La coopération internationale en matière fiscale est plus utile que jamais au moment où les ressources en faveur du développement durable doivent être mobilisées
Le Conseil économique et social (ECOSOC) a tenu, aujourd’hui, sa réunion annuelle sur la coopération internationale en matière fiscale, avec la participation de nombreux experts, dont ceux du Comité chargé de cette question qui pourrait, à l’avenir, être relevé au rang de Comité intergouvernemental des Nations Unies. Les trois tables rondes ont confirmé l’intérêt manifeste pour cette forme de coopération qui contribuera à mobiliser des ressources nationales en vue de la réalisation du futur programme de développement pour l’après-2015.
La mobilisation de ressources financières nationales pour le développement est en effet une des questions importantes du « projet zéro » du document final de la troisième Conférence sur le financement du développement, qui se tiendra à Addis-Abeba en juillet prochain, a rappelé le Vice-Président de l’ECOSOC, M. Vladimir Drobnjak (Croatie), en introduction à la première table ronde consacrée à ce sujet.
Alors qu’un nouveau consensus sur le financement du développement est en cours, l’évasion et les fraudes fiscales nécessitent des solutions internationales, a expliqué le Président de l’ECOSOC, M. Martin Sajdik (Autriche).
L’importance de cette question en termes de financement du développement a été illustrée notamment par un débat sur le renforcement des travaux du Comité d’experts de la coopération internationale en matière fiscale, un organe qui dépend de l’ECOSOC. Si les délégations ont reconnu l’utilité des travaux de ce Comité, elles ont cependant exprimé des avis partagés sur la proposition du Secrétaire général d’élever son statut en créant un véritable comité intergouvernemental sous les auspices de l’ONU.
Le Directeur du Bureau du financement du développement du Département des affaires économiques et sociales, M. Alexander Trepelkov, a présenté le rapport* du Secrétaire général concernant cette question, tandis que le Président du Comité d’experts, M. Armando Lara Yaffar (Mexique), a présenté les travaux** de la dixième session du Comité qui étaient notamment consacrés à l’échange de renseignements destinés à éviter la fraude et l’évasion fiscales.
Parmi les partisans d’un comité intergouvernemental, le représentant de l’Afrique du Sud, au nom du Groupe des 77 et de la Chine, en arguant que seule l’ONU avait la légitimité nécessaire dans ce domaine, a demandé que le document final d’Addis-Abeba prévoie un engagement dans ce sens. La représentante des Bahamas, au nom de la Communauté des Caraïbes (CARICOM), et le représentant de la société civile ont également demandé de veiller à ce que tous les pays soient inclus dans les processus tels que le BEPS (érosion de la base d’imposition et transfert de bénéfices par les entreprises).
La délégation de l’Union européenne a jugé au contraire que la composition actuelle du Comité était appropriée et s’est opposée à la « prolifération » des institutions, en prônant plutôt une meilleure synergie entre elles. Les États-Unis se sont aussi opposés à la création d’un nouvel organe onusien sur cette question ou à tout changement de statut du Comité existant. Il n’est pas non plus nécessaire d’élargir sa composition qui, selon eux, est suffisamment représentative.
Une autre proposition concernant ce Comité consisterait à déplacer sa session annuelle de Genève à New York, dans l’optique d’améliorer l’interaction entre ses organes subsidiaires et le suivi de leurs travaux, une suggestion qui n’a pas convaincu le représentant du Bangladesh.
Au cours du débat général, les délégations ont exprimé leurs avis sur les domaines de coopération fiscale à améliorer. La délégation russe a, par exemple, conseillé d’éliminer les procédures administratives superflues. Celle du Panama a prôné un meilleur échange de renseignements pour éviter l’évasion fiscale.
Une des tables rondes de l’après-midi a abordé le problème du manque à gagner dont souffrent les pays en développement en matière de taxation des droits de propriété intellectuelle et d’« autres biens incorporels ». Le Vice-Président de l’ECOSOC a expliqué que les règles applicables à cette imposition n’ont pas été conçues pour l’économie mondialisée d’aujourd’hui.
Enfin, une autre discussion a mis en évidence la nécessité de garantir l’efficacité des incitations fiscales dans les pays en développement. Si l’objectif de ces mesures est certainement de susciter de nouveaux investissements privés, elles ont aussi des effets négatifs qu’il faut éviter. Cette discussion se poursuivra, au cours des deux prochains jours, dans le cadre d’un atelier organisé par le Bureau du financement du développement.
RÉUNION SPÉCIALE SUR LA COOPÉRATION INTERNATIONALE EN MATIÈRE FISCALE
Table ronde 1 sur le thème « Le rôle de la coopération internationale en matière fiscale dans la mobilisation des ressources financières nationales pour le développement »
M. ALEXANDER TREPELKOV, Directeur du Bureau du financement du développement au Département des affaires économiques et sociales (DAES), qui animait la table ronde, a indiqué que l’avant-projet du document final de la troisième Conférence internationale sur le financement du développement souligne l’importance cruciale des recettes fiscales pour le financement du programme de développement de l’après-2015.
Mme GRACE PEREZ-NAVARRO, Directrice adjointe du Centre de politique et d’administration fiscales de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), a indiqué que les normes en matière de coopération fiscale établies par l’OCDE avaient été appliquées par plus de 90 pays. En outre, l’OCDE travaille sur la question de la criminalité fiscale, par le biais d’un groupe de travail sur la lutte contre le blanchiment d’argent. Elle a aussi créé une Académie internationale pour les enquêtes en matière de fraude fiscale, basée à Rome. Mme Perez-Navarro a également parlé de l’initiative de l’OCDE sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices par les entreprises, notamment multinationales, à l’étranger, plus connu sous son acronyme anglais BEPS (Base erosion and profit shifting). Elle a enfin présenté un programme d’« Inspecteurs sans frontières en matière fiscale » destiné à renforcer les capacités des pays qui en font la demande, qui sera officiellement lancée à la conférence d’Addis-Abeba.
Mme VICTORIA PERRY, Sous-Directrice du Département des finances publiques du Fonds monétaire international (FMI), a indiqué que l’assistance technique en matière fiscale du FMI était disponible à la demande. Ce programme, déployé dans plus de 100 pays, représente plus de la moitié de l’assistance que prodigue le FMI chaque année dans le monde entier. Elle a en outre prôné la bonne gouvernance comme moyen de renforcer la base fiscale, en ajoutant que la catégorisation des contribuables pourrait permettre aux États de se concentrer sur les secteurs les plus à même de fournir des recettes fiscales conséquentes. Elle a par ailleurs salué « le dialogue fiscal international », une initiative de coopération existant depuis plus d’une décennie entre certaines organisations internationales comme le FMI, la Banque mondiale.
M. MARIJN VERHOEVEN, économiste principal à la Gouvernance mondiale du Groupe de la Banque mondiale, a expliqué que la Banque mondiale fournissait assistance technique, conseils et analyse aux pays en développement dans le domaine fiscal, ainsi que des prêts pour renforcer les capacités de leurs administrations fiscales. Leur modernisation, a-t-il fait remarquer, exige une meilleure utilisation des technologies de l’information et des télécommunications. L’expert a également indiqué que la Banque aidait les pays à garantir la transparence fiscale. Il a indiqué que la Banque avait par ailleurs plaidé pour l’inclusion de plusieurs pays en développement dans le Projet BEPS. L’harmonisation des régimes fiscaux et taxation des ressources naturelles sont d’autres dossiers sur lesquels travaille la Banque mondiale. Au total, 360 dialogues et activités sont actuellement menés par la Banque mondiale sur les questions fiscales.
M. MÁRCIO VERDI, Secrétaire exécutif du Centre interaméricain des administrations fiscales (CIAT), dont le siège est au Panama, a vanté les mérites de la coopération Sud-Sud dans le domaine fiscal. Il a aussi salué deux programmes développés avec l’aide de l’Italie et de l’Allemagne qui ont permis de mener 36 missions bilatérales en deux ans, ainsi que celle du Gouvernement de la Suisse qui s’est engagé sur un projet avec cinq pays d’Amérique centrale et la Bolivie. Il a apprécié que l’OCDE prenne en compte les priorités des petits pays d’Amérique latine. Des consultations régionales ont mis en évidence les chances qu’offre le projet BEPS pour discuter de questions multilatérales, comme la suppression du secret bancaire. Selon M. Verdi, le BEPS est une initiative positive au plan régional. La mise en œuvre des accords trouvés dans ce cadre exige cependant une harmonisation en vue d’éliminer les restrictions locales, a-t-il dit.
M. LINCOLN MARAIS, Directeur de la stratégie et de la planification au Forum sur l’administration fiscale africaine (ATAF), s’est félicité de l’évolution positive de la coopération avec les organisations internationales sur le continent africain dans le domaine fiscal. Beaucoup d’idées et de dynamisme sont injectés dans les discussions internationales sur la fiscalité, a-t-il noté. Ces discussions ont lieu également avec les organisations régionales, comme la Banque africaine de développement et l’Union africaine. Cette dernière envisage de créer une entité chargée des questions de coopération fiscale. Pour ce qui est de l’ATAF, il a cité la collaboration qui a été développée avec notamment l’Association africaine de l’industrie et la société civile.
Au cours du dialogue interactif, le représentant du Bangladesh s’est étonné que des experts aient invité les pays les moins avancés (PMA) à mobiliser eux-mêmes des ressources nationales pour mettre en œuvre le programme de développement pour l’après-2015, alors même que l’expérience en la matière avec les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) avait été désastreuse. Il s’est aussi dit étonné par l’absence d’une organisation comme le CIAT ou l’ATAF dans la région Asie-Pacifique.
Les impôts ne peuvent, à eux seuls, suffire pour financer le développement, a répondu la représentante de l’OCDE, en notant que l’aide publique au développement (APD) gardait toute sa pertinence. Son homologue du FMI a, pour sa part, rappelé la mise en place d’un centre d’assistance en matière fiscale du FMI pour l’Asie-Pacifique, qui est basé à Fidji. Le représentant de l’ATAF a, quant à lui, précisé que cet organisme existait depuis cinq ans, grâce à la volonté des pays africains.
Table ronde 2 sur le thème « Les questions d’incitation fiscale et de protection de l’assiette fiscale pour les pays en développement »
Lors de cette table ronde, les experts ont analysé les effets positifs et négatifs des incitations fiscales, en soulignant que si elles étaient plus fréquentes qu’il y a 30 ans, ces mesures avaient en même temps perdu en efficacité. M. ERIC ZOLT, Professeur de droit à l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA) et Modérateur de cette table ronde, a indiqué que cette discussion se poursuivrait dans le cadre d’un atelier au cours des deux prochains jours.
Mme VICTORIA PERRY, experte du FMI, a signalé que 80% des pays les moins avancés d’Afrique subsaharienne offraient des exonérations fiscales en 2005, contre 40% en 1980. Outre le problème de concurrence fiscale entre les États, elle a mentionné le manque à gagner pour les pays. Pour analyser l’impact des incitations fiscales sur l’économie, il faut examiner si elles augmentent le volume des investissements et si elles génèrent des emplois, à condition que ces résultats dépassent leur coût en termes social. Elle a aussi averti contre le risque de distorsion car, a-t-elle fait observer, les investissements suscités par les exonérations fiscales ont un rendement fiscal plus bas que les autres.
La concurrence fiscale qu’entraînent les incitations fiscales pourrait aboutir à un nivellement par le bas, a craint pour sa part Mme BLANCA MORENO-DODSON, de l’Initiative mondiale en matière de politique fiscale, gestion macroéconomique et budgétaire du Groupe de la Banque mondiale. Les pays sont en effet tentés de diminuer les taux d’imposition des entreprises et d’instaurer des exonérations fiscales temporaires. Parmi les avantages de ces mesures, elle a parlé de la création d’emplois, de l’attraction des investissements étrangers directs (IED) et des bénéfices sociaux. S’agissant de leur coût, elle a souligné le manque à gagner qui se traduit par des investissements moindres dans des domaines importants pour le développement. Les incitations fiscales, a-t-elle estimé, sont plus utiles lorsqu’elles ont un seul objectif, comme le renforcement des exportations. Elle a aussi constaté qu’il était difficile pour les gouvernements de revenir en arrière en éliminant ces exonérations, mais qu’ils pouvaient cependant réagir en améliorant la transparence des dépenses fiscales.
Mme KIM JACINTO-HENARES, Commissaire au Bureau des revenus internes des Philippines, a indiqué que ce Bureau établissait, chaque année, une liste de priorités fiscales pour certains investissements auxquels s’applique un taux préférentiel d’imposition de 5%, tandis qu’il procède à une collecte des données sur les entreprises bénéficiaires. Mais les investisseurs choisissent les Philippines davantage pour leurs infrastructures, la qualité de leurs ressources humaines et la stabilité économique que pour les incitations fiscales, a-t-elle assuré. Mme Jacinto-Henares a ainsi émis des doutes sur la nécessité de ces mesures qui, en outre, sont des subventions interdites par l’OMC.
Pour répondre à la délégation du Bangladesh, l’experte du FMI a prôné la conclusion d’accords formels entre les pays pour faire reculer le système d’exonérations et éviter la concurrence qui en découle. À la délégation du Ghana, elle a conseillé de procéder à une analyse globale et approfondie sur les exonérations octroyées par les différents ministères.
Table ronde 3 sur le thème: « Taxation des droits de propriété intellectuelle et autres biens incorporels: problématiques pour les pays en développement »
M. MITCHELL KANE, Professeur de fiscalité de la chaire Gerald L. Wallace de l’Université de New York, a souligné que la question centrale du débat est de savoir « comment déterminer des impôts quand il n’y a pas de produit matériel à considérer », évoquant ainsi la question des biens incorporels.
M. GIAMMARCO COTTANI, Conseiller sur les questions fiscales au Directorat de l’évaluation centralisée de l’Agence italienne des revenus, a noté que les biens incorporels étaient aujourd’hui des facteurs réels de revenus fiscaux. Il a expliqué que les prix de transfert, les prix auxquels une entreprise transfère des biens corporels, des actifs incorporels, ou rend des services à des entreprises associées dans d’autres pays, sont fixés par l’entreprise elle-même. Ces décisions affectent directement l’assiette fiscale des États concernés par les transactions. Il a ainsi cité l’exemple du secteur de la mode qui délocalise les usines de fabrication dans des pays en développement afin de payer moins d’impôts, générant de ce fait plus de bénéfices. Pour les administrations fiscales des pays du siège de l’entreprise comme pour celles des pays de délocalisation, a-t-il fait remarquer, il est difficile d’agir sans être en possession des bonnes informations.
Mme VICKI BALES, Directrice des prix de transfert de groupe à SAB Miller au Royaume-Uni, a déclaré que cette multinationale était le deuxième producteur de bière dans le monde et payait 10 milliards d’impôts par an, notamment dans les pays en développement où sont déployés 70% de ses activités. Elle a expliqué que l’entreprise octroyait des licences à des acteurs brassicoles nationaux qui se servent de la renommée de ces produits et reversent des redevances au siège, tout en gardant la plus grande part des bénéfices récoltés au niveau national.
Mme NISHANA GOSAI, Directrice des prix de transfert (Centre des grandes entreprises) au Service sud-africain des impôts, a déploré le fait que les compétences fassent défaut dans les pays en développement pour permettre aux administrations fiscales d’évaluer les coûts réels des transferts. Elle a ainsi préconisé un renforcement des capacités fiscales nationales, tout en précisant que le manque d’informations fiables par les administrations fiscales de ces pays était un obstacle à l’établissement des taux d’imposition adéquats. Elle a justifié cette distorsion en soulignant que pour la plupart des cas, les multinationales et les autres entreprises concernées par les prix des transferts donnaient généralement l’information qui leur sied.
Au cours de la discussion interactive qui a suivi les exposés des experts, quelques intervenants se sont interrogés sur les moyens permettant de mettre un terme à ces méthodes de contournements appliquées par de nombreuses entreprises. Le représentant de l’Inter-American Centre of Tax Administrations (CIAT) a estimé que puisque les pays en développement n’ont pas les moyens de collecter les informations correctes de la part des contribuables d’une certaine taille, seule une solide collaboration entre les administrations fiscales pourrait apporter une solution. Cela permettrait d’établir les vrais coûts des transferts et d’appliquer des taux d’imposition appropriés, a-t-il assuré.