentale. Les discriminations, les violences et l’absence d’accès à la justice sont caractéristiques des inégalités que subissent beaucoup de personnes, en particulier les autochtones, les migrants, les réfugiés et les personnes appartenant à des minorités quelles qu’elles soient. Ces inégalités constituent une atteinte directe aux droits humains. La lutte contre les inégalités a donc été, de tout temps, un moteur de la justice sociale, des droits du travail et de l’égalité femmes-hommes.
La vision des Nations Unies – qui est aussi une promesse– est que l’alimentation, les soins de santé, l’eau et l’assainissement, l’éducation, le travail décent et la sécurité sociale ne sont pas des marchandises à vendre à celles et à ceux qui peuvent se les offrir, mais des droits humains fondamentaux auxquels nous avons tous droit. Nous nous employons à réduire les inégalités, chaque jour, partout.
Cette vision est aussi importante aujourd’hui qu’elle l’était il y a 75 ans. Elle est au cœur du Programme de développement durable à l’horizon 2030, le plan d’action dont nous nous sommes dotés d’un commun accord pour bâtir un monde de paix et de prospérité sur une planète saine, vision qui s’est traduite dans l’objectif de développement durable no 10 (Réduire les inégalités dans les pays et d’un pays à l’autre).
Même avant la pandémie du COVID-19, dans le monde entier, beaucoup étaient conscients que les inégalités compromettaient leurs chances et leurs perspectives d’avenir. Ils voyaient un monde déséquilibré. Ils se sentaient laissés de côté. Ils voyaient les politiques économiques canaliser les ressources vers le haut, vers quelques privilégiés.
Sur tous les continents, des millions de personnes sont descendues dans la rue pour faire entendre leur voix. Elles avaient en commun de subir de profondes inégalités qui ne cessaient de s’aggraver. La colère qui a alimenté les deux mouvements sociaux que nous avons connus récemment est le signe d’une désillusion totale à l’égard du statu quo. Partout dans le monde, des femmes ont dénoncé l’un des exemples les plus flagrants d’inégalité entre les sexes, pour que cela cesse: la violence exercée par des hommes puissants contre des femmes qui essaient simplement de faire leur travail. Le mouvement contre le racisme, déclenché par le meurtre de George Floyd, s’est répandu dans le monde entier depuis les États-Unis, autre signe que les gens en ont assez.
Assez des inégalités et des discriminations: assez que les gens soient traités comme des criminels en fonction de leur couleur de peau; Assez du racisme structurel et de l’injustice systémique qui privent les gens de leurs droits humains fondamentaux. Ces mouvements mettent en évidence deux des sources historiques d’inégalité dans notre monde: le colonialisme et le patriarcat.
Le monde du Nord, et plus précisément mon propre continent, l’Europe, a imposé un régime colonial à une grande partie du monde du Sud pendant des siècles, par la violence et la coercition. Le colonialisme a créé de profondes inégalités dans les pays et entre eux, y compris les fléaux de la traite transatlantique des esclaves et du régime d’apartheid ici en Afrique du Sud.
Après la Seconde Guerre mondiale, un nouveau consensus mondial autour de l’égalité et de la dignité humaine a donné naissance à l’Organisation des Nations Unies. Une vague de décolonisation a balayé le monde. Mais ne nous leurrons pas. L’héritage du colonialisme se manifeste encore.
Il se manifeste dans l’injustice économique et sociale, dans la multiplication des crimes de haine et dans l’intensification de la xénophobie; dans la persistance du racisme institutionnalisé et de la suprématie blanche. Il se manifeste dans le système commercial mondial. Les économies ayant été colonisées risquent davantage de s’enfermer dans la production de matières premières et de biens à faible technicité – une nouvelle forme de colonialisme.
Et il se manifeste dans les rapports de force qui existent dans le monde. L’Afrique a été doublement victime. Premièrement, elle a été la cible du projet colonial. Deuxièmement, les pays d’Afrique sont sous-représentés dans les institutions internationales qui ont vu le jour après la Seconde Guerre mondiale, avant que la plupart d’entre eux n’aient obtenu leur indépendance.
Les nations sorties victorieuses il y a 70 ans refusent d’envisager les réformes qui sont nécessaires à la modification des rapports de force dans les institutions internationales. La composition et les droits de vote au sein du Conseil de sécurité de l’ONU et des conseils d’administration du système de Bretton Woods en sont un exemple. Les inégalités commencent au sommet : dans les institutions mondiales. La lutte contre les inégalités doit commencer par la réforme de ces institutions.
Et n’oublions pas une autre grande source d’inégalité dans notre monde : des milliers d’années de patriarcat. Nous vivons dans un monde dominé par les hommes où la culture l’est également. Partout, les femmes sont plus mal loties que les hommes, simplement parce que ce sont des femmes. Les inégalités et les discriminations sont la norme. La violence à l’égard des femmes, y compris le féminicide, atteint des niveaux épidémiques.
Dans le monde entier, les femmes sont toujours exclues des hautes fonctions dans les gouvernements et les conseils d’administration des entreprises. Moins d’un dirigeant mondial sur 10 est une femme. Les inégalités de genre nuisent à toutes et à tous car elles nous empêchent de bénéficier de l’intelligence et de l’expérience de l’ensemble de l’humanité.
C’est pourquoi, en tant que fier féministe, j’ai fait de l’égalité femmes-hommes une priorité absolue, et la parité des sexes est maintenant une réalité dans les postes de haut rang à l’ONU. J’invite instamment tous les dirigeants, quels qu’ils soient, à faire de même. Et j’ai le plaisir d’annoncer que notre nouveau champion mondial dans le cadre de l’Initiative Spotlight lancée par l’ONU est le Sud-Africain Siya Kolisi, qui s’efforce de mobiliser d’autres hommes dans la lutte contre le fléau mondial de la violence à l’égard des femmes et des filles.
Les dernières décennies ont créé de nouvelles tensions et de nouvelles tendances sont apparues. La mondialisation et l’évolution technologique ont permis d’énormes avancées en matière de revenus et de prospérité. Plus d’un milliard de personnes sont sorties de l’extrême pauvreté. Mais l’essor du commerce et les progrès technologiques ont également contribué à un changement radical sans précédent dans la répartition des revenus.
Entre 1980 et 2016, les 1% les plus riches de la planète ont accaparé 27% de la croissance cumulée de revenus dans le monde. Les travailleurs peu qualifiés sont confrontés au déferlement des nouvelles technologies, à l’automatisation, à la délocalisation de la production et à la disparition des syndicats. Les avantages fiscaux et l’évasion et la fraude fiscales restent très répandus. Les taux de l’impôt sur les sociétés ont chuté. Et cela a entraîné une diminution des ressources à investir dans les services qui peuvent permettre de réduire les inégalités: protection sociale, éducation et soins de santé.
La nouvelle génération d’inégalités va au-delà des revenus et des richesses, puisqu’elle touche aux connaissances et aux compétences qui sont nécessaires pour réussir dans le monde d’aujourd’hui. Les profondes disparités commencent avant la naissance; elles définissent des vies et sont la cause de décès précoces. Dans les pays à très haut niveau de développement humain, plus de 50% des jeunes de 20 ans font des études supérieures. Dans les pays à faible niveau de développement humain, ce chiffre est de 3%. Plus choquant encore: quelque 17% des enfants nés il y a 20 ans dans des pays à faible développement humain sont déjà morts.
Si l’on se tourne vers l’avenir, deux phénomènes de grande ampleur vont façonner le XXIe siècle: la crise climatique et la transformation numérique. Deux phénomènes qui pourraient creuser encore les inégalités. Ce qui se produit aujourd’hui dans les centres technologiques et les pôles d’innovation est parfois très préoccupant.
Non seulement l’industrie technologique, fortement dominée par les hommes, est-elle privée de la moitié du savoir-faire et des perspectives de la planète, mais elle utilise aussi des algorithmes qui pourraient renforcer la discrimination sexuelle et raciale. La fracture numérique renforce les clivages sociaux et économiques, allant de l’illettrisme aux soins de santé, des zones urbaines aux zones rurales, de la maternelle à l’université. En 2019, environ 87 % des personnes utilisaient Internet dans les pays développés, contre seulement 19 % dans les pays les moins avancés. Nous risquons de nous retrouver dans un monde à deux vitesses.
Dans le même temps, d’ici à 2050, les changements climatiques, qui iront en s’accélérant, toucheront des millions de personnes de diverses manières : malnutrition, paludisme et autres maladies, migrations et phénomènes météorologiques extrêmes. Cela représente une grave menace pour l’égalité et la justice entre les générations. Aujourd’hui, les jeunes qui manifestent contre les changements climatiques sont en première ligne de la lutte contre les inégalités. Les pays les plus touchés par les perturbations climatiques sont ceux qui ont le moins contribué au réchauffement de la planète.
L’économie verte sera une nouvelle source de prospérité et d’emploi. Mais certaines personnes vont perdre leur emploi, en particulier dans les régions désindustrialisées de la planète. C’est pourquoi nous appelons non seulement à l’action climatique, mais aussi à la justice climatique. Les dirigeants politiques doivent faire preuve d’ambition et les entreprises de hauteur de vue. Les citoyennes et citoyens du monde entier doivent se faire entendre. Il existe une autre voie: c’est celle que nous devons prendre.
Les effets délétères dus aux niveaux d’inégalité actuels sont évidents. On dit parfois que la marée montante de la croissance économique soulève tous les bateaux. Mais, la réalité, c’est qu’une lame déferlante d’inégalités les engloutit tous. La confiance dans les institutions et les dirigeants s’érode. Le taux de participation électorale a chuté de 10% en moyenne à l’échelle mondiale depuis le début des années 1990.
Les personnes qui se sentent marginalisées sont plus facilement la proie d’arguments qui rejettent la faute de leurs malheurs sur l’autre, surtout si celui-ci est différent, par son apparence ou son comportement. Mais le populisme, le nationalisme, l’extrémisme et la rhétorique du bouc émissaire ne font que créer de nouvelles inégalités et semer la division au sein des populations et entre elles, entre les pays, entre les groupes ethniques, entre les religions.
La pandémie du COVID-19 est une tragédie humaine. Mais elle représente également pour nous une occasion d’agir. Une occasion de reconstruire un monde plus égalitaire et durable. Les mesures prises pour faire face à la pandémie, et au mécontentement général qui l’a précédée, doivent reposer sur un nouveau contrat social et une nouvelle donne mondiale porteurs d’égalité des chances pour toutes et tous et de respect des droits et des libertés de chacune et chacun.
Ce n’est que de cette manière que nous pourrons atteindre les objectifs du Programme de développement durable à l’horizon 2030, de l’Accord de Paris et du Programme d’action d’Addis-Abeba – des accords qui visent justement à corriger les failles mises au jour et exploitées par la pandémie. Un nouveau contrat social au sein des sociétés pour que les jeunes vivent dans la dignité; pour que les femmes aient les mêmes perspectives et les mêmes chances que les hommes ; pour que les personnes malades, les groupes vulnérables et toutes les minorités soient protégés.
L’éducation et les technologies numériques doivent être deux puissants leviers et facteurs d’égalité. « L’éducation est l’arme la plus puissante pour changer le monde ». Comme toujours, Nelson Mandela a été le premier à le dire. L’égalité d’accès à l’éducation, dès la petite enfance et tout au long de la vie, doit être une priorité des gouvernements.
Grâce à la neuroscience, nous savons que l’éducation préscolaire change des vies et a des bienfaits immenses pour les collectivités et les sociétés. C’est donc sans surprise que, dans un monde où les enfants les plus riches ont sept fois plus de chances de fréquenter un établissement préscolaire que les enfants les plus pauvres, les inégalités se reproduisent d’une génération à l’autre.
Si l’on veut assurer à toutes et à tous une éducation de qualité, il faut que les dépenses consacrées à l’éducation dans les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire soient multipliées au moins par deux d’ici à 2030, de sorte qu’elles atteignent 3 billions de dollars par an. En l’espace d’une génération, tous les enfants des pays à faible revenu et à revenu intermédiaire pourraient avoir accès à une éducation de qualité à tous les niveaux. C’est possible. Il ne tient qu’à nous de le décider.
Par ailleurs, dans un monde transformé par la technologie, il ne suffit plus d’apprendre des connaissances et des compétences. C’est pourquoi les gouvernements doivent investir en priorité dans l’aptitude à se servir des outils numériques et dans l’infrastructure numérique. Il est essentiel d’apprendre à apprendre, à s’adapter et à acquérir de nouvelles compétences.
La révolution numérique et l’intelligence artificielle vont changer la nature du travail, ainsi que les relations entre travail, loisirs et autres activités, au-delà de ce que nous pouvons imaginer aujourd’hui. Le Plan d’action de coopération numérique, lancé par l’ONU le mois dernier, met en avant la vision d’un avenir numérique durable et inclusif en donnant accès à Internet, d’ici à 2030, aux quatre milliards de personnes qui en sont encore privées.
L’ONU a également lancé « Giga », un ambitieux projet visant à connecter toutes les écoles du monde à Internet. La technologie peut accélérer le relèvement après le COVID-19 et la réalisation des objectifs de développement durable.
Le manque de confiance qui ne cesse de croître entre les populations, les institutions et les dirigeants nous menace toutes et tous. Les gens veulent des systèmes sociaux et économiques au service de toutes et de tous. Ils veulent que les droits humains et les libertés fondamentales soient respectés. Ils veulent avoir leur mot à dire dans les décisions qui les concernent.
Le nouveau contrat social entre gouvernements, particuliers, société civile, entreprises et autres acteurs doit porter sur l’emploi, le développement durable et la protection sociale et être fondé sur l’égalité des droits et des chances pour toutes et tous. Les politiques du marché du travail, alliées à un dialogue constructif entre employeurs et représentants syndicaux, peuvent servir à améliorer les rémunérations et les conditions de travail. Les représentants du monde du travail ont également un rôle crucial à jouer s’agissant des enjeux que la technologie et la transformation structurelle présentent pour les emplois – notamment la transition vers une économie verte.
Les mouvements de travailleurs et de travailleuses peuvent se targuer d’une longue expérience du combat contre les inégalités et pour les droits et la dignité de toutes et de tous. Il est essentiel d’étendre progressivement la protection sociale au secteur non structuré de l’économie. Un monde en mutation rend nécessaire une nouvelle génération de politiques de protection sociale instaurant de nouveaux filets de sécurité sociale, dont la couverture sanitaire universelle et la perspective d’un revenu minimum universel. Il est indispensable d’établir des seuils minimaux de protection sociale et d’inverser la tendance au sous-investissement dans les services publics essentiels, notamment l’éducation, les soins de santé et l’accès à Internet.
Mais cela ne suffira pas à éliminer les inégalités qui sont enracinées dans nos sociétés. Des programmes d’action positive et des politiques ciblées sont nécessaires pour venir à bout des inégalités historiques fondées sur le genre, la race ou l’appartenance ethnique, qui ont été renforcées par les normes sociales, et réparer ces inégalités. Les politiques fiscales ont également un rôle à jouer dans le nouveau contrat social. Chacun et chacune –particuliers et sociétés– doit contribuer à la hauteur de ses moyens.
Dans certains pays, il est possible d’instituer un impôt sur les profits énormes que les personnes les plus riches et les plus influentes tirent de l’État, aux dépens de leurs concitoyennes et concitoyens. Les gouvernements devraient également transférer la charge fiscale aujourd’hui imposée à la masse salariale pour qu’elle vise plutôt les émissions de carbone. Imposer les émissions de carbone plutôt que les personnes permettra d’accroître la production et l’emploi, tout en réduisant la pollution de l’air.
Nous devons enrayer le cercle vicieux de la corruption, à la fois source et corollaire des inégalités. Du fait de la corruption, les fonds disponibles pour la protection sociale diminuent et sont gaspillés ; les normes sociales et la primauté du droit sont fragilisées. La lutte contre la corruption passe par le respect du principe de responsabilité, dont le meilleur garant est une société civile dynamique, et notamment une presse libre et indépendante et des plateformes de médias sociaux responsables favorisant un débat serein.
Regardons la réalité en face. Le système politique et économique mondial ne permet pas de répondre aux attentes qui concernent les biens publics mondiaux fondamentaux : santé publique, action climatique, développement durable, paix. La pandémie du COVID-19 a mis en lumière le décalage tragique qui existe entre l’intérêt personnel et l’intérêt commun, ainsi que d’importantes failles dans les structures de gouvernance et les cadres éthiques.
Pour les corriger, et pour rendre le nouveau contrat social possible, nous avons besoin d’une nouvelle donne mondiale, qui permette une plus large distribution et une répartition plus équitable du pouvoir, des richesses et des chances au niveau international. Le nouveau modèle de gouvernance mondiale doit reposer sur la participation pleine et inclusive, sur un pied d’égalité, aux institutions internationales. À défaut, nous verrons les inégalités se creuser et le manque de solidarité s’aggraver, à l’image de ce que nous voyons aujourd’hui du fait de la fragmentation de l’action menée à l’échelle internationale contre la pandémie du COVID-19.
Les pays développés se soucient au plus haut point de leur propre survie face à la pandémie. Mais ils n’ont pas apporté aux pays en développement l’appui nécessaire pour traverser cette période dangereuse. Le meilleur moyen de changer cet état de fait est d’avoir une nouvelle donne mondiale, reposant sur une mondialisation équitable, sur le respect des droits et de la dignité de tous les êtres humains, sur l’harmonie avec la nature, sur la prise en compte des droits des générations futures et sur l’idée que le succès se mesure à l’aune de considérations humaines plutôt qu’économiques.
Il ressort clairement de la consultation mondiale engagée à l’occasion du soixante-quinzième anniversaire de l’ONU que les gens veulent un système de gouvernance mondiale qui tienne ses promesses à leur égard. Les pays en développement doivent être davantage entendus lors de la prise de décisions au niveau mondial. Nous devons également instaurer un système commercial multilatéral plus inclusif et mieux équilibré qui permette aux pays en développement de gravir les échelons des chaînes de valeur mondiale. Il faut prévenir les flux financiers illicites, le blanchiment d’argent et la fraude fiscale. Nous devons parvenir à un consensus mondial en vue de mettre fin aux paradis fiscaux.
Nous devons travailler main dans la main pour intégrer les principes du développement durable à la prise de décisions financières. Les flux financiers doivent être redirigés de l’économie brune et de l’économie souterraine vers l’économie verte, durable et équitable et les marchés financiers doivent être des partenaires à part entière à cet égard. Il faut créer une marge de manœuvre budgétaire afin de rediriger les investissements dans cette direction en réformant l’architecture de la dette et en rendant le crédit à un coût abordable plus accessible.
Nelson Mandela a dit que l’un des défis de notre époque était de réintroduire dans les consciences le sentiment de solidarité entre les hommes, la nécessité d’être au monde par l’autre, grâce à lui et pour lui. La pandémie du COVID-19 a fait ressortir plus que jamais l’importance et la force de ce message. Nous sommes liés les uns aux autres. Seule la solidarité nous permettra de tenir.
Aujourd’hui, dans les manifestations pour l’égalité raciale... dans les campagnes contre les discours de haine... dans la lutte des populations pour leurs droits et ceux des générations futures... nous voyons les prémisses d’un nouveau mouvement. D’un mouvement qui rejette les inégalités et les clivages et qui unit la jeunesse, la société civile, le secteur privé, les villes, les régions et tant d’autres autour de politiques propices à la paix, à notre planète, à la justice et aux droits humains pour toutes et tous. Un mouvement qui fait déjà évoluer les choses.
Il est temps pour les dirigeants mondiaux de décider: succomberons-nous au chaos, aux divisions et aux inégalités? Ou redresserons-nous les torts du passé et avancerons-nous ensemble, pour le bien de toutes et de tous? Nous avons atteint le point de rupture. Mais nous savons que nous sommes du bon côté de l’histoire.
Je vous remercie.