Forum politique sur le développement durable: énoncé des « dix commandements » pour l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes et des filles
« Ne laisser personne sur le côté », et surtout pas les femmes et les filles. Ce principe fondamental sur lequel se fonde le Programme de développement durable à l’horizon 2030 a fait l’objet de trois tables rondes aujourd’hui, au deuxième jour du Forum politique de haut niveau du Conseil économique et social (ECOSOC) sur le développement durable. Les femmes et les filles étant « des laissées-pour-compte » par excellence, le Forum politique s’est vu édicter les « dix commandements » sans lesquels il faudra encore « un siècle » pour parvenir à l’égalité des sexes et à l’autonomisation de la moitié de l’humanité, objectif 5 du Programme 2030.
Réuni pour la toute première fois après l’adoption du Programme 2030, le Forum politique de haut niveau a réfléchi aux moyens de mettre les 17 objectifs de développement durable et leurs 169 cibles au service des femmes et les filles, frappées par les inégalités d’accès à l’éducation et à l’emploi rémunéré, mais aussi des 795 millions de personnes qui souffrent de la faim dans le monde. Comment mobiliser toute la créativité et l’innovation de la science?
Le Programme 2030 reconnaît le rôle « essentiel » des femmes et des filles, « la moitié de l’humanité », dans la réalisation du développement durable. Ce Programme comporte d’ailleurs l’objectif 5, spécifiquement consacré à l’égalité des sexes et à l’autonomisation des femmes et des filles. Les engagements sont là mais comment les mettre en œuvre concrètement?
Par les « dix commandements », a répondu la Directrice exécutive d’ONU-Femmes: inspiration, indivisibilité, intégration, institutions, mise en œuvre, investissements, information, inclusion, innovation, et enfin accélération, sans laquelle il faudrait, au rythme actuel, un siècle pour parvenir à l’égalité. La clef c’est l’éducation-objectif 4-, a argué la fondatrice de la Lira Integrated School. La clef c’est aussi des données ventilées par sexe et par âge pour mieux cibler les politiques, a ajouté la représentante de « CARE International », sans oublier l’amendement des lois pour mieux défendre les droits et intérêts des femmes et des filles, a ajouté, à son tour, la représentante de la Chine. Aujourd’hui encore, a dénoncé son homologue du Danemark, 120 États établissent dans leur législation une différence entre les hommes et les femmes.
Or ces femmes forment la majorité des 795 millions qui souffrent de la faim dans le monde, autres « laissés-pour-compte ». « Zéro faim d’ici à 2030 », l’objectif 2 du Programme 2030, a conduit la représentante de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentaire et l’agriculture (FAO) à insister sur le fait que les causes de la faim sont non seulement très complexes mais également changeantes, avec de nouvelles menaces comme la démographie galopante, l’épuisement des terres et de la pêche et l’urbanisation, sans oublier les changements climatiques qui accroissent la fréquence et l’intensité des sécheresses et des inondations.
Dans un monde où seule la moitié de la production de céréales est utilisée pour l’alimentation des populations, le reste servant à nourrir le bétail voire à fabriquer du carburant, on oublie trop souvent, a dit la Secrétaire générale de l’Organisation mondiale des agriculteurs, que la grande majorité des personnes qui souffrent de la faim sont les petits paysans, éleveurs ou pêcheurs, c’est-à-dire les producteurs dont la gageure est de produire toujours plus et de manière toujours plus viable. Changer les modes de production –objectif 12- oui, mais sans perte d’emplois dans un secteur, le secteur agricole, qui est le plus grand employeur au monde, a-t-elle fait observer, avant que le représentant du grand groupe des syndicats ne plaide pour une « transition juste ».
Comment faire? La science a peut-être une réponse ou plus exactement les interfaces sciences-politiques, ces processus sociaux qui englobent les relations entre les scientifiques et les décideurs politiques pour faciliter la mise en œuvre du Programme 2030. Le Rapport mondial sur le développement durable auquel ont participé 240 chercheurs a été présenté par le Secrétaire général adjoint aux affaires économiques comme l’exemple parfait de la contribution scientifique à la prise de décisions politiques. Il a rappelé que ce rapport a été rédigé dans le souci d’améliorer notre compréhension des stratégies de développement pour ne laisser personne sur le côté; de savoir avec précision qui sont ces laissés-pour-compte et pourquoi ils le sont; et d’identifier comment les stratégies et les politiques peuvent améliorer leur sort.
En Irlande, le Conseil national de la recherche et le Conseil consultatif de la société civile ont décidé de travailler ensemble pour faire des contributions à la mise en œuvre du Programme 2030, a indiqué un professeur de l’Université de Dublin. Celui de la « Kedge Business School, Sustainability Literacy Test » a attiré l’attention sur les connaissances accumulées par les 300 universités dans le monde qui enseignent « la durabilité ». Le représentant du grand groupe des jeunes a voulu que l’on n’oublie pas les jeunes chercheurs, car ce sont eux « les plus passionnés et les plus déterminés ». Il a aussi pointé le doigt sur les contributions du Forum international sur les innovations techniques et le développement.
Il faut trouver des chercheurs pionniers, a estimé le représentant de l’Institut de géographie de l’Université de Bern. Il faut non seulement des scientifiques capables de nous aider à mesurer l’état de mise en œuvre des objectifs de développement durable mais également d’évaluer la qualité des interactions entre les 17 objectifs et ses 169 cibles. Aucun des objectifs ne sera réalisable si on les cloisonne, a averti le représentant des Seychelles.
Le Forum politique de haut niveau, créé au Sommet Rio+20 pour remplacer la Commission du développement durable, tiendra d’autres tables rondes demain, mercredi 13 juillet, à partir de 10 heures.
FORUM POLITIQUE DE HAUT NIVEAU SUR LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
Table ronde 1: « Veiller à ce que personne ne soit laissé pour compte –sécurité alimentaire et l'agriculture durable, l'action climatique, les océans et les écosystèmes terrestres durables- une approche liée »
Président de la séance, M. SVEN JÜRGENSON (Estonie), a rappelé que la sécurité alimentaire et la nutrition sont des éléments essentiels du développement durable. C’est pourquoi le Programme de développement durable à l’horizon 2030 comprend l’objectif 2, d’éliminer la faim, assurer la sécurité alimentaire, améliorer la nutrition et promouvoir l’agriculture durable. La table ronde doit permettre d’identifier les éléments liés et les menaces pour l’agriculture, le climat et les écosystèmes marins et terrestres qui sont en même temps nuisibles à la sécurité alimentaire.
Aucun des objectifs de développement durable ne sera réalisé si on les cloisonne, a averti le modérateur, M. RONALD JUMEAU, Représentant des Seychelles, chargé des changements climatiques et des questions relatives aux petits États insulaires en développement. La faim est une des causes du développement inégal qui caractérise le monde où 190 millions de personnes vivent dans l’insécurité alimentaire, a affirmé Mme DEBORAH FULTON, Secrétaire du Comité de la sécurité alimentaire mondiale (CSA) de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentaire et l’agriculture (FAO). Elle a attribué la faim à la pauvreté, au chômage, aux fluctuations économiques mais aussi aux changements climatiques. Les causes de la faim sont non seulement très complexes mais également changeantes, avec de nouvelles menaces qui aggravent les problèmes, y compris une population humaine sans cesse croissante, l’épuisement des terres et des pêcheries, l’urbanisation. On ne peut traiter de ces questions de manière fragmentaire. Le Comité le fait donc de manière intégrée, en donnant la parole aux plus démunis. Mme Fulton a insisté sur la nécessité d’intégrer chaque acteur dès le départ dans l’élaboration des solutions.
Les changements climatiques accroissent la fréquence et l’intensité des sécheresses comme des inondations, ce qui a des conséquences sur la productivité des terres agricoles, a ajouté Mme OMOYEMEN LUCIA ODIGIE-EMMANUEL, Présidente du Centre pour les droits de l’homme et la recherche climatique, qui a aussi fait observer qu’une grande partie des terres sont utilisées pour d’autres usages que la production agricole qui va décliner d’ici à 2030. Or, le droit à la sécurité alimentaire est liée au droit à la santé et à l’éducation, mais aussi à la stabilité car on observe en période de disette une augmentation des violences et de la criminalité. Ces interactions rendent encore plus nécessaire une plus grande collaboration entre secteurs. Le financement des efforts doit se fonder sur le lien entre les différents objectifs de développement durable. Il est clair que si ces derniers ne sont pas mis en œuvre de manière intégrée, il y aura un grand gaspillage de ressources, du fait des doubles emplois ou tout simplement des oublis. Pour l’intervenante, il faut impliquer tous les acteurs, y compris les communautés locales et autochtones, mais écarter tout ce qui met l’accent sur le profit. Le slogan « les affaires comme d’habitude » ne doit pas prévaloir, a-t-elle affirmé.
Des personnes mieux nourries auront de meilleurs résultats à l’école et une meilleure forme physique qui amoindrira les coûts de la santé, a ajouté, à son tour, Mme EVELYN NGULEKA, Secrétaire générale de l’organisation mondiale des agriculteurs. Or, la grande majorité des personnes qui souffrent de la faim dans le monde sont les petits paysans, éleveurs ou pêcheurs, c’est-à-dire les producteurs. Mme Ngukela s’est félicitée de l’Accord de Paris sur le climat mais a rappelé la gageure des agriculteurs: produire toujours plus d’aliments pour une population croissante, et le faire de manière viable. Pour y parvenir, il faudra associer tout le monde, y compris le secteur privé, disposer de techniques adéquates –pour créer une « agriculture intelligente »- et de ressources financières suffisantes, notamment avec des prêts à faible taux. Elle a cité en exemple la manière dont la Zambie a réussi, avec l’appui du secteur privé, à faire face aux conséquences du phénomène El Niño, grâce à des semences à croissance rapide.
Lors du débat, le représentant du grand groupe des travailleurs et des syndicats a fait remarquer que les premières victimes des changements climatiques n’en sont pas les principaux responsables, et qu’à travers le monde des dizaines de millions de travailleurs de l’économie informelle perdent leur emploi. Constatant que le secteur agricole est plus sensible que d’autres aux changements climatiques, il a mis l’accent sur la nécessité de repenser les modes de production et a appelé à une « transition juste » pour les travailleurs, à savoir changer les modes pour sauver la planète tout en assurant des emplois décents. Le secteur agricole reste en effet le plus grand employeur au monde, a rappelé la Secrétaire générale de l’organisation mondiale des agriculteurs. Les agriculteurs contribuent donc à l’économie.
Aujourd’hui, seule la moitié de la production de céréales est utilisée pour l’alimentation des populations, le reste sert à nourrir le bétail voire à fabriquer du carburant, a rappelé, à son tour, le représentant du grand groupe des jeunes et jeunes. Une agriculture industrielle qui détruit les écosystèmes sans nourrir la planète est-elle durable? Le représentant du grand groupe des peuples autochtones a une nouvelle fois revendiqué le droit de ces peuples sur leurs terres ancestrales, sur lesquelles, a-t-il affirmé, ne sont produits que des aliments sains. Il a aussi réclamé la reconnaissance des savoirs traditionnels, y compris dans le domaine alimentaire et médical. Il s’agit de préserver la biodiversité mais aussi de maintenir la santé de la Terre.
Pour illustrer la complexité des problèmes, la représentante de la Nouvelle-Zélande a rappelé que l’augmentation de la production agricole pourrait augmenter l’émission de gaz à effets de serre. Mon pays, a-t-elle dit, fait partie d’un groupe qui réfléchit aux moyens de développer une agriculture durable. Quand on traite des changements climatiques, on devrait parler de l’atténuation de leurs effets plutôt que d’adaptation et il en est de même en matière de sécurité alimentaire, a déclaré M. JAKE RICE, scientifique en chef - émérite à Pêches et Océans Canada, qui a mis l’accent sur l’importance du secteur des pêches sur une planète dont 70% est couverte d’océans. Alors que l’on s’attend à une réduction des sources alimentaires terrestres, il faudra sans doute rechercher une solution dans les ressources océaniques mais sans les épuiser. Il ne faut pas croire que tout ce qui peut être fait dans le milieu terrestre peut automatiquement l’être sur les océans, a-t-il averti, avant de mettre en garde sur l’importance de la pêche côtière pour la sécurité alimentaire. En effet, a-t-il averti, il existe une limite importante à ce que les océans peuvent supporter en matière de prélèvement, que ce soit sur le littoral ou dans le cadre de la pêche industrielle hauturière, laquelle a parfois eu des effets désastreux.
Le débat a montré combien cette préoccupation est partagée par les États insulaire. Au nom de l’Alliance des petits États insulaires, la représentante des Maldives a rappelé les menaces qui pèsent sur les océans et leurs ressources, que ce soit leur acidification liée au réchauffement ou les pêcheries illégales et excessives. De même, au nom des petits États insulaires en développement, le représentant des Palaos a expliqué que les populations de ces pays étaient largement tributaires de la pêche pour l’apport en protéines. Après avoir rappelé le coût élevé des produits alimentaires dans la région du Pacifique ainsi que le Plan d’action de Samoa, il a déclaré que les petits États insulaires en développement n’avaient pas les moyens de financier eux-mêmes les mesures de préservation indispensables. Il a demandé l’appui de tous les organes de développement des Nations Unies pour les aider à mettre en œuvre le Programme de développement durable à l’horizon 2030.
Parmi les autres intervenants, le représentant de l’Italie a estimé que l’objectif 2 -Éliminer la faim, assurer la sécurité alimentaire, améliorer la nutrition et promouvoir l’agriculture durable– était l’un des plus transversaux du Programme de développement durable. Il a rappelé la signature de la Charte de Milan, manifeste concret et réalisable qui engage les citoyens de la planète dans la lutte contre la sous-alimentation, la malnutrition et les déchets, tout en favorisant un accès égal aux ressources naturelles et une gestion durable de la production. Il a en outre rappelé que cette Charte faisait suite à l’Exposition universelle de Milan tenue sur le thème « Nourrir la planète, énergie pour la vie » et s’est dit satisfait que des groupes comme le G20 accordent de plus en plus d’importance à la question.
Le représentant des autorités locales a rappelé les problèmes d’eau. Il a présenté les gouvernements locaux et régionaux comme des acteurs « essentiels » de la gestion de l’eau et rappelé que l’agriculture durable dépend des liens entre zones urbaines et rurales, ne serait-ce que pour les transports des produits alimentaires ou de l’élimination des déchets. Il a cité des solutions novatrices préparées par des gouvernements locaux, par exemple au Pérou en matière de souveraineté agricole locale, ou encore au Sénégal, pour la protection et la gestion des forêts.
Pour le représentant de la Finlande, la sécurité alimentaire n’est pas seulement une question de développement. L’expérience des pays en développement dans ce domaine est essentielle. Celui de l’Arabie saoudite a mis en avant le Plan d’orientation globale pour le développement de la région et la préservation de l’environnement et des ressources naturelles adopté par son pays, en le présentant comme une « obligation religieuse et morale » à l’égard des générations futures. La représentante du Kenya a appelé à une modification des modes de production.
Pour sa part, la représentante du groupe sur le vieillissement a regretté l’absence d’indicateur concernant la sécurité alimentaire des personnes âgées dans l’objectif 2, alors que le représentant des personnes handicapées reprochait aux Nations Unies de ne pas avoir adopté de stratégies efficaces tenant compte des réalités concrètes auxquelles les personnes handicapées sont confrontées. Comment réaliser les objectifs de développement durable en négligeant un groupe qui représente 20% de la population du monde?
Table ronde 2: « Veiller à ce que personne ne soit laissé pour compte – Construire des sociétés pacifiques et plus inclusives et autonomiser les femmes et les filles »
Président de cette table ronde, M. JÜRG LAUBER (Suisse), Vice-Président du Conseil économique et social, a déclaré que le fait que le Programme de développement durable à l’horizon 2030 comprenne un objectif consistant à promouvoir des sociétés pacifiques et inclusives –l’objectif 16-,montre clairement que la paix, la justice et le principe d’inclusion sont essentiels pour l’élimination de la pauvreté et la réalisation d’un développement durable. La violence et l’insécurité sont des problèmes universels qui nuisent au bien-être des populations dans tous les pays et pas uniquement dans ceux qui sont en proie à des conflits, a-t-il ajouté.
L’objectif 16 est « unique » a estimé M. ROBERT J. BERG, Président de l’Alliance pour la paix et membre du Conseil d’administration de l’Académie mondiale des arts et des sciences. Les conflits ont changé: ils sont désagrégés, ils s’appuient sur la religion ou les groupes ethniques et ils sont parfois motivés par la criminalité. Face à cette nouvelle donne, il faut de nouvelles stratégies non pour remplacer les anciennes mais pour les compléter. M. Berg a plaidé pour un soutien du système des Nations Unies à la société civile, affirmant que la consolidation de la paix a réussi quand les Nations Unies avaient aidé la société à comprendre que les chances de succès étaient plus grandes quand il y a cohérence dans la société. Les Nations Unies devraient travaillent avec l’Église catholique qui va abandonner son concept de « guerre juste » pour celui de « paix juste ». Il faut inciter les autres religions au même mouvement.
M. Berg n’a pas oublié de mettre l’accent sur l’implication des femmes dans la recherche de la paix, en citant en exemple une femme du Bangladesh, diplômée d’Oxford, qui a préféré rentrer dans son pays pour étudier les relations entre communautés chrétiennes et musulmanes. Les femmes peuvent devenir de bonnes « faiseuses de paix », a-t-il ajouté, estimant que l’objectif 16 devait permettre d’apprendre aux femmes ce qu’est la « paix intelligente » et la « sécurité intelligente ».
Les jeunes, qui sont souvent présentés comme des victimes, peuvent aussi être des « faiseurs de paix », a rappelé Mme ANCA-RUXANDRA GLIGA, avocate à l’United network of Young Peacebuilders et membre du grand groupe des jeunes et des enfants. Elle a rappelé que, dans des conflits, les jeunes sont souvent présentés comme des victimes mais ils peuvent aussi être des faiseurs de paix. Elle a lancé un appel pour l’inclusion des jeunes dans les processus de paix, arguant que quand on parle des laissés-pour-compte, il faut toujours regarder qui n’est pas là, ce qui est souvent le cas des jeunes filles.
Le principe fondamental du Programme 2030 « de ne pas faire de laissés-pour-compte » est ambitieux mais nécessaire à la réalisation des objectifs de développement durable, a souligné la Directrice générale de l’Organisation internationale de droit du développement (OIDD) et modératrice du débat, Mme IRENE KHAN.
Mme LAKSHIMI PURI, Directrice exécutive adjointe d’ONU-Femmes, a rappelé que le Plan d’action de Beijing et d’autres importants textes adoptés depuis lors ont permis de réaffirmer l’importance pour le développement durable de la pleine participation des femmes et des filles et de leur autonomisation. Le Programme de développement durable à l’horizon 2030 reconnaît le rôle essentiel des femmes et des filles puisqu’elles représentent la moitié de l’humanité. Mais, il y a aussi dans le Programme, un objectif dédié aux femmes et filles, l’objectif 5, a-t-elle rappelé, qui prévoit de « parvenir à l’égalité des sexes et autonomiser toutes les femmes et les filles ». Les engagements en faveur des femmes et filles sont donc là, il reste à savoir comment les mettre en œuvre concrètement.
Mme Puri a cité à cette fin les « dix commandements » nécessaires: inspiration, indivisibilité, intégration, institutions, mise en œuvre, investissements, information, inclusion, innovation, et enfin accélération, sans laquelle il faudrait, au rythme actuel, un siècle pour parvenir à l’égalité. Pour Mme Puri, il ne faut pas attendre 2030.
Il faut évaluer les progrès dès 2020 et surtout dans l’accès des filles à l’éducation, a renchéri Mme BEATRICE AYURU, Fondatrice de la Lira Integrated School, qui a dit avoir connu l’ignorance, la violence sexuelle et le manque de perspectives d’avenir. La clef, c’est l’éducation, a-t-elle affirmé, ajoutant qu’en la matière, les femmes avaient été laissées pour compte dans de trop nombreux pays. Aujourd’hui, a-t-elle dénoncé, les programmes d’éducation sont trop théoriques. Ils n’apprennent pas aux enfants à être créatifs alors qu’il est important que les filles acquièrent des connaissances pratiques. Les gouvernements devraient élaborer des politiques permettant aux femmes d’acquérir, par exemple, des compétences entrepreneuriales, tout en expliquant à la société l’intérêt de telles mesures.
Il faut des données ventilées par sexe et par âge, car les besoins varient, a souligné Mme GAIA GOZZO, Chef de la gouvernance à CARE International. Il faut, a-t-elle dit, des indicateurs permettant de vérifier si la représentation des femmes dans une institution, quelle qu’elle soit, a une influence sur les décisions prises. La société civile ou les acteurs multinationaux pourraient apporter une aide en ce sens.
La représentante de la Chine a estimé qu’il faut d’abord et avant tout que les pays améliorent leurs lois pour défendre les droits et intérêts des femmes et des filles. À ce propos, celui de la Ligue des États arabes a rappelé la Déclaration du Caire et le Plan stratégique pour le développement des femmes arabes adoptés l’an dernier, qui prévoit notamment la participation politique, l’autonomisation économique et la transformation sociale des femmes. La représentante de l’Iraq a d’ailleurs demandé l’appui de la communauté internationale pour aider à la réinsertion des femmes victimes du terrorisme. ONU-Femmes, a indiqué sa Directrice exécutive adjointe, travaille actuellement avec les femmes syriennes à la création d’un conseil syrien des femmes qui traitera de toutes les questions liées à la guerre.
Les inégalités entre hommes et femmes sont la principale forme d’inégalité dans le monde, a rappelé la représentante de l’Afrique du Sud, qui a cité l’écart salarial voire la non-rémunération du travail domestique. La Suède, a rappelé sa représentante, a une longue histoire d’égalité hommes-femmes qui lui a réussi. L’accent a toujours été mis sur la nécessité de reconnaître le potentiel « positif » de cette égalité. Contributeur essentiel au système humanitaire international, la Suède continuera de soutenir la participation des femmes dans les pays affectés par les conflits et d’insister sur l’appropriation nationale, y compris par les femmes.
En effet, a acquiescé la représentante du grand groupe des femmes, les gouvernements doivent renforcer la participation des femmes dans tous les domaines, et notamment dans les négociations et la reconstruction après les conflits. La représentante du Danemark a apporté son soutien à toute mesure visant à assurer la participation active des femmes, avant de rappeler que plus de 120 États établissent encore aujourd’hui dans leurs législation une différence entre femmes et hommes. Au Danemark, qui a un Gouvernement « féministe », tous les ministères sont responsables de l’égalité entre hommes et femmes et le Ministère de l’égalité y veille.
Les laissés-pour-compte ne sont pas que les filles, a rappelé le représentant du Bénin, qui a plaidé la cause de tous les enfants, filles et garçons. Les mères doivent donner la même éducation à tous leurs enfants. C’est à la maison et pas à l’école que peuvent d’abord s’acquérir les compétences entrepreneuriales.
Table ronde 3: « Interface science-politique: Idées nouvelles, connaissances et solutions »
Cette table ronde présidée par M. HECTOR ALEJANDRO PALMA CERNA (Honduras) en sa qualité de Vice-Président de l’ECOSOC, a été l’occasion de mettre l’accent sur la contribution de la science à la formulation des politiques de développement durable.
Les interfaces entre les sciences et les politiques sont des processus sociaux qui englobent les relations entre les scientifiques et les acteurs du processus de prise de décisions politiques et qui permettent des échanges, une coévolution et une construction commune des connaissances aux fins d'enrichir la prise de décision à différents échelons pour faciliter le Programme de développement durable à l’horizon 2030.
Permettre à la science de servir la mise en œuvre du Programme 2030 revient aussi à trouver les moyens de mettre la science au service du pouvoir, a indiqué Mme LUCILLA SPINI, Chef des programmes scientifiques du Conseil international pour la science (CIUS) et modératrice. Le Rapport mondial sur le développement durable auquel ont participé 240 chercheurs est, selon M. WU HONGBO, Secrétaire général adjoint aux affaires économiques, l’exemple parfait de la contribution scientifique à la prise de décisions politiques. Il a rappelé que ce rapport a été rédigé dans le souci d’améliorer notre compréhension des stratégies de développement pour ne pas faire de laissés-pour-compte; de savoir avec précision qui sont ces laissés-pour-compte et pourquoi ils le sont; d’identifier comment les stratégies et politiques peuvent améliorer leur sort et quelle type de stratégie est le plus approprié.
Spécialiste de la physique quantique, M. WILLIAM COLGLAZIER, de l’Association américaine pour les progrès de la science, a jugé qu’il faut faire une priorité du renforcement des institutions scientifiques nationales pour leur donner les moyens d’inspirer et de guider les décideurs politiques. Expert du lien entre eau et santé, M. GUELADIO CISSE, Chef du service des sciences de la santé de l’écosystème au Département d’épidémiologie et de santé publique de l’Institut suisse de la santé publique et tropicale, a, à son tour, prôné des liens entre plate-forme scientifique et institutions politiques. En Irlande, le Conseil national de la recherche et le Conseil consultatif de la société civile ont décidé de travailler ensemble pour faire des contributions à la mise en œuvre du Programme de développement durable à l'horizon 2030, a indiqué M. PATRICK PAUL WALSH, Professeur et Président des études internationales sur le développement de l’École des sciences politiques et des relations internationales de l’Université de Dublin.
M. AURÉLIEN DECAMPS, Professeur assistant à la « Kedge Business School, Sustainability Literacy Test », a vanté les « partenariats multiples » qui permettent de réunir des gens très différents et de créer des espaces pour partager les meilleures pratiques. Il a aussi attiré l’attention sur les connaissances acquises par les 300 universités dans le monde qui ont des cours sur « la durabilité ». Il faut, a-t-il dit, promouvoir un dialogue efficace entre les scientifiques et les politiques ainsi qu’avec d’autres intervenants et détenteurs des savoirs, grâce à des mécanismes consultatifs officiels, des dispositifs d’alerte précoce et d’analyse prospective, la communication et autres moyens permettant d’influencer efficacement les décideurs.
Chercheur en biotechnologie, M. DONOVAN GUTTIERES, Point focal en matière de sciences et de politique du grand groupe des jeunes et des enfants et représentant du Partenariat mondial des jeunes pour les objectifs de développement durable, a attiré l’attention sur les jeunes chercheurs, car ce sont eux qui sont « les plus passionnés et les plus déterminés ». Au-delà des rapports mondiaux sur le développement durable publiés tous les quatre ans, il a voulu que l’on accorde l’attention voulue à la contribution du Forum international sur les innovations techniques et le développement.
Il faut trouver les chercheurs pionniers qui travaillent en réseaux, a conseillé M. PETER MESSERLI, Directeur du Centre pour le développement durable et l’environnement (CDE) de l’Institut de géographie de l’Université de Bern. Il faut non seulement des scientifiques capables de nous aider à mesurer l’état de mise en œuvre des objectifs de développement durable mais aussi des scientifiques capables de mesurer la qualité des interactions entre les divers objectifs et cibles.
La science et la technologie sont devenues les moteurs du développement en Chine, a dit son représentant. Il a invité les États à lever les barrières pour que tous puissent bénéficier des connaissances. Pour la mise en œuvre du Programme 2030, la Chine a décidé de créer des zones de démonstration expérimentales, comme il en existe plusieurs centaines depuis les années 1980. La Chine a aussi mis en place de nombreux programmes science et développement, que ce soit pour l’agriculture ou la protection de l’environnement. Elle est prête à renforcer sa coopération scientifique et technique. Il y a deux ans, a expliqué à son tour la représentante de la Finlande, mon pays a créé un panel d’experts scientifiques pour évaluer et tester les politiques de développement durable sur la base de données irréfutables. Un tel groupe, très actif dans les médias sociaux, sert aussi à communiquer avec le grand public. La Finlande cherche à savoir dans quels domaines elle doit mettre l’accent au cours des premières années de mise en œuvre du Programme 2030. Le représentant de l’Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) a vanté les mérites de l’énergie nucléaire pour la santé ou l’agriculture.
L’élément fondamental est le coût de l’accès aux connaissances, a prévenu le représentant des personnes handicapées. N’oublions pas, a argué celle du grand groupe des autochtones, que ces peuples ont des connaissances considérables en matière de gestion durable des ressources naturelles. Alors que leurs connaissances sont de plus en plus reconnues, ces peuples sont tenus à l’écart, quand ils ne sont pas menacés par de grands projets de développement. Comment peut-on dire que personne ne sera laissé sur le côté si de tels projets continuent de menacer l’existence-même des autochtones. Les pratiques locales et traditionnelles doivent être prises en compte car elles traitent des questions liées au développement durable depuis la nuit des temps, même si elles ne se fondent pas sur des critères scientifiques, a plaidé la représentante des Maldives, au nom de l’Alliance des petits États insulaires en développement.
Pourquoi les conseillers scientifiques sont toujours « des hommes âgés », s’est d’ailleurs demandé la représentante de l’Afrique du Sud où l’Académie de la science et le Conseil consultatif de l’innovation sont chargés de formuler des avis et recommandations au Gouvernement. Elle a vu dans ces « hommes âgés » la parfaite l’illustration d’un problème de transmission du savoir mais aussi de crédibilité du monde scientifique. La représentante du grand groupe des femmes a invité l’« Interface science-politique » à corriger cette situation, à ouvrir ses portes à tous les acteurs du développement durable et à étudier des normes « éthiques » pour la collecte et la diffusion des données statistiques, notamment dans le domaine de la santé génésique.
L’« Interface science-politique » dépendra de sa capacité de traduire les faits scientifiques en recommandations concrètes aux États Membres, a estimé la représentante de la Suisse, avant que son homologue de l’Australie ne juge indispensable de s’appuyer sur les exemples qui ont permis à la science de contribuer à des changements politiques. Le représentant de l’Algérie s’est enorgueilli des percées nationales dont le réseau national de fibre optique, la modernisation de l’administration publique par le biais de l’électronique et le lancement d’un programme spatial national à l’horizon 2020 pour développer la télédétection au profit du développement, de la protection de l’environnement, de l’exploitation des ressources naturelles et de l’atténuation de l’impact des changements climatiques.
Il faut des investissements pour transformer les connaissances scientifiques en innovation, a souligné le représentant des États-Unis qui a aussi avoué qu’il faudra surmonter le handicap des chercheurs qui ne sont pas toujours les meilleurs communicants et celui des politiques qui n’ont pas toujours des connaissances suffisantes. Les ONG, a affirmé le représentant de ce grand groupe, sont le canal de communication entre les scientifiques et les gouvernements et les Nations Unies, une communication qui doit être facilitée par la généralisation d’Internet dans tous les États. La représentante du grand groupe des jeunes et des enfants a insisté sur la nécessité de bâtir un monde plus scientifique, qui sera plus sûr et meilleur pour tous. Il faut donner plus d’espace aux jeunes scientifiques pour assurer une « dimension intergénérationnelle » à l’Interface science-politique. La science ne pourra résoudre tous les problèmes du développement durable, a mis en garde le représentant du grand groupe des entreprises et des industries, sans pour autant nier les avantages que l’on peut tirer des connaissances scientifiques. Il a parlé du volume de travail effectué par son grand groupe pour comprendre et travailler à la mise en œuvre des objectifs de développement durable.
Le représentant de l’Arabie saoudite a parlé de la Cité scientifique Roi Adbelaziz, tout en faisant observer que toutes ces initiatives ont besoin d’un soutien des Nations Unies et notamment de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO). La représentante de l’Union européenne a souhaité que les chefs d’État et de gouvernement se penchent sur le Rapport mondial sur le développement durable, avant que celui de Together 2030, groupe de la société civile, ne juge « déconcertant » qu’un rapport censé renforcer l’interface science-politiques soit attendu tous les quatre ans. Il faudrait au moins un supplément annuel qui traite des questions émergentes.
Il faut institutionnaliser l’Interface science-politique et l’ouvrir aux groupes défavorisés tels que les populations autochtones ou les personnes handicapées, a dit la Présidente de la table ronde. L’Interface doit être institutionnalisée à tous les niveaux de la société, du local à l’international, pour favoriser l’appropriation des enjeux du développement durable par les communautés, a acquiescé le membre de l’Institut suisse de la santé publique et tropicale, son homologue de l’Institut de géographie de l’Université de Bern, insistant sur les connaissances autochtones.
Le monde scientifique doit réfléchir aux paramètres d’une économie solidaire débarrassée des groupes de pression, a estimé, pour sa part, le Professeur à l’Université de Dublin. S’agissant en particulier de la réalité des changements climatiques, le représentant de l’Association américaine pour le progrès de la science a jugé qu’il faut bien comprendre les questions que se posent les organes décisionnels car ce sont bien les diplomates qui devront gagner cette bataille. Il faut assurer un accès transparent aux données pour maintenir l’élan, a insisté le représentant de l’Initiative des établissements d’enseignement supérieur en faveur du développement durable (HESI). Il faut une Interface réellement « interdisciplinaire, intersectoriel et intergénérationnel », a conclu le représentant du Partenariat mondial des jeunes pour les objectifs de développement durable.