Instance permanente sur les questions autochtones - Quinzième session,        
12e & 13e séances - matin & après-midi
DH/5304

Instance permanente: les autochtones réclament le règlement « émaillé de difficultés » des conflits avec leur gouvernement

Les Touaregs, les Nagas et autres premières nations de la Colombie, de l’Indonésie, du Guatemala et du Canada ont réclamé aujourd’hui devant l’Instance permanente sur les questions autochtones la résolution des conflits qui les oppose à leur gouvernement.  Une chercheuse du « Haverford College » a prédit un processus « émaillé de difficultés ».

Parmi les peuples autochtones qui ont voulu l’apaisement dans les relations avec leur gouvernement figurait la « Native Women’s Association of Canada » dont la représentante a réclamé une mise en œuvre de la Déclaration sur les droits des peuples autochtones soucieuse de la promotion des droits collectifs et individuels des femmes autochtones.  Elle a exhorté l’Instance permanente à développer et à mettre en œuvre des cibles sur l’égalité entre les sexes.  « Rien pour nous sans nous », a-t-elle conclu, prévenant que sans égalité entre les sexes, il ne peut y avoir de véritable réconciliation. 

Parlons plutôt de « conciliation » a conseillé une enseignante du « Haverford College » car la réconciliation c’est ignorer la gravité des défis qu’une société post-génocide doit relever et le fait que le génocide est enraciné dans une histoire coloniale et postcoloniale marquée par un racisme profond.  La conciliation, a-t-elle expliqué, tend vers un changement radical, un projet transformateur de la nation ancré dans une vision radicalement démocratique et au minimum, inclusif, égalitaire, participatif et autonome. 

La réalisation d’une telle ambition est « émaillée de difficultés » parce qu’il s’agit de reconnaître les autochtones comme des sujets de droits, d’obtenir que les femmes soient reconnues comme leaders politiques, d’admettre que les communautés autochtones ne sont pas politiquement et socialement homogènes et de bénéficier du concours d’une société civile unie.  L’ambition est difficile à atteindre parce qu’elle exige aussi des négociateurs qu’ils reconnaissent les torts causés par leurs pères et leurs mères pendant des siècles.  La conciliation, ce n’est pas le pardon.  C’est plutôt, a conclu l’intervenante, l’activation de la mémoire politique dans un processus douloureux, laborieux et incertain visant à édifier une nation nouvelle, égalitaire et viable.

Le représentant de « Imouhagh International Youth » a en effet souligné que depuis la création de l’État du Mali en 1960, le peuple touareg n’a cessé de lutter pour sa liberté et son droit à l’autodétermination.  Entre mai 2015 et mars 2016, 170 civils ont été tués par l’armée malienne et ses milices ou par des groupes terroristes, « en toute impunité », a-t-il accusé.  Il a demandé au Gouvernement malien de tenir la promesse faite dans l’Accord de paix de juin 2015 signé avec les rebelles touareg et aux Nations Unies de faire pression sur les États du Sahara pour qu’ils mettent fin à la discrimination, à la marginalisation et à la persécution des Touaregs et reconnaissent que le désert est une terre touareg depuis des milliers d’années. 

Son homologue de l’ONIC - Colombie où 172 000 autochtones ont été victimes des guérilleros, des milices paramilitaires, de la mafia et de la force publique pendant 50 ans, a indiqué que son organisation a mis en place une équipe technique à La Havane pour obtenir des garanties dans la mise en œuvre de l’accord qui s’y négocie entre le Gouvernement et les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC).  Mais, a-t-il prévenu, nous voulons que les peuples autochtones participent de matière active à la conclusion de ce processus de paix qui devra leur garantir « une autonomie politique et culturelle ».  Il a jugé important que la future mission de l’ONU sache mettre l’accent sur les revendications « légitimes » de ces peuples.

Le représentant du Mouvement des peuples naga pour les droits de l’homme a fait part de l’Accord-cadre signé, le 3 août 2015, par le Premier Ministre de l’Inde, lequel avait fièrement annoncé un accord de paix qui n’a jamais vu le jour.  Nous ne savons pas quand notre conflit sera résolu, mais ce que nous savons c’est que l’Inde est infestée de toutes sortes de troubles sociaux et politiques partout où vivent des peuples autochtones, a affirmé le représentant.  Son collègue de l’Organisation de libération de la Papouasie occidentale a invoqué l’Article 85, partie 2 de la Charte des Nations Unies pour demander à l’Instance permanente de recommander au Conseil économique et social (ECOSOC) d’inscrire « la question internationale de la résolution 1752 de l’Assemblée générale » à l’ordre du jour du Conseil de tutelle.  La résolution porte sur l’« Accord entre la République d’Indonésie et le Royaume des Pays-Bas concernant la Nouvelle-Guinée occidentale ».

La représentante de l’Association nationale des veuves guatémaltèques (CONAVIGUA) a exigé des réparations pour les familles des victimes de la guerre civile, la démilitarisation des territoires autochtones, le respect des droits culturels, l’éradication de la violence domestique, la création d’institutions qui défendent les droits spécifiques des peuples autochtones.  

L’Instance permanente poursuivra ses travaux demain mercredi 18 mai à partir de 15 heures.

Table ronde sur le thème « Les peuples autochtones: conflits, paix et règlement »

M. AKLI SHEIKA BESSADAH, Imouhagh International Youth (Touareg), a déclaré que son peuple est appelé « Touareg », un vocable qu’il a été forcé d’utiliser, à cause « des 180 années de persécutions et de mauvais traitements, à différents moments jusqu’à aujourd’hui, dans de nombreux endroits du désert qui est notre patrie.  Cette patrie, a-t-il souligné, qui est maintenant divisée entre les États qui ont succédé aux colonies françaises et italienne, à savoir l’Algérie, la Libye, le Mali et le Niger.

Depuis la création de l’État du Mali en 1960, le peuple touareg n’a cessé de lutter pour sa liberté et son droit à l’autodétermination.  L’année 2012 a été une des pires années, compte tenu des crimes de guerre commis non seulement au Mali mais dans toute la région.  En mai 2015 et mars 2016, 170 civils ont été tués par l’armée malienne et ses milices ou par des groupes terroristes, en toute impunité.

En Libye, la situation des Touaregs a tourné au pire avec la chute du régime de Mouammar Qadhafi.  Des centaines de Touaregs ont été arrêtés, torturés et tués.  Par exemple, le 19 mai 2012, à Ghadamès, des crimes de guerre ont été commis par des milices soutenues et financées par le Ministre libyen de l’intérieur.  Vingt hommes innocents et non armés ont été assassinés, a affirmé M. Bessadah, en énumérant chacun des noms et en ajoutant que 23 000 Touaregs se sont vu refuser la nationalité libyenne et leurs enfants privés d’école faute d’une carte d’identité.

En Algérie, la situation des Touaregs peut être décrite comme non seulement très inquiétante mais tout à fait désastreuse.  Des dizaines d’entre eux ont été arrêtés et détenus sans procès et sans accès à une aide juridique.  En avril 2016, les autorités algériennes ont détruit 100 maisons à Tamanrasset, sans avertir la population, provoquant des fausses couches chez quatre femmes et l’arrestation de 14 manifestants pacifiques.  On compte désormais 100 familles sans abri ni aide gouvernementale.

Au Niger, la situation des Touaregs est difficile.  L’État reste sourd aux revendications des droits des peuples autochtones s’agissant en particulier de la terre et de l’environnement.  La rébellion touareg de 2009 a été conclue par un accord de paix mais peu a été fait pour sa mise en œuvre.  L’armée nigérienne a commis des massacres et des crimes de guerre en 1990 et en 2008 mais les auteurs n’ont toujours pas été traduits en justice.

Si la rébellion touareg au Niger est généralement attribuée à la revendication sur un partage équitable des revenus de l’uranium, l’orateur a précisé que le problème est beaucoup plus complexe.  Il a parlé de marginalisation et de violations du droit à la terre et aux ressources minérales.  Il a dénoncé les entreprises extractives multinationales et les menaces à l’environnement.

En conclusion, M. Bessadah a appelé le Gouvernement malien à tenir sa promesse faite dans l’Accord de paix de juin 2015 avec les rebelles touaregs.  Il a réclamé de tous les pays concernés le respect du droit international et la fin de l’impunité après le chaos.  Les Nations Unies, a-t-il poursuivi, doivent faire pression sur les États du Sahara pour qu’ils mettent fin à la discrimination, à la marginalisation et à la persécution des Touaregs et reconnaître que le désert est une terre touareg depuis des milliers d’années.  La Libye, a-t-il aussi insisté, doit accorder sans tarder la nationalité libyenne aux Touaregs. 

Les Touaregs du Sahara peuvent jouer un rôle important dans les efforts pour rétablir la paix et la stabilité si les gouvernements leur font confiance.

« Notre pays est un pays de contradictions » a déclaré M. JUVENAL ARRIETA, Organisation nationale autochtone de Colombie (ONIC-Colombie), en expliquant que la Colombie est à la fois une grande démocratie et le seul pays de la région qui connaisse un vaste conflit depuis 50 ans dont 172 000 autochtones ont été victimes.  Les guérilleros, les milices paramilitaires, la mafia et la force publique ont tous porté atteinte à l’intégrité des peuples autochtones.  Il a dénoncé les recrutements d’enfants soldats, les viols, les assassinats des chefs autochtones et l’empiètement systématique dans la gouvernance.  La Colombie est un pays à revenu intermédiaire qui tente d’entrer à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) mais 5 000 enfants autochtones viennent de mourir de malnutrition.

Le représentant a dit craindre particulièrement que le processus de paix, lancé il y a trois ans entre le Gouvernement et les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), ne tienne absolument pas compte des attentes des peuples autochtones.  Le Programme « terres contre paix » laisserait aux FARC, a-t-il soupçonné, la gestion de 68 zones avec les conséquences que l’on sait sur 103 territoires autochtones.  Il y a déjà 13 zones auxquelles la guérilla ne renoncera pas « pour des raisons historiques », a-t-il pronostiqué.  Le représentant a indiqué que son organisation a mis en place une équipe technique à La Havane pour obtenir des garanties dans la mise en œuvre de la paix.  Mais, a-t-il prévenu, nous voulons que les peuples autochtones participent de matière active à la conclusion de ce processus de paix qui devra leur garantir « une autonomie politique et culturelle ».  « Nous voulons une mission des Nations Unies qui prennent en compte les revendications des peuples autochtones, nous voulons le respect de la diversité ethnique du pays et de la gouvernance autochtone ainsi que la mise en place de programmes d’intégration », a insisté M. Arrieta.  Il a jugé important que la future mission de l’ONU sache mettre l’accent sur les revendications « légitimes » des peuples autochtones.  

M. NEINGULO KROME, Mouvement des peuples naga pour les droits de l’homme, a rappelé que les Nagas sont des peuples autochtones d’Asie qui étaient indépendants et souverains jusqu’à ce que les Britanniques les envahissent en 1832.  Après l’indépendance de l’Inde, les Nagas refusèrent de rejoindre la nouvelle union indienne et boycottèrent les premières élections générales en 1952.  L’armée indienne fut envoyée pour les écraser en 1953, ce qui entraîna des destructions, ainsi que des viols et des meurtres de femmes.  Le conflit politique avec les Nagas est l’un des plus longs conflits en Asie, a-t-il précisé, malgré les nombreuses tentatives de règlement.  Cela fait 19 ans que le deuxième cessez-le-feu a été mis en œuvre mais ce n’est que l’an dernier, le 3 août 2015, que l’Accord-cadre a été signé par le Premier-Ministre de l’Inde lequel avait fièrement annoncé un accord de paix qui n’a jamais vu le jour. 

Nous ne savons pas quand notre conflit sera résolu, mais ce que nous savons c’est que l’Inde est infestée de toutes sortes de troubles sociaux et politiques partout où vivent des peuples autochtones, a affirmé le représentant.  Il a rejeté la fausse accusation selon laquelle les Nagas seraient les pères de toutes les insurrections dans le nord-est de l’Inde.  En même temps, il a reconnu que tous les autres mouvements regardent comment la question naga sera résolue.  Le représentant a fait plusieurs recommandations et d’abord le respect du droit à l’autodétermination des peuples autochtones en Asie, de leurs droits aux terres, aux territoires et aux ressources et leur droit à développer des contacts, des relations et une coopération avec leurs frères disséminés au-delà des frontières dont au Myanmar. 

M. YOHANIS ANARI, Organisation de libération de la Papouasie occidentale, a expliqué que la Papouasie occidentale a le malheur de regorger d’or et d’autres minerais convoités par des hommes d’affaires américains.  Il a fait part de la déception que son peuple a ressentie il y a 54 ans quand l’ONU a établi que les progrès de la colonie pouvaient être suivis par le Secrétaire général U Thant, au lieu du Conseil de tutelle comme le prévoit la Charte des Nations Unies.  Ce sentiment de déception pourrait être atténué cette année si le Conseil économique et social saisit le Conseil de tutelle de la question de la Papouasie occidentale, comme cela aurait dû être fait en 1962.  Les populations autochtones de la Papouasie occidentale ne méritent pas moins que les autres peuples de bénéficier de la protection promise par la Charte des Nations Unies, a-t-il clamé.

Il a expliqué pourquoi la Papouasie occidentale a fait l’objet de la résolution 1752 de l’Assemblée générale.  Il a fait un rappel historique de l’évolution du statut de ce territoire qui est passé de la domination coloniale néerlandaise entre les XIXe et XXIe siècles au statut de territoire sous la tutelle de l’Indonésie en vertu d’un accord que ce dernier a signé avec les autorités des Pays-Bas, et qui a été entériné par l’Assemblée générale des Nations Unies.  Il a invoqué l’Article 85, partie 2 de la Charte des Nations Unies pour demander à l’Instance permanente de recommander au Conseil économique et sociale d’inscrire « la question internationale de la résolution 1752 de l’Assemblée générale » à l’ordre du jour du Conseil de tutelle.  

Après ces interventions, La représentante des peuples autochtones d’Indonésie a prévenu contre la tentation de généraliser le terme « conflit » qui, dans le cas qui nous préoccupe, s’apparente plutôt à des violations des droits des peuples autochtones ou à des contestations face à l’occupation d’un territoire.  Dans un tel contexte, la réconciliation ne peut venir qu’un dialogue constructif et inclusif avec les Gouvernements ou les autres acteurs.  Les négociations entre les peuples autochtones et les gouvernements doivent intervenir très tôt, a dit le représentant des peuples autochtones du Bangladesh, avant que celle de la Colombie ne se félicite de la participation de 203 ONG autochtones et des personnes d’ascendance africaine aux négociations de paix à La Havane. 

Pour, M. ALEXEY TSYKAREV, Président du Mécanisme d’experts sur les droits des peuples autochtones, la démarcation des terres autochtones doit être la priorité de tout processus de prévention et résolution de conflit tout comme le respect du principe du « consentement libre, préalable et éclairé ».  Dans ce cadre, Mme AYSA MUKABENOVA, membre de l’Instance, a dit l’importance des indicateurs de risques et de mécanismes d’alerte précoce. 

La représentante du peuple chors du sud de la Sibérie a cité deux cas de conflit entre des autochtones et une société d’extraction de charbon, d’une part, et entre les autochtones et l’État, d’autre part, car la loi fédérale russe sur l’exploitation des ressources naturelles ne prend pas en compte les droits des peuples autochtones.  Son homologue qui représentait les Pygmées de la République démocratique du Congo (RDC) a parlé des conflits politiques dans son pays où les guerres à répétition depuis 1980 ont bouleversé la vie des Pygmées qui n’ont jamais pourtant participé à aucun conflit.  Il a invité la Rapporteure spéciale sur les droits des peuples autochtones à se rendre en RDC pour constater de visu la réalité.

S’agissant de la Colombie, le représentant de l’Organisation nationale des peuples autochtones de Colombie a prévenu que la signature de l’accord de paix après les négociations à La Havane ne représentera pas la paix mais seulement la fin du conflit armé.  La paix ne viendra que lorsque nos doutes seront levés, a-t-il prévenu.  Celle de l’Australie a partagé l’expérience de son pays qui intervient dans le règlement des conflits aux Philippines et dans les Îles Salomon.  L’Australie n’est pas vraiment un exemple de réconciliation, a commenté Mme MEGAN DAVIS, membre de l’Instance.  Elle a argué que le processus de réconciliation lancé par le Gouvernement australien en 1990 n’en était pas réellement un.  Il y a eu des excuses mais pas de compensation pour les générations volées.  Il y a eu des efforts dans les domaines de l’emploi et du logement mais pas de garantie des droits des peuples autochtones fondés sur les normes et documents internationaux, a fait observer l’intervenante.    

Le potentiel de la Convention 169 sur les peuples indigènes et tribaux pour régler les conflits a été souligné par le représentant de l’Organisation internationale du Travail (OIT), puisqu’elle « institutionnalise » le dialogue avec les peuples autochtones.  Ce dialogue peut tourner autour de la cause principale des conflits qu’est l’exploitation illicite des ressources naturelles dans les terres et territoires autochtones, a suggéré le représentant du Brésil.

N’oublions pas, a rappelé Mme Joan Carling, membre de l’Instance permanente, a dit que les peuples autochtones ont leurs propres moyens de prévenir les conflits et que l’intervention de forces extérieures est une violation de leurs droits.  La justice et l’équité devraient guider notre action pour prévenir les conflits, a-t-elle conclu.  Le représentant des peuples autochtones samis de Finlande a souligné l’importance des commissions vérité et réconciliation, avant que le défenseur des peuples autochtones de l’Inde n’insiste sur le respect du droit à l’autodétermination.

De nombreux conflits invoqués ici méritent d’atterrir sur la table du Conseil de sécurité, a estimé Mme DALEE SAMBO DOROUGH, membre de l’Instance permanente.  Mais il est vrai que certains États ne veulent pas en arriver à ce stade.  Il est urgent d’agir, a-t-elle estimé, en prenant l’exemple du Guatemala où l’accord de paix de 1996 tarde à être mis en œuvre ou ne l’est pas du tout.  La représentante du peuple khmer a demandé l’aide de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, les sciences et la culture (UNESCO) pour traduire la Déclaration sur les droits des peuples autochtones dans les langues autochtones et pour que les peuples soient informés de leurs droits.  Celle des peuples autochtones du Guatemala a souligné la responsabilité des États en matière de démocratie participative.

Mme ROSALINA TUYUC, Association nationale des veuves guatémaltèques de Guatemala (CONAVIGUA), a rappelé que 200 000 personnes avaient perdu la vie au cours de la guerre civile au Guatemala.  Ces victimes ont versé leur sang pour la paix dans le pays et, si 2016 marque le vingtième anniversaire de l’Accord de paix, on ne peut pas s’en féliciter car peu de choses ont été faites pour les peuples autochtones.  Mme Tuyuc a ajouté: « nous sommes les survivantes d’un génocide et nous continuerons la lutte.  Les veuves du Guatemala sont les visages des inégalités et du génocide.  Nous sommes aussi les artisans de la paix et nous exigeons le respect de la mémoire des morts et des réparations psychologiques ».  Les veuves guatémaltèques ont pris la tête de la lutte contre l’impunité, a poursuivi Mme Tuyuc, voyant dans « le génocide » le fruit d’un racisme structurel au Guatemala qui a permis d’ignorer depuis des années, les plaintes déposées par les veuves. 

Mme Tuyuc a tout de même fait part de quelques victoires juridiques comme l’emprisonnement des militaires impliqués dans « le génocide et les viols collectifs de 80 femmes, il y a 4 ans, dans une petite communauté autochtone ».  En 2015, un autre groupe de femmes autochtones a demandé et obtenu la condamnation pour esclavage sexuel des militaires, a révélé la représentante qui a exigé des réparations pour les familles des victimes, la démilitarisation des territoires autochtones, le respect des droits culturels, l’éradication de la violence domestique, la création d’institutions qui défendent les droits spécifiques des peuples autochtones.

Mme DAWN LAVALL HARVARD, Native Women’s Association of Canada, a indiqué que l’adoption, sans réserve, de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones par le Canada aura un impact significatif sur la faculté des femmes autochtones de jouir de leurs droits humains fondamentaux.  Ce qui importe pour elles, c’est la santé et le bien-être de leur famille, de leur communauté et de leur nation, ainsi que le rétablissement de leur rôle traditionnel dans leurs communautés et leur structure de gouvernance.  Pour rétablir la place des femmes autochtones dans le processus de prise de décisions, il faut retourner à l’équilibre traditionnel entre les sexes, au rôle de leader des femmes autochtones dans les structures de gouvernance et à leur rôle de mère, de gardienne du savoir, de génitrice, de guérisseuse et d’être humain.  Or, la loi canadienne sur les Indiens a nié et cherché à détruire tous ces rôles, d’où la violence sexuelle.  Nous vivions dans des structures de gouvernance et dans des structures sociales et familiales qui reproduisent la colonisation, a-t-elle expliqué.

Les peuples autochtones ont le droit ne pas être soumis à une assimilation forcée et à une destruction de leur culture.  Cette assimilation forcée est un projet éminemment sexiste, dans le monde entier, avec l’imposition de systèmes coloniaux « hétéro-patriarcaux », faisant pression, réduisant au silence et rendant invisibles les femmes autochtones, d’où la violence sexuelle.

La destruction des familles et la perte d’identité vont de pair.  Renforcer le rôle des femmes autochtones comme mères, tantes, grand-mères et leaders de leur famille est crucial « pour rétablir nos familles et nos nations ».  Sans la famille, il n’y pas de nation et il n’y a personne pour appliquer les traités sur les droits de l’homme. 

Il ne suffit pas de dire: les femmes autochtones ont les mêmes chances que les hommes pour arracher une place dans les organes de prise de décisions.  Il faut que les femmes autochtones aient leurs propres structures de gouvernance et leurs propres chances de diriger.  La représentante a demandé une pleine mise en œuvre de la Déclaration sur les droits des peuples autochtones soucieuse de la promotion des droits collectifs et individuels des femmes autochtones.  Elle a exhorté l’Instance permanente à développer et à mettre en œuvre des cibles sur l’égalité entre les sexes.  « Rien pour nous sans nous », a-t-elle conclu, prévenant que sans égalité entre les sexes, il ne peut y avoir de véritable réconciliation. 

Mme ANITA ISAACS, Haverford College, a fait part de ses observations d’experte sur les dilemmes politiques de la réconciliation pour les survivants autochtones du génocide.  Elle a tout d’abord fait la différence entre la réconciliation après un génocide et la réconciliation après un régime autoritaire ou dictatorial.  C’est une question d’ampleur de la répression mais aussi et surtout de la nature de l’ennemi.  Parlons-nous d’ethnie ou d’idéologie?  Découle de cette différence, a-t-elle poursuivi, une autre différence, celle entre réconciliation et conciliation.  Faire de la réconciliation l’objectif ultime, a-t-elle prévenu, c’est ignorer la gravité des défis qu’une société postgénocide doit relever et le fait que le génocide n’est pas un évènement spontané.  Il est enraciné dans une histoire coloniale et postcoloniale marquée par un racisme profond, avec ses causes et ses effets culturels, économiques, psychologiques, politiques et sociaux dévastateurs.  Or, la conciliation souligne la nécessité profonde d’un changement radical et d’un nouveau tissu politique et social résistant.  En un mot, l’objectif profond de la conciliation est de prévenir tout besoin de réconciliation, tel qu’il s’exprime dans l’expression « Plus jamais ça ».

Il n’y a en l’occurrence aucun modèle applicable à tous mais le tronc commun est la nécessité d’un projet transformateur d’édification de la nation ancré dans une vision radicalement démocratique et au minimum, inclusif, égalitaire, participatif et autonome.  Réaliser une telle ambition est difficile parce qu’il peut être ardu pour des peuples autochtones qui ont souffert d’un racisme historique, culturel et structurel, surtout pour les femmes autochtones.  Il s’agit de reconnaître les autochtones comme des sujets de droits et de s’engager à lutter pour tous les droits et contre la marginalisation, la répression et la cooptation. 

Réaliser une telle ambition est aussi difficile parce qu’il s’agit d’obtenir que les femmes soient reconnues comme leaders politiques et d’admettre que les communautés autochtones ne sont pas politiquement et socialement homogènes.  Elles peuvent être aussi sexistes que le reste de la société et le génocide d’État a tendance à intensifier ce trait et à aggraver les divisions.  Une autre raison de la difficulté est liée à la nécessité d’obtenir de la société civile qu’elle change d’attitudes et qu’elle renonce à la concurrence.  La conciliation exige enfin des négociateurs de paix qu’ils reconnaissent les torts causés par leurs pères et leurs mères pendant parfois des générations.  La conciliation, ce n’est pas le pardon.  C’est plutôt, a conclu l’intervenante, l’activation de la mémoire politique dans un processus douloureux, laborieux et incertain visant à édifier une nation nouvelle, égalitaire, et viable.

La représentante d’ONU-FEMMES a jugé indispensable de conférer aux femmes un rôle de chef de file en matière de « guérison » après les conflits.  « Nous devons aider les femmes à passer du statut de victimes à celui d’agents de la paix », a déclaré une représentante des Femmes Massai pour l’éducation et le développement économique du Kenya.  La représentante de l’Institut des Nations Unies pour la formation et la recherche (UNITAR) a indiqué que 483 autochtones ont bénéficié du programme de formation d’UNITAR pour la prévention des conflits qui met l’accent sur la marginalisation des droits politiques et les problèmes fonciers. 

S’exprimant au nom de 56 peuples autochtones, la représentante de la Commission autochtone pour la paix de la Colombie a jugé indispensable que les observateurs internationaux reconnaissent la pertinence des efforts locaux et encouragent la participation des autochtones et notamment des femmes autochtones, aux processus de prise de décisions.  Par exemple, la représentante des femmes autochtones du Manipour en Inde a exhorté la Rapporteure spéciale sur les droits des peuples autochtones à venir enquêter sur le combat des femmes autochtones dans le nord-est de l’Inde et constater l’ampleur de la violence sexuelle. 

Plusieurs États ont souhaité réagir aux interventions de représentants autochtones.  Ainsi, le représentant de l’Indonésie a tenu à préciser que les régions de Papouasie et de Papouasie occidentale étaient parties intégrantes de l’Indonésie et devaient être traitées comme telles par les autochtones de ces régions.  Il a rappelé que les autochtones indonésiens ont les moyens démocratiques de faire entendre leurs voix et précisé que l’article 28 de la Constitution garantit les droits de tous les citoyens quelle que soit leur appartenance ethnique ou religieuses.  Son homologue du Viet Nam a contesté les déclarations du représentant des autochtones Khmer Krom (KKF) en rappelant que cette organisation n’est pas reconnue comme autochtone par le Viet Nam.  Il a rappelé que les 54 groupes ethniques du Viet Nam sont libres d’utiliser leurs langues et de préserver leurs us et coutumes.

Le représentant de l’Algérie a regretté que l’on ait critiqué son pays qui a pourtant joué un rôle déterminant pour parvenir à un accord de paix au Mali.  Oui mais l’Accord n’a permis aucune avancée, a réagi Mme Mariam Wallet Aboubakrine, Membre de l’Instance.  Quelle est la différence entre ce nouvel accord et les accords précédents qui n’ont résolu aucun problème des peuples Touaregs du Mali?  La représentante du Conseil mondiale Amazight en a profité pour dénoncer la violence faite aux Amazight avec la complicité de la police algérienne. 

Le principal frein à la mise en œuvre de l’Accord malien, a répondu le représentant de l’Algérie est le non-respect des engagements financiers des donateurs internationaux.  Par ailleurs, a-t-il dit, l’Algérie continuera de soutenir les mouvements de libération dans le monde entier et condamnera toujours toute atteinte à l’unité du pays.

La représentante du Danemark s’est attardée sur la situation des « Chittagong Hill Tracts » au Bangladesh marquée par des contentieux fonciers et des attaques contre les peuples autochtones.  Elle a appelé le Gouvernement du Bangladesh à faire en sorte que la Commission des Chittagong Hill Tracts puisse pleinement opérer et sans délai, et regretté que l’application de l’Accord de paix sur cette situation soit encore en souffrance, ce qui a pour effet de conduire à de fréquentes attaques, souvent dans la plus grande impunité, contre les peuples autochtones.  Elle a encouragé le Gouvernement du Bangladesh à œuvrer à la pleine mise en œuvre de l’Accord de paix.

Préoccupé par la situation des peuples autochtones au Honduras, la déléguée a dit sa douleur après la mort de Berta Caceres, qui se battait pour les droits des peuples autochtones, « et dont la famille a payé le prix le plus élevé qui soit ».  Nous notons les récentes arrestations faites dans cette affaire et exhortons le Gouvernement du Honduras à faire en sorte que les responsables soient traduits en justice, a-t-il dit.  En conclusion, la représentante a espéré que la présente session permettra d’identifier les mesures concrètes de prévention des conflits qui ont des conséquences fatales pour les peuples autochtones. 

À ce propos, le représentant de l’Assemblée pour l’autonomie du Mexique s’est inquiété que la guerre contre la drogue se soit transformée en une guerre contre les peuples autochtones.  Il a exhorté l’Instance à appuyer la création au Mexique d’un bureau de médiateur pour entendre les doléances de 18 millions d’autochtones du Mexique.  Le représentant du Conseil circumpolaire Inuit a appelé à la création d’un « Arctique zone de paix ».  Celle du Forum autochtone du Népal, la mise en place d’un mécanisme d’application au niveau national du principe du « consentement préalable, libre et éclairé ».  Quant aux conflits entre peuples autochtones, M. Joseph Goko Mutanga, Membre de l’Instance, a prévenu que les gouvernements ne sont pas toujours les mieux placés pour les résoudre, avant de suggérer la création d’un système de négociateurs régionaux.

La représentante de l’Institut de droit d’Hawaï a tout de même souhaité que les gouvernements soient mis devant leur responsabilité s’agissant notamment de l’objectif 16 du Programme de développement durable appelant à l’avènement de sociétés pacifiques et ouvertes à tous.  Le Président de l’Instance, M. Alvaro Pop, les a appelés à cesser toutes les activités militaires ou policières sur les terres autochtones.   

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