SG/SM/19104-SC/13393

Le Secrétaire général pointe sur les déficits socioéconomiques et démocratiques pour expliquer les profondes divisions au Moyen-Orient et en Afrique du Nord

On trouvera ci-après le discours du Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, à la réunion du Conseil de sécurité sur le maintien de la paix et de la sécurité internationales:

Je remercie la présidence russe d’avoir convoqué le présent débat en cette période cruciale pour les populations du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord.

La région est en proie à de profondes divisions, à des tendances inquiétantes et à un déchiquetage tragique de son tissu religieux, ethnique et culturel.  Des conflits anciens et nouveaux, ainsi que des griefs sociaux bien ancrés, le rétrécissement de l’espace démocratique, l’émergence du terrorisme et de nouvelles formes d’extrémisme violent sont en train d’y saper la paix, le développement durable et les droits de l’homme.  L’intégrité territoriale de pays comme la Syrie, le Yémen et la Libye est menacée.  Des millions de personnes ont été déplacées de force de leurs foyers.  Les répercussions de l’instabilité se sont propagées dans les pays voisins et au-delà.

Face à ces défis, nous ferions bien aussi de rappeler les éditions successives du Rapport arabe sur le développement humain publiées par le Programme des Nations Unies pour le développement depuis 2002.  Ces études ont identifié des déficits importants en matière d’éducation, de libertés fondamentales et d’autonomisation, touchant en particulier les femmes et les jeunes de la région.  Entre autres conclusions qui se sont dégagées dans le premier rapport publié en 2002 il y a eu celle-ci:

« La participation politique dans les pays arabes reste faible, ainsi qu’en témoignent l’absence de véritable démocratie représentative et les restrictions imposées aux libertés.  Dans le même temps, les aspirations de la population à davantage de liberté et à une plus grande participation à la prise de décisions se font sentir, engendrées par l’augmentation des revenus, l’éducation et les flux d’information.  La dichotomie entre les attentes et leur réalisation a parfois conduit à l’aliénation et à ses corollaires, l’apathie et le mécontentement.  Les dirigeants doivent s’attacher en priorité à remédier à cette situation. »

Nombre de ces déficits continuent de miner les sociétés dans l’ensemble de la région.  N’oublions pas aussi de reconnaître que de nombreux problèmes d’aujourd’hui sont aggravés par l’héritage du passé, notamment l’ère coloniale et les conséquences de la Première Guerre mondiale, surtout le démantèlement de l’empire ottoman.  La fameuse paix pour en finir avec toute possibilité de paix a hélas atteint cet objectif.

C’est dans ce contexte général que le Printemps arabe s’est largement répercuté tel un appel à l’inclusion, à l’ouverture de possibilités et à celle de l’espace politique.  Je voudrais ici rendre hommage aux Tunisiens et à la Tunisie, d’où est parti cet appel.  Les Tunisiens ont accompli d’énormes progrès dans la consolidation de leur jeune démocratie, notamment via une nouvelle Constitution et un transfert pacifique du pouvoir.

Mais la promesse de la Tunisie ne s’est pas concrétisée partout dans la région.  Aujourd’hui, dans une région qui fut à une certaine époque de l’histoire l’un des plus grands foyers d’épanouissement culturel et de coexistence, nous voyons à l’œuvre de nombreux clivages, anciens et nouveaux, s’entrecroiser et générer une énorme instabilité.  Il s’agit, entre autres, de la plaie israélo-palestinienne, de la résurgence des rivalités héritées de la guerre froide, du clivage sunnite-chiite, des schismes ethniques et d’autres conflits politiques.  Les perspectives sociales et économiques sont aussi nettement insuffisantes.  À mesure que ces difficultés augmentent, la confiance dans les institutions baisse.  Les sociétés pâtissent des divisions sociales et ethniques, ce qui est exploité à des fins politiques.  Parfois, l’ingérence étrangère exacerbe cette désunion, causant des effets déstabilisateurs.  Et le risque d’autres spirales négatives n’a jamais été aussi élevé.

Nos défis les plus pressants liés à la paix et à la sécurité au Moyen-Orient se reflètent clairement dans les dissensions, les pressions, la négligence et les tendances à long terme qui sont les raisons pour lesquelles nous en sommes à ce moment décisif aujourd’hui.  Le conflit israélo-palestinien reste au cœur du bourbier du Moyen-Orient.  Parvenir à la solution juste et durable des deux États, qui permette aux Palestiniens et aux Israéliens de vivre côte à côte en paix dans des frontières sûres et internationalement reconnues, est essentiel pour la sécurité et la stabilité de toute la région.  Les tensions et la violence qui ont eu lieu dernièrement à Gaza sont venues nous rappeler combien la situation présente est explosive.

Le soutien international est essentiel pour créer les conditions favorables à la reprise de négociations constructives et directes entre les deux parties.  Je reste profondément déterminé à appuyer des efforts à cette fin.  Je vais présider tout à l’heure une conférence d’annonces de contributions pour combler le grave déficit de financement auquel est confronté l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient.

En Syrie, les civils pâtissent d’une litanie d’atrocités dues à un conflit qui dure depuis plus de sept ans: sièges, affamement, attaques aveugles, emploi d’armes chimiques, exil et déplacement forcés, violence sexuelle, torture, détention et disparitions forcées.  La Syrie est aussi devenue le théâtre de guerres par adversaires interposés entre acteurs régionaux et internationaux.  La violence est fermement enracinée dans un paysage politique caractérisé par la fragmentation et une multiplicité de groupes armés.  En l’absence d’institutions publics fiables, de nombreux Syriens ont opéré un repli identitaire à motivation religieuse et tribale.  Je continue d’appeler les parties au conflit à coopérer de façon constructive avec mon Envoyé spécial pour la Syrie, M. Staffan de Mistura, dans le processus politique facilité par les Nations Unies, à Genève.  Je souhaite vivement que des progrès soient enregistrés dans la mise en place du conseil constitutionnel.

La résolution 2254 (2015) reste le seul moyen internationalement convenu pour une fin crédible et durable du conflit.  Plus que jamais, notre objectif doit être de voir une Syrie unie et démocratique, d’éviter le sectarisme irréparable, de veiller au strict respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de la Syrie, et de permettre aux Syriens de décider librement de l’avenir de leur pays.

Le Yémen pâtit d’un conflit prolongé et dévastateur aux dimensions régionales claires.  Mon Envoyé spécial pour le Yémen, Martin Griffiths, s’emploie activement à éviter une escalade qui pourrait avoir des conséquences humanitaires dramatiques.  Il y a une semaine, il a présenté au Conseil les éléments d’un cadre de négociations qu’il est en train d’examiner avec différents interlocuteurs au Yémen et dans la région.  Notre espérons que ce cadre permettra une reprise des négociations politiques dont on a cruellement besoin afin de mettre fin au conflit.

À Gaza, en Syrie et au Yémen, la communauté internationale doit rester mobilisée en vue d’une intervention humanitaire robuste en faveur des personnes dans le besoin.

En Libye, les Nations Unies sont déterminées à aider les acteurs armés du conflit à trouver un règlement pacifique à la crise.  Le processus de conférence nationale, organisé dans le cadre du Plan d’action des Nations Unies, est en train d’adresser un message clair que les Libyens désirent ardemment la fin du conflit et la fin de la période de transition.  Toutes les parties prenantes doivent continuer de soutenir mon Représentant spécial Ghassan Salamé dans sa conduite du processus politique.  Le succès politique en Libye permettra aussi, nous l’espérons, au pays de jouer son rôle s’agissant de remédier au sort dramatique des migrants et des réfugiés qui endurent tant en essayant de traverser la Méditerranée.

Ces dernières années, nous avons vu de nombreux exemples de la résilience de l’Iraq, qui a notamment évité les risques de fragmentation et remporté la victoire sur l’État islamique d’Iraq et du Levant (EIIL).  Les énormes sacrifices consentis par les Iraquiens de toutes les communautés attestent de l’endurance de l’Iraq en tant qu’État fédéral stable.  J’espère vivement que les institutions iraquiennes pourront conduire et mener à terme le processus électoral d’une façon qui respecte pleinement la volonté des Iraquiens.  À cet égard, la reconstruction des régions détruites lors de la reprise du territoire des mains de l’EIIL est une priorité, tout comme l’est le retour sûr et librement consenti dans leurs foyers des déplacés iraquiens, notamment ceux appartenant aux minorités religieuses.  Il importe aussi, pour compléter ces efforts, de s’assurer que ceux ayant commis des atrocités criminelles répondent de leurs actes, conformément aux normes internationales.

Rappelons-nous que ce qui semble être des conflits religieux sont normalement le produit de manipulation politique ou géostratégique, ou sont menés par adversaires interposés pour d’autres antagonismes.  Il existe d’innombrables exemples de différents groupes religieux vivant ensemble en paix depuis des siècles, malgré leurs différences.  Les divisions artificielles d’aujourd’hui peuvent et doivent être surmontées, sur la base du respect de l’indépendance et de l’intégrité territoriale des pays concernés.

À cet égard, il importe de considérer à sa juste valeur l’expérience du respect de la diversité que le Liban représente aujourd’hui.  Au Liban, les élections législatives –les premières depuis 2009– se sont déroulées pacifiquement en mai, mettant en évidence la tradition démocratique du pays.  Nous attendons avec intérêt la formation du nouveau Gouvernement qui devra renforcer les institutions de l’État, promouvoir les réformes structurelles et mettre en œuvre la politique de dissociation.  L’aggravation des tensions régionales pourrait menacer la stabilité du Liban, notamment le long de la Ligne bleue.  Des efforts internationaux constants restent essentiels pour aider le Liban à consolider l’autorité de l’État, à protéger le pays contre les tensions régionales et à accueillir des réfugiés jusqu’à ce que des solutions durables soient trouvées, conformément aux résolutions pertinentes du Conseil de sécurité.

Je demeure particulièrement préoccupé par les risques de déstabilisation dans le Golfe.  C’est pourquoi j’ai toujours appuyé les efforts de médiation déployés par le Koweït pour surmonter les divisions entre les États arabes de la région.  Par ailleurs, il est important de préserver le Plan d’action global commun, qui doit rester une composante cruciale de la paix et de la sécurité, indépendamment du débat plus large concernant le rôle de l’Iran dans la région.  Pendant la guerre froide, les adversaires idéologiques ont pu trouver les moyens de dialoguer et de coopérer malgré leurs profondes divisions, par exemple par le biais du Processus d’Helsinki.  Je ne vois pas pourquoi les pays de la région ne pourraient pas trouver une plateforme similaire pour se réunir, en s’inspirant de leurs expériences respectives afin de promouvoir des possibilités de coopération politique, écologique, socioéconomique ou sécuritaire.

Les organisations régionales et sous-régionales ont également un rôle clef à jouer à l’appui de la diplomatie préventive, de la médiation et du renforcement de la confiance.  La région doit garantir l’intégrité de l’État, ses systèmes de gouvernance et l’application égale de l’état de droit afin de protéger toutes les personnes.  Les majorités ne devraient pas ressentir la menace existentielle d’une fragmentation, et les minorités ne devraient pas ressentir la menace de l’oppression et de l’exil.  Et tout un chacun, partout, devrait jouir de son droit de vivre dans la dignité, la liberté et la paix.  J’appelle les membres du Conseil de sécurité à trouver le consensus ô combien nécessaire et à parler d’une seule voix et d’une voix forte.

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