Session de 2016,
24e séance - après-midi
ECOSOC/6758

L’ECOSOC débat des moyens de réduire les risques des pays gravement frappés par le phénomène climatique El Niño

Le Conseil économique et social (ECOSOC) s’est penché, aujourd’hui, sur les conséquences de l’épisode 2015-2016 d’El Niño, l’un des phénomènes climatiques les plus intenses des cent dernières années, qui a entraîné un réchauffement sans précédent des eaux du Pacifique, des sécheresses, des inondations touchant plus de 60 millions de personnes à travers l’Amérique latine et centrale, l’Asie et la corne de l’Afrique.

Les participants à cette « réunion spéciale », organisée par le Département des affaires économiques et sociales et l’ECOSOC, en collaboration avec le Secrétariat interinstitutions de la Stratégie internationale de prévention des catastrophes et l’Organisation météorologique mondiale (OMM), se sont attachés à discuter de la façon de « diminuer les risques et saisir les chances » face à ce phénomène considéré comme mondial.

Cette réunion, que conduisait le Président de l’ECOSOC, M. Oh Joon (République de Corée), et animé par la journaliste de CBS News Pamela Falk, CBS News, a tout d’abord vu le Représentant spécial du Secrétaire général pour la réduction des risques de catastrophe, M. Robert Glasser, expliquer l’impact socioéconomique d’El Niño, qui frappe, de manière disproportionnée, les communautés des pays à faible revenu et des petits États insulaires en développement (PEID).

Selon M. Glasser, les changements climatiques risquent d’augmenter davantage les risques liés à El Niño, d’où l’urgence d’inclure ce facteur dans des stratégies de développement à long terme.  Il faut, a-t-il dit, prendre des décisions éclairées dans les différents secteurs de développement ainsi que des mesures dynamiques pour limiter les conséquences de ce phénomène qui, quoique prévisible par les technologies actuelles, reste impossible à prédire dans son intensité. 

Le Cadre d’action de Sendai pour la réduction des risques de catastrophe (2015-2030), adopté l’an dernier, ainsi que le Programme de développement durable à l’horizon 2030 et l’Accord sur le climat de Paris sont les instruments de référence de l’action à mener en vue de minimiser l’impact futur du phénomène El Niño.

La Sous-Secrétaire générale de l’OMM, Mme Elena Manaenkova, a affirmé que son organisation avait pu développer et appuyer de façon continue des organismes d’excellence homologués, tels que les centres climatiques régionaux, qui assistent les États Membres en fournissant des prévisions météorologiques fiables.  L’OMM dispose de plusieurs mécanismes qui permettent de fournir des services mondiaux.  

Mme Manaenkova a dit constater une demande d’informations, techniques ou non, de plus en plus grande des phénomènes El Niño ou El Niña, ce dernier se traduisant par une diminution de la température à la surface des eaux de l’est de l’océan Pacifique, autour de l’Équateur.  L’OMM a élaboré des données en coopération avec des agences météorologiques internationales.  Celles-ci, mises à jour, seront publiées la semaine prochaine.

Néanmoins, a-t-elle déjà annoncé un affaiblissement du phénomène d’El Niño en 2015-2016, et un changement, dans les prochains mois, d’ENSO, un phénomène climatique et océanographique reliant El Niño et l’oscillation australe de la pression atmosphérique.

Confirmant ce point de vue, M. Tony Barnston, professeur de l’Institut des recherches climatiques de l’Université de Columbia, a estimé qu’il y avait 60% de chances d’avoir un phénomène El Niña à partir du mois d’août, mais qu’à ce stade il était impossible d’en connaître l’intensité.

Table ronde interactive

M. JUAN MANUEL BENITES RAMOS, Ministre de l’agriculture et de l’irrigation du Pérou, qui présidait ce dialogue, a présenté l’expérience face au phénomène Niño de son pays, l’un des cinq au monde les plus touchés par les changements climatiques.  Le mot d’ordre du Gouvernement, a-t-il déclaré, est la prévention.  « S’il est impossible d’éviter les catastrophes naturelles, on doit néanmoins élaborer des scénarios pour protéger les populations exposées », a-t-il affirmé, précisant que l’état d’urgence déclaré en 2014 dans 14 départements du Pérou avait permis d’y mener des actions de prévention de l’impact d’El Niño.

Un conseil de ministres a été mis en place, depuis, pour élaborer des stratégies visant à développer les capacités nationales, régionales et locales et sensibiliser la population locale.  Pour 2016, environ 1 milliard de dollars a été alloué à la prévention du phénomène El Niño.  Les actions menées par ce centre d’opération ont notamment porté sur la mise à jour des systèmes d’assainissement, l’installation d’hôpitaux de campagne, le nettoyage des lits des fleuves, des actions de prévention des virus Zika et de la dengue ainsi que la création de centres de distribution d’eau, d’aliments, de vêtements au cas où il y aurait des problèmes d’accès à certaines zones.

Commissaire pour la gestion des catastrophes de l’Éthiopie, M. MITIKU KASSA, a souligné de son côté qu’en raison de la sécheresse la plus grave jamais traversée par son pays depuis 15 ans, qui a affecté durement les secteurs de l’éducation et de l’approvisionnement, des millions de personnes étaient actuellement dépendantes de l’aide alimentaire. 

Face à la réponse insuffisante de la communauté internationale, le Gouvernement a dû débloquer 130 millions de dollars pour faire face aux besoins alimentaires de la population par le biais d’un comité créé à cet effet.  

Représentant les petits États insulaires en développement, M. AHMED SAREER, a rappelé l’impact énorme du phénomène 2015-2016 d’El Niño sur ces pays, qui ont subi de nombreuses pertes en vies humaines et des centaines de millions de dollars de dommages liés aux cyclones et aux sécheresses, parmi les plus longues jamais enregistrées par certaines îles.  

L’acidification des océans se poursuit, les écosystèmes deviennent des zones « fantômes », les récifs ne cessent de se dégrader, a rappelé M. Sareer, qui a insisté sur le fait que les PEID, compte tenu de leur vulnérabilité spécifique due à la fois à leur éloignement et à leur manque de ressources, demandaient un appui des Nations Unies dans le cadre des accords de Sendai.  En raison de la fréquence de ces phénomènes naturels, ces pays disposent de très peu de temps pour se redresser, ce qui porte directement atteinte à leur développement, a-t-il dit, à l’unisson avec son collègue de Vanuatu.

Le représentant de l’Indonésie, M. DIAN TRIANSYAH DJANI, a également fait le point des actions menées dans son pays pour contrecarrer l’impact socioéconomique du phénomène El Niño.  En dépit de son expérience de 1997, l’Indonésie voit toujours sa production agricole affectée, en particulier celle du riz, suite aux sécheresses et aux incendies.  

Il a mis l’accent sur l’urgence d’une large coopération internationale dans la lutte contre l’impact des changements climatiques et, pour éviter les doublons, a appelé les agences onusiennes à travailler dans les limites de leurs mandats respectifs.

M. TELMO DE LA CUADRA, du Secrétariat de l’évaluation des risques de catastrophes de l’Équateur, intervenant par vidéoconférence, a expliqué que la gestion des risques dans son pays avait totalement changé en 2008 avec l’adoption d’une loi organique qui charge l’État de la protection des personnes et de l’environnement.  Cette loi a permis de passer d’une gestion centralisée à une gestion décentralisée des risques.  En outre, des instruments de mesure des tendances et de prévision ont été mis en place.  Le phénomène El Niño 2015-2016 a été moins fort que ce qui avait été anticipé mais certaines zones restent fortement touchées, comme celle d’Esmeralda. 

Pour la représentante de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), El Niño est le phénomène climatique le plus grave des 60 dernières années d’un point de vue alimentaire et agricole: mauvaises récoltes, pertes de terres agricoles et de bétails, nappes phréatiques déficitaires sont autant de facteurs qui ont créé une insécurité alimentaire dont de nombreux représentants d’Amérique latine et centrale ont témoigné aujourd’hui, notamment du Honduras, du Nicaragua, du Guatemala ou d’El Salvador.  

En effet, avec 16,5 millions de personnes touchées directement en Amérique latine et centrale et 3,5 millions de personnes qui ont besoin d’une aide alimentaire, le « cercle vicieux de sécheresses suivies d’inondations graves », a eu un impact majeur sur ces pays, même si ce phénomène concerne aussi l’Afrique du Sud, l’Afrique australe, certains pays d’Asie et, plus généralement, les îles. 

Si tous s’accordent à dire qu’il est plus onéreux de réparer que de mettre en place des mesures de prévention, la FAO a tiré la sonnette d’alarme en affirmant qu’il y avait des menaces réelles d’augmentation des conséquences d’El Niño que les gouvernements ne peuvent gérer à eux-seuls.  « Sans un appui concerté mondial, les gains socioéconomiques des pays en développement risquent d’être entamés par l’impact de ce phénomène et il est urgent de sauver les moyens de subsistance des populations par des actions de prévention », a déclaré la représentante, exprimant à cet égard une revendication partagée par les pays frappés par El Niño. 

L’efficacité des efforts de la communauté internationale en la matière passe par le décloisonnement de l’action humanitaire et de l’action en faveur du développement et par des financements à la hauteur des besoins sur le terrain, a-t-elle estimé, tout comme son homologue du Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA).

Le représentant de l’Allemagne, en tant que pays bailleur de fonds, a insisté sur la nécessité d’un effort concerté consistant, multilatéral et bilatéral, pour faire face à l’impact d’ENSO et augmenter la résilience des pays.  Les mesures en amont doivent être améliorées pour permettre aux pays d’être prêts avant même qu’une catastrophe naturelle ne les frappe.

La représentante du Programme alimentaire mondial (PAM) a ainsi fait état du programme « Food Secure » qui permet de débloquer des fonds avant d’éventuelles catastrophes.

Le délégué allemand s’est aussi interrogé sur ce que pourrait être la contribution de la troisième Conférence des Nations Unies sur le logement et le développement urbain durable (Habitat III), qui se tiendra à Quito, en Équateur, du 17 au 20 octobre 2016 sur le thème: « Le développement urbain durable: l’avenir de l’urbanisation? »

Son homologue de l’Indonésie a souhaité notamment que cette conférence mette l’accent sur les villes et villages côtiers alors que le représentant de la Colombie a appelé à saisir cette opportunité pour réfléchir aux établissements humains résilients au phénomène d’El Niño.

Autre pays bailleur de fonds, la Suède a estimé que si la réponse humanitaire s’inscrivait dans le court terme, seuls des investissements à long terme pouvaient augmenter la résilience des pays concernés par les phénomènes climatiques. 

La représentante des États-Unis a observé que les incidences négatives sur les gains en termes de développement étaient énormes.  Son collègue du Nicaragua a jugé que l’insécurité alimentaire, conséquence directe d’El Niño, menaçait les objectifs de développement durable.

La représentante de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a attiré l’attention sur la nécessité de réduire les effets d’El Niño sur la santé qui perdureront au-delà de 2016.  Parmi les préoccupations de l’OMS, figurent les maladies transmises par les moustiques comme la dengue et Zika; les ruptures d’approvisionnement en médicaments; la sous-alimentation; les résurgences de maladies; la pénurie de vaccins pour lutter contre des épidémies; et, surtout, l’énorme problème de financement qui entrave le bon fonctionnement de l’OMS, laquelle a demandé 51 millions de dollars pour lutter contre les effets induits par El Niño. 

Le Secrétaire général adjoint aux affaires économiques et sociales, M. Wu Hongbo, dans ses remarques de clôture, a mis l’accent sur l’urgence de traiter des dimensions socioéconomiques du phénomène El Niño si l’on veut atteindre les objectifs de développement durable.  Il faut réduire cet impact sur les secteurs de développement clef afin d’aider les pays à atteindre les objectifs de développement durable par le biais de politiques de réduction des risques et promouvoir des mécanismes d’alerte rapide, a-t-il dit.  Parallèlement, les investissements doivent permettre d’accroître la résilience de ces pays tant sur le plan local que national, a ajouté M. Wu, précisant que le Département des affaires économiques et sociales se tenait à la disposition des États Membres dans la mise en œuvre du Cadre d’action de Sendai.

Enfin, le Président de l’ECOSOC, M. Oh Joon, a indiqué qu’il publierait une déclaration présidentielle qui reprendrait les recommandations clefs faites dans le cadre de cette réunion spéciales.

Auparavant, l’ECOSOC avait décidé, sans vote, que le thème du débat consacré aux affaires humanitaires de sa session 2016 serait « Restaurer l’humanité en ne laissant personne de côté: agir de concert pour réduire les besoins humanitaires, les risques et la vulnérabilité des populations ».

* E/2016/L.14

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