SC/12090

Le Comité des sanctions contre Al-Qaida présente les caractéristiques actuelles du financement de l’État islamique d’Iraq et du Levant et du Front el-Nosra

Le Comité du Conseil de sécurité faisant suite aux résolutions 1267 (1999) et 1989 (2011) a décidé d’informer les États Membres des caractéristiques actuelles du financement de l’État islamique d’Iraq et du Levant (EIIL), du Front el-Nosra pour le peuple du Levant (QDe.137) et des autres entités désignées comme étant associées à Al-Qaida, en se fondant sur l’étude d’impact que l’Équipe d’appui analytique et de surveillance des sanctions a réalisée sur les mesures imposées par le Conseil de sécurité dans sa résolution 2199 (2015) en application du paragraphe 30 de la résolution, ainsi que sur le résumé de cette étude établi par le Président du Comité (S/2015/739). Il souhaite également présenter aux États Membres ses propositions aux fins d’une meilleure mise en œuvre de la résolution 2199 (2015).

I.    Modes de financement actuels

Dans son étude d’impact réalisée en application du paragraphe 30 de la résolution 2199 (2015), l’Équipe de surveillance indique au Comité que, globalement, aucun changement important n’a été observé dans le financement de l’EIIL au cours des 12 derniers mois (S/2014/815, par. 52 et suiv.).  Ses principales sources de financement sont toujours essentiellement internes; elles sont diversifiées et intégrées verticalement de façon à optimiser les profits, et demeurent solides.  Il existe probablement un effet de vases communicants, qui voudrait que, lorsqu’une source se tarit, l’EILL cherche à obtenir des revenus par d’autres moyens.  Bien qu’il ait semble-t-il professionnalisé ses méthodes de collecte, rien n’indique toutefois, selon les informations reçues par l’Équipe de surveillance, qu’il ait pu avoir accès à de nouvelles sources de financement, tant en Iraq qu’en République arabe syrienne.  Ses revenus proviennent notamment de l’extorsion de fonds, de la contrebande de pétrole brut, du trafic d’éléments du patrimoine culturel iraquien et syrien et, dans une moindre mesure toutefois qu’il y a 12 mois, des enlèvements contre rançon.  Le Front el-Nosra et, dans une mesure nettement moindre, l’EIIL se financent également au moyen de dons extérieurs.  On en sait moins sur le système de financement du Front el-Nosra, si ce n’est qu’il est davantage tributaire de sources extérieures.

Les activités d’extorsion de l’EIIL sont bien organisées et revêtent un caractère systématique.  L’EIIL lève des « impôts » sur les services publics de distribution, les traitements et pensions des fonctionnaires, les entreprises, les transactions financières et les retraits d’espèces auprès des banques.  Il prélève des « droits de douane » définis par ses soins et impose des « péages » aux postes de contrôle.  Il confisque des biens qu’il vend ensuite aux enchères ou met en location.  De surcroît, il demande « l’aumône » à la population et soumet les minorités à une taxe dite « jiziya » sur les territoires qu’il contrôle.  Les mesures de sanction ne pourront avoir qu’un effet indirect sur ce mode de financement, les fonds étant collectés à l’intérieur même des territoires contrôlés par l’EIIL.

L’EIIL tire actuellement des revenus du pétrole à différents stades de la chaîne de valeur.  Toutefois, les unités de raffinage modulaires ayant été détruites, il doit s’en remettre à des méthodes de raffinage moins efficaces et moins rentables.

Bien que le trafic d’éléments du patrimoine culturel iraquien et syrien dure depuis des années, les activités de l’EIIL et du Front el-Nosra ont considérablement accru l’ampleur du problème.  On ne dispose pas d’estimations fiables sur le montant total des revenus que l’EIIL tire de la contrebande d’antiquités, mais celui-ci s’emploie à organiser ce commerce illicite selon des modalités quasi bureaucratiques.  Il prélève des fonds à plusieurs niveaux, exigeant des droits pour la délivrance de permis aux pilleurs de sites et « taxant » les objets découverts et sortis clandestinement du territoire sur la base de leur valeur estimative.  Le pillage s’effectue au moyen d’engins de terrassement et, de plus en plus souvent, de détecteurs de métaux portatifs.  Il semble que le Front el-Nosra tire aussi des revenus de la contrebande d’objets anciens, même s’il recourt moins systématiquement à cette pratique.

En ce qui concerne les enlèvements contre rançon, on peut interpréter la mise à mort publique brutale d’otages par l’EIIL comme le signe d’une moindre dépendance de l’organisation à l’égard de cette source de revenus.  Cette stratégie pourrait néanmoins changer si d’autres sources se tarissent ou que l’EIIL est en mesure de prendre de nouveaux otages.  Le Front el-Nosra s’est lui aussi procuré des fonds sous forme de rançons.  Une faible proportion des revenus de l’EIIL est faite de dons extérieurs.  En revanche, le Front el-Nosra dépend plus fortement de tels dons.

II.   Propositions aux fins d’une meilleure application de la résolution 2199 (2015)

A.    Application des mesures visant à empêcher le financement par la contrebande de pétrole brut

Puisque l’EIIL est de plus en plus tributaire de méthodes de raffinage rudimentaires, il importe tout particulièrement que les États Membres s’abstiennent de lui fournir des installations modulaires et du matériel connexe, des pièces de rechange par exemple, comme le Conseil l’a demandé au paragraphe 1 de la résolution 2161 (2014) et souligné au paragraphe 9 de la résolution 2199 (2015), où il rappelle notamment que les États sont tenus de veiller à empêcher leurs nationaux et les personnes se trouvant sur leur territoire de mettre à la disposition de l’EIIL et du Front el-Nosra, directement ou indirectement, des unités de raffinage modulaires et des matériels connexes.  Il ressort des discussions que l’Équipe de surveillance a eues avec des experts du secteur pétrolier que l’application de cette disposition par les entreprises privées pose des difficultés.  Cela est d’autant plus vrai que les entreprises n’ont souvent pas les moyens d’investigation qui leur permettraient d’exercer une diligence raisonnable à l’égard de leurs partenaires implantés à proximité des zones que contrôlent l’EIIL et le Front el-Nosra.  Un moyen d’améliorer l’application de cette disposition serait pour les États Membres de fournir davantage de conseils techniques aux entreprises relevant de leur juridiction.  Afin d’aider les États Membres dans ce domaine, le Comité a décidé de confier à l’Équipe de surveillance le soin d’établir un document recensant les difficultés techniques particulières que peuvent rencontrer les entreprises dans la mise en œuvre de la résolution 2199 (2015).

Il ressort des informations communiquées au Comité en application du paragraphe 12 de la résolution 2199 (2015) qu’il est souvent difficile pour les États Membres d’établir, comme l’exige en substance ledit paragraphe 12, un lien clair entre le pétrole brut intercepté et les groupes associés à Al-Qaida, tels l’EIIL et le Front el-Nosra.  En raison de ces difficultés, il se pourrait que l’obligation d’informer prévue au même paragraphe ne soit pas toujours observée. La bureaucratisation des activités de l’EIIL pourrait toutefois simplifier à cet égard la tâche des États intercepteurs.  D’après les informations reçues par l’Équipe de surveillance, l’EIIL tient le registre de ses opérations de contrebande de pétrole brut et conserve des pièces comptables.  Si ces informations sont confirmées et que le modèle bureaucratique se généralise, les États auront vraisemblablement accès à davantage de documents et pourront ainsi appliquer plus facilement les dispositions du paragraphe 12 de la résolution.

B.    Application des mesures visant à empêcher le financement par le commerce illicite de biens culturels

S’il est vrai que le commerce illicite de biens culturels iraquiens et syriens constituait un problème avant même que l’EIIL et le Front el-Nosra ne fassent parler d’eux, il n’en reste pas moins que l’action des deux groupes a considérablement accru l’ampleur du phénomène. Durant ses entretiens avec les États Membres et les spécialistes de la question, l’Équipe de surveillance a recensé six domaines dans lesquels les États ont des difficultés à appliquer les dispositions prévues au paragraphe 17 de la résolution 2199 (2015). Il convient de remédier à ces difficultés si l’on veut renforcer la capacité de tous les États Membres d’agir collectivement aux fins de la mise en œuvre de la résolution.

1.    Documents d’identification

Pour mener à bien leurs enquêtes, les États Membres ont besoin de documents d’identification. Il est donc indispensable d’améliorer l’enregistrement des biens culturels iraquiens et syriens. En raison des lacunes dans l’enregistrement et l’inventaire des biens culturels de la région, il est difficile de dresser la liste des objets pillés dans les sites que contrôlent l’EIIL et le Front el-Nosra.

Lorsqu’il s’agit d’objets pillés dans des sites du patrimoine culturel qui n’ont pas été répertoriés, il est également très difficile d’établir que ces objets proviennent d’Iraq ou de République arabe syrienne. Il importe donc que, lors des saisies, les États Membres précisent la date et le lieu de la saisie, ainsi que l’origine des objets. Lorsqu’on ne sait ni dans quel lieu ni à quelle date les objets saisis ont été volés ou pillés, il est difficile d’établir qu’ils ont été sortis illégalement d’Iraq après le 6 août 1990 ou de République arabe syrienne après le 15 mars 2011, ces deux pays étant en proie au commerce illicite des biens culturels depuis de nombreuses années.

Enfin, la diversité linguistique complique l’échange d’informations et ralentit parfois le déroulement des enquêtes. Il importe donc d’élaborer des moyens de communication multilingue, en donnant notamment toute sa place à l’arabe.

2.    Mesures de précaution

Bien que les collectionneurs, les marchands d’art et les sociétés de vente aux enchères constituent le dernier rempart contre la vente d’objets de contrebande, l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), l’Organisation internationale de police criminelle (INTERPOL) et les spécialistes de la question ont indiqué à l’Équipe de surveillance que ce secteur n’appliquait pas encore les mesures de précaution appropriées. La situation est d’autant plus préoccupante que la contrefaçon des documents d’authentification est de plus en plus élaborée. Aux fins de la bonne mise en œuvre des mesures de sanction adoptées dans ce domaine, il est donc essentiel que les États Membres élaborent au niveau national des réglementations imposant des mesures de précaution au secteur privé. Faute de quoi, les collectionneurs, les marchands d’art et les sociétés de vente aux enchères courront toujours le risque de se prêter au commerce illicite de biens culturels.

3.    Coopération avec le secteur financier

Selon les interlocuteurs internationaux de l’Équipe de surveillance, il existe un risque non négligeable de financement du terrorisme par le commerce d’objets de contrebande. Ce risque peut être atténué par la mise en place au niveau national de mécanismes permettant une meilleure coordination entre le secteur de la finance et le celui du commerce d’antiquités. Afin de favoriser l’application concrète des dispositions de la résolution 2199 (2015), il conviendrait que les autorités compétentes des État Membres s’intéressent davantage à cet aspect de la question.

4.    Proposition de conserver en lieu sûr les antiquités

Un certain nombre d’États Membres, d’organisations internationales et d’acteurs du secteur privé ont proposé de conserver les antiquités en lieu sûr, hors d’Iraq et de République arabe syrienne. Cette proposition doit être examinée avec prudence. On peut certes considérer que les antiquités volées ou pillées conservées en lieu sûr seraient protégées, mais elles pourraient aussi se retrouver sur le marché parallèle et favoriser par là même l’augmentation du trafic.

5.    Obligation d’informer

Contrairement à celles sur les interdictions relatives aux produits pétroliers, les dispositions de la résolution 2199 (2015) n’obligent pas les États Membres à faire rapport sur les saisies de biens culturels illégalement soustraits, même si l’obligation générale de faire rapport est énoncée au paragraphe 29.  En signalant ces saisies, les États permettraient pourtant au Comité et à l’Équipe de surveillance de mieux évaluer l’ampleur du commerce illicite auquel se livrent l’EIIL, le Front el-Nosra et les autres personnes et entités associées à Al-Qaida dans la région. Un moyen utile et efficace de lutter contre le financement du terrorisme par le trafic et le commerce illicite serait par conséquent que les États Membres fassent régulièrement rapport sur les saisies de biens culturels importés illégalement d’Iraq et de République arabe syrienne.

6.    Propositions d’inscription sur la Liste relative aux sanctions contre Al-Qaida

L’inscription de personnes et d’entités sur la Liste relative aux sanctions contre Al-Qaida contribue grandement à la bonne application des mesures de sanction et réduit par là même la capacité de l’EIIL et du Front el-Nosra de se financer au moyen du commerce illicite d’antiquités. Les États Membres, par leur coopération et leurs activités de sensibilisation auprès des antiquaires, des marchands d’art et des collectionneurs, sont les mieux à même de repérer les personnes et les entités qui jouent un rôle important dans le trafic et le commerce illicite contrôlés par l’EIIL et le Front el-Nosra. En proposant d’inscrire le nom de personnes et d’entités sur la Liste relative aux sanctions contre Al-Qaida, les États Membres contribueraient à améliorer la pertinence de la Liste, ce qui permettrait de renforcer l’efficacité globale des mesures de sanction à l’égard non seulement de l’EIIL et du Front el-Nosra mais aussi des autres personnes et entités associées à Al-Qaida.

C.    Application des mesures de lutte contre les enlèvements avec demande de rançon

Comme indiqué précédemment, les enlèvements contre rançon constituent une source de revenu tant pour l’EIIL que pour le Front el-Nosra, aussi bien en Iraq qu’en République arabe syrienne. Il convient donc de rappeler aux États Membres que leurs obligations au titre de la résolution 2161 (2014) s’appliquent au paiement de rançons à des groupes inscrits sur la Liste, comme cela a été réaffirmé au paragraphe 19 de la résolution 2199 (2015).

D.    Application des mesures de lutte contre les dons extérieurs

La probabilité que l’EIIL et le Front el-Nosra reçoivent des dons ou d’autres fonds provenant de l’extérieur n’a pas diminué. D’où l’importance du paragraphe 22 de la résolution 2199 (2015), dans lequel le Conseil a exhorté les États Membres à s’occuper directement de ce problème en veillant au renforcement de la vigilance du système financier et en œuvrant aux côtés de leurs organisations à but non lucratif et caritatives afin que les flux financiers provenant de dons de bienfaisance ne soient pas détournés au profit de l’EIIL, du Front el-Nosra ou de tous autres personnes, groupes, entreprises et entités associés à Al-Qaida. La récente inscription sur la Liste d’une organisation non gouvernementale ayant des liens avec le Front el-Nosra montre que les groupes terroristes continuent d’agir sous le couvert d’organisations caritatives.

E.    Application des mesures visant à bloquer l’accès au système financier international

Au paragraphe 23 de la résolution 2199 (2015), qui porte sur l’accès de l’EIIL et du Front el-Nosra au système financier international, le Conseil a engagé les États Membres à prendre des mesures pour faire en sorte que les institutions financières sises sur leur territoire bloquent cet accès. Il importe au plus haut point que les États Membres continuent de faire preuve de vigilance sur cette question.  Si les mesures qu’ils ont adoptées ont permis de réduire certains risques, ils n’en doivent pas moins rester attentifs tant que l’EIIL continuera de percevoir des sommes importantes dans les territoires qu’il contrôle en Iraq et en République arabe syrienne. La capacité qu’a l’EIIL d’utiliser à son profit les systèmes parallèles de transfert d’argent et de recourir aux passeurs de fonds demeure très inquiétante.

On a signalé également que des combattants terroristes étrangers ayant rejoint les rangs de l’EIIL avaient pu continuer d’avoir accès au système financier international et retirer des espèces de leur compte bancaire ouvert dans leur pays d’origine en utilisant des distributeurs automatiques situés à proximité des zones d’opération de l’EIIL.  En outre, l’EIIL est toujours en mesure de transférer des fonds depuis ses bastions en République arabe syrienne et en Iraq vers ce qu’il appelle ses « provinces », ou de transférer des fonds de l’une à l’autre.  Les États Membres doivent garder à l’esprit que les mesures de gel des avoirs visant les personnes et les entités inscrites sur la Liste relative aux sanctions contre Al-Qaida, y compris l’EIIL et le Front el-Nosra, ne s’appliquent pas uniquement sur le territoire des États à partir desquels les opérations financières sont effectuées, par lesquels les fonds transitent et dans lesquels ceux-ci sont perçus.

F.    Application de la résolution 2199 (2015) et considérations humanitaires

Les organismes humanitaires ont fait savoir que, de manière générale, les sanctions pouvaient avoir de redoutables effets, mais aucune information n’indique qu’il existe des liens particuliers entre ces effets et les sanctions imposées par la résolution 2199 (2015).  Les effets néfastes peuvent être dissipés ou, du moins, minimisés en échangeant des informations sur les sanctions, en communiquant avec les donateurs et en coordonnant les activités de ceux qui s’attachent à appliquer les sanctions et celles des organisations humanitaires.  Afin d’éviter que l’application de la résolution 2199 (2015) n’ait des retombées imprévues dans le domaine humanitaire, les États Membres pourraient mener des activités de sensibilisation auprès des acteurs humanitaires intervenant à l’intérieur ou à partir de leur territoire, en vue de les informer des obligations imposées par la résolution et de son champ d’application.

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