À la demande du Pakistan, le Comité des ONG prive deux organisations africaines de leur statut consultatif au terme d’un vote qui aura « un effet glaçant sur la société civile »
Le Comité chargé des ONG a dû, une nouvelle fois aujourd’hui, passer au vote pour recommander au Conseil économique et social (ECOSOC) de priver de leur statut consultatif l’ONG zambienne African Technical Association et la guinéenne African Technology Development Link. Cette décision, a prévenu la représentante des États-Unis, aura « un effet glaçant sur la société civile ».
Les deux ONG, qui travaillent surtout avec l’Organisation des Nations Unies pour le développement industriel (ONUDI), étaient inscrites depuis plus de 20 ans dans la « Liste », à savoir les organisations considérées par l’ECOSOC ou le Secrétaire général comme capables de contribuer de façon fructueuse et occasionnelle au travail du Conseil ou de ses organes subsidiaires, et habilitées à leur soumettre des pétitions. La « Liste » ou « Roster » est l’un des trois statuts consultatifs auprès de l’ECOSOC, les deux autres étant le statut consultatif général et le statut consultatif spécial.
Le Comité a ainsi accédé à la demande du Pakistan qui accusait African Technical Association et African Technology Development Link. de brandir des accusations sans fondement à l’encontre de son pays. La première s’est vue retirer son statut consultatif par 13 voix pour, et l’opposition de la Grèce, de l’Inde, d’Israël et de l’Uruguay. Parmi les 19 membres du Comité, le Burundi a été le seul à ne pas participer aux deux votes, mais il a été rejoint par le Soudan lors du vote sur African Technology Development Link. qui a perdu son statut par 12 voix pour et l’opposition des mêmes quatre pays.
Dans une lettre adressée au Comité le 19 mai dernier, la délégation du Pakistan invoquait la résolution 1996/31 de l’ECOSOC qui stipule qu’un statut consultatif peut être suspendu pendant trois ans ou retiré lorsqu’une ONG abuse clairement dudit statut en se livrant à ces actes contraires aux buts et principes de la Charte des Nations Unies, y compris des allégations non vérifiées ou politiquement motivées contre un État Membre de l’ONU. La délégation reprochait précisément aux deux organisations d’avoir, tour à tour, affirmé que l’armée pakistanaise met en danger la sécurité des populations du Balochistan et que le Pakistan n’est qu’« un régime colonial » ou « une force d’occupation » pour celles du Gilgit-Baltistan.
« Nous n’avons entendu qu’un seul son de cloche aujourd’hui, en l’occurrence la version pakistanaise », a commenté la représentante des États-Unis, devant « un processus précipité ». Elle a déploré le manque de temps dont ont disposé les délégations pour collecter suffisamment d’éléments et a vivement dénoncé un vote qui a créé « un précédent dangereux », en bridant la liberté des ONG, et qui aura « un effet glaçant sur la société civile ». « Aujourd’hui est un jour triste pour le Comité », a-t-elle dit. Son homologue de l’Uruguay a mis en avant le caractère « drastique » de la décision.
Le Comité des ONG a tout de même recommandé aujourd’hui au Conseil économique et social (ECOSOC) d’octroyer le statut consultatif spécial à 16 ONG mais décidé de faire patienter 27 autres organisations qui doivent répondre à de nouvelles questions. Le statut consultatif spécial est octroyé aux ONG qui travaillent dans un domaine spécifique et qui ne sont concernées que par certaines activités de l’ECOSOC. Elles sont habilitées à soumettre à l’ECOSOC des communications écrites et des pétitions.
En plus des communications et des pétitions, les ONG qui ont le statut consultatif général peuvent proposer à l’ECOSOC et à ses organes subsidiaires l’inscription de points à l’ordre du jour. Ce sont des ONG qui poursuivent des activités couvrant la plupart des domaines d’activité du Conseil économique et social.
Le Comité poursuivra ses travaux demain, mercredi 3 juin, à partir de 10 heures.
NOUVELLES DEMANDES D’ADMISSION AU STATUT CONSULTATIF ET NOUVELLES DEMANDES DE RECLASSEMENT
Le Comité a recommandé l’octroi du statut consultatif spécial aux ONG suivantes:
- Concepts of Truth, Inc. (États-Unis)
- Fairfood International (Pays-Bas)
- Fondation pour l’éradication du travail des enfants dans la culture du tabac (Suisse)
- Institut de la démocratie et de la coopération (France)
- Institute of the Blessed Virgin Mary - Loreto Generalate (Italie)
- Kaurareg Aboriginal Land Trust (Trust)
- México Unido contra la Delincuencia, A.C. (Mexique)
- Stiftelsen Stockholm International Water Institute (Suède)
- The New Zealand Drug Foundation (Nouvelle-Zélande)
- Nouveaux droits de l'homme (NDH) (Cameroun)
- Promotion pour le Développement (PROMODEV) (Haïti)
- Agence pour les droits de l’homme (Suisse)
- Global Migration Policy Associates (GMPA) (Suisse)
- Privacy International (Royaume-Uni)
- Specified Non-profit Corporation, Health and Global Policy Institute (Japon)
- Utah China Friendship Improvement Sharing Hands Development and Commerce (États-Unis)
REPORT DE L’EXAMEN DE NOUVELLES DEMANDES
Les ONG suivantes ont vu l’examen de leur demande reportée dans l’attente des réponses aux questions posées aujourd’hui par les membres du Comité.
Le Comité des ONG a reporté l’examen du dossier d’Electronic Frontier Foundation, Inc. (États-Unis) dans l’attente des précisions demandées par le représentant de la Chine qui a, une nouvelle fois, demandé des explications sur les 4 millions de dollars de bénéfices alors que l’ONG prétend être une association à but non lucratif. La Fundación Novia Salcedo (Espagne) devra expliquer à la représentante de Cuba pourquoi des entreprises privées lui fournissent 83% de son budget. Comment peut-elle fonctionner sans dépense administrative? Gain International (États-Unis) doit respecter, pour la représentante de l’Iran, le terme « Golfe persique ».
Le Comité des ONG a aussi reporté l’examen du dossier de Global Network of Civil Society Organisations for Disaster Reduction (Royaume-Uni) qui a été appelée par la représentante de la Chine à respecter le nom officiel du Tibet et de Taiwan. Le Collectif de la Paix au Sri Lanka (France) a été prié par le représentant du Pakistan d’expliquer des dépenses administratives de l’ordre de 30% du budget et par le représentant de l’Inde de donner le détail de sa contribution aux travaux du Conseil économique et social (ECOSOC).
La déléguée de la Chine s’est étonnée que les dépenses administratives du Mouvement de la paix (France) représentent 43% de son budget et a demandé des précisions. « Quelles sont les organisations auxquelles New Jersey Minority Educational Development NJ-MED (États-Unis) fournit des services à titre gracieux? » a demandé la déléguée de Cuba, qui a souhaité une liste de ces organisations. Le représentant du Soudan a obtenu du Comité le report de sa décision sur la demande de Oromia Support Group in Australia Inc. (Australie) en attendant des précisions sur les activités de cette organisation en Afrique de l’Est, en particulier au Soudan. Stiftung Wissenschaft und Politik (Allemagne) devra également patienter, après que la déléguée de Cuba a demandé que l’organisation lui fournisse la liste de ses partenaires en Amérique latine et dans les Caraïbes.
La déléguée de la Chine a souhaité que STUF United Fund Inc (États-Unis) donne des précisions sur les organisations participant au réseau qu’elle a créé. Son homologue du Venezuela a voulu obtenir de Sukyo Mahikari (États-Unis) le détail des activités qu’elle mène au Venezuela. Quelle est la nature des activités de The Acton Institute for the Study of Religion and Liberty (États-Unis) en Asie? a interrogé la déléguée de la Chine, qui a souhaité des précisions sur le budget. La représentante de la Chine a également indiqué que The Children’s Investment Fund Foundation (UK) (Royaume-Uni) faisait une mention incorrecte de Taiwan sur son site Internet, alors que son homologue de l’Inde a demandé des précisions sur les activités conduites par cette organisation dans son pays.
The Death Penalty Project Limited (Royaume-Uni) devra également patienter, suite à des questions posées par les délégués de Cuba, de la Mauritanie, du Soudan et de l’Iran. « Quelles sont les relations de travail entre cette ONG et la Commission interaméricaine des droits de l’homme? » a demandé la déléguée de Cuba, alors que son homologue mauritanien demandait des précisions sur les activités conduites par cette ONG dans le domaine des droits de l’homme et rappelait que les législations sur la peine de mort différaient de pays en pays. « Quelles sont les activités de cette ONG en Afrique? » a souhaité savoir le délégué soudanais, avant que celle de l’Iran n’affirme que cette organisation reçoit des fonds du Gouvernement du Royaume-Uni. « Comment peut-elle dans ce cas garantir son indépendance? »
Le délégué du Soudan s’est étonné qu’aucun projet ne soit mentionné dans la candidature de We Care for Humanity (États-Unis). « US-Africa Synergy Inc. (États-Unis) indique qu’elle donne aux femmes africaines l’accès à la vie. Qu’est-ce que cela veut dire? » s’est interrogé le délégué de l’Afrique du Sud. Son homologue du Soudan a obtenu du Comité le report de sa décision sur la demande de Work In Progress (France) en sollicitant des précisions sur les activités menées par cette organisation en Iraq et en Syrie. Le représentant de la Chine a souhaité que Conselho Indigenista Missionário CIMI (Brésil) corrige sur son site Internet la mention erronée de Taiwan en tant qu’État. Le délégué de la Grèce a voulu des précisions sur la nature des partenariats noués par Diplomatic Mission Peace And Prosperity (Albanie) avec certains gouvernements.
Le Comité des ONG a aussi reporté l’examen du dossier d’Helsinki Citizens’Assembly Vanadzor Office (Arménie) dans l’attente des précisions demandées par le représentant de la Fédération de Russie sur les organisations internationales qui financent cette ONG. VOICE (Vietnamese Overseas Initiative for Conscience Empowerment) (Philippines) doit encore donner à la représentante de Cuba la liste complète de ses partenaires, au cours des deux dernières années, et au représentant du Soudan, des détails sur son financement, ses bailleurs de fonds et ses dépenses en réunions et voyages. V‐Day Karama (Égypte) a été priée par le représentant du Soudan d’expliquer les raisons de son déficit budgétaire et le soutien apporté par le Gouvernement égyptien et les organisations partenaires. Quels sont vos projets pour les années à venir?
Quels sont les projets récents et futurs, a aussi demandé la représentante du Nicaragua à Bulgarian Gender Research Foundation (Bulgarie). Quelles sont les raisons du déficit budgétaire? Pourquoi les frais de voyages sont-ils plus élevés que le financement des activités? a demandé le représentant du Soudan à ELIGE Red de Jóvenes por los Derechos Sexuales y Reproductivos, A.C. (Mexique). Interregional Non-governmental Organization « Committee against Torture » (Fédération de Russie) reçoit-elle des appuis dans le pays? a demandé le représentant russe.
Corrigez le nom de Taiwan sur votre site Internet, s’est impatienté le représentant de la Chine devant Japan Federation of Democratic Medical Institutions (MIN-IREN) (Japon). Comment est-il possible que Public Interest Advocacy Centre Ltd (Australie) soit enregistrée en Australie et travaille dans un autre pays, s’est étonnée la représentante de l’Iran. Son homologue de la Chine a réclamé des détails sur les activités de l’ONG au Sri Lanka.
EXAMEN DES RAPPORTS SPÉCIAUX
Le représentant du Pakistan a estimé que les ONG zambienne African Technical Association et guinéenne African Technology Development Link, qui portent le nom « Afrique », ternissent en réalité l’image de ce continent. Il a demandé le retrait pur et simple du statut consultatif de ces deux organisations. Les questions sur les adresses postales et le site Internet ne sont que des détails qui ne doivent nous empêcher d’étudier les dossiers ces ONG, a plaidé le représentant de l’Inde qui a mis en garde contre toute décision précipitée et souligné la nécessité d’offrir aux ONG la chance de s’expliquer. « Le processus est un peu précipité », a renchéri la représentante des États-Unis, défendant des ONG qui sont « dans le système » depuis 20 ans. Ce que nous voyons aujourd’hui est dramatique, s’est-elle alarmée: la Zambie n’a que quatre ONG dans le système et la Guinée neuf. La représentante s’est aussi étonnée que cette question soit de nouveau soulevée, ce qui n’a pas empêché son homologue du Pakistan de demander un vote sur le retrait du statut consultatif à African Technical Association.
Annonçant qu’il votera pour, le délégué de la Chine a motivé sa décision par le fait que les activités de cette organisation présentent un caractère politique incompatible avec les objectifs de l’ECOSOC. On ne peut pas juger une ONG dans des délais aussi courts, a rétorqué le représentant de la Grèce, appuyé par son homologue des États-Unis. L’ONG n’a pas eu assez de temps pour répondre aux questions, a argué cette dernière, avant de déplorer le manque de transparence dans la procédure. Nous allons voter contre le retrait du statut, a annoncé, à son tour, le délégué de l’Inde, estimant que le Comité agissait « dans la précipitation ». L’ONG aurait dû avoir plus de temps pour répondre aux questions posées. Appuyant la proposition du Pakistan, le délégué du Soudan a aussi épinglé la nature « politique » des activités de l’ONG.
Pour finir, l’Afrique du Sud, l’Azerbaïdjan, la Chine, Cuba, la Guinée, la Fédération de Russie, l’Iran, la Mauritanie, le Nicaragua, le Pakistan, le Soudan, la Turquie et le Venezuela ont voté pour le retrait du statut. La Grèce, l’Inde, Israël et l’Uruguay ont voté contre et le Burundi n’a pas participé au vote.
Le Comité a ensuite voté sur la demande de la délégation pakistanaise de retirer à African Technology Development Link son statut consultatif. S’opposant à ce processus, la déléguée des États-Unis a déclaré: « nous n’avons entendu qu’un seul son de cloche aujourd’hui, en l’occurrence la version pakistanaise ». Elle a déploré le manque de transparence de la procédure de vote, « un vote qui crée un dangereux précédent, en bridant la liberté des ONG ». Elle a été appuyée par le délégué de l’Inde. « Il nous faut plus de temps pour étudier la requête pakistanaise », a renchéri la représentante de l’Uruguay, qui a souligné le caractère « drastique » d’une décision visant à priver une ONG de son statut consultatif. Son homologue de la Grèce a regretté le manque de temps pour discuter d’une question aussi « importante », et ce, alors que le Comité « consacre beaucoup de temps à des questions bien plus futiles ». Le délégué d’Israël a acquiescé.
Ont voté pour le retrait du statut consultatif: l’Azerbaïdjan, l’Afrique du Sud, la Chine, Cuba, la Guinée, la Fédération de Russie, l’Iran, la Mauritanie, la Nicaragua et le Pakistan, la Turquie et le Venezuela. L’Inde, Israël, les États-Unis, la Grèce et l’Uruguay ont voté contre. Le Burundi et le Soudan n’ont pas participé au vote.
Après le vote, le délégué de la Guinée a confirmé sa position en faveur d’une meilleure représentation des ONG africaines. « Toutefois, nous avons de bonnes raisons de penser que cette organisation n’est pas accréditée auprès de la Guinée. » Ces ONG ne sont pas de véritables ONG, a commenté son homologue du Pakistan. « Nous avons eu assez de temps pour débattre », a-t-il dit. Aujourd’hui est un jour triste pour le Comité, a en revanche déclaré la déléguée des États-Unis à un Comité « qui a privé trop légèrement deux ONG qui ont accédé à leur statut depuis plusieurs décennies ». Cette décision aura un effet « glaçant » sur la société civile, a-t-elle dit. Enfin, le délégué du Soudan a indiqué que s’il avait été présent, il aurait voté en faveur de la proposition du Pakistan.