Les pays les plus vulnérables aux changements climatiques sont souvent les plus vulnérables aux conflits, souligne la Vice-Secrétaire générale
On trouvera, ci-après, l’allocution de la Vice-Secrétaire générale de l’ONU, Mme Amina J. Mohammed, prononcée lors de la séance du Conseil de sécurité sur la façon de comprendre et gérer les risques de sécurité liés au climat, aujourd’hui
Je voudrais tout d’abord féliciter le Conseil de sécurité de centrer son attention sur les risques à la sécurité posés par les changements climatiques.
Je voudrais aujourd’hui aborder quatre questions principales: premièrement, la nature des défis que les risques climatiques représentent pour notre sécurité commune; deuxièmement, les effets des changements climatiques; troisièmement, les mesures prises par le système des Nations Unies pour y remédier; et, enfin, ce que nous devons demander à chacun d’entre nous pour garantir que les préoccupations climatiques restent au centre de nos considérations de sécurité.
Il est évident que les changements climatiques constituent une menace réelle et se poursuivent à un rythme incessant. Cette année, l’Organisation météorologique mondiale a confirmé que 2015, 2016 et 2017 ont été les années les plus chaudes de l’histoire. Le niveau de concentration de dioxyde de carbone dans l’atmosphère continue de croître. Cette accumulation nous expose de plus en plus aux vagues de chaleur, aux inondations, aux sécheresses et aux incendies de forêts, et aujourd’hui nous voyons tous ces phénomènes se produire plus fréquemment.
Même si, aujourd’hui, les effets des changements climatiques peuvent être inégalement répartis à travers les régions, aucun pays ne sera épargné à long terme. Mais nous voyons que les changements climatiques ont des effets disproportionnés sur les groupes socialement vulnérables et marginalisés. Nous devons agir de concert, avoir une vision commune et nous engager en faveur d’une coopération multilatérale. C’est notre seule chance de trouver des solutions efficaces et durables à cet immense défi.
Les effets des changements climatiques ne sont pas strictement environnementaux, loin de là. Les changements climatiques sont indissolublement liés à certains des problèmes de sécurité les plus pressants de notre époque. Ce n’est pas un hasard si les pays les plus vulnérables aux changements climatiques sont souvent les plus vulnérables aux conflits et les plus fragiles. Les pays fragiles risquent d’être pris dans un cycle de conflits et de catastrophes climatiques. Lorsque la résilience est érodée, les communautés peuvent être déplacées et exposées à l’exploitation. Cela dit, les effets des changements climatiques sur la sécurité peuvent prendre de nombreuses formes, comme la note de cadrage élaborée en vue de ce débat continue de l’affirmer. Ils peuvent se manifester sous la forme de perte des moyens de subsistance, d’insécurité alimentaire et de mise en danger des ressources naturelles. Nombre de ces manifestations ne deviennent visibles qu’avec le temps.
Le bassin du lac Tchad est aux prises avec nombre de ces défis. Alors que je rentre tout juste d’une visite conjointe dans la région, avec l’Union africaine et la Ministre des affaires étrangères de la Suède, Mme Margot Wallström, j’ai vu la situation sur le terrain dans toute sa complexité et son urgence. Le bassin est en proie à une crise provoquée par une combinaison de facteurs politiques, socioéconomiques, humanitaires et environnementaux. L’assèchement dramatique du lac Tchad, de plus de 90% depuis les années 1960, a entraîné une dégradation de l’environnement, une marginalisation socioéconomique et l’insécurité pour 40 millions de personnes. La concurrence exacerbée pour de maigres ressources et le cercle vicieux du risque et de la vulnérabilité ont affaibli la résilience des populations pour faire face à la crise humanitaire.
J’ai moi-même grandi dans le bassin du lac Tchad, à Maiduguri. Enfant, je traversais le lac sur un aéroglisseur, pensant que je me rendais au Royaume-Uni. Aujourd’hui, il serait difficile de traverser le lac même en canoë. Telle est la situation. Il n’y a pas de commerce. Il n’y a que des endroits où les terroristes peuvent se cacher.
Le déclin de l’activité économique et la perte de produits agricoles ont conduit à une absence de perspectives d’emploi dans l’ensemble de la région. La marginalisation socioéconomique qui a en a résulté a exposé les populations, en particulier les jeunes, aux risques de l’extrémisme violent et a fourni un terrain fertile pour leur recrutement par des groupes tels que Boko Haram. L’insurrection de Boko Haram dans le nord-est du Nigéria et dans les pays voisins du Cameroun, du Tchad et du Niger a contraint plus de 10 millions de personnes à se déplacer et a provoqué la destruction massive d’infrastructures de base, de centres médicaux et éducatifs, de biens commerciaux, de demeures privées et d’actifs agricoles.
La nature multidimensionnelle de la crise souligne la relation complexe entre changements climatiques et conflits. Les évaluations des risques liés au climat et à la sécurité et la communication de l’information aux niveaux local, national et régional doivent être considérées comme une alerte précoce pour la prévention des conflits. Nous devons voir les changements climatiques comme une question intégrée dans un réseau de facteurs qui peuvent entraîner des conflits et les exacerber. Au sein de ce réseau, les changements climatiques agissent comme un multiplicateur de menaces, source d’un complément de tension qui pèse sur les principaux problèmes d’ordre politique, social et économique. Comme m’a demandé le Secrétaire exécutif de la Commission du bassin du lac Tchad durant notre visite, « En fin de compte, quelle a été l’origine de ce conflit? ». Pour lui, la disparition du lac a été un facteur clef. À Bol, le lac a perdu plus de 90% de sa superficie en quelques décennies seulement. Il est urgent d’agir contre les changements climatiques, et cela fait partie intégrante de l’édification d’une culture de prévention et de la garantie de la paix.
Le système des Nations Unies lutte contre les risques climatiques sur plusieurs fronts. Au cours des 18 derniers mois, le Conseil de sécurité a reconnu les effets néfastes des changements climatiques sur la stabilité dans plusieurs zones géographiques – le bassin du lac Tchad, l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et la Corne de l’Afrique. Le système des Nations Unies prend au sérieux sa responsabilité de fournir une analyse intégrée au Conseil de sécurité alors qu’il examine ces questions.
Dans cet esprit, nous sommes déterminés à mobiliser pleinement les capacités de l’ONU afin de mieux comprendre les risques liés au climat et à la sécurité à tous les niveaux et de mieux y répondre. Nous amplifions nos stratégies d’évaluation et de gestion des risques liés au climat et à la sécurité. Nous sommes en train d’améliorer notre capacité à comprendre les effets des changements climatiques sur la sécurité, d’intégrer les résultats dans nos processus de planification et d’évaluation et de mieux coordonner les efforts entre les entités du système.
Par exemple, le prochain rapport du Secrétaire général sur le Bureau des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel rendra compte des derniers développements concernant le lien entre climat et sécurité dans la région. La Stratégie intégrée des Nations Unies pour le Sahel, telle que révisée, est-elle aussi axée sur le climat et se focalise sur le renforcement de la résilience et l’amélioration de la gestion des ressources naturelles. En appuyant une agriculture adaptée au climat et un pastoralisme résilient au niveau régional, l’ONU continuera d’aider au renforcement de la résilience et des capacités d’adaptation des femmes et de leurs communautés aux effets des changements climatiques. L’ONU est aussi en train d’appuyer les efforts déployés avec succès par les États membres de la Commission du bassin du lac Tchad pour mettre en œuvre leur stratégie et programme de stabilisation, qui comprend aussi le programme de développement pour la restauration du lac Tchad.
Au niveau international, l’ONU peut aider à coordonner les efforts et à garantir que les cadres liés au climat soient liés l’un à l’autre et se complètent. Nous appuierons les efforts visant à faire en sorte que le programme mondial de renforcement de la résilience serve le développement durable.
Que demandons-nous? Nous devons appuyer les programmes qui placent les femmes et les jeunes au cœur de nos efforts. Nous savons que les effets des changements climatiques sont ressentis de manière disproportionnée par les femmes. Je suis heureuse que Mme Hindou Ibrahim soit ici avec nous pour nous donner une idée beaucoup plus claire de ce que cela signifie au quotidien. La désertification signifie que les femmes doivent parcourir de plus grandes distances pour trouver de l’eau et de la nourriture, laissant ainsi passer l’occasion d’acquérir une éducation et de mettre à profit les opportunités économiques. Les jeunes sans emploi emprunteront une autre voie, celle du terrorisme. Le Programme des Nations Unies pour le développement, par exemple, aborde déjà nombre de ces problèmes. Cette situation exige d’urgence des investissements à grande échelle.
La réalité d’aujourd’hui est tout autre. Le défi et la menace que posent les changements climatiques sont aujourd’hui très clairs et pratiquement tous les pays ont pris conscience des risques que cela comporte et accepté ce fait. Ils appellent à des actions d’envergure.
Comme le Secrétaire général l’a dit, les changements climatiques vont plus vite que nous. Nous attendons du Conseil de sécurité qu’il fasse sa part pour aider l’humanité à ne pas se laisser distancer.