L’ECOSOC examine les questions des ressources publiques et privées et l’impact de la dette sur le financement du développement durable
En ce troisième jour du Forum sur le financement du développement, le Conseil économique et social (ECOSOC) a tenu trois tables rondes pour examiner le rôle des ressources publiques nationales et internationales, ainsi que celui des entreprises et du financement privé pour appuyer le développement durable, avant de se pencher sur le problème de la dette et les questions systémiques.
Au préalable, des experts ont également discuté des moyens d’améliorer le rapport du Groupe de réflexion interinstitutions sur le financement du développement.
Sur la question de la dette, les participants au Forum ont relevé que bien que l’emprunt, tant par les gouvernements que par les entités privées, est un outil important pour le financement des investissements en faveur du développement durable, un endettement trop élevé peut entraver la croissance. D’où la nécessité, non seulement pour les gouvernements d’avoir un niveau de dette soutenable, mais aussi pour la communauté internationale d’établir des mécanismes de restructuration de la dette souveraine pour que les ressources publiques servent au développement.
Plusieurs intervenants ont également plaidé pour que les pays en développement élargissent leurs ressources nationales, notamment en renforçant leurs capacités fiscales.
Mais pour la Commissaire générale de l’Autorité pour le revenu du Liberia, Mme Elfrieda Steward Tamba, la véritable question est de veiller à ce que les ressources nationales et internationales se complètent mieux. Elle a notamment préconisé l’élaboration de cadres de coordination et de fonds mixtes pour financer certains projets, appelant en outre à mettre en place un pacte social pour lutter contre les flux illicites et la corruption pour optimiser les retombées de l’aide publique au développement (APD).
Lui emboitant le pas, le Directeur de la Direction de la coopération pour le développement de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), M. Jorge Moreira Da Silva, a dit rester convaincu du rôle de catalyseur que joue l’APD dans le financement du développement, jugeant nécessaire de lancer plus de mesures d’encouragement pour que les investissements privés soient mieux canalisés vers l’atteinte des objectifs de développement durable.
Le secteur privé était aussi interpelé dans le cadre d’une table ronde consacrée aux « Entreprises et financements privés, aux niveaux national et international ». Ce fut l’occasion d’entendre le Directeur général et Chef du volet Responsabilité sociale des entreprises et finances durables à BNP Paribas pour les Amériques, M. Hervé Duteil, décrire comment son entreprise a cartographié ses investissements en intégrant les 17 objectifs de développement durable.
Ainsi, 15% des prêts octroyés par la banque aux entreprises sont orientés vers les objectifs de développement durable, et BNP Paribas a également créé une « obligation durable » avec la Banque mondiale qui permet aux investisseurs de financer des projets sociaux pour lesquels le risque est minimisé par l’implication de ces deux partenaires majeurs. « Ce qu’il faut maintenant faire, a préconisé M. Duteil, c’est de passer des investissements responsables aux investissements d’impact ».
Un représentant de la société civile s’est toutefois inquiété de cet engouement pour les financements privés, constatant que les partenariats public-privé sont parfois porteurs de corruption et de clauses cachées qui ne sont pas toujours favorables à l’intérêt public. Les représentants de l’Algérie et du Bangladesh se sont inquiétés, de leur côté, du fait que l’on cherche à faire du commerce international un levier du développement, faisant observer que ses retombées ne bénéficient pas toujours aux plus démunis.
Cette observation a valu au Directeur général adjoint de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), M. Yonov Frederick Agah, de souligner que bien que le commerce n’offre pas des bénéfices équitables à tous, il demeure néanmoins un facteur crucial pour sortir de la pauvreté.
Pour mettre le commerce au service du développement durable, ce dernier a notamment appelé les États à adopter des politiques adéquates, et à s’abstenir d’imposer des mesures protectionnistes.
Au cours de cette troisième journée de travaux, les délégations ont également entendu le maire de la ville de Belize, M. Darrell Bradley, souligner que les gouvernements locaux peuvent jouer un rôle de premier plan dans le financement et la réalisation des objectifs de développement durable, à condition de mettre en place des politiques robustes de décentralisation et des cadres juridiques plus adaptés. Ce dernier a notamment expliqué que les gouvernements locaux peuvent élargir l’assiette fiscale par des impôts supplémentaires, comme l’impôt sur la propriété et l’alcool, ajoutant que les banques de développement nationales ont un rôle de chef de fil à jouer pour autonomiser les gouvernements locaux.
« Cela exige, de la part des gouvernements nationaux, de donner les moyens aux gouvernements locaux et de les associer à la prise de décisions en matière de politique de développement car ils représentent un véritable potentiel en termes de mobilisation de ressources nationales », a notamment affirmé le maire.
Le Directeur de l’Agence française de développement, M. Philippe Orliange, a d’ailleurs souligné que les banques de développement sont au cœur de la mobilisation des ressources domestiques et des acteurs essentiels pour la réussite des objectifs de développement durable ainsi que des engagements mondiaux pris à la COP 21.
« Le principal rôle d’une banque de développement est de prendre des risques que les banques commerciales ne prendraient pas, ce qui en fait des acteurs à long terme qui n’attendent une rentabilité immédiate », a-t-il notamment fait observer.
Le Forum poursuivra ses travaux demain, jeudi 25 mai, à partir de 9 h 30 par la tenue de la table ronde D, la dernière de la série.
SUIVI ET EXAMEN DES RÉSULTATS DU FINANCEMENT DU DÉVELOPPEMENT ET DES MOYENS DE RÉALISER LE PROGRAMME DE DÉVELOPPEMENT DURABLE À L’HORIZON 2030: TABLES RONDES THÉMATIQUES, RÉUNIONS-DÉBATS ET DIALOGUES (E/FFDF/2017/2)
Table ronde sur le rapport du Groupe de réflexion interinstitutions sur le financement du développement de 2017
Le Directeur du Bureau du financement du développement au Département des affaires économiques et sociales (DAES), M. ALEXANDER TREPELKOV, a fait une brève présentation du premier rapport de l’Équipe spéciale interorganisations chargée du « suivi et de l’examen des décisions touchant au financement du développement et des moyens de mise en œuvre du Programme de développement durable à l’horizon 2030 ». Il s’exprimait en lieu et place du Secrétaire général adjoint aux affaires économiques et sociales, M. WU HONGBO.
M. Trepelkov a expliqué que ce segment réunissant des experts permettrait de traiter des sujets nouveaux et émergents et de définir de nouvelles perspectives pour le prochain rapport qui sera publié l’année prochaine.
Lui emboitant le pas, l’animatrice de la table ronde, Mme SHARI SPIEGEL, Chef de la Division de l’analyse et du développement des politiques du Bureau financement du développement au DAES, a rappelé que ce rapport fait notamment le constat que la morosité de l’économie mondiale ne laisse pas présager que les objectifs de développement durable seront réalisés à l’échéance 2030. Le rapport souligne également que le Programme d’action d’Addis-Abeba contient des mesures et recommandations qui peuvent permettre de trouver les fonds nécessaires pour financer le développement.
M. YONOV FREDERICK AGAH, Directeur général adjoint de l’Organisation mondiale du commerce(OMC), a indiqué que le rapport fait mention du rôle majeur que peut jouer le commerce dans l’optique de la croissance économique, et partant du développement durable. Pour y parvenir, a-t-il préconisé, il faudrait que les États adoptent des politiques adéquates, tout en se gardant de pratiquer le protectionnisme qui constitue un frein aux échanges. Il a également plaidé pour un système commercial multilatéral fort, dont la cohérence serait assurée par l’OMC.
M. Agah a déclaré que les technologies et l’innovation sont des éléments qui peuvent renforcer l’impact du commerce. Les nouvelles technologies, à commencer par l’innovation que constitue le commerce en ligne, ont en effet changé la manière dont se font les échanges commerciaux. Il a aussi précisé que, contrairement aux idées reçues, le commerce n’est pas à l’origine des pertes d’emplois, ce sont plutôt les innovations technologiques qui sont à blâmer. Pour régler ce problème, a-t-il indiqué, des mesures strictement commerciales ne suffisent pas, il faudrait également les accompagner de décisions touchant une variété de domaines.
Le Directeur général adjoint de l’OMC a par ailleurs souhaité qu’au lieu d’insister sur ce qui ne marche pas, le prochain rapport devrait se focaliser davantage sur les meilleures pratiques afin d’inspirer ceux qui ont échoué.
M. SIDDARTH TIWARI, Directeur du Département de la stratégie politique et de l’évaluation du Fonds monétaire international (FMI), a relevé qu’après la crise économique mondiale de 2008, les investissements ont diminué dans les pays en développement, alors que les infrastructures sont essentielles pour soutenir la croissance dans de nombreux pays. Dans plus de la moitié des pays les moins avancés (PMA), le produit intérieur brut (PIB) n’a augmenté que de 15% depuis la fin de la crise, ce qui apparaît insuffisant pour les besoins les plus basiques des États, s’est-il inquiété, insistant sur la nécessité d’augmenter les revenus intérieurs. M. Tiwari a aussi signalé que les investissements n’ont pas repris depuis en raison de la baisse de la productivité dans ces pays, laquelle se trouve en berne parce que l’innovation n’est pas à son apogée. Il faut donc développer les capacités nationales, lutter contre la corruption et renforcer la gouvernance afin de relancer les investissements, a-t-il souligné.
Les investissements dans le monde s’étaient ralentis même avant la crise économique de 2008, a ajouté M. RICHARD KOZUL-WRIGHT, Directeur de la Division de la mondialisation et des stratégies de développement de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED). Il a imputé cette situation à l’adoption de mauvaises politiques budgétaires, notamment dans les pays développés. De même, a-t-il indiqué, la financiarisation des stratégies de développement des entreprises fait que ces dernières sont davantage orientées sur des revenus à court terme que sur des investissements susceptibles de produire des retombées sur le long terme. Les niveaux élevés de la dette souveraine des pays a également contribué au recul des investissements. Le panéliste a aussi critiqué le « paradoxe de la mondialisation » qui veut que les investissements baissent alors même que les profits des entreprises augmentent, estimant que cette approche constitue un obstacle systémique. M. Kozul-Wright a invité les États à élargir leurs recettes fiscales afin de relancer les investissements et à mettre en place des mesures ambitieuses pour résoudre les problèmes inhérents à la dette souveraine. « Il faut faire preuve d’ambition pour atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés », a-t-il lancé.
En plus de ce recul des investissements dont tout le monde parle, le rapport note également une augmentation de la pauvreté dans le monde, et donc des laissés pour compte, a déploré M. PEDRO CONCEICAO, Directeur du Bureau des politiques et de l’appui aux programmes du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD). Il a salué le fait que les objectifs de développement durable sont en train d’être mis en œuvre dans de nombreux pays, mais a néanmoins jugé nécessaire d’adapter les politiques nationales aux exigences du Programme de développement durable tout en tenant compte des spécificités nationales. Il a souligné que les technologies pourraient constituer un levier pour le développement durable, à condition qu’elles soient orientées à cet effet. Sinon, a-t-il avertit, elles deviendraient un obstacle au développement comme on peut le noter avec les pertes d’emplois causées par la montée des technologies relatives à l’intelligence artificielle.
M. DAVID KUIJPER, Conseiller sur le financement du développement au Groupe de la Banque mondiale, a, de son côté, dit espérer que dans les années à venir, le type de processus conjoint, qui a débouché sur le rapport du Groupe de réflexion interinstitutions, sera toujours de mise. Il a souhaité que l’aide au développement (APD) soit utilisée à bon escient pour la cause du développement. Mais, a-t-il tempéré, l’APD seule ne suffit plus. Il faut également changer les politiques nationales qui constituent un frein au développement. Il a notamment appelé à l’adoption de politiques favorisant la parité des sexes. « De nombreux pays perdent entre 5 à 13% de leur PIB parce qu’ils n’ont pas mis en place des politiques favorables à l’implication des femmes dans l’économie », a—t-il regretté.
Débat interactif
À l’issue de ces présentations, les représentants de l’Algérie et du Bangladesh se sont inquiétés de la place que l’on veut réserver au commerce international pour en faire un levier du développement, faisant observer que ses retombées ne bénéficient pas toujours aux plus démunis.
S’il a reconnu que le commerce ne peut jamais offrir les bénéfices équitables à tous, le Directeur général adjoint de l’OMC a toutefois estimé qu’il demeure néanmoins un facteur crucial pour sortir de la pauvreté.
De son côté, le représentant de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a souscrit à la recommandation du rapport qui prescrit d’augmenter les taxes sur le tabac pour financer le secteur de la santé. La hausse de ces taxes se heurte néanmoins à la résistance de l’industrie du tabac qui estime qu’une telle mesure conduirait au regain des activités de contrebande, a-t-il toutefois signalé.
Le délégué de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a salué la pertinence du rapport, souhaitant toutefois que les prochaines éditions accordent une plus grande importance à la question des nouvelles technologies.
L’Union européenne (UE) s’est pour sa part préoccupée du fait que le prochain rapport, qui sortira probablement avant le Forum de l’ECOSOC qui est prévu en avril 2018, ne contiendra pas les données actualisées de l’OCDE qui sont généralement disponibles en avril de chaque année.
Table ronde thématique A sur le thème « Ressources publiques nationales et internationales » (Domaines d’action A et C du Programme d’action d’Addis-Abeba)
Pour cadrer la discussion, Mme MONIQUE VLEDDER de Global Financing Facility, qui animait cette séance, a encouragé les intervenants à mettre l’accent sur l’égalité hommes-femmes et la fiscalité. Pour elle, il ne fait pas de doute que les systèmes fiscaux régressifs et en particulier les taxes à la consommation sont souvent un fardeau supplémentaire pour les femmes. Elle a également soulevé la question de la finance inclusive, au-delà de la microfinance, comme moyen de lever les obstacles à la pleine participation des femmes aux économies nationales et internationales.
Le premier intervenant, M. DARRELL BRADLEY, qui est maire de la ville de Belize, a fait un vibrant plaidoyer en faveur du rôle des gouvernements locaux dans le financement du développement, tant au niveau de la mobilisation des ressources que de la mise en œuvre des objectifs de développement durable. Il a parlé de l’initiative qu’il a lancée dans sa ville pour encourager l’activité économique, expliquant notamment que pour permettre aux gouvernements locaux de pleinement jouer leur rôle de levier du développement durable, ils doivent pouvoir compter sur une décentralisation plus grande et des cadres juridiques plus adaptés. Les gouvernements locaux peuvent élargir l’assiette fiscale par des impôts supplémentaires, comme l’impôt sur la propriété et l’alcool, mais ils restent souvent confrontés à un déficit de financement à combler pour financer, notamment, des projets d’infrastructure.
M. Bradley a indiqué que dans le cas de Belize, il a réussi à obtenir des ressources publiques nationales et internationales. Cela exige, de la part des gouvernements nationaux, de donner les moyens aux gouvernements locaux et de les associer à la prise de décision en matière de politique de développement car ils représentent un véritable potentiel en termes de mobilisation de ressources nationales. À cet égard, il a appelé les banques de développement nationales à jouer un rôle de chef de fil pour autonomiser les gouvernements locaux. Le maire a également plaidé pour l’inclusion de ces derniers dans les plans d’action nationaux, soulignant notamment que cela contribuerait à accroître l’efficacité des systèmes fiscaux et la lutte contre la corruption moyennant une meilleure gouvernance et une action de proximité.
Les gouvernements locaux peuvent jouer un rôle de premier plan dans le financement et la réalisation des objectifs de développement durable s’il existe des politiques robustes de décentralisation, a notamment affirmé le maire de Belize. Ces politiques, a-t-il ajouté, sont mises en œuvre au niveau local et, par conséquent, les gouvernements locaux doivent opérer sur des principes de transparence et de reddition de comptes. Il faut en outre qu’ils soient représentatifs du peuple parce qu’ils sont très proches des populations locales.
Le représentant du Comité directeur pour le financement du développement de Citigroup a partagé l’avis du maire de Belize selon lequel les villes sont au cœur des objectifs de développement durable et que, par conséquent, il faut que les gouvernements locaux soient étroitement associés aux programmes de développement. Pour encourager la mobilisation des ressources privées, il a invité les donateurs institutionnels à atténuer les risques en amont pour permettre aux acteurs privés d’investir dans des projets bien structurés et respectueux des pratiques internationales.
Lui succédant, Mme ELFRIEDA STEWARD TAMBA, Commissaire générale de l’Autorité pour le revenu du Libéria, qui est à la tête d’une initiative sur la réforme des autorités fiscales au Libéria, a rappelé que 65% des personnes vivant dans la pauvreté extrême se trouvent en Afrique, notamment au Libéria dont 68% de la population travaille dans le secteur informel et dont l’économie est en chute depuis 2014 à cause de l’épidémie de maladie à virus Ebola. Même si le pays vit aujourd’hui une légère reprise économique, depuis l’épidémie, le Libéria dispose de moins de ressources externes mais a réussi à mobiliser davantage de ressources publiques internes.
Mme Tamba a expliqué que les politiques publiques de financement à l’échelle locale dépendent désormais des allocations du Fonds de développement social et des taxes municipales, alors qu’au niveau national, elles misent sur l’impôt sur le revenu et sur la propriété ainsi que sur les services. Le Gouvernement a également obtenu un don de 238 millions de dollars et des prêts à hauteur de 191 millions de dollars.
Pour Mme Tamba la véritable question reste les moyens à trouver pour que les ressources nationales et internationales puissent mieux se compléter. Pour cela elle a notamment préconisé l’élaboration de cadres de coordination et de fonds mixtes pour financer certains projets. Elle a salué le rôle que jouent les banques de développement au Libéria, notamment la Banque mondiale et la Banque africaine de développement pour financer la reconstruction de projets électriques, des aéroports et autres. Pour optimiser les retombées de l’aide publique au développement (APD), il faudrait, selon elle, renforcer les capacités techniques et mettre en place un pacte social pour lutter contre les flux illicites et la corruption. Elle a également réclamé une aide extérieure pour que le pays puisse relever le défi de la transparence et de la bonne gouvernance. S’adressant aux bailleurs de fonds internationaux, elle leur a suggéré de suivre l’exemple des Pays Bas pour ce qui est des exemptions statutaires. Par ailleurs, il est impératif, à ses yeux, que le Libéria se dote d’auditeurs fiscaux.
Se ralliant à son propos, le représentant de la Belgique a précisé que son pays suivait l’exemple des Pays-Bas pour ce qui est des exceptions fiscales pour l’APD, et a encouragé tous les contributeurs à l’APD à en faire de même.
De son côté, le Directeur de l’Agence française de développement, M. PHILIPPE ORLIANGE, a axé son intervention sur ce qu’il a appelé le « troisième pilier du financement du développement », à savoir les banques nationales, régionales et internationale de développement qui représentent, selon lui, un potentiel énorme en termes de ressources à allouer au financement du développement. L’International Development Finance Club (IDFC) regroupe 23 de ces banques qui offrent une réponse originale au défi du financement à long terme du développement durable et de la lutte contre les changements climatiques. Ces banques sont au cœur de la mobilisation des ressources domestiques et financent les gouvernements locaux, a poursuivi M. Orliange, rappelant qu’elles sont aussi engagées dans une série de partenariats internationaux avec d’autres banques.
Ces 23 institutions, a-t-il enchaîné, représentent des avoirs d’un montant de 3 000 milliards de dollars et allouent plus de 630 milliards de dollars annuellement au financement de projets, ainsi que 100 milliards de dollars à la finance verte. Aucune catégorie d’acteurs publics ne peut aujourd’hui se targuer de mobiliser un tel volume de ressources, a affirmé l’intervenant qui a expliqué que l’IDFC partageait les meilleures pratiques, mettait en commun des ressources financières et intellectuelles et que ses objectifs étaient alignés avec ceux du Programme de développement durable à l’horizon 2030, du Programme d’action d’Addis-Abeba et de l’Accord de Paris. M. Oriange a dit voir un véritable alignement entre les feuilles de route individuelles de ces institutions et la feuille de route mondiale. Ces banques de développement, a-t-il souligné, sont un acteur essentiel de la réussite des engagements mondiaux pris à la COP 21 et des objectifs de développement durable. Pour M. Orliange, le principal rôle d’une banque de développement est de prendre des risques que les banques commerciales ne prendraient pas, ce qui en fait des acteurs à long terme qui n’attendent une rentabilité immédiate. Sur la question de la fiscalité régressive sur les revenus, il est d’avis qu’elle nuit au financement des politiques publiques et qu’elle creuse les inégalités et pèse sur la croissance.
M. JORGE MOREIRA DA SILVA, Directeur de la Direction de la coopération pour le développement de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), a indiqué qu’en tant que garant de l’aide publique au développement, l’OCDE a enregistré un record historique, l’an dernier, où l’APD avait atteint 142 milliards de dollars, imputant ce phénomène en grande partie à la crise migratoire. Il a toutefois réitéré l’importance de respecter l’objectif de consacrer 0,7% du PIB des donateurs à l’APD. Il a indiqué que depuis la conférence d’Addis-Abeba, l’OCDE se concentre sur la modernisation de l’APD et la mobilisation des ressources du secteur privé par le biais de nouvelles règles. M. Da Silva a dit rester convaincu du rôle de catalyseur que joue l’APD dans le financement du développement, jugeant nécessaire de lancer plus de mesures d’encouragement pour que les investissements privés soient mieux canalisés vers l’atteinte des objectifs de développement durable.
Le panéliste a également annoncé le concept TOSSD (soutien public total au développement durable) auquel travail l’OCDE pour élaborer un meilleur cadre de suivi et d’évaluation de l’APD, ce qui contribuera, selon lui, à améliorer la transparence et la reddition de comptes dans ce domaine. D’ailleurs, une équipe spéciale internationale sera mise en place dès 2018 dans le cadre de cette initiative. Selon lui, un tel outil contribuera même à mieux utiliser des financements mixtes.
Débat interactif
Dans le cadre de la discussion qui a suivi ces présentations, une représentante du Fonds monétaire international a décrit les missions d’aide bilatérale que propose le FMI pour aider les pays à élargir leur assiette fiscale. Elle a également insisté sur les synergies actuelles avec les autres institutions internationales dans la recherche de solutions innovantes pour la mobilisation des ressources pour le financement du développement.
Revenant sur la question de l’équité fiscale, une représentante de la société civile a estimé qu’il fallait s’assurer que les multinationales payent leurs impôts de manière adéquate. Elle a également préconisé l’élaboration de systèmes fiscaux plus progressifs en vue d’éviter d’avantager les plus riches. Rejoignant la position du représentant de l’OCDE, elle a souligné que les ressources publiques restaient la clef du développement et qu’il importait de lutter contre la corruption dans ce domaine. Pour cela, il faut envisager un renforcement des capacités de l’administration fiscale et lutter contre les écarts possibles de la fiscalité internationale, a ajouté un autre représentant de la société civile.
Table ronde thématique B sur le thème « Entreprises et financements privés, aux niveaux national et international » (Domaine d’action B du Programme d’action d’Addis-Abeba)
Cette table ronde a permis d’examiner les mesures visant à mobiliser et à aligner les financements privés aux objectifs de développement durable.
L’animatrice de la table ronde, Mme PREETI SINHA, Présidente du YES Institute de l’Inde, une banque privée indienne, a indiqué que sa banque investit dans la société indienne, précisant que les investissements sont généralement orientés vers les petites et moyennes entreprises (PME), notamment celles tenues par les femmes, cela pouvant aider à améliorer leur bien-être et celui de leur famille.
M. COURTNEY RATTRAY, Représentant permanent de la Jamaïque auprès des Nations Unies, a expliqué ce qu’est le « Groupe des Amis du financement des objectifs du développement durable », un groupe hybride composé de 56 ambassadeurs et de membres du secteur privé qui entend développer des mécanismes pilotés par les États Membres et des outils permettant de débloquer les milliards de dollars qui doivent être mobilisés chaque année pour le développement. Les États Membres entendent jouer un rôle légitime dans ce domaine, a-t-il indiqué tout en soulignant que cette initiative ambitionne de réunir une palette importante d’acteurs de tous les secteurs, comme la Fondation Rockefeller qui y participe déjà. Nous ne voulons pas trouver des solutions uniquement pour les pays les moins avancés émergeants ou les pays à revenu intermédiaire, a-t-il précisé avant d’expliquer qu’il faut aussi miser sur une aide publique au développement solide. Une autre idée du Groupe est de faire une cartographie pour identifier qui travaille dans les domaines prioritaires.
M. HERVÉ DUTEIL, Directeur général et Chef du volet Responsabilité sociale des entreprises et finances durables à BNP Paribas pour les Amériques, a jugé nécessaire de placer l’objectif de financer la durabilité dans les priorités des entreprises. BNP Paribas a déjà cartographié ses investissement en tenant compte des trois piliers du développement durable, à savoir l’économique, le social et l’environnemental, ainsi que les questions civiques, tout en intégrant les 17 objectifs de développement durable assortis de cibles et des incitations. La banque a notamment décidé que 15% de ses prêts aux entreprises seront orientés vers les objectifs de développement durable, et ce pourcentage est déjà, aujourd’hui, de 16,5%, s’est-il félicité.
Le panéliste a également indiqué que BNP Paribas a créé une obligation durable avec la Banque mondiale qui permet aux investisseurs de faire des placements dans des projets sociaux pour lesquels le risque est minimisé par l’implication de ces deux partenaires majeurs. Ce qu’il faut maintenant faire, a préconisé M. Duteil, c’est de passer des investissements responsables aux investissements d’impact.
M. NAOHIRO NISHIGUCHI, Directeur exécutif du Japan Innovation Network, a présenté son organisme à but non lucratif qui travaille sur des projets rentables pour atteindre les objectifs de développement durable. Il a parlé de la création, par ce réseau, de SHIP, une plateforme d’innovation pour les objectifs de développement durable qui compte 300 membres individuels et 75 entreprises. Il faut en effet créer un lien entre les objectifs de développement durable et les flux de capitaux, a-t-il expliqué. Ainsi, une fois qu’un modèle est validé, on travaille sur le plan d’affaires et sur le financement requis.
Le panéliste a indiqué que cette manière d’appréhender l’investissement fait que les chefs d’entreprise contribuent aux objectifs de développement durable dans le contexte d’activités rentables et non pas seulement dans le cadre de leur responsabilité sociale. Les entreprises reconnaissent qu’elles n’avaient pas, jusqu’à présent, réfléchi à cette contribution qu’elles peuvent apporter, a-t-il par ailleurs fait observer. Il a conclu en appelant le secteur privé à considérer les objectifs de développement durable comme un projet d’innovation et non comme un projet habituel. Il a aussi conseillé d’éviter la fragmentation et de connecter autant de parties prenantes que possible dans le monde pour la réalisation des objectifs communs.
Mme NIDIA REYES, Chef de la Section de veille concurrentielle à la Banca de las Oportunidades de Colombie, a indiqué que l’inclusion financière ne figure pas parmi les 17 objectifs de développement durable, mais que cette exigence avait été considérée comme cruciale par le Programme d’action d’Addis-Abeba. De ce fait, cette banque étatique colombienne entend offrir des services financiers à ceux qui en sont traditionnellement privés. Le Gouvernement colombien a ainsi mis en place cette « banque des opportunités » pour aider les gens exclus des services bancaires classiques à en bénéficier. Des plafonds de taux d’intérêt sont établis pour les plus vulnérables, et la Banque des opportunités de la Colombie finance également des petits entrepreneurs en acceptant des garanties immobilières telles que des titres de propriété foncière ou des biens matériels. L’inclusion financière est notamment promue en milieu rural traditionnellement délaissé par le secteur bancaire, a-t-elle précisé.
Abondant dans la même veine, Mme LEORA KLAPPER, Économiste principale du Groupe de la recherche sur le développement au Groupe de la Banque mondiale, a expliqué que l’inclusion financière doit permettre aux personnes d’avoir accès aux services bancaires et de pouvoir les utiliser. Elle a cité l’exemple de pays tels que le Brésil, l’Inde et la Chine qui ont connu de nombreuses créations de comptes bancaires du fait des facilités gouvernementales. Elle a aussi cité le cas de l’Afrique où les plus démunis peuvent désormais bénéficier des services bancaires grâces aux téléphones portables et où l’ouverture de comptes bancaires a été simplifiée. Elle a signalé qu’en Asie du Sud, deux fois plus d’hommes que de femmes disposent d’un compte bancaire, tandis qu’en Inde, les comptes bancaires des paysans ont permis de réduire la pauvreté rurale de 14%. Elle a également expliqué que le simple fait, pour les femmes, de pouvoir ouvrir un compte bancaire, leur donne davantage de pouvoir et permet de renforcer les dépenses familiales consacrées à l’éducation et à la santé.
Débat interactif
Après ces interventions, le représentant du Pacte mondial des Nations Unies a jugé nécessaire d’élaborer davantage de contrats entre le secteur public et le secteur privé.
Ce n’est pas normal de privilégier les financements privés, a rétorqué un représentant de la société civile qui a argué que ces partenariats public-privé sont parfois porteurs de corruption et de clauses cachées qui ne sont pas toujours favorables à l’intérêt public.
Le représentant du Chili a voulu savoir quelles difficultés le secteur privé rencontre pour s’impliquer dans les objectifs de développement durable, suite à quoi le panéliste de la banque BNP Paribas a indiqué qu’en France, en 2001, le gouvernement avait obligé les investisseurs à consacrer 10% de leurs avoirs à des questions sociales et au soutien des PME.
Répondant à une interpellation du représentant du Japon sur les possibilités de partenariat avec le secteur public, le panéliste du Japan Innovation Network a dit que son réseau entend travailler avec différents gouvernements nationaux, ces derniers pouvant servir de catalyseur pour connecter les investisseurs aux PME.
Répondant aux inquiétudes des délégués de l’Ouganda et du Pérou sur l’importance de l’inclusion financière, la panéliste de la Banque mondiale a indiqué qu’il a été démontré que les transferts de fonds par téléphone portable permettent de renforcer la résilience financière des plus démunis.
Table ronde thématique C sur le thème « Dette et questions systémiques » (Domaines d’action E et F du Programme d’action d’Addis-Abeba)
M. SIDDARTH TIWARI, Directeur du Département du suivi stratégique et politique du Fonds monétaire internationale (FMI), l’animateur de cette table ronde, s’est interrogé sur le moyen de garantir une croissance inclusive et d’assurer la viabilité de la dette. Il a indiqué que le FMI s’était engagé en faveur du renforcement de l’architecture mondiale du financement du développement ainsi que des filets de sécurité, sur la base des quotas du FMI. Le FMI travaille aussi sur un cadre pour la viabilité de la dette qui est presque prêt et qui met l’accent sur la prévention, a-t-il ajouté.
L’Ambassadeur de la Grenade aux États-Unis, M. E. ANGUS FRIDAY, dont le pays avait été frappé par l’insolvabilité en 2012, a axé son intervention sur la restructuration de la dette sur la base de l’expérience d’un petit État insulaire (PEID) tel que le sien. Il a indiqué que 184 catastrophes naturelles ont eu lieu dans les Caraïbes depuis les années 50, ce qui a occasionné des pertes énormes allant de 10 à 100% du PNB, notamment lorsque les ouragans frappent ces pays. Cette région est l’une des plus exposées aux catastrophes naturelles et connaît, par conséquent, un fort taux d’endettement qui s’explique, en large partie, par les chocs exogènes et la crise financière internationale. Il a indiqué que la Grenade s’est engagée dans la restructuration de la dette tout en reconnaissant que certaines erreurs avaient été commises. Le panéliste a également regretté que cet effort n’ait pas bénéficié d’une appropriation locale suffisante et ait subit une augmentation des taux d’intérêt.
En 2012, a-t-il poursuivi, le pays était en défaut de paiement, ce qui a poussé à adopter un programme innovant d’impact social pour décider de la viabilité de la dette (gel des salaires, accord sur une réforme budgétaire et une clause ouragan). Plutôt que de reporter la dette, le pays a demandé qu’elle soit annulée de 50%. Il a également mis en place une assurance « ouragan » qui prévoit le report de la dette en fonction des conditions climatiques. La Grenade a obtenu de très bons résultats depuis, s’est-il félicité.
Notant que depuis 1975, 55% de pays souverains sont en défaut de paiement, il a souligné l’urgence de trouver de nouvelles méthodes de gestion de la dette qui soient plus raisonnables et qui tiennent compte des chocs externes.
Suite à son intervention, plusieurs représentants de la société civile ont souhaité une généralisation de la clause ouragan pour les pays sujets à catastrophes naturelles.
Lui emboitant le pas, M. CAMILLO VON MÜLLER, Economiste au Ministère des finances de l’Allemagne, s’est concentré sur les obligations liées au PIB dans le cadre des instruments de gestion de la dette souveraine. S’appuyant sur le rapport du G20 sur les obligations, il a expliqué que cette « boussole » a pour objectif d’informer les investisseurs et les pays de leurs obligations en termes de dette. Sur la base des instruments de gestion de la dette souveraine, ce document essaye de proposer des mesures incitatives et de remédier à certaines défaillances. À titre d’exemple, il a indiqué que les obligations liées au PIB permettent de lier le service de la dette d’un pays à sa capacité de rembourser. Toutefois, il s’agit d’instruments hétérogènes et, en fonction du type de conception choisie, on peut obtenir des résultats très différents, a averti M. von Mueller.
Ce dernier a également souligné l’importance de bien évaluer qui détient ces obligations et si les risques peuvent être transférés à travers le système (banque locale ou fonds international). Il a également mis l’accent sur l’importance de la fiabilité des données. En conclusion, il a regretté qu’en dépit de discussions approfondies, les questions liées à la viabilité de la dette n’aient pas encore abouti.
Pour Mme MARILU UY, Directrice exécutive du Groupe international des Vingt-quatre (G24), la mise en œuvre du Programme d’action d’Addis-Abeba est compromise par la faiblesse de la croissance économique. Dans un monde très connecté, les décisions politiques dans un pays auront des répercussions dans d’autres, notamment pour ce qui est des devises et des flux de capitaux, ce qui suppose d’adopter une règlementation mondiale et des filets de sécurité pour permettre aux pays de s’assurer des liquidités en cas de besoin, a estimé Mme Uy. Elle a salué le rôle assumé par le FMI dans ce domaine mais a invité à également travailler sur les questions relatives à la stigmatisation des pays en termes d’accès à la dette et à la fluctuation des prix des matières premières.
Le G24, a-t-elle indiqué, souhaite des reformes règlementaires pour les marchés financiers à l’échelle internationale pour contribuer à augmenter leur résilience. Elle a également appelé à prendre en compte les perspectives des pays en développement, dans la mesure où leurs secteurs financiers sont souvent moins développés. Il y va de l’inclusion financière, a-t-elle souligné, souhaitant par ailleurs que leurs opinions soient également prises en compte par les institutions de Bretton Woods.
Pour ce qui est du financement du développement dans le domaine des infrastructures, Mme Uy a indiqué que les banques multilatérales de développement sont des acteurs importants qui doivent harmoniser leur travail dans le domaine des objectifs de développement durable.
Suite à certaines questions de la salle, elle a proposé une évaluation de la réglementation du secteur financier pour répondre aux différentes préoccupations soulevées quant à son efficacité.
Mme PATRICIA MIRANDA, experte du financement du développement auprès de Latindadd-Fundación Jubileo de la Bolivie, a abordé le problème de l’augmentation de la dette et de sa composition. En effet, en plus du crédit traditionnel, viennent maintenant s’ajouter les obligations souveraines, or cette forme de dette n’est pas préférentielle et difficilement renégociable. Il y a également les dettes des entreprises et des dettes intranationales des gouvernements locaux qui peuvent avoir des répercussions budgétaires et qui doivent être remboursées par des fonds publics, a-t-elle ajouté. Pour ce qui est des partenariats public-privé, elle a expliqué que ces derniers ne figurent pas dans les budgets tant que le projet financé n’est pas achevé.
Pour ce qui est de la dette externe contractée par les pays, elle a souhaité un processus de restructuration indépendant, insistant notamment sur l’impératif d’éviter tout impact social négatif. Elle a également estimé qu’une évaluation de la viabilité des « nouvelles dettes » doit se faire avec des critères clairs et des nouveaux ratios de dette par rapport au revenu du pays.
Débat interactif
Lors du débat qui a suivi ces présentations, plusieurs intervenants sont revenus sur la question des obligations souveraines, jugeant qu’il était trop tôt pour tirer des conclusions relatives à leur viabilité, tout en insistant sur l’importance de la transparence.
En conclusion, l’animateur a résumé les trois approches possibles pour pallier aux problèmes liés à la dette, à savoir l’adoption de politiques de limite à la dette; une réforme du cadre de viabilité de la dette qui permettrait de se doter d’un système clair de restructuration de la dette; et une approche prudente des partenariats public–privé.