En cours au Siège de l'ONU

DSG/SM/1193-SC/13415-FEM/2153

Les femmes peuvent être les agents d’une nouvelle conception et d’un nouveau paradigme de la consolidation de la paix et du développement durable

On trouvera, ci-après, l’allocution de la Vice-Secrétaire générale de l’ONU, Mme Amina J. Mohammed, à la réunion du Conseil de sécurité sur la paix et la sécurité en Afrique:

Je voudrais tout d’abord remercier la Présidente du Conseil de sécurité d’avoir convoqué la séance d’aujourd’hui sur les femmes et la paix et la sécurité dans le Sahel, ainsi que la Suède du rôle de chef de file qu’elle joue sur cette question durant son mandat au Conseil de sécurité.

Hier, je suis rentrée d’une mission conjointe Nations Unies-Union africaine dans trois pays, à savoir le Soudan du Sud, le Niger et le Tchad.  Cette mission était la deuxième du genre, après la visite de haut niveau effectuée l’année dernière au Nigéria et en République démocratique du Congo.  Lorsque, à l’époque, j’ai fait rapport au Conseil de sécurité (voir S/PV.8022), ce qui a été le premier exposé au Conseil de sécurité sur les femmes et la paix et la sécurité en lien avec la situation spécifique d’un pays, les membres du Conseil ont demandé que d’autres visites de ce type soient organisées, et je suis heureuse de faire savoir que nous avons répondu à cette demande.  Je tiens à remercier la population et les Gouvernements sud-soudanais, tchadien et nigérien.

Au Niger et au Tchad, nous avons été rejoints par la Ministre des affaires étrangères Wallström, en sa qualité de Présidente du Conseil de sécurité pour le mois de juillet.  À diverses étapes de la visite, nous avons également été rejoints par d’éminents collègues des Nations Unies, notamment la Secrétaire générale adjointe chargée d’ONU-Femmes et la Directrice exécutive du Fonds des Nations Unies pour la population, la Représentante spéciale du Secrétaire général chargée de la question des violences sexuelles commises en période de conflit et son Envoyé spécial pour la région des Grands Lacs, ainsi que par des représentants du Bureau régional des Nations Unies pour l’Afrique centrale et de l’initiative Énergie durable pour tous.  Nous avons également été rejoints par le Représentant spécial adjoint du Secrétaire général pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel et le Conseiller spécial pour le Sahel.  J’ai été très fière d’être à la tête d’une délégation composée majoritairement de femmes.

Notre objectif était de souligner les questions concernant les femmes et la paix et la sécurité, ainsi que le développement.  Tout au long de notre visite, nous avons rencontré des femmes dirigeantes de la société civile, représentantes de la communauté et chefs traditionnels et religieux.  Nous nous sommes rendus sur le site de nombreux projets de développement, et nous avons ensuite rencontré les autorités locales, des hauts responsables du Gouvernement et des chefs d’État pour discuter des principales difficultés et possibilités existantes, ainsi que pour faire entendre les voix des femmes et transmettre les messages que nous avons entendus.  Quatre questions ont eu un écho particulièrement fort.

La première portait sur la nécessité de remédier au lourd tribut que les femmes et les filles paient pour les conflits.  Cette nécessité a été particulièrement évidente au Soudan du Sud, où nous avons rendu visite à des femmes dans des sites de protection des civils, qui ont parlé des violences auxquelles elles sont confrontées tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des camps.  Cela a également été confirmé par les récits de femmes dans les zones rurales du Tchad, où la présence de Boko Haram a causé l’insécurité, la perte de membres de la famille et l’utilisation accrue de femmes kamikazes.

Deuxièmement, nous avons entendu l’appel universel et de plus en plus frustré des femmes qui exigent une inclusion, une représentation et une participation accrues dans tous les domaines de la société.  Elles exigent une participation accrue à la prise de décisions.  À Djouba au Soudan du Sud, à Addis-Abeba et à Khartoum, elles ont demandé à faire entendre leur voix dans le processus de paix.  Au Tchad et au Niger, elles ont préconisé la mise en œuvre d’une loi imposant un quota pour leur participation à la vie politique, ainsi que la reconnaissance de leur rôle dans l’économie et dans la prévention de l’extrémisme violent.

Il est également impératif qu’elles soient mieux représentées au niveau communautaire.  Les femmes chefs religieux que nous avons rencontrées au Tchad sont une voix très puissante contre l’inégalité entre les sexes et contre les attaques commises contre les droits des femmes, qui sont une composante essentielle de la stratégie et de l’identité des groupes terroristes.  En enseignant le Coran, elles envoient le message selon lequel le Coran et l’islam concernent aussi bien les femmes que les hommes et selon lequel l’islam est une religion de paix.

Les femmes veulent également participer davantage à l’économie.  Dans la région de Bol, dans le bassin du lac Tchad, nous avons vu les rôles multiples que les femmes pêcheurs jouaient dans le maintien des moyens de subsistance en l’absence des hommes qui ont été tués et dans le renforcement de la résilience des communautés, face à la dégradation de l’environnement et à l’insécurité causée par l’insurrection de Boko Haram.  Ces modèles, s’ils sont reproduits à plus grande échelle, ont le potentiel de générer des dividendes économiques pour le pays.  Nous avons rappelé aux dirigeants que l’inclusion n’est pas une question qui concerne les femmes; il s’agit plutôt d’une question qui concerne l’ensemble de la société.

Troisièmement, il est évident qu’il faut empêcher les pays en situation de fragilité aujourd’hui de devenir des États déliquescents demain.  Le Tchad et le Niger font face à des problèmes dont ils ne sont en grande partie pas responsables, notamment l’insécurité née à l’extérieur de leurs frontières et les changements climatiques, qui ne respectent aucune frontière.  Malgré leurs propres difficultés, ils figurent parmi les pays les plus généreux au monde en ce qui concerne l’accueil des réfugiés.  Mais les conséquences sur leurs économies et leurs aspirations en matière de développement sont sérieuses.  Le Président du Niger, par exemple, nous a présenté son plan de renouveau, élaboré pour répondre aux besoins fondamentaux de la population du pays, mais l’exécution en est entravée par la chute des prix de l’uranium et du pétrole et par les dépenses liées à la sécurité.  La sécurité a donc un prix; et trop souvent, elle est assurée au détriment du développement.

Dans ce contexte, il est essentiel que nous fassions tous un pas en avant, c’est-à-dire que nous augmentions d’urgence notre appui budgétaire au développement dans ces pays et dans d’autres pays fragiles.  C’est une question, d’abord et avant tout, de dignité humaine.  Mais c’est également une question de paix et de sécurité.

L’investissement dans le développement doit être porteur de changement: il doit appuyer des projets à plus grande échelle et intégrés, tels que ceux que nous avons vus au Niger lorsque nous avons pris connaissance du programme des Nations Unies pour la santé, la nutrition, l’agriculture, l’eau et l’assainissement, ainsi que l’autonomisation des femmes, en tenant compte du contexte des changements climatiques.  Je suis convaincue que les réformes que nous menons au sein de l’Organisation des Nations Unies fourniront l’espace nécessaire pour mener à plus grande échelle les interventions de ce type.

Avec les conflits d’aujourd’hui, qui sont plus nombreux et complexes, il importe plus que jamais de trouver la voie qui mène à la consolidation de la paix et au développement durable pour tous.  Dans les trois pays où nous nous sommes rendus, il est évident que les femmes peuvent être les agents d’une approche nouvelle et nécessaire - d’une nouvelle conception, d’un nouveau paradigme.

Au cours de notre visite, nous avons senti un besoin de plus en plus urgent de mettre en œuvre les politiques, cadres et programmes que nous avons élaborés.  Depuis 18 ans, le Conseil de sécurité examine le point de l’ordre du jour sur les femmes et la paix et la sécurité dans ses débats thématiques annuels.  Une fois par an, nous affirmons que l’égalité des sexes est le fondement de la stabilité et de la paix.  Mais nous avons rarement été au-delà des principes.  Nous pensons que l’heure est à présent venue de passer des cadres à l’action.  Investir dans la paix maintenant, dans cette région, apportera des dividendes mondiaux durables pour tous.

Avec la résolution 1325 (2000) et les sept résolutions qui s’appuient sur elle, nous disposons des engagements nécessaires.  Nous disposons d’instruments tels qu’une Stratégie intégrée réajustée des Nations Unies pour le Sahel.  Nous devons désormais donner vie à ces instruments et à ces engagements, tout en encourageant une meilleure harmonisation entre le Plan des Nations Unies d’appui au Sahel, le Programme de développement durable à l’horizon 2030, l’Agenda 2063 et, plus important encore, les programmes nationaux.

Le coût de l’inaction est élevé.  La pauvreté, la faiblesse des instituions et l’inégalité entre les sexes, y compris des pratiques odieuses comme les mariages d’enfants, créent un terreau fertile pour l’extrémisme.  Je remercie encore une fois les membres du Conseil d’appuyer ces missions conjointes qui, je crois, aident beaucoup à promouvoir l’action du Conseil.  Nous nous réjouissons à la perspective d’œuvrer de concert pour tirer dûment les enseignements qui permettront à tous de vivre en paix, en sécurité et dans l’égalité.

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