Conférence des parties à la Convention sur les handicapés: la société civile dénonce l’absence d’une mention « explicite » de la question du handicap dans le futur cadre du développement
« Pouvez-vous regarder les handicapés dans les yeux et leur dire qu’ils devront attendre encore 15 ans avant que leurs droits ne soient inclus dans un programme de développement? » Cette question a été posée, ce matin, par un représentant non voyant de la société civile aux États parties à la Convention relative aux droits des personnes handicapées qui ouvraient la huitième session de leur Conférence*, dans un contexte marqué par les dernières négociations de l’ONU sur le futur programme de développement durable pour l’après-2015, successeur des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) de 2000.
M. Venkatesh Balakrishna a en effet dénoncé le fait que les personnes handicapées ne soient pas « explicitement » mentionnées dans le futur programme de développement durable. « Être invisible dans ce programme veut dire qu’on sera invisible dans les prestations. » Le représentant de la société civile a plaidé pour que les délégations amendent le futur objectif 1 sur l’élimination de la pauvreté pour l’assortir d’indicateurs et de cibles concrètes sur les personnes handicapées. « Avec la plume de vos stylos, vous pouvez redonner espoir à des millions de personnes dans le monde. » 20% de la population mondiale est handicapée. Comment pouvez-vous prétendre éradiquer la pauvreté mondiale sans elle? s’est impatienté à son tour le représentant de « Disable people international », une association de personnes handicapées couvrant quatre régions du monde et présente dans plus de 54 pays.
Le programme de développement pour l’après-2015 représente une occasion unique de confirmer les engagements de la Convention relative aux droits des personnes handicapées, a renchéri la représentante de « International Disability Alliance ». Pour mesurer le succès de futurs objectifs de développement durable en 2030, il faudra d’ailleurs évaluer la situation des femmes handicapées, a prévenu le représentant de « Rehabilitation International Organization ». « Rassemblons-nous afin que les personnes handicapées puissent effectivement exercer leurs droits. »
Le Président de la Conférence des États parties a affirmé que la protection et la promotion de la dignité et des droits des personnes handicapées sont bien un pilier essentiel du travail de l’ONU. Mais M. Oh Joon a tout de même reconnu qu’« il y a encore beaucoup à faire ». Nous travaillons à l’édification d’un monde inclusif et accessible pour tous, a renchéri le Vice-Secrétaire général de l’ONU. M. Jan Eliasson a appuyé l’idée d’inclure les droits des personnes handicapées dans le programme de développement pour l’après-2015 pour faire en sorte que « ce nouveau cadre n’abandonne personne sur le bord de la route ». Nous devons tout mettre en œuvre pour avoir un agenda fondé sur les droits de tous. Le premier défi serait, a estimé la Présidente du Comité des droits des personnes handicapées, Mme Soledad Cisternas Reyes, de créer des indicateurs et le deuxième défi, d’obtenir de la Conférence internationale sur le financement du développement, prévue pour le mois prochain à Addis-Abeba, qu’elle tienne compte de la situation des personnes handicapées.
L’intégration de la question du handicap dans la réduction de la pauvreté et des inégalités est d’ailleurs l’un des thèmes que la Conférence des États parties examine au cours de cette session. Elle se penchera aussi sur les défis de la collecte des données et des statistiques. La représentante de la Nouvelle-Zélande a salué l’accent mis sur l’inclusion des personnes handicapées dans le cadre de développement pour l’après-2015, après avoir souligné que la meilleure expertise dans l’application de la Convention se trouve chez les personnes handicapées elles-mêmes.
La Convention relative aux droits des personnes handicapées a été adoptée en 2006 et est entrée en vigueur en 2008. Ses 48 articles de fond ont pour objet de promouvoir, protéger et assurer la pleine et égale jouissance de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales par les personnes handicapées et de promouvoir le respect de leur dignité intrinsèque. Par personnes handicapées, on entend des personnes qui présentent des incapacités physiques, mentales, intellectuelles ou sensorielles durables dont l’interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à leur pleine et effective participation à la société sur la base de l’égalité avec les autres.
La Convention est assorti d’un Protocole par lequel tout État Partie audit Protocole reconnaît que le Comité des droits des personnes handicapées a compétence pour recevoir et examiner les communications présentées par des particuliers ou groupes de particuliers ou au nom de particuliers ou groupes de particuliers relevant de sa juridiction qui prétendent être victimes d’une violation par cet État Partie des dispositions de la Convention.
Les droits des personnes handicapées n’avaient été pris en compte dans les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD), a reconnu le représentant de l’Autriche, dénonçant un fait qui a exacerbé l’exclusion de cette catégorie dans des secteurs clefs de l’éducation, de la santé et de l’emploi. « Levons les obstacles qui nous empêchent d’avancer vers une société véritablement inclusive et ancrée dans les droits de l’homme. » Pour cela, il faut des objectifs de développement durable « clairs et lisibles », a estimé la représentante de la Jordanie, car c’est du manque de clarté que naissent les mauvaises interprétations, les incompréhensions et les lacunes dans la mise en œuvre. Il nous faut, a renchéri le représentant de la Sierra Leone, des objectifs reposant sur les principes de l’égalité, de l’universalité, de l’inclusion et de l’accessibilité. Son homologue de l’Afrique du Sud a appuyé les futurs objectifs tels qu’ils apparaissent à ce stade des négociations, en particulier les appels à une action et une responsabilité collectives pour faire en sorte que les intérêts et les droits des personnes handicapées soient protégés et promus. 2015 est en effet, a souligné la représentante de la Roumanie, une année qui offre l’occasion d’adopter un programme de développement véritablement transformateur.
Comme notre objectif est « de n’abandonner personne sur le bord de la route », il faut accorder l’attention requise aux personnes handicapées qui, dans bien des cas, sont victimes de discrimination. Le lien entre handicap, pauvreté, inégalités et exclusion doit être examiné et les obstacles doivent être levés, a insisté la représentante. L’inclusion dans le programme de développement pour l’après-2015 d’objectifs spécifiques sur les personnes handicapées, des résultats
escomptés et d’indicateurs permettrait aux États d’avoir un cadre de référence dans leur travail pour promouvoir des droits de tous, a estimé le représentant du Malawi. Son homologue du Canada a développé le même argument. Le représentant du Malawi a ajouté qu’il faudrait renforcer les capacités des organisations régionales d’appuyer la mise en œuvre des accords internationaux.
Pour assurer le succès du programme de développement pour l’après-2015, a poursuivi la représentante de la Pologne, il faut de la cohérence entre les mesures en faveur des personnes handicapées et les autres actions. L’éducation, le travail et la protection sociale sont des conditions préalables à la pleine participation dans la société mais il faut ajouter un autre élément: le changement des attitudes. Elle s’est dite convaincue que la société civile à laquelle participe tout le monde sans distinction est le « fondement » pour atteindre les objectifs du programme de développement pour l’après-2015.
La représentante des Philippines a d’ailleurs rappelé que son pays et la Tanzanie ont en 2014 parrainé une résolution intitulée « Réaliser les OMD et autres accords internationaux de développement pour les personnes handicapées vers 2015 et au-delà ». Au moment où nous élaborons le programme de développement pour l’après-2015, n’oublions pas les besoins des personnes handicapées s’agissant de la sécurité alimentaire, de la nutrition et l’accès aux soins, à l’éducation et à l’emploi, a insisté la représentante. La promotion et la protection des droits des personnes handicapées continueront à être une priorité nationale dans la mise en œuvre du programme de développement pour l’après-2015, a assuré le représentant de la Barbade.
Intégrer la question du handicap dans l’élimination de la pauvreté exigera une approche holistique et intersectorielle et un changement de paradigme, a-t-il dit, en pointant le doigt sur la faible capacité de son pays en matière de collecte des données fiables sur le handicap. Nous mettrons particulièrement l’accent, a dit de son côté le représentant de la Suède, sur l’importance qu’il y a à impliquer étroitement les personnes handicapées dans l’élaboration, la mise en œuvre et le suivi du programme pour l’après-2015.
Ce programme est un progrès « important et crucial », a dit en écho le représentant de Malte qui a jugé très important de promouvoir l’intégration de tous et de répondre à tous les besoins, aspirations et ambitions des personnes handicapées. La Constitution indienne consacre déjà, a précisé le représentant de l’Inde, une société inclusive embrassant les personnes handicapées qui représentent 2,21% de la population, soit 26,8 millions de personnes. Comme de très nombreuses autres délégations, celle de l’Inde a passé en revue les initiatives nationales en faveur des personnes handicapées.
La représentante de la Belgique a annoncé que la protection sociale est la priorité de son gouvernement dans le cadre des négociations sur le programme de développement pour l’après-2015. Pour que ce programme inclue tout le monde, trois principes doivent être soulignés: une meilleure utilisation des données sur le handicap, une participation de la société civile mieux structurée et le renforcement de la coopération internationale. L’approche doit tendre vers la sécurité humaine, a souligné le représentant du Japon.
« Que signifie le développement durable pour une personne handicapée? Que signifie le développement durable pour nous tous? Est-ce la même chose? » a demandé le représentant de la Suisse. Si l’objectif du programme de développement pour l’après-2015 est « de n’abandonner personne sur le bord de la route », le développement durable signifierait de promouvoir un monde où toute personne, handicapée ou non, trouve sa juste place dans la société et puisse exercer ses droits sans discrimination.
Le thème de l’intégration de la question du handicap dans le programme de développement pour l’après-2015 constitue un signal fort qui assigne à la Conférence une mission « extrêmement complexe et exigeante ». L’application des droits des personnes handicapées représente en effet à elle seule un défi aussi exigeant que l’élaboration du programme de développement durable. Mais ceci ne doit pas nous empêcher d’aborder la question. Il faut s’attendre à un processus de longue haleine et chaque participant doit saisir cette occasion pour réfléchir à sa contribution. « Avons-nous le courage, la détermination et la volonté politique de créer un développement durable pour nous tous - handicapés ou non? »
La Conférence des États parties a jusqu’au 11 juin pour répondre à cette question. En attendant, le représentant de la Turquie a indiqué que son pays achève cette année le processus de ratification du Protocole facultatif se rapportant à la Convention relative aux droits des personnes handicapées. Celle de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) a fait le point sur les efforts visant l’entrée en vigueur du Traité de Marrakech sur l’accès des aveugles, des déficients visuels et des personnes ayant d’autres difficultés de lecture des textes imprimés aux œuvres publiées. Le Traité nécessite la ratification de 20 États pour entrer en vigueur. L’OMPI s’attend à ce que ce nombre soit atteint l’année prochaine.