En cours au Siège de l'ONU

SG/SM/18986-SC/13294

Le Secrétaire général décrit un Moyen-Orient marqué par des lignes de fracture aux profondes ramifications régionales et mondiales

On trouvera ci-après la déclaration qu’a faite le Secrétaire général des Nations Unies, M. António Guterres, lors de la réunion du Conseil de sécurité sur le thème « Menaces contre la paix et la sécurité internationales », aujourd’hui:

La situation au Moyen-Orient est si chaotique qu’elle représente désormais une menace pour la paix et la sécurité internationales.  La région est confrontée à un véritable nœud gordien – différentes lignes de fracture s’entrecroisent et créent une situation extrêmement explosive, avec des risques d’escalade, de fragmentation et de division à perte de vue, et de profondes ramifications régionales et mondiales.  Nous voyons des clivages multiples.

Le premier est le souvenir de la guerre froide.  Mais, pour être précis, c’est plus qu’un simple souvenir: la guerre froide fait un retour en force, mais avec une différence. Les mécanismes mis en place et les précautions prises pour gérer les risques d’escalade qui existaient dans le passé semblent avoir disparu.

Deuxièmement, il y a le clivage Palestiniens-Israéliens.

Troisièmement, il y a le clivage sunnites-chiites, qui est manifeste du Golfe jusqu’en Méditerranée.  Il importe de noter que les divisons religieuses apparentes sont habituellement le résultat d’une manipulation politique ou géostratégique.

Enfin, il y a tout une vaste gamme de facteurs différents, qui vont des points de vue opposés au sujet du rôle des Frères musulmans ou du statut des Kurdes, aux terribles menaces qui pèsent sur des communautés qui vivent dans la région depuis des millénaires et qui font partie de la richesse de la diversité des sociétés du Moyen-Orient.

Ces multiples lignes de fracture se retrouvent dans une multiplicité de conflits liés les uns aux autres à des degrés divers, mais dont plusieurs ont clairement à voir avec la menace du terrorisme international.  Il y a un risque d’escalade sous de nombreuses formes.

Nous voyons les blessures du conflit israélo-palestinien continuer de s’envenimer.  Les récentes violences à Gaza ont causé de nombreux morts et blessés inutiles.  Je réitère mon appel à une enquête indépendante et transparente sur ces incidents.  Je demande également à tous les intéressés de s’abstenir de tout acte susceptible de provoquer de nouvelles victimes, en particulier de toute mesure qui mettrait des civils en danger.  Cette tragédie souligne l’urgence de relancer le processus de paix en faveur de la solution des deux États, qui permettra aux Palestiniens et aux Israéliens de vivre côte à côte dans la paix, au sein de deux États démocratiques et à l’intérieur de frontières sûres et reconnues.  Je réaffirme la disposition de l’ONU à appuyer ces efforts.

Au Yémen, nous assistons à la pire catastrophe humanitaire que connaît le monde aujourd’hui.  Il n’y a qu’un seul moyen de mettre fin au conflit yéménite et de régler la crise humanitaire, c’est de parvenir à un règlement politique négocié dans le cadre d’un dialogue inclusif entre Yéménites.  Mon envoyé spécial, Martin Griffiths, fait tout ce qui est en son pouvoir pour faciliter ce règlement politique.  Il présentera un exposé au Conseil la semaine prochaine.

En Libye, j’encourage toutes les parties à continuer de travailler avec mon représentant spécial, Ghassan Salamé, alors qu’il entame un processus politique avec un large éventail d’interlocuteurs libyens dans tout le pays afin de mettre en œuvre le Plan d’action des Nations Unies. Il est grand temps de mettre fin au conflit libyen.

Le cas de l’Iraq montre que des progrès sont possibles quand il y a un engagement concerté aux niveaux local, régional et mondial.  Avec la défaite de l’État islamique d’Iraq et du Levant et le risque d’éclatement écarté, le Gouvernement iraquien doit maintenant se concentrer sur la reconstruction, les réformes et la réconciliation.  J’espère que les prochaines élections consolideront ces progrès.

Durant les récentes conférences de Paris et de Rome, la communauté internationale a réaffirmé son soutien à la souveraineté et à la stabilité du Liban ainsi qu’aux institutions de sécurité de l’État.  Il est absolument indispensable de prévenir un nouveau conflit entre Israël et le Hezbollah, qui ne manquerait pas de faire encore plus de victimes et de dégâts que le précédent.  Je réaffirme qu’il importe au plus haut point de donner suite aux principes et engagements clefs concernant le Liban, notamment les résolutions du Conseil de sécurité, dont la résolution 1701 (2006), et la politique de dissociation.  Les dangers qui résultent des liens avec le conflit syrien sont évidents, comme l’ont montré les récents affrontements entre l’Iran et Israël en Syrie.

De fait, la Syrie représente aujourd’hui la menace la plus grave à la paix et à la sécurité internationales.  On assiste là-bas à des affrontements et à des guerres par procuration, impliquant plusieurs armées nationales, un certain nombre de groupes d’opposition armés, de nombreuses milices nationales et internationales, des combattants étrangers venus du monde entier et diverses organisations terroristes.  Dès le départ, des violations systématiques du droit international humanitaire, du droit international des droits de l’homme et du droit international « tout court » y ont été commises, au mépris total de la lettre et de l’esprit de la Charte des Nations Unies.

Voilà huit longues années que le peuple syrien endure souffrances après souffrances. Je répète qu’il n’y a pas de solution militaire au conflit. La solution doit être politique et venir des pourparlers entre Syriens à Genève, comme le stipule la résolution 2254 (2015), et elle doit s’inscrire dans la droite ligne des efforts résolus de mon envoyé spécial, Staffan de Mistura.  Les Syriens ont enduré une litanie d’horreurs: crimes atroces, sièges, famine, attaques aveugles contre la population et les infrastructures civiles, emploi d’armes chimiques, déplacements forcés, violences sexuelles, torture, détention et disparitions forcées.  La liste est longue.

Dans un moment d’espoir, le Conseil de sécurité a adopté la résolution 2401 (2018), exigeant que toutes les parties cessent les hostilités sans délai de façon à instaurer une pause humanitaire durable.  Malheureusement, les hostilités n’ont jamais vraiment cessé. Telle est la sombre réalité en Syrie aujourd’hui.

Et au milieu de cette réalité, je suis indigné par les informations faisant état de l’emploi d’armes chimiques qui continuent de nous parvenir de Syrie.  Je condamne une nouvelle fois avec fermeté l’utilisation d’armes chimiques, quelles que soient les parties ou les circonstances.  L’emploi d’armes chimiques est une ignominie et une violation flagrante du droit international.  La gravité des récentes allégations exige une enquête approfondie, faisant appel à une expertise impartiale, indépendante et professionnelle.

À cet égard, je renouvelle mon plein appui à l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) et à sa mission d’établissement des faits pour procéder à l’enquête qui s’impose au sujet de ces allégations.  La Mission doit se voir accorder un accès total, sans restriction ni entrave, afin de s’acquitter de sa tâche. Je prends note que le Gouvernement syrien en a fait la demande et s’est engagé à y apporter son concours.  La première équipe de l’OIAC est déjà en Syrie; une seconde équipe est attendue sur place aujourd’hui ou demain.

Mais nous devons aller plus loin. Dans une lettre que j’ai adressée au Conseil il y a deux jours, j’ai fait part, suite au non-renouvellement du mandat du Mécanisme d’enquête conjoint OIAC-ONU, de « ma profonde déception face à l’incapacité du Conseil de sécurité de s’entendre sur un mécanisme spécifique chargé d’établir les responsabilités de l’emploi d’armes chimiques en Syrie ».

Je tiens à redire aujourd’hui que les normes proscrivant les armes chimiques doivent être respectées.  Comme je l’ai écrit dans cette même lettre: « Nous avons la responsabilité, en premier lieu à l’égard des victimes de telles attaques, de faire en sorte que l’emploi avéré d’armes chimiques ne reste pas impuni.  L’absence de sanction ne fait qu’enhardir ceux qui recourent à de telles armes en ce qu’elle les conforte dans leur sentiment d’impunité.  Cela affaiblit un peu plus en retour l’interdiction de l’utilisation des armes chimiques et l’architecture internationale de désarmement et de non-prolifération dans son ensemble. J’exhorte tous les États Membres à agir de manière responsable dans ces circonstances dangereuses;

Je demande instamment au Conseil de sécurité d’assumer ses responsabilités et de ne pas renoncer à ses efforts pour s’entendre sur un mécanisme spécialisé, impartial, objectif et indépendant chargé d’imputer la responsabilité de l’emploi d’armes chimiques.  Je suis prêt à appuyer de tels efforts. »

Les tensions grandissantes et l’incapacité de parvenir à un compromis concernant la mise en place d’un mécanisme de responsabilisation risquent d’aboutir à une véritable escalade militaire.  Dans mes contacts avec les membres du Conseil de sécurité, en particulier les membres permanents, j’ai réitéré ma grave inquiétude quant aux risques liés à l’impasse actuelle et insisté sur la nécessité d’éviter que la situation n’échappe à tout contrôle.

Car c’est exactement le risque que nous courons aujourd’hui: que les choses échappent à tout contrôle.  Il est de notre devoir à tous de le stopper.

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