Le Forum pour la coopération en matière de développement s’ouvre sur des appels au respect des engagements pris au titre de l’APD
Le Forum pour la coopération en matière de développement s’est ouvert aujourd’hui sur des appels lancés aux pays développés pour qu’ils atteignent l’objectif fixé par l’ONU de consacrer 0,7% de leur revenu national brut à l’aide publique au développement (APD). Cette aide continue en effet de jouer un rôle vital pour les pays les plus vulnérables, ont souligné la plupart des orateurs, pour cette première journée de travail, qui s’est articulée autour de trois sessions.
À l’entame de ce Forum, dont les recommandations seront présentées au Forum politique de haut niveau pour le développement durable en juillet prochain, Mme Amina J. Mohammed, Vice-Secrétaire générale de l’ONU, a insisté sur « le long chemin » qui reste à parcourir pour réaliser le Programme de développement durable à l’horizon 2030, en dépit « des avancées remarquables accomplies ».
« Près de 767 millions de personnes vivent encore avec moins de 1,90 dollars par jour et, globalement, 793 millions de personne étaient malnutries en 2014-2016 », a-t-elle dit. Le délégué du Bangladesh, qui s’exprimait au nom des pays les moins avancés (PMA), a indiqué que ces pays ne peuvent pas espérer atteindre l’objectif d’une croissance économique d’au moins 7%, leur taux de croissance économique étant de 4,8% en moyenne.
L’APD, qui est la principale source de financement extérieur de nos pays, demeure loin de l’objectif du Programme d’action d’Addis-Abeba*, qui a retenu la cible précitée de 0,7%, a-t-il regretté. Le Sous-Secrétaire général aux affaires économiques et sociales, M. Lui Zhenmin, a rappelé, dans le droit fil du dernier rapport** du Secrétaire général sur la question, que cette aide demeure une source « vitale » de financement.
Selon ce rapport, cette aide a représenté en 2016 un montant de 145,7 milliards de dollars. Si les pays ont, en moyenne, rempli en 2016 leurs engagements au titre du Programme d’action d’Addis-Abeba visant à inverser le déclin de cette aide aux PMA, à moyen terme, la « tendance » en la matière est à la stagnation, s’inquiète le Secrétaire général.
Si tous les pays développés consacraient un tel montant, cela représenterait 184 milliards de dollars d’aide supplémentaire, a noté le délégué de l’Inde. Son homologue d’El Salvador a estimé qu’il ne fallait pas abandonner cet objectif de 0,7%, surtout à un moment où le multilatéralisme est menacé.
« Les accords fixés au sein de l’ONU doivent être honorés, faute de quoi ce sont les objectifs de développement durable eux-mêmes qui pourraient être remis en cause », a averti le délégué. Même son de cloche du côté de la délégation de l’Union européenne qui a indiqué que celle-ci contribue à hauteur de 90 milliards de dollars annuels à l’APD.
« L’Union européenne a une cible en tête et il ne faut pas changer d’objectif à mi-chemin, même si on peut améliorer ce qui se fait », a-t-elle dit. Le représentant de Cuba s’est insurgé quant à la possibilité de diminuer les engagements en matière d’APD. « Comment pouvons-nous faire pour que les pays qui se sont engagés pour les 0,7% d’APD honorent leur promesse? »
Inquiet, lui aussi, de cette tendance, le délégué de l’Égypte a aussi rappelé que la coopération Sud-Sud ne peut pas remplacer la coopération Nord-Sud mais seulement la compléter. Mme Mohammed a, elle, regretté que les PMA et ceux avec des situations spéciales soient trop souvent contournés, notamment en matière de financement mixte. « Il faut que cela change », a-t-elle dit.
Une note quelque peu dissonante est venue de la représentante des États-Unis qui a indiqué que les défis du développement vont bien au-delà de la question des ressources financières. Une position partagée par un entrepreneur, M. Jeff Hoffman, qui a déclaré que « la devise la plus importante c’est le capital humain » et mis en garde contre le gaspillage des ressources financières.
Pointant la lenteur dans l’élaboration des politiques publiques d’appui au développement, il a exhorté les délégués à « enlever leurs beaux habits et à mettre les mains dans le cambouis ». Si une politique ne règle pas un problème, elle n’est pas utile, a-t-il tranché, ajoutant que « 2030 c’est demain ».
Les avis sur l’aide au développement ont aussi quelque peu divergé entre d’un côté l’Union européenne, qui se demandait s’il ne fallait pas aider les autorités nationales à diriger leur budget vers certains secteurs, et, de l’autre, le panéliste d’EURODAD (réseau européen sur la dette et le développement), qui conseillait plutôt de « délier l’aide ». Défenseur de l’appropriation de l’aide par les pays récipiendaires, ce dernier a plaidé pour que les ressources ne soient pas préaffectées à un secteur plutôt qu’un autre.
La question de l’APD a été le fil rouge de la première et de la deuxième sessions intitulées, respectivement, « Renforcer la durabilité et la résilience grâce à la coopération au développement » et « Généraliser des partenariats multipartites et approches inclusifs pour la coopération en matière de développement: politiques et cadres juridiques ».
La troisième session, composée de trois dialogues parallèles, était intitulée « Améliorer la performance pour le développement durable: le rôle des politiques nationales de coopération en matière de développement ».
Le Forum poursuivra ses travaux, demain, mardi 22 mai à 10 heures.
*Programme d’action d’Addis-Abeba issu de la troisième Conférence internationale sur le financement du développement
FORUM POUR LA COOPÉRATION EN MATIÈRE DE DÉVELOPPEMENT
Déclarations
Mme MARIE CHATARDOVA, Présidente du Conseil économique et social (ECOSOC) a indiqué que ce Forum pour la coopération en matière de développement est l’occasion de réfléchir aux moyens de bâtir des sociétés durables et résilientes. Les gains de développement si âprement gagnés sont menacés par les inégalités, les changements climatiques, la montée de l’extrémisme violent et du populisme et le rétrécissement de l’espace civique, a-t-elle dit, avant de miser sur la coopération pour le développement qui permet de contrecarrer ces tendances.
La Présidente a dit que le succès de ce Forum repose sur des discussions franches. Elle a exhorté les participants à faire montre d’ouverture et d’un esprit constructif lors des deux prochains jours. « N’hésitons pas à remettre en question nos idées », a-t-elle dit. Mme Chatardova s’est dite convaincue que des discussions ouvertes permettront d’enrichir les recommandations qu’elle présentera lors du Forum politique de haut niveau pour le développement durable en juillet prochain.
« Quelles mesures pouvons-nous prendre pour faire en sorte que nos stratégies nationales et le soutien que nous apportons aux pays en développement répondent aux nouvelles exigences du Programme de développement durable à l’horizon 2030 », a-t-elle demandé, résumant ainsi l’enjeu des discussions de ce Forum.
Pour Mme AMINA J. MOHAMMED, Vice-Secrétaire générale de l’ONU, il est temps d’atteindre les objectifs du Programme de développement durable à l’horizon 2030. « Nous sommes ici pour passer des paroles aux actes. Il s’agit de créer des partenariats plus forts afin que la coopération au développement joue un rôle plus stratégique et effectif dans sa mise en œuvre ». « Nous avons fait des avancées remarquables » s’est-elle réjouie, « mais nous avons encore un long chemin à parcourir pour construire des sociétés résilientes et durables, qui ne laissent personne de côté ». Elle a cité plusieurs chiffres à l’appui: 767 millions de personnes vivent encore avec moins de 1,90 dollars par jour et globalement, 793 millions de personne étaient malnutries en 2014-2016. En 2015, plus de 303 000 femmes sont mortes durant la grossesse et l’accouchement, et 5,9 millions d’enfants de moins de 5 ans sont décédés, autant de morts, qui pour Mme Mohammed, sont évitables.
La Vice-Secrétaire générale a aussi pointé les inégalités entre les sexes, « toujours fortes », les jeunes confrontés à « des taux dramatiques de chômage et dont les voix ne se font pas entendre », ainsi que les 9% d’enfants qui ne sont pas scolarisés. Elle a ensuite mis en évidence les conséquences des problèmes environnementaux: le stress hydrique, qui nécessite de construire davantage d’infrastructures durables, la pollution de l’air qui affecte 9 habitants sur 10 dans les villes, et les changements climatiques qui « provoquent des pertes économiques de 250 milliards à 300 milliards de dollars par an ».
Poursuivant sur la question de l’aide au développement, elle a regretté que les pays les moins avancés et ceux avec des situations spéciales soient trop souvent contournés, notamment en matière de financement mixte. « Il faut que cela change » a-t-elle dit. Tout en notant que les gouvernements ne peuvent agir seuls et qu’il est indispensable de dialoguer avec le secteur privé, elle a toutefois mis en garde: malgré son potentiel énorme, le financement mixte « sans cadre juridique fiable et une comptabilité publique transparente représente un risque pour les populations ». Mme Mohammed a ensuite mis en évidence l’importance de la coopération Sud-Sud, citant le Plan d’action de Buenos Aires comme « modèle » et rappelant qu’une conférence de haut niveau se déroulera l’année prochaine en Argentine sur ce thème. Elle a conclu son exposé en expliquant que la réforme du système de développement des Nations Unies permettra de prendre des mesures plus ciblées et stratégiques, notamment en se repositionnant pour renforcer l’appui au niveau local, indispensable pour la mise en œuvre.
M. LUI ZHENMIN, Sous-Secrétaire général aux affaires économiques et sociales, a présenté les principales conclusions du rapport du Secrétaire général sur les tendances et progrès en matière de coopération internationale pour le développement (E/2018/55) en soulignant que « premièrement, la coopération en matière de développement doit demeurer axée sur le Programme 2030 ». Il a en outre demandé un renforcement des liens entre la coopération en matière de développement et les actions pour remédier aux conséquences du changement climatique.
Deuxièmement, l’aide publique au développement (APD) demeure une source vitale de financement, a-t-il dit. Il a appelé le Forum à réfléchir aux moyens de renforcer une allocation efficace de cette aide et de faire en sorte que les engagements pris en la matière soient respectés. Troisièmement, le renforcement des capacités des pays en développement est crucial, a-t-il dit. En quatrième lieu, il a noté la diversification et l’expansion de la coopération Sud-Sud et triangulaire.
Enfin, il a insisté sur le potentiel du financement mixte, ajoutant que l’utilisation de l’APD pour des projets financés par le financement mixte doit être guidée par les principes qui garantissent une coopération efficace. En conclusion, M. Liu a plaidé pour un rôle accru du secteur privé afin de promouvoir le développement durable et pour une coopération Sud-Sud et triangulaire mieux structurée.
M. JEREMY HEIMANS, cofondateur et Directeur exécutif de Purpose -une organisation qui apporte un soutien aux mouvements dédiés à la lutte pour un monde ouvert, juste et habitable- a déploré que la coopération en matière de développement soit encore gouvernée par des règles désuètes, avec notamment une relation inégale entre donateurs et récipiendaires de l’aide, ceux-ci étant « passifs ». « Nous avons besoin d’un nouveau pouvoir, plus participatif », a-t-il dit en précisant qu’il fallait bâtir des institutions qui permettent d’assouvir la soif participative de nombreux acteurs.
M. Heimans a déploré la montée du populisme, prenant l’exemple du Brexit, ajoutant que la coopération en matière de développement permet d’y remédier. Les partisans du Brexit ont développé des arguments plus « émotionnels » que les opposants qui se sont, eux, reposés sur des « faits bruts », a-t-il remarqué en appelant à suivre le procédé qui consiste à faire appel à l’émotion. « Nous ne devons pas hésiter à créer la polémique. » Enfin, il a insisté sur l’ampleur du mouvement #Metoo et sur celui qui lutte contre la violence sexuelle en Inde, des mouvements très puissants animés par des femmes.
Lors de la discussion avec les délégations, celles-ci ont insisté sur l’importance de l’APD et exhorté les pays en développement à honorer leurs engagements en la matière. Le délégué de l’Égypte a ainsi indiqué que six pays seulement consacrent 0,7% de leur revenu à l’APD, déplorant les « tendances alarmantes » dans la coopération Nord-Sud. La coopération Sud-Sud ne peut pas remplacer la coopération Nord-Sud mais seulement la compléter, a-t-il affirmé, en réclamant plus de transferts de technologie vers les pays en développement.
Une inquiétude partagée par le délégué du Bangladesh, qui, au nom des pays les moins avancés (PMA), a indiqué que la plupart de ces pays ne parviendront pas à l’objectif d’une croissance économique d’au moins 7%, leur taux de croissance économique étant de 4,8% par an en moyenne. L’APD, qui est leur principale source de financement extérieur, demeure loin de l’objectif du Programme d’action d’Addis-Abeba, a-t-il regretté.
Il a salué l’opérationnalisation de la Banque de technologies pour les PMA en Turquie, tandis que son homologue du Brésil a insisté sur le rôle du secteur privé pour réaliser le Programme 2030.
L’Inde est revenue sur le cœur du débat, l’APD, pour pointer l’ambiguïté des relations entre cette source d’aide et le financement international pour faire face aux changements climatiques. Si tous les pays respectaient les cibles en matière d’APD, cela représenterait 184 milliards d’aide supplémentaire, a-t-il dit.
Le représentant d’ActionAid a insisté sur le caractère unique de l’APD, qui est souvent « incomprise ». Le financement mixte n’est pas la solution pour les PMA, a-t-il dit, tandis que la déléguée de Reality of Aid a jugé le montant actuel de l’APD « insuffisant ». La modératrice de ce débat, Mme JUDITH RANDEL, de Development Intiatives, a en effet rappelé que l’APD ne représente que 8% des flux à destination des pays en développement, même si c’est la ressource la plus importance de financement pour ces pays.
M. Heimans a noté que la cible précitée d’APD est « importante et problématique ». « Si nous en parlons depuis des décennies, nous devons mieux communiquer sur ce sujet, en définissant davantage le message à transmettre », a-t-il recommandé.
Session 1. Renforcer la durabilité et la résilience grâce à la coopération au développement
Réagissant aux propos tenus plus tôt ce matin par Jeremy Heimans, M. JAIME MIRANDA, Vice-Ministre de la coopération au développement d’El Salvador, a estimé qu’il ne fallait pas abandonner l’objectif de 0,7% du PIB à consacrer à l’aide publique au développement, surtout à un moment où le multilatéralisme est menacé. « Les accords fixés au sein de l’ONU doivent être honorés, faute de quoi ce sont les objectifs de développement durable eux-mêmes qui pourraient être remis en cause », a averti le délégué. Mme JOANNE ADAMSON, chef adjointe de la Délégation de l’Union européenne auprès des Nations Unies, a abondé dans son sens: « l’Union européenne a une cible en tête et il ne faut pas changer d’objectif à mi-chemin, même si on peut améliorer ce qui se fait. Nous encourageons les 0,7% ». Le représentant de Cuba s’est lui aussi insurgé quant à la possibilité de diminuer les engagements en matière d’APD. « Plutôt que de consacrer des ressources à la course aux armements, il vaut mieux orienter les ressources. Comment pouvons-nous faire pour que les pays qui se sont engagés pour les 0,7% d’APD honorent leur promesse? » a-t-il demandé.
M. JESSE GRIFFITHS, directeur à EURODAD, réseau européen sur la dette et le développement, a insisté sur le fait que l’APD est une ressource publique indispensable, rappelant que le Programme de développement durable à l’horizon 2030 nécessite des fonds conséquents dans les domaines de l’éducation, de la santé, de l’infrastructure, qui ne peuvent être mobilisés que par l’action publique. « Pour moi, l’APD est un appel à augmenter davantage les dépenses publiques pour qu’il n’y ait aucun laissés-pour-compte », a-t-il lancé. Il a appelé à augmenter l’APD pour les pays les moins avancés (PMA).
En écho à ses propos, le représentant de la Turquie a déclaré que son pays avait débloqué une APD de 8,1 milliards en 2017, ce qui représente 0,85% du budget public, soit plus que la cible. Il a aussi annoncé qu’il avait augmenté la part consacrée à l’éducation, notamment en Afghanistan, et a rappelé son initiative de création d’une banque de technologies pour les PMA. Elle sera inaugurée le 4 juin et se concentrera, la première année, sur une évaluation des besoins technologiques dans les PMA.
Plusieurs intervenants se sont demandés si les critères d’attribution de l’APD devaient être revus. La chef adjointe de la Délégation de l’Union européenne, qui a rappelé que celle-ci contribuait à hauteur de 90 milliards de dollars annuels à l’aide au développement, a questionné la manière dont les pays s’appropriaient cette aide. « Nos attentes sont-elles trop importantes? Ne faut-il pas aider les autorités nationales à diriger leur budget vers certains secteurs comme la santé et l’éducation? » D’un autre avis, le panéliste d’EURODAD a plutôt appelé à « délier l’aide », notant que plus de 32 milliards d’APD sont officiellement liés, c’est-à-dire préaffectés à une action ou un secteur. « Et je ne parle pas de ces autres pratiques où l’APD est liée informellement à des contrats qui bénéficient à des sociétés issues des pays bailleurs de fonds. » Le panéliste a recommandé, au contraire, de favoriser l’appropriation de l’aide par les pays récipiendaires. C’est aux pays en développement qu’il revient d’expliquer comment dépenser l’APD, a-t-il insisté.
De son côté, le Vice-Ministre de la coopération au développement d’El Salvador a remis en cause le critère de classement des pays qui leur permet ou non de bénéficier de l’APD, soit le revenu par habitant. À son avis, ce critère ne reflète pas les réelles inégalités et le grand nombre de pauvres caractéristiques de la situation en Amérique latine.
Enchaînant, la représentante du Ghana a regretté que son pays, classé à revenus moyens, ne doive compter que sur ses propres ressources pour faire de la prévention face aux chocs, notamment environnementaux, qui le menacent. Elle a insisté sur le fait que la résilience et la durabilité devaient avant tout se réaliser au niveau national, par le biais d’institutions fortes. À ce sujet, le représentant de l’Union interparlementaire a regretté que le rapport du Secrétaire général ne mette pas suffisamment en évidence l’objectif 16, qui prévoit la mise en place, à tous les niveaux, d’institutions responsables, efficaces et ouvertes à tous. « Il faut des élections libres, transparentes, démocratiques » a appuyé sa collègue qui a pris la parole un peu plus tard. « Et la démocratie, ce ne sont pas seulement les élections, mais tout un système. Notamment, avoir un parlement qui contrôle l’exécutif. C’est essentiel pour le développement. »
Plusieurs intervenants, à l’instar du Ministre salvadorien et du représentant de la République dominicaine, ont également rappelé les risques liés aux changements climatiques, à la surpopulation mondiale, et à l’épuisement des ressources naturelles, insistant sur la nécessité dans ce domaine, de parler de justice climatique plutôt que de coopération. La représentante de l’Union européenne a invité à faire preuve d’innovation à ce niveau, donnant l’exemple des assurances sécheresses tandis que le représentant d’EURORAD a estimé que le financement de l’action climatique doit se faire en sus de l’APD.
Apportant une autre perspective au débat, M. SERGIY KYSLYTSYA, Vice-Ministre des affaires étrangères de l’Ukraine, a appelé de son côté à ne pas attendre le retour de la paix pour coopérer avec des pays en conflit. Il a donné l’exemple du niveau de violence domestique qui s’élève quand les soldats démobilisés rentrent dans leur famille, et lorsqu’ils ont accès à la drogue, l’alcool. « Plus les femmes sont protégées, plus il est possible qu’elles trouvent un emploi, et moins le fardeau sera élevé pour le gouvernement en termes de soins médicaux et de d’éventuels frais de justice. » Il a également regretté, en matière de coopération, le décalage entre ce qui est dit « dans les capitales, et dans l’enceinte de l’ONU », ainsi que « celui qui sépare cette assemblée du Conseil de sécurité ». Ce dernier devrait, a-t-il estimé, « parler de ce dont nous discutons ici ».
Session 2: Généraliser des partenariats multipartites et approches inclusifs pour la coopération en matière de développement: politiques et cadres juridiques
Mme SUSAN FINE, USAID, a reconnu que l’APD a un rôle à jouer au sein des partenariats multipartites au service du développement durable. Mais les défis du développement sont très complexes et vont bien au-delà de la question des ressources financières, a-t-elle dit. Elle a indiqué que ces partenariats multipartites permettent précisément de prendre en compte toutes les dimensions du développement. Elle a souligné les objectifs divergents que les différentes parties de ces partenariats peuvent poursuivre. Le secteur privé veut signer des contrats alors que les institutions publiques doivent rendre des comptes de leur action devant les instances parlementaires, a-t-elle expliqué. C’est pourquoi il est crucial que les objectifs soient arrêtés en amont, a-t-elle déclaré.
Les partenariats multipartites sont créés avant tout pour répondre à des besoins nationaux et ils doivent être planifiés sur le long terme, a précisé Mme NONHLANLA MKHIZE, Département des sciences et de la technologie de l’Afrique du Sud. En outre, a-t-elle ajouté, les responsabilités doivent être clairement ventilées entre les membres des partenariats. Elle a souligné l’importance du transfert de technologies innovantes dans les pays en développement, ainsi que la bonne appropriation nationale de ces transferts. Nous avons pour cela besoin de ressources, de capacités renforcées et d’un environnement favorable, a-t-elle dit, ajoutant que ce sont là des objectifs poursuivis par le Programme d’action d’Addis-Abeba. « Nous avons besoin de ressources mais aussi de volonté politique. »
En même temps, les entrepreneurs n’ont pas le temps d’attendre que les responsables politiques finissent d’élaborer leurs politiques de promotion du développement durable, a fait remarquer M. JEFF HOFFMAN, Directeur exécutif de Color Jar: « 2030 c’est demain », a-t-il dit, en se disant préoccupé par la lenteur des changements. « Vous devez garder à l’esprit qu’une coopération ne peut pas être parfaite du premier coup et que vous ne pourrez pas régler tous les problèmes », a-t-il lancé aux États Membres. Il a souligné leur responsabilité de régler les défis et de lever les entraves au développement. « Enlevez vos beaux habits, mettez les mains dans le cambouis, allez dans les villages; si une politique ne règle pas un problème, elle n’est pas utile », a-t-il tranché. Il a reconnu que des ressources financières sont certes importantes, mais qu’elles ne sont pas toute la solution. « La devise la plus importante c’est le capital humain », a-t-il conclu, en mettant en garde contre le gaspillage des ressources financières.
En parlant du capital humain, la déléguée du Canada a prôné la tolérance et l’égalité entre les sexes. « Si nous voulons agir différemment, nous devons mettre les femmes aux commandes du développement durable », a-t-elle dit.
Son homologue de la République de Corée a dit que le succès des partenariats multipartites passe par un échange des bonnes pratiques et un renforcement des capacités dans des domaines prioritaires. L’approche traditionnelle s’agissant de la coopération pour le développement, celle qui privilégie les gouvernements, ne marche tout simplement plus, a-t-il conclu. « Nous devons établir un cadre juridique garantissant la participation du secteur privé à de tels partenariats. »
De son côté, le représentant du Brésil a indiqué que toute coopération en matière de développement doit s’évaluer à l’aune des résultats obtenus.
En Italie, ce sont trois entités juridiques multipartites qui œuvrent en faveur de la coopération au développement. M. LUCA MAESTRIPIERI, Directeur général adjoint de la coopération internationale de l’Italie, a mentionné, d’abord, un comité intergouvernemental de la coopération qui englobe tous les échelons du gouvernement, avec un ministère qui assure la responsabilité principale et donne une direction stratégique pour tous les départements. Ensuite, un conseil national pour la coopération, que M. Maestripieri décrit comme une « sorte de parlement pour la coopération, avec des représentants du gouvernement central, des régions, des autorités locales, de la société civile et des institutions financières ». Il a un rôle consultatif par rapport aux documents stratégiques du gouvernement, mais peut aussi faire des propositions portées à l’attention des parties prenantes. Enfin, une conférence de la coopération au développement, convoquée tous les trois ans, et qui s’est réunie à Rome en janvier dernier pour débattre publiquement de la sensibilisation aux sujets de la coopération au développement. « Un thème qui n’est pas toujours populaire dans mon pays », a souligné le directeur. Il a également donné l’exemple d’un groupe de travail migration et développement, qui a rassemblé des représentants des diasporas qui vivent en Italie avec la société civile, les autorités locales italiennes et des pays d’origine.
En Suisse, il existe un mouvement pour la paix bleue qui s’occupe de créer des partenariats pour la gestion des bassins transfrontaliers, a déclaré M. JOHAN GELY, Chef de division et chef du programme mondial de l’eau, Agence suisse pour le développement et la coopération. Au niveau mondial, seuls 40% de ces bassins font l’objet d’un accord entre États riverains, a-t-il observé, rappelant qu’entre 3 et 5 millions de personnes meurent de maladies véhiculées par l’eau chaque année. « Ce n’est pas simple du tout de mettre en place des partenariats. Il faut repenser les délimitations politiques et sectorielles », a-t-il expliqué. Une coopération durable transfrontière autour de ces bassins n’est pas seulement importante pour l’eau, mais aussi pour l’énergie, les secteurs agricole, commercial et sécuritaire.
« Notre expérience montre que les partenariats ne sont pas toujours une réussite mais parfois nous avons du succès », a poursuivi M. Gely. Pour lui, il n’est pas possible de travailler avec tout le monde, il faut choisir les bons interlocuteurs. Avec le secteur privé notamment, il a recommandé de sélectionner « des représentants qui ne sont pas là uniquement pour faire du profit mais aussi pour obtenir des changements sociaux positifs ». « Même chose avec les représentants politiques, il faut dialoguer avec le Ministre en charge de l’eau, mais aussi celui en charge des questions de sécurité, des affaires étrangères. Dans chaque administration, il faut trouver des intermédiaires. C’est un art ». Concernant le rôle joué par le secteur privé, il a donné l’exemple de multinationales disposant de données utiles au gouvernement. « On peut les impliquer dans le mécanisme de gestion des données transfrontières ».
« Un partenariat multipartite, mais pour faire quoi? », s’est demandé M. ALI NASEER MOHAMED (Maldives). « Aider à la croissance économique? Au développement? Il faut se poser la question ». Le délégué a rappelé la situation particulière des Maldives, état archipélagique qui compte plus de 200 îles, dont 188 sont habitées. Le reste des îles sont consacrées au tourisme ou sont des réserves. « Chaque île a besoin de services, d’un port, d’un hôpital, d’installations sanitaires et bancaires. Le concept de bien commun doit donc être envisagé de manière très large. » Pour lui, les partenariats public-privé, initiés depuis 2009, ont donné des résultats mitigés. Il a donné l’exemple d’une expérience où le secteur privé a pu louer des îles entières pour le tourisme à condition qu’il fasse des routes. « Il faut des mécanismes de contrôle », a-t-il prôné en demandant de s’interroger avant tout sur l’existence des institutions nécessaires pour encadrer et suivre les partenariats et, le cas échéant, sur leur capacité à surveiller ces développements. Rebondissant sur ses propos, un représentant de l’ONG Reality for Africa a lui aussi souligné l’importance d’institutions efficaces et fonctionnelles pour mettre ces partenariats en œuvre.
De son côté, la représentante d’une autre ONG a regretté que les réseaux de coopération reposent sur une gamme étroite de partenaires, se désolant aussi du manque d’implication des ONG et de la société civile. « Les gouvernements doivent leur laisser une place », a-t-elle estimé. La représentante d’USAID a également plaidé pour la création d’un environnement favorable à la société civile, « qui donne sa place au capital humain ». « Pour nous, l’APD doit aider les pays à gérer leur propre développement. » Elle a aussi indiqué que l’USAID essaie de changer sa culture de fonctionnement en collaborant avec le secteur privé et en essayant d’intégrer d’autres points de vue. Le panéliste de la Suisse s’est quant à lui enthousiasmé pour le principe de destruction créative. « C’est ce qui s’est passé pour le concept d’empreinte de l’eau. C’est nous qui l’avons développé avant qu’il soit adopté par le parlement. »
Lors du dialogue avec la salle, Mme ALEXANDRA BOETHIUS, cofondatrice d’Impact Hub Genève et Accelerate 2030, a parlé du programme Accelerate 2030, cofinancé par le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), qui réunit des partenaires au sein des organes des Nations Unies, mais aussi des investisseurs et des réseaux d’entrepreneurs pour mettre en œuvre les objectifs de développement durable. Son organisation travaille avec des marchés émergents, et collabore avec des acteurs sur le terrain, ce qui « est la clef du succès ». Pour elle, les entrepreneurs avancent vite, et ont besoin non seulement d’un environnement réglementaire adéquat mais aussi d’un écosystème, avec un accès à des financements. Mme Boethius estime que c’est là qu’il faut faire preuve d’innovation. Elle a appelé l’ONU à se saisir de ces solutions pour les mettre au service des objectifs de développement durable.
Le représentant du Maroc s’est quant à lui demandé, de manière plus générale, si le niveau de coopération était en progression ou en recul. « Pendant la première décennie pour le développement, les Nations Unies avaient demandé qu’1% du PIB des pays riches soit consacré à l’aide au développement. » Au fil du temps, les institutions de prêts sont venues remplacer les pays. Les seuils d’endettement des pays sont extrêmes du fait de cette absence de soutien des pays riches, a-t-il analysé en imaginant que « la Suède pourrait certainement allouer 1% à l’APD ». Il a également appelé à réduire les écarts entre pays développés et en développement par le biais de la coopération technique.
Introduction à la session 3: « Améliorer la performance pour le développement durable: le rôle des politiques nationales de coopération en matière de développement. »
Pour introduire le sujet de cette troisième session, le Ministre délégué aux affaires générales du Maroc, M. LAHCEN DAOUDI, a mentionné la loi en cours d’élaboration dans son pays pour renforcer la coopération entre le secteur privé et le secteur public aux fins du développement durable. Les objectifs de développement durable transcendent les générations, a-t-il dit pour souligner l’importance de cette coopération. Il a détaillé la stratégie de son pays en la matière qui s’appuie sur un cadre juridique idoine. « Nous voulons faire advenir un Maroc vert », a-t-il déclaré, ajoutant que la croissance annuelle du secteur agricole y est de 7%. Le Ministre a également mentionné la construction d’une usine de dessalement à Agadir, avant de souligner l’acuité de la question de la gestion des déchets. Les phosphates marocains seront une contribution importante au développement durable, a conclu M. Daoudi.
À son tour, M. CHIENG YANARA, Secrétaire général du Conseil de la réhabilitation et du développement du Cambodge, a souligné la contribution positive de la coopération pour le développement pour son pays. Le Cambodge, pays à revenu moyen, est très attaché au Programme 2030, a-t-il dit. Il a souligné le rôle crucial de l’APD en appui des efforts nationaux en particulier dans le domaine des infrastructures. M. Yanara a souligné la mise en place d’indicateurs et d’un cadre de suivi pour évaluer les résultats de la stratégie de développement de son pays. Il a mentionné les défis qui subsistent au Cambodge tels que la pauvreté et les inégalités, avant de souligner la nécessité de disposer de statistiques plus détaillées sur la pauvreté. « Nous devons mieux comprendre la dynamique de l’exclusion », a-t-il conclu.
Cette session s’est poursuivie en trois dialogues parallèles pour favoriser un échange entre panélistes et délégations d’États Membres.