Instance permanente: les autochtones dénoncent haut et fort la spoliation de leurs terres
Les conflits, l’industrie minière, les grands projets d’infrastructure, l’exploitation commerciale des forêts, les pressions démographiques et socioéconomiques. Voilà les obstacles à l’exercice par les peuples autochtones de leurs droits collectifs sur leurs terres, leurs territoires et leurs ressources. L’Instance permanente sur les questions autochtones a poursuivi aujourd’hui son débat sur ce thème central au cours duquel les participants ont dénoncé la multiplication des « manœuvres » pour déposséder leurs communautés.
Quelles bonnes nouvelles ont été annoncées: l’Australie et la Fédération de Russie ont dit s’être dotées d’une base solide pour que les communautés autochtones puissent exercer leurs droits sur leurs ressources. Le Ministre bolivien des affaires étrangères s’est félicité de ce que, chez lui, de plus en plus d’autochtones reçoivent des titres de propriété, dont un pourcentage notable de femmes détentrices de titres fonciers individuels. Le Premier Ministre du territoire de Nunavut, a rappelé la signature, il y a 25 ans, de l’Accord avec le Gouvernement canadien, y voyant là un exemple positif du principe d’autodétermination.
« Il est possible de parvenir à des accords avec les communautés autochtones, sans discrimination et sans obstacle à leur consentement libre et éclairé », a affirmé le Mexique, au nom des « Amis des peuples autochtones ».
Des mises en garde ont tout de même été lancées contre la multiplication des « manœuvres » pour déposséder les peuples autochtones de leurs ressources. Ont été dénoncés le mépris du droit coutumier, la confiscation de vastes étendues de terre par l’agro-industrie, les invocations fallacieuses de la protection de l’environnement et la militarisation des territoires autochtones.
Aussi, l’importance primordiale d’obtenir le consentement libre et éclairé des peuples autochtones a été soulignée à plusieurs reprises, notamment par le Parlement sami de Finlande qui a averti que l’augmentation, ces dernières années, des investissements dans l’exploitation des ressources naturelles dans l’Arctique risque de déboucher sur des conflits avec les communautés autochtones. Ce parlement autochtone a d’ailleurs appelé l’Instance permanente à contribuer à la recherche d’une solution négociée au différend qui l’oppose au Ministère finlandais des transports et de la communication qui a lancé une étude sur le tracé d’un chemin de fer, sans tenir compte des préoccupations des communautés autochtones qui y vivent.
Le Président du Mécanisme d’experts sur les droits des peuples autochtones a prévenu que l’absence de protection des terres autochtones est étroitement liée aux menaces à la paix et la stabilité internationales, comme en témoigne la situation en Afrique du Nord et au Sahel où les communautés autochtones qui voient leurs droits niés et leurs moyens de subsistance éliminés deviennent un terreau fertile pour les extrémistes.
Face à autant de défis liés au respect des droits collectifs des autochtones, nombre sont ceux qui, à l’instar de l’Arctic Caucus, ont jugé nécessaire d’établir des mécanismes pour identifier les terres et ressources sur lesquelles les autochtones ont des droits de propriété et d’usufruit. Le Gouvernement territorial autonome de la Nation Wampis, du Pérou, a vanté les mérites de la cartographie moderne qui permet une meilleure conservation des territoires et un meilleur développement socioéconomique.
La question du respect des droits collectifs autochtones sur les ressources est inextricablement liée à celle du développement, a souligné un des membres de l’Instance. M. Jens Dahl s’est insurgé contre les « faux discours » sur les « autochtones attardés » qui ne comprendraient pas la valeur des terres et des ressources et qui seraient de ce fait incapables de les gérer. Ce sont ces positions-là qui servent à justifier l’occupation voire la confiscation des terres, a-t-il averti.
Quand les gens se mettent debout pour protester, ils se font tuer. Selon l’organisation « Première ligne: Fondation internationale pour la protection des défenseurs des droits de l’homme », 312 de ces défenseurs ont été assassinés dans 27 pays en 2017. Beaucoup de participants au débat ont appelé à la création d’un mécanisme de protection.
L’Instance permanente, qui a aussi tenu un débat sur la mise en œuvre du Programme de développement durable à l’horizon 2030 sous l’angle de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, poursuivra ses travaux demain, mercredi 18 avril, à partir de 10 heures.
INSTANCE PERMANENTE SUR LES QUESTIONS AUTOCHTONES
Droits collectifs des peuples autochtones sur leurs terres, leurs territoires et leurs ressources
Une note du Secrétariat (E/C.9/2018/1) fait part des difficultés rencontrées par les peuples autochtones pour exercer leurs droits collectifs sur leurs terres, leurs territoires et leurs ressources. Les obstacles qu’ils doivent surmonter sont notamment liés aux conflits, aux industries extractives, aux projets d’infrastructure et d’aménagement, à l’exploitation des forêts à des fins commerciales et aux pressions démographiques et socioéconomiques.
Lorsqu’ils tentent de faire reconnaître leurs droits collectifs, les peuples autochtones se heurtent souvent à des obstacles juridiques, politiques et administratifs, sans compter la violence, l’intimidation et la corruption. Dans les cas les plus extrêmes, les défenseurs des droits de l’homme des peuples autochtones sont victimes de violations graves des droits de l’homme, voire parfois d’assassinats. Selon l’organisation « Première ligne: Fondation internationale pour la protection des défenseurs des droits de l’homme », 312 de ces défenseurs ont été assassinés dans 27 pays en 2017.
Des mesures positives ont pourtant déjà été prises pour réparer les injustices passées et reconnaître les droits collectifs des peuples autochtones sur leurs terres, comme en Bolivie et en Équateur, mais aussi au Canada où un accord important entre le Gouvernement et les Inuits a donné lieu à la création du Nunavut (« notre terre » en inuktitut, la langue inuit) en 1999. L’Indonésie aussi a connu des avancées, ainsi que la Norvège où une procédure unique a été mise en place pour les revendications déposées, notamment par les Sâmes. La Colombie est également à citer parmi les progressistes et, en Afrique, les peuples autochtones ont obtenu certains succès devant les tribunaux comme au Kenya. Cependant, les décisions de justice, la reconnaissance juridique et les décisions administratives ne suffisent pas en elles-mêmes; elles doivent être appliquées sur le terrain car les droits fonciers des peuples autochtones sont particulièrement menacés lorsque des ressources naturelles précieuses sont découvertes sur leurs territoires, comme avec les mines d’or au Guatemala et aux Philippines, les mines de zinc en Australie, et l’extraction de pétrole au Cameroun et au Tchad.
Ces activités sont souvent menées sous la forme de partenariats public-privé qui influent sur la capacité des États de protéger les droits des peuples autochtones. Cela ne fait que souligner encore plus la nécessité, pour les gouvernements et les entités internationales, de créer des mécanismes consultatifs ouverts à tous, qui mènent à l’adoption d’instruments juridiquement contraignants. Ces mécanismes ne devraient pas seulement garantir la conduite de véritables consultations, fondées sur le principe du consentement préalable, libre et éclairé, mais aussi permettre aux peuples autochtones de bénéficier à parts égales des activités menées sur leurs terres.
Débat
Avant d’entamer le débat, les participants ont entendu M. JENS DAHL, membre de l’Instance, faire le point sur la Réunion du Groupe d’experts internationaux sur le thème « Développement durable dans les territoires des peuples autochtones », qui s’est tenue du 23 au 25 janvier 2018. La réunion, a-t-il dit, a été l’occasion de s’accorder sur les liens étroits entre le contrôle des territoires par les peuples autochtones et leur exercice de tout un éventail d’autres droits. La sécurité foncière, a insisté M. Dahl, est essentielle au respect du droit des communautés autochtones à disposer d’eux-mêmes et à s’administrer. La question de leurs droits sur leurs ressources est inextricablement liée à celle du développement.
Depuis la période coloniale, a-t-il poursuivi, la croissance économique prévaut au détriment de toute autre question, ce qui engendre la discrimination contre certaines pratiques autochtones comme le pastoralisme. Les États continuent de voir les peuples autochtones comme des gens qui ne contribuent en rien au développement, allant même jusqu’à se convaincre que leur mode de vie même entrave le développement. M. Dahl s’est inquiété de la dissociation accentuée, ces dernières années, entre droits de l’homme et développement. Il a vivement dénoncé les « faux discours » sur la forme d’invasion que serait le pastoralisme ou sur les « autochtones attardés » qui ne comprendraient pas la valeur des terres et des ressources et qui seraient de ce fait incapables de les gérer. Ce sont ces positions-là qui servent à justifier l’occupation voire la confiscation des terres, a-t-il averti.
Il s’est aussi alarmé d’un autre phénomène qui veut qu’au nom de la « protection » de l’environnement, l’on prive les communautés autochtones de leurs moyens de subsistance durable. M. Dahl a plutôt vu le souci de vendre les terres à l’industrie agroalimentaire ou aux fonds spéculatifs, grâce à des accords sur les investissements qui n’ont que faire des droits de l’homme.
Face à cette situation, le Groupe d’experts internationaux recommande à l’Instance permanente d’examiner la manière dont les peuples autochtones exercent leur autonomie et les arrangements qu’ils ont pris pour ce faire. Le Groupe engage aussi l’Instance à étudier la possibilité de collaborer avec les mécanismes autochtones afin de renforcer la participation des peuples concernés aux processus de prise de décisions.
Il faut que les États travaillent en partenariat avec les peuples autochtones, s’est impatienté le Grand Chef WILTON LITTLECHILD, Assemblée des Premières Nations du Canada, qui a insisté sur le principe de consentement libre et éclairé. Il a appelé à la fin des pratiques coloniales mais aussi des pratiques juridiques qui cherchent à nier les droits des peuples autochtones. Il faut respecter la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, a-t-il martelé, avant de reconnaître qu’au Canada, les Premières Nations exercent leurs droits. Mais encore faut-il, a-t-il souligné, que les Gouvernements fédérés les respectent. Le consentement doit être la base même des accords car nous avons le droit de décider de « notre propre courbe de développement. Le Grand Chef a dénoncé les centrales hydroélectriques, les déchets nucléaires en territoires autochtones. Il a réclamé du Canada qu’il amende les lois ancrées dans des « doctrines racistes » pour déposséder les peuples autochtones. Le Grand Chef a en revanche salué le projet de loi relatif à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.
Il a indiqué que les autochtones du Canada aident ceux de l’Équateur à combattre Chevron, dont les activités ont eu un impact dévastateur sur l’environnement. Chevron, a accusé le Grand Chef, refuse de verser des dédommagements et a de surcroit engagé des mesures de représailles depuis la décision des tribunaux.
De nombreux États ont profité du débat pour parler des initiatives qu’ils ont prises pour le respect des droits collectifs des peuples autochtones. Ainsi, l’Australie a indiqué que ces droits sont reconnus sur 34% du territoire, tandis que la Fédération de Russie a affirmé s’être dotée d’une base juridique importante en faveur de ces droits, citant le Code foncier qui autorise les autochtones à jouir du fruit de leurs activités et à avoir la priorité sur les ressources qui se trouvent sur leur territoire.
Le Ministre des affaires autochtones du Panama s’est enorgueilli du fait que la législation place son pays à « l’avant-garde » du respect des droits collectifs des peuples autochtones qui peuvent faire appel à des mécanismes pour régler les différends. Au Mexique, ce sont les visites touristiques qui sont encouragées dans les sites autochtones pour offrir des sources de revenus aux communautés. En Bolivie, a enchaîné le Ministre des affaires étrangères, de plus en plus de communautés autochtones reçoivent des titres de propriété, dont un pourcentage notable de femmes est détenteur de titres fonciers individuels. Le Ministre a demandé une déclaration spécifique sur la Terre nourricière.
« Il est possible de parvenir à des accords avec les communautés autochtones, sans discrimination et sans obstacles à leur consentement libre et éclairé », a affirmé le Mexique, cette fois-ci au nom des Amis des peuples autochtones. Le Mexique a dit privilégier le dialogue « direct et constructif » avec les peuples autochtones, dans le respect de leurs cultures, traditions et la cosmovision. L’Accord de Nunavut a changé à jamais la terre du Canada, a acquiescé le Premier Ministre du territoire de Nunavut qui a parlé d’un exemple positif du principe d’autodétermination des peuples autochtones.
Mais, a mis en garde M. ELIFURAHA LALTAIKA, membre de l’Instance, on voit toujours la multiplication des manœuvres pour déposséder les peuples autochtones. Dans de nombreux pays, le droit coutumier est considéré comme résiduel alors qu’il doit être exclusif. Son homologue, M. LES MALEZER, a aussi plaidé auprès des instances judiciaires nationales pour qu’elles appliquent les lois liées au respect des droits des peuples autochtones, tandis qu’une autre experte, Mme TARCILA RIVERA ZEA, a appelé les États à redoubler d’efforts pour permettre à ces peuples de s’opposer à l’agro-industrie qui, a-t-elle accusé, s’accaparent de vastes étendues de terres autochtones. Le consentement libre et éclairé, voilà la clef, a souligné la National Congress of Australia´s First Peoples Ltd.
Manifestement, cette clef n’ouvre pas toutes les portes en Colombie. L’Organización Indigéna de Colombia a relevé le déséquilibre important entre l’examen des demandes de reconnaissance des droits territoriaux et les titres miniers octroyés. L’application de la loi 1767 sur les zones d’intérêts pour le développement économique continue, a-t-elle ajouté, à mettre en danger les terres ancestrales en Amazonie. Elle a aussi parlé d’une autre loi qui accorde une zone de protection forestière à de grandes industries, en violation des accords de paix.
Une situation similaire a été décrite par la Nacionalidad Sapara de Ecuador où les Saparas voient les activités extractives « torturer » la spiritualité des forêts et des êtres vivants, alors que les forêts pourraient être utilisées pour surmonter la crise écologique actuelle. Abondant dans ce sens, le Parlement sámi en Finlande a averti que l’augmentation, ces dernières années, des investissements dans l’exploitation des ressources naturelles en Arctique risque de déboucher sur des conflits avec les communautés autochtones. En juin 2017, le Ministère finlandais des transports et de la communication a lancé une étude sur le tracé d’un chemin de fer en Arctique, sans tenir compte des préoccupations des communautés autochtones et sans le consentement libre et éclairé du Parlement sámi qui d’ailleurs s’oppose au projet. L’orateur a appelé l’Instance à contribuer à la recherche d’une solution négociée à ce différend. Il est temps, a jugé l’Arctic Caucus, que les États établissent des mécanismes pour d’identifier les terres et ressources sur lesquelles les autochtones ont des droits de propriété et d’usufruit. La vie des communautés de l’Arctique a été racontée par l’Association des peuples autochtones du Nord, de la Sibérie et de l’extrême-Orient – RAIPON, en particulier celle de la Russie qui représente un tiers de l’élevage de rennes au monde, avec 700 000 têtes de bétail.
L’absence de protection des terres est étroitement liée aux menaces à la paix et à la stabilité internationales, a commenté à son tour le Président du Mécanisme d’experts sur les droits des peuples autochtones, citant notamment la situation en Afrique du Nord et au Sahel. Lorsque les droits des communautés autochtones sont niés et leurs moyens de subsistance éliminés, elles deviennent un terreau fertile pour les extrémistes, a-t-il mis en garde, insistant sur l’importance de privilégier une approche autochtone du développement durable.
« Comment parler de développement durable lorsque les peuples autochtones sont réduits au silence ou traités comme des criminels »? s’est demandé l’Asia Indigenous Peoples Pact. Alarmé par le fait qu’aux Philippines, la Rapporteuse spéciale sur les droits des peuples autochtones est considérée comme une « terroriste », l’organisation a exigé un mécanisme de protection effective des défenseurs autochtones des droits de l’homme. Si les Philippines n’ont rien dit aujourd’hui, les États-Unis ont fait part de leur désaccord avec les conclusions de la Rapporteuse spéciale. Nous dialoguons régulièrement, ont-ils assuré, avec les tribus autochtones sur l’exploitation de leurs ressources naturelles. Cela n’a pas empêché Mme AMINATU GAMBO de l’Instance internationale des femmes autochtones de partager ses craintes quant à l’intégrité physique des défenseuses des droits des femmes autochtones, signalant qu’elles sont nombreuses à avoir été assassinées, principalement en Amérique latine et en Asie, avant de se faire voler leurs terres. Le Forum a appelé à des mesures pour garantir leur sécurité et favoriser l’autonomisation économique des femmes autochtones dans leur ensemble.
Dans le même esprit, un autre membre de l’Instance, Mme LOURDES TIBAN GUALA, a parlé de l’assassinat, la semaine dernière, de trois journalistes en Équateur, un pays qui traverse une période difficile affectant aussi les communautés autochtones. Elle a appelé à garantir la non-militarisation des terres et territoires autochtones, exhortant par ailleurs les gouvernements à dénoncer les crimes dont sont victimes les peuples autochtones pour mieux les spolier.
L’Union européenne a fait valoir son mécanisme de protection des défenseurs des droits de l’homme. La Banque mondiale a attiré l’attention sur la conférence sur la terre et la pauvreté qu’elle organise depuis 19 ans maintenant. Elle a assuré favoriser des approches intégrées sur les terres, territoires et ressources des peuples autochtones et a annoncé qu’un nouveau cadre, tentant compte du principe de consentement libre et éclairé, sera prochainement appliqué à tous les nouveaux projets de la Banque mondiale. Peut-on en savoir plus sur vos nouvelles normes environnementales? a demandé M. GERVAIS NZOA, membre de l’Instance. Il a aussi voulu en savoir sur le dialogue de la Banque mondiale avec les communautés autochtones, exigeant des exemples pratiques dans la région du bassin du Congo.
À propos de l’Afrique, le Groupe de travail de l’Union africaine sur les peoples autochtones d’Afrique a parlé des avancées positives dont la décision récente de la Cour suprême du Botswana sur les droits collectifs. Soucieux de voir les décisions juridiques effectivement appliquées, il a voulu sensibiliser les gouvernements africains et jugé que la Banque africaine de développement (BAD) doit mieux appréhender les enjeux auxquels font face les communautés autochtones. La Banque mondiale doit pour sa part mettre en œuvre les processus de garanties de manière unifiée dans le monde entier, et pas uniquement en Afrique. L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a parlé de ses nouvelles directives sur la pisciculture à petite échelle et du travail qu’elle fait depuis 2015 sur les systèmes alimentaires autochtones. La FAO a aussi organisé une réunion ministérielle sur le rôle des femmes autochtones. Les questions étant vastes, El Salvador, au nom de la Communauté d’Amérique latine et des Caraïbes, a demandé à l’ONU de se soucier davantage de la participation des peuples autochtones à ses réunions.
Comment mettre la technologie moderne de la cartographie au service des communautés autochtones? C’est la question à laquelle s’est efforcé de répondre le Gouvernement territorial autonome de la Nation Wampis du Pérou. Il a indiqué qu’au Pérou, l’établissement des cartes sur les communautés autochtones a commencé dans les années 60, pour délimiter les territoires et faciliter les revendications sur les titres de propriété. Les cartes, qui localisent les terres cultivables, les chemins historiques ou encore les chutes d’eau, permettent aussi d’identifier les zones « sacrées ». À ce jour, un million d’hectares ont été recensé dans les cartes qui ont facilité les accords entre la Nations Wampis et le Gouvernement péruvien. La cartographie permet une meilleure conservation du territoire et un meilleur développement socioéconomique de la Nation Wampis. Les multinationales les utilisent à profusion et il est temps que les communautés autochtones fassent de même pour assurer l’utilisation la plus appropriée des terres et partager ce savoir avec les plus jeunes.
En effet, pour les peuples autochtones, la revendication des droits collectifs traduit surtout leur attachement à leur spiritualité et à leur culture, a expliqué l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Dans le système juridique moderne, il est vrai que la différenciation entre droits collectifs et droits individuels ajoute à la complexité de la question autochtone. Il est donc essentiel de s’éloigner de la notion de « productivité » quand on parle des droits collectifs et il faudra pour cela de la volonté politique, des législations progressistes et un véritablement effort d’harmonisation des lois. Le système de « pluralisme juridique » mis en place au Bangladesh a été expliqué par le Chef du Cercle Chakma et membre de la Commission de résolution du litige foncier de Chittagong Hill Tracts. Après l’Accord de Chittagong Hill Tracts signé en 1971, lorsque le Bangladesh a obtenu son indépendance du Pakistan, les terres du sud-est du Bangladesh ont continué d’être gérées par un conseil régional et trois conseils au niveau du district, dont l’un est constitué de chefs coutumiers qui sont habilités à formaliser les titres fonciers. Mais le Gouvernement du Bangladesh a ignoré cette procédure dans les années 70, lorsqu’il a octroyé des terres à des « colons » bangladais et des exploitants agricoles. Aujourd’hui, les districts sont dans l’incapacité de reprendre les terres spoliées.
Il faut vraiment, a insisté M. Jens Dahl, membre de l’Instance, trouver les moyens de gommer la différenciation entre droits collectifs et droits individuels pour éviter les confusions entre domaines publics et terres collectives autochtones. En Nouvelle-Zélande, a dit Te Puni Kokiri, le Gouvernement s’emploie toujours à trouver des terrains d’entente avec les Maoris. Au Nicaragua, le rétablissement des droits collectifs avance. Depuis 1987, les autorités reconnaissent le caractère multiethnique et multiculturel du pays et les peuples autochtones ont tout le loisir de jouir de leurs ressources naturelles, de leur culture et de leurs coutumes. Au Botswana, les communautés autochtones sont sensibilisées à leurs droits fonciers.
Ce n’est apparemment pas le cas aux États-Unis puisque la Nation de Hawaï a appelé aujourd’hui ces derniers à « assumer leurs responsabilité », à restituer les terres et accepter l’autonomie des autochtones. La situation semble tout aussi frustrante du côté des peuples autochtones philippins qui continuent de lutter contre les effets dévastateurs des activités minières et contre un Gouvernement qui, avec ses grands travaux d’infrastructures, va provoquer le départ de 100 000 personnes dans plus de 106 villages. Des couvre-feux sont imposés dans certaines provinces et les populations sont muselées, malgré la Constitution qui reconnaît les droits des peuples autochtones. L’oratrice a exigé la fin de la « tyrannie » et des négociations « pour en finir avec les conflits qui rongent notre nation ». L’Afrique du Sud a dénoncé le fait que les problèmes causés par les multinationales ne soient pas évoqués dans les rapports de l’Instance permanente. « C’est une question de crédibilité », a-t-elle martelé. La raison en est, s’est expliqué M. LES MALEZER, membre de l’instance, qu’il est impossible de reprendre toutes les remarques et toutes les observations dans le détail. Aujourd’hui, ce sont plutôt les changements climatiques qui représentent la plus grande menace, a commenté le Conseil sâme. « La terre n’est pas une marchandise, c’est notre mère », a voulu souligner la Communauté Madré. Une ONG égyptienne a parlé du droit au retour, celui des Nubiens, peuple autochtone d’Égypte qui a été reconnu pour la première fois en 2013 dans la Constitution mais depuis lors « rien n’a été fait ». La Colombie a tenu à apporter « un message de paix et de réconciliation », affirmant qu’elle privilégie les liens et les dialogues directs avec les communautés autochtones.
Programme de développement durable à l’horizon 2030
Les peuples autochtones sont cités cinq fois dans le Programme 2030 qui dit entre autres, « Nous encourageons également les États Membres à procéder à des examens réguliers et sans exclusive, dirigés et contrôlés par le pays, des progrès accomplis aux niveaux national et infranational. De tels examens devraient tirer parti des contributions des peuples autochtones, de la société civile, du secteur privé et d’autres parties prenantes, en fonction de la situation, des politiques et des priorités nationales. Les parlements nationaux ainsi que d’autres institutions peuvent aussi y contribuer. »
Débat
Mme HELENA DEL CARMEN YANEZ LOZA (Équateur) a souligné le rôle que peuvent jouer les peuples autochtones dans la mise en œuvre du Programme 2030. L’un des sujets de réflexion doit être la gestion et la consommation de l’eau. Sans eau de qualité et en quantité suffisante, nous ne pourrons pas réaliser les objectifs de développement durable. Le Conseil mondial de l’eau dit en effet que les maladies liées à l’eau provoquent chaque année trois millions de morts et un manque à gagner de près de 1% du PIB mondial. Il faut donc des politiques fortes et ambitieuses pour démocratiser l’accès à l’eau, car ceux qui contrôlent l’eau, contrôlent la vie. Elle s’est dite prête à partager les pratiques concluantes fondées sur le principe de l’équité.
Mme MARION BARTHELEMY, Directrice du Bureau d'appui au Conseil économique et social (ECOSOC), a évoqué le Forum politique de haut niveau, principale plateforme des Nations Unies pour le suivi des objectifs de développement durable, qui va se réunir en juillet prochain et a mis en exergue la place des peuples autochtones. Le Programme 2030, s’est-elle expliquée, est universel. Ses objectifs et cibles sont très ambitieux et le rôle des peuples autochtones y est reconnu. Le Programme souligne en effet que ses premiers bénéficiaires doivent être les groupes vulnérables et les peuples autochtones. C’est un aspect « révolutionnaire », s’est-elle réjouie.
Mme JOAN CARLING, Fondation Tebtebba, a pressé les États de se soumettre à l’examen volontaire du Forum de haut niveau de l’ECOSOC et à inscrire les droits des peuples autochtones dans les plans nationaux de développement. Elle a cité la Colombie qui a dûment reconnu ces droits dans son plan de mise en œuvre du Programme 2030 et les efforts similaires du Canada.
Ensemble, nous souhaitons vivre dans un monde de paix où personne n’est laissé sur le bord de la route dans ce voyage vers le développement, a justement déclaré le Canada. Les opportunité et défis du développement durable doivent nous encourager à penser et agir de manière différente, et les peuples autochtones sont des partenaires cruciaux dans cet effort. Ces peuples sont notre priorité, a affirmé la Fédération de Russie qui en a voulu pour preuve les quelque 20 lois fédérales et les efforts consentis pour la préservation de l’héritage linguistique et culturel. Le Groupe des États d’Amérique latine et des Caraïbes s’est aussi réjoui qu’après un processus participatif entre États et peuples autochtones, un plan d’action a été adopté, en lien direct avec le Programme 2030. Les pays nordiques ont également confirmé leur détermination à mettre en place des mécanismes pour la participation effective des peuples autochtones à la réalisation des objectifs de développement durable.
Les objectifs de développement durable, ont renchéri les Peuples de Sibérie, offrent de grandes possibilités mais il faut des objectifs spécifiques pour la région de l’Arctique. La Banque mondiale a insisté sur ses efforts pour renforcer la participation des peuples autochtones à sa prise de décisions. Elle a été exhortée par Mme TARCILA RIVERA ZEA, membre de l’Instance, à faire en sorte que ses investissements prennent en compte les droits fondamentaux des peuples autochtones. Défendre ces droits ne se résume pas seulement à des consultations, a rappelé M. BRIAN KEAN, Rapporteur de l’Instance. Il faut créer un espace pour que les peuples autochtones participent effectivement à la prise des décisions. « Il faut qu’ils aient voix au chapitre ». Il a parlé de l’expression « maintes fois galvaudée ici »: ne laisser personne de côté mais, pour ce faire, a-t-il martelé, il faut s’assurer du consentement libre et éclairé des peuples autochtones et renoncer à financer des projets qui ont un impact négatif sur leur vie. M. Kean a dénoncé l’attribution des titres de propriété individuelle au risque de compromettre la cohésion des droits collectifs. La Banque mondiale, a-t-il ajouté, doit « revoir plusieurs fois sa copie » chaque fois qu’elle examine un projet d’investissement. Nous refusons d’être exclus, a prévenu International Indian Treaty Council (IITC), dénonçant une pauvreté endémique parmi les peuples autochtones.