Le Forum des partenariats de l’ECOSOC entend des appels à une meilleure utilisation des mégadonnées et à un secteur privé au service du bien de l’humanité
Avec près de 2,5 milliards d’internautes, les mégadonnées sont « la ressource la plus précieuse au monde », « le pétrole du XXIe siècle ». C’est ce qu’a appris aujourd’hui du magazine « The Economist », le Conseil économique et social (ECOSOC) qui tenait la session 2018 de son Forum des partenariats sur le thème « partenariats pour des sociétés résilientes et inclusives: les contributions du secteur privé ».
Lancé depuis 2008, le Forum a depuis connu un nouvel élan avec l’adoption du Programme de développement durable à l’horizon 2030, à la suite duquel les dirigeants du monde avaient appelé le milieu des affaires à exploiter sa créativité et son sens de l’innovation pour surmonter les défis du développement durable, conformément à l’objectif 17 du Programme 2030 sur les partenariats.
Cette édition 2018 a réuni un grand nombre de représentants des gouvernements, de la société civile, du secteur privé, des fondations, du système des Nations Unies, des universités, qui ont discuté de la contribution du secteur privé aux objectifs de développement durable et des craintes nées de l’utilisation des mégadonnées.
Avec près de 2,5 milliards d’internautes, 6,5 milliards de téléphones mobiles et plus de 10 milliards d’objets connectés, les mégadonnées ont donné lieu au scandale « Cambridge analytica », du nom du Centre de recherche britannique qui aurait exploité les données personnelles des utilisateurs de Facebook pour influencer le vote sur le Brexit au Royaume-Uni et l’élection de Donald Trump aux États-Unis.
Consciente de l’importance de cette nouvelle donne, l’ONU a lancé en 2009 l’initiative « Global Pulse » pour assurer une exploitation « sûre et responsable » des mégadonnées en tant que « bien public mondial ». Les participants au débat n’ont pas caché leurs inquiétudes devant les dérives potentielles et ont prôné un partenariat fort entre ceux qui collectent les données, ceux qui les analysent et ceux qui les utilisent pour le bien de l’humanité.
Des exemples ont été données. À Sao Paulo, les données transmises par les téléphones portables contribuent à une meilleure gestion des embouteillages. En Ouganda, c’est la lutte contre les épidémies qui a été améliorée grâce aux mégadonnées. Avec ses sept satellites braqués sur la Terre, « Global Impact Initiatives, Planet Inc. » a affûté les armes contre la déforestation ou l’urbanisation sauvage. Mais les dangers sont là et ont conduit la représentante de « MasterCard » à réclamer un « code de responsabilité ».
Le secteur privé ne peut plus continuer à fonctionner au détriment des gens et de son environnement, a prévenu la Vice-Secrétaire générale des Nations Unies. Il doit travailler pour « le bien de l’humanité », a insisté Mme Amina J. Mohammed, et en particulier en faveur des groupes les plus vulnérables comme les jeunes, les femmes, les handicapés, les personnes âgées et les réfugiés.
Nous attendons du secteur privé des modi operandi durables, a renchéri la Présidente de l’ECOSOC, Mme Marie Chatardová. Il a été démontré, a-t-elle expliqué, qu’une nouvelle manière de fonctionner pourraient créer 12 000 milliards de dollars d’opportunités d’affaires et 380 millions d’emplois d’ici à 2030.
L’ECOSOC a tenu une brève séance au cours de laquelle elle a décidé* que le débat consacré aux affaires humanitaires de sa session de fond 2018 se tiendra sous la forme de trois tables rondes sur le thème « restaurer l’humanité, respecter la dignité humaine et ne laisser personne de côté: agir de concert pour réduire les besoins humanitaires, les risques et la vulnérabilité des populations ».
Le Conseil économique et social a également élu le Luxembourg à la Commission de la population et du développement jusqu’en 2021. Les autres postes vacants seront pourvus à une date ultérieure.
*E/2018/L.6
CONVERSATION DE HAUT NIVEAU: DE L’ENGAGEMENT AUX RÉSULTATS: CONTRIBUTIONS DU SECTEUR PRIVÉ À LA RÉALISATION DES OBJECTIFS DE DÉVELOPPEMENT DURABLE
La contribution du secteur privé pour la réalisation des objectifs de développement est un débat qui n’est pas nouveau. En l’an 2000, a été lancé le Pacte mondial qui est un accord international mis en place par les Nations Unies pour encourager les entreprises à s’engager sur le chemin du développement durable. Le Pacte mondial réunit aujourd’hui plus de 8 000« entreprises citoyennes » de 160 pays différents autour de 10 principes universels articulés autour des droits de l’homme, des normes internationales du travail, de la lutte contre la corruption et de la protection de l’environnement.
Aujourd’hui, des acteurs du secteur privé ont présenté quelques exemples d’initiatives qui contribuent « au bien mondial ». La Conseillère générale dans la compagnie d’assurance Aviva, Mme Kirstine Cooper, a parlé d’une alliance d’entreprises, la « World Benchmarking Alliance », qui a permis d’établir un « système de notation » de la performance des entreprises en fonction des objectifs de développement durable. Des États comme les Pays-Bas et le Danemark appuient cette alliance, mais un plus grand soutien de la communauté internationale permettrait de gagner en importance.
En Afrique du Sud, a témoigné M. Dan Matjila, Président de la compagnie sud-africaine « Public Investment Corporation », l’entreprise envoie régulièrement des questionnaires à près de 200 sociétés pour mesurer leur engagement en faveur de l’environnement et leur attribuer une note, selon le modèle des agences de notation financière.
Quant à l’essor des groupes vulnérables, Mme Rie Vejs-Kjeldgaard, Directrice des partenariats à l’Organisation international du Travail (OIT), a fait observer que 50% à 60% des salaires les plus bas au monde sont touchés par les femmes, alors que parmi les 10% des rémunérations les plus élevées du monde, seulement 35% concernent les femmes.
C’est pour y remédier, a expliqué M. Bob Wigley, Président de « UK Finance », qu’une initiative de promotion de la parité salariale a été lancée sur la place financière de Londres, la « City », lieu réputé pour son machisme. Pour accélérer le mouvement de parité, le Ministère britannique des finances a lancé en mars 2016 la « Charte pour les femmes dans la finance », signée à ce jour par plus de 200 entreprises qui se sont engagées en faveur de la parité.
M. Wigley a également souligné l’importance de la technologie de la chaîne de blocs pour trouver des solutions aux problèmes sociaux. Cette technologie est une base de données à écriture unique sur un réseau d’ordinateurs, faisant appel au codage informatique pour rendre infalsifiable un registre public. Cela pourrait aider par exemple à sécuriser les méthodes d’identification des populations dont des centaines de millions dans le monde n’ont pas de carte d’identité. Avec la chaîne de blocs, on peut aussi vérifier les flux de capitaux et renforcer ainsi la lutte contre la corruption, a ajouté M. Vincent Molinari, Président de « Liquid M Capital ».
M. Peter Rhee, Vice-Président des affaires publiques à « Samsung Electronics », a présenté un projet qui favorise la formation des jeunes des pays en développement aux métiers de la technologie. Des plateformes numériques servent ainsi de site de formation à distance et d’accompagnement des jeunes dans le monde du travail.
Pour rester dans le domaine didactique, M. Sameer Raina de « Digital Divide Data (DDD) », a présenté un programme de formation des jeunes aux métiers du numérique qui a permis de créer, dans des pays en développement, un pool d’ingénieurs capables de travailler pour des multinationales, tout en restant dans leur propre pays ou dans d’autres pays en développement.
Un apport financier et un encadrement des agricultrices colombiennes a permis de faire de leur coopérative une véritable multinationale, a témoigné M. Ricardo Oteros Sánchez-Pozuelo, Président de « Supracafé ». Il a expliqué que grâce à au soutien de son entreprise, ces femmes produisent désormais 550 000 kg de café par an. Un café biologique qui est vendu à des prix avantageux, permettant l’émancipation économique de ces veuves de la guerre civile.
Dans la même veine, une représentante de « Global Impact Sourcing Coalition », a déclaré que son organisation illustre la façon dont les entreprises peuvent travailler en faveur de l’emploi inclusif. Une collaboration de 40 entreprises, dont Microsoft, Bloomberg et Tech Mahindra, a permis de faire avancer une pratique commerciale appelée « sourcing d’impact » privilégiant les fournisseurs qui offrent des opportunités d’emplois aux plus vulnérables.
Devant ces exemples concrets, le représentant du Groupe des 77 et la Chine (G77) a insisté sur des partenariats robustes, transparents et durables, tenant compte des besoins nationaux. Il a jugé que les Nations Unies doivent éviter que ces nouveaux partenariats ne bouleversent les choses. Les pays développés doivent rester fidèles à leur engagement en matière d’aide publique au développement (APD) et d’allègement de la dette publique des pays en développement.
Le représentant des pays les moins avancés (PMA) a voulu que l’on n’oublie pas les partenariats déjà engagés mais non encore concrétisés, comme la Banque de technologies. Il ne faut pas oublier tous ces partenariats dans le secteur des infrastructures et du commerce, a ajouté le délégué des pays en développement sans littoral.
Ce sont les bonnes politiques qui font les bons partenariats, a souligné l’Observateur permanent de la Chambre de commerce internationale (CCI) aux Nations Unies, M. Andrew Wilson. Les gouvernements doivent renoncer à leur « dogmatisme », a conseillé le Président de « UK Finance ». Il a donné l’exemple de la technologie de fabrication des objets plastiques biodégradables qui se heurte toujours au refus des gouvernements, coincés dans leur dogmatisme « antipollution des écosystèmes terrestres et marins ».
CONVERSATION DE HAUT NIVEAU: LE RÔLE DU SECTEUR PRIVÉ DANS LA LIBÉRATION DU POTENTIEL DES MÉGADONNÉES POUR LE BIEN PUBLIC
« La ressource la plus précieuse au monde », voilà comment la publication financière « The Economist » qualifie les mégadonnées qui sont même décrites comme le pétrole du XXIe siècle. Le monde compte aujourd’hui plus de 7 milliards d’êtres humains dont quelque 2,5 milliards d’internautes et 2 milliards d’actifs sur les réseaux sociaux, sans oublier les 6,5 milliards de téléphones mobiles et les 10 milliards d’objets connectés.
Une quantité incroyable de données est produite en ligne, que ce soit par les opérations de paiement, les commentaires, les visites sur les sites Internet, les médias sociaux, les photos, les vidéos ou même les émoticônes. Les grandes entreprises recueillent cette multitude de données -mégadonnées- sur les caractéristiques démographiques, les comportements, les attitudes des clients, le genre de technologies utilisées pour prédire les tendances futures et peut-être même augmenter leurs ventes. C’est de ce contexte qu’est né le scandale « Cambridge analytica », du nom du Centre de recherche britannique, soupçonné d’avoir exploité les données personnelles des utilisateurs de Facebook pour influencer les votes sur le Brexit ou l’élection de Donald Trump aux États-Unis.
C’est conscient de l’importance des mégadonnées que l’ONU a lancé l’initiative « Global Pulse » en 2009 qui consiste, dans des laboratoires à Jakarta, à Kampala et New York, à exploiter les mégadonnées « de manière sûre et responsable » en tant que « bien public mondial ». C’est l’appel qui a été lancé aujourd’hui par de nombreux orateurs.
Animateur du débat, M. Robert Kirkpatrick, Directeur de l’initiative Global Pulse, a expliqué que face à ce flux d’informations, les citoyens semblent avoir baissé les bras, laissant leurs informations aux mains d’entreprises privées alors que la confidentialité des communications est protégée par la Déclaration universelle des droits de l’homme.
Les mégadonnées en elles-mêmes ne servent pas à grand-chose, a souligné M. Anil Arora, Statisticien en chef à l’Agence nationale canadienne des statistiques. Pour être utilisables, les données doivent être regroupées, transformées et analysées. Au nom du secteur de la téléphonie mobile, Mme Ana María Blanco, Directrice des politiques et des relations internationales au Groupe Spéciale Mobile Association (GSMA), a expliqué les applications concrètes des mégadonnées, comme pour la lutte contre la pollution dans la ville de Sao Paulo. Les données transmises par les téléphones mobiles aux autorités contribuent à identifier avec précision les zones de grands embouteillages et d’agir en conséquence.
La Banque mondiale s’est par exemple appuyée sur des mégadonnées fournies par le GSMA pour rétablir les systèmes de transports affectés par le séisme de 2010 en Haïti, a affirmé M. Bjorn Gillsater, Représentant spécial du Groupe de la Banque mondiale auprès des Nations Unies à New York.
En Ouganda, le laboratoire de « Global Pulse » a aidé les autorités à utiliser les mégadonnées pour lutter contre les épidémies, a témoigné M. Eddy Mukooyo, Président de la Commission de lutte contre le sida de l’Ouganda. En même temps, a-t-il souligné, des médias traditionnels comme la radio sont mis à contribution pour atteindre les populations des zones reculées. Grâce à mon entreprise, a rebondi Mme Rachel Samrén, Vice-Présidente de Millicom, des infrastructures de connectivité ont apporté l’Internet à haut débit à des femmes parmi les plus démunis dans les pays en développement. Elle s’est félicitée d’avoir ainsi contribué à la réduction du fossé numérique entre les sexes.
Avec pas moins de sept satellites braqués sur la Terre en permanence, Global Impact Initiatives, Planet Inc offre une vue en temps réel de l’évolution des écosystèmes, a expliqué son Vice-Président, M. Andrew Zolli. Avec ces données, on peut cibler la lutte contre la déforestation en Bolivie ou anticiper les mesures contre l’urbanisation sauvage à Dar es-Salam, s’est-il enorgueilli en se félicitant que les mégadonnées puissent renforcer la résilience des communautés.
La représentante du Grand groupe des enfants et des jeunes a tout de même appelé à la transparence dans l’utilisation de ces mégadonnées et à la mise en place d’institutions « responsables ».
Plaidant pour un « code de responsabilité », Mme JoAnn Stonier, Chef des données à MasterCard, a reconnu que de nombreuses entités essayent de tirer parti des données inscrites sur les cartes bancaires. Elle a voulu l’introduction d’« un sens de l’éthique ». C’est pourquoi, ont proposé plusieurs orateurs, il faut un partenariat fort entre ceux qui collectent les données, ceux qui les analysent et ceux les utilisent comme « bien public mondial ».
Certains États, dont la République de Corée et le Mexique, ont également appelé à la prudence et à la mise en place d’un environnement où les mégadonnées servent véritablement au bien et à l’essor des populations. Adoptant une position médiane, M. Stefan Schweinfest, Directeur de la Division des statistiques du Département des affaires économiques et sociales des Nations Unies, a dit qu’il faut allier mégadonnées et méthodes statistiques traditionnelles.
En conclusion, l’Économiste en chef des Nations Unies, M. Elliot Harris, a invité le secteur privé à œuvrer au renforcement des capacités des plus vulnérables. Aux gouvernements, il leur a suggéré d’établir des cadres de partenariats avec le secteur privé, afin de « renforcer le nexus entre le secteur privé et les communautés », sans oublier le rôle des partenaires au développement. Concluant en économiste, il a dit: nous avons déjà perdu 17% du temps dévolu à la mise en œuvre du Programme de développent durable à l’horizon 2030.
La Présidente de l’ECOSOC a invité les Nations Unies à ouvrir de nouvelles perspectives de partenariats dans lesquels les acteurs étatiques et non étatiques auraient les mêmes obligations et les mêmes responsabilités pour réaliser notre vision commune de « ne laisser personne de côté ». Elle a promis que les conclusions du Forum seront prises en compte par la Réunion spéciale de l’ECOSOC, prévue le mois prochain à New York, sur « des sociétés inclusives, résilientes et durables à travers la participation de tous ». Ces conclusions seront également soumises au Forum politique de haut niveau sur le développement durable, prévu en juillet.