L’Instance permanente sur les questions autochtones tient un débat sur la situation des autochtones dans les pays d’Afrique
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Instance permanente sur les questions autochtones
Douzième session
7e séance - après-midi
L’INSTANCE PERMANENTE SUR LES QUESTIONS AUTOCHTONES TIENT UN DÉBAT
SUR LA SITUATION DES AUTOCHTONES DANS LES PAYS D’AFRIQUE
Des intervenants insistent sur la distinction entre « autochtones » et « minorités »
L’Instance permanente des Nations Unies sur les questions autochtones a tenu, cet après-midi, un débat d’une demi-journée sur l’Afrique au cours duquel des voix se sont élevées pour rejeter le concept de « peuples autochtones », tandis que d’autres ont tenu à établir une distinction entre « autochtones » et « minorités ». L’Instance a aussi examiné une « étude* sur la résilience, le savoir traditionnel et le renforcement des capacités des populations pastorales d’Afrique », conduite et présentée par M. Paul Kanyinke Sena, du Kenya, élu Président de la douzième session qui se déroule à New York du 20 au 31 mai.
Au cours du débat, le représentant de la République-Unie de Tanzanie a réitéré les réserves émises par son pays concernant les revendications des communautés autochtones placées sous sa juridiction. Il a en effet argué que le concept même d’autochtone provient de l’ère coloniale, ce qui sous-tend la notion selon laquelle les communautés ainsi désignées souffraient d’une infériorité. « C’est pour cette raison, a-t-il poursuivi, que la Tanzanie a encore des difficultés à accepter cette notion et encore moins sa définition ».
Ce concept a été la raison qui a présidé à la création du groupe de travail sur les peuples autochtones de la Commission africaine des droits de l’homme, a précisé l’un des panélistes et membre dudit groupe de travail, M. Albert Barume.
« Le groupe de travail avait pour mandat, entre autres, de clarifier si le concept d’autochtone pouvait s’appliquer à l’Afrique, ce à quoi les membres du groupe ont répondu par l’affirmative », a-t-il rappelé.
Outre M. Barume, les panélistes dont la liste suit ont fait des exposés: le Président de la présente session de l’Instance, M. Paul Kanyinke Sena; un autre membre de l’Instance, M. Simon M’Viboudoulou; le Conseiller juridique du Président du Congo, M. Laurent Tengo; et le représentant du Forum international des populations autochtones d’Afrique centrale (FIPAC), M. Vital Bambanze.
Avant toute action concernant les autochtones, M’Viboudoulou a jugé indispensable de connaître la démographie de ces populations, afin de les cartographier et d’établir des données sur leurs modes de vie. Après avoir renvoyé également les participants aux articles 41 et 42 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, ce membre de l’Instance a aussi estimé qu’il importe de procéder à l’identification des potentiels des autochtones, ainsi qu’à la constitution de bases de données statistiques.
« La volonté des dirigeants africains d’améliorer les politiques sociales en faveur des populations autochtones est sans équivoque », a quant à lui souligné avec force M. Tengo. Il a par ailleurs exhorté les peuples autochtones à « sortir du mutisme et à s’exprimer sans détours ni recours à l’intermédiation extérieure car ils sont eux-mêmes conscients de leurs problèmes ». « Il faut que les populations autochtones d’Afrique coupent avec la situation de ‘sous tutelle’ », a encore exhorté le Conseiller juridique du Président congolais.
Alors que nombre d’intervenants ont cité le Congo, le Cameroun et dans une certaine mesure le Kenya comme des modèles à suivre en ce qui concerne la mise en place de programmes favorables aux autochtones, M. Tengo a vigoureusement réitéré « l’engagement constant et ferme des États africains de mettre tout en œuvre pour reconnaître, promouvoir et protéger les droits de ces peuples et d’améliorer autant que faire se peut, leur situation dans tous les domaines de la vie ».
M. Bambanze, du Forum international des populations autochtones d’Afrique centrale (FIPAC), a exprimé, pour sa part, sa préoccupation face à la situation instable qui prévaut dans la région de l’Afrique centrale des Grands Lacs. Il a évoqué en particulier la « vulnérabilité des peuples Batwa et Bambuti, qui demeurent invisibles, ce qui est extrêmement grave ». Il a aussi dit son inquiétude au sujet des violations des droits de l’homme que subissent ces derniers temps des populations touarègues de l’Afrique occidentale. « Les menaces ne viennent pas seulement des milices et de ceux qui sont impliqués dans l’exploitation illégale des ressources, mais des gouvernements nationaux qui refusent de permettre aux peuples autochtones de s’identifier et de s’auto-organiser », a constaté M. Bambanze.
Le représentant du FIPAC a aussi exprimé son inquiétude face à la lenteur manifestée par l’Union africaine pour promouvoir la participation des Touarègues au processus de stabilisation et de reconstruction du Mali en général et du territoire de l’Azawad en particulier. Dans toutes les situations évoquées, M. Bambanzea a noté la vulnérabilité généralisée des femmes autochtones en Afrique, en particulier du fait de la violence fondée sur le genre, que ce soit en période de conflit ou situation de paix et d’accalmie.
L’Instance reprendra ses travaux vendredi 24 mai à 10 heures pour un dialogue général avec les organismes et fonds des Nations Unies.
DÉBAT D’UNE DEMI-JOURNÉE SUR L’AFRIQUE
Étude sur la résilience, le savoir traditionnel et le renforcement des capacités des populations pastorales d’Afrique (E/C.19/2013/5)
Préparée par M. Paul Kanyinke Sena, membre du l’Instance permanente sur les questions autochtones –élu président de la douzième session de l’Instance-, cette étude est axée sur les bonnes pratiques et les perspectives d’avenir. Elle repose sur la question de savoir comment modifier les politiques et les lois foncières de manière à préserver les droits de ces populations -dont la pratique remonte à au moins 8 000 ans, et a grandement influencé l’organisation sociale, culturelle et politique du continent- à l’occupation des terres tout en respectant l’écosystème.
Après une introduction sur le pastoralisme, (Le pastoralisme émane du principe selon lequel un certain laps de temps est nécessaire pour que l’écosystème se régénère et s’adapter aux cycles climatiques. De ce fait, tant les êtres humains que les animaux domestiques doivent se déplacer sans cesse pour préserver à la fois la biodiversité et leurs moyens de subsistance.) suivie d’une présentation du contexte historique, le rapport donne un aperçu de la discrimination légale des populations pastorales par le système colonial au profit des populations agricoles, plus nombreuses et sédentaires.
Le document présente ensuite les notions européennes de res nullius (chose sans maître) et de terra nullius (étroitement associée à la doctrine européenne qui voulait que les territoires découverts soient « inoccupés » ou « sans propriétaire »). Selon M. Sena, la notion de res nullius a été le fondement juridique sur lequel les autochtones se sont vu refuser l’accès à la terre au profit d’un régime européen restrictif favorisant les peuples sédentaires et colonisateurs.
Il y précise que ce parti pris étant perpétué dans le droit africain moderne, les régimes juridiques et constitutionnels ne reconnaissent pas les droits traditionnels d’accès aux ressources des chasseurs ou éleveurs nomades, ou leurs institutions de gouvernance traditionnelles, d’où les revendications des populations pastorales actuelles.
(L’avis consultatif rendu par la Cour internationale de Justice dans l’affaire du Sahara occidental est déterminant car il a établi que le principe de res nullius ne pourrait servir à justifier des conquêtes étrangères, est-il expliqué dans l’étude, qui arrive ainsi à la conclusion que les nomades ont le même droit à la terre que les propriétaires fonciers urbains disposant de titres fonciers.)
Dans la section IV de l’étude intitulée « Aperçu des questions de droit », M. Sena souligne que les populations pastorales autochtones demandent que les textes de loi nationaux soient mis en conformité avec la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones de 2007. Il aborde la question des changements climatiques dans la section V.
Dans les conclusions et recommandations, M. Sena propose à plusieurs agences et institutions des Nations Unies ayant une grande influence sur les politiques agricoles africaines (PNUD, FAO et FIDA notamment) d’organiser un atelier sur l’élevage africain, les droits des peuples autochtones et l’adaptation aux effets des changements climatiques. Il formule aussi des recommandations au Comité de l’UNESCO sur le patrimoine mondial, à l’Instance permanente pour discuter plus avant des améliorations à apporter aux procédures de désignation et de gestion des Sites.
L’Annexe de l’étude contient une liste d’études de cas du Comité de coordination des peuples autochtones d’Afrique.
Déclarations liminaires
Concernant le point discuté aujourd’hui par l’Instance, M. SIMON M’VIBOUDOULOU, membre de l’Instance permanente, a évoqué la nécessité d’obtenir des engagements de toutes les parties prenantes, les États Membres et les organisations régionales et internationales, de favoriser la mise en œuvre de la Déclaration de l’ONU sur les droits des peuples autochtones, et notamment de ses articles 41 et 42. Il a jugé indispensable que les groupes autochtones soient mieux connus et que les défis majeurs qui se posent à eux soient bien ciblés. Avant de développer tout plan de sauvegarde des us, coutumes et biens des autochtones, il faut procéder au recensement général de toutes les populations autochtones, pays par pays, a préconisé M. M’viboudoulou. Il a jugé indispensable de connaître les tendances démographiques des peuples autochtones, afin de cartographier leurs communautés, y compris le recensement des concepts liés à leurs modes de vie. Il a jugé important de procéder à l’identification des différents potentiels qu’ont les autochtones, ainsi qu’à la constitution de bases de données statistiques. Il a appelé les dirigeants africains à être à l’écoute des populations autochtones sur les questions qui les concernent. L’intervenant a ajouté qu’il était impératif de garantir l’inclusion de toutes les populations dans les cadres et processus de prise de décisions comme les parlements, les communautés locales, les syndicats etc. L’exclusion des populations autochtones des différents processus de décision ne conforte pas l’idéal de démocratie et de bonne gouvernance auquel nous prétendons tous, a-t-il dit. Il indiqué que le refus de reconnaître les droits de propriété foncière des populations autochtones est une des plus grandes sources du mal qui leur est fait en Afrique. Il a jugé indispensable d’assurer sans condition à ces populations leur « droit à la terre », sur lequel viennent se greffer d’autres droits subsidiaires.
M. LAURENT TENGO, Conseiller juridique du Président de la République du Congo, a dit que les États africains ont dans leur majorité émis un vote favorable en faveur de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et qu’ils s’organisent pour ratifier la Convention 169 de l’OIT. Au niveau régional, les chefs d’État et de gouvernement africains ont créé au sein de la Commission de l’Union africaine, un groupe de travail chargé des questions autochtones. Il a dit que ce groupe de travail exerce aujourd’hui son mandat sans entrave dans tous les pays d’Afrique où il a des raisons d’organiser une visite de travail. La seconde étape, qui rassure tout autant, est l’établissement d’une justice régionale incarnée par la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, a-t-il dit. Cette juridiction compétente en matière de règlement des conflits relatifs aux droits de l’homme, a rendu une décision de principe en faveur du peuple Andorois au Kenya en rétablissant ses droits sur les terres ancestrales d’où il avait été expulsé sans indemnité, ni compensation quelconque. L’État kenyan s’est soumis à la sentence et s’attelle à définir les modalités d’exécution de cette décision, en concertation avec les populations autochtones concernées, a indiqué M. Tengo.
Il a salué des initiatives prises au niveau sous-régional, pour faciliter la compréhension des problèmes autochtones, en citant l’organisation par deux fois, au Congo, d’un Forum international des populations autochtones d’Afrique centrale (FIPAC). Il a salué l’importance du Réseau des populations autochtones et locales des États d’Afrique centrale (REPALEAC). Il s’est réjouit de l’ouverture faite aux populations Batwa du Burundi pour un accès, en tant que députés, au Parlement, en dérogeant à la procédure d’élection des députés et des sénateurs. Il a estimé que les reformes constitutionnelles menées au Cameroun et au Kenya sont des exemples d’apaisement significatifs vis-à-vis des populations autochtones désormais officiellement reconnues comme partie intégrante des peuples de ces pays. Il a dit que la République du Congo, sur la base de sa loi de 2011, s’attèle à gagner le pari de l’égalité effective entre les bantous et les populations autochtones en combattant les préjugés de supériorité ou d’infériorité. Il a ajouté que la conduite des enquêtes sur la situation des populations autochtones, qui vient de recevoir le financement de l’Union européenne aidera à mieux cerner les problèmes des populations autochtones et à définir les axes d’intervention en connaissance de cause. M. Tengo a aussi jugé indispensable que les populations autochtones sortent du mutisme et s’expriment sans détours. Enfin, il a jugé indispensable que les États africains s’engagent à tout mettre en œuvre pour reconnaître, promouvoir et protéger les droits des populations autochtones et améliorer leur situation dans tous les domaines de la vie.
Le Président de l’Instance permanente, M. PAUL KANYINKE SENA, a rappelé que le Congo est le seul pays africain à s’être doté d’une loi sur les droits des peuples autochtones et il a encouragé les autres pays à lui emboîter le pas.
M. VITAL BAMBANZE, du Forum international des populations autochtones d’Afrique centrale (FIPAC), a déclaré que l’Afrique est un continent très diversifié, avec un tiers des langues du monde, et une large diversité d’écosystèmes et entités politiques. Il a cité, parmi cette diversité, la présence des peuples autochtones. Il a rappelé que depuis 2003, la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples a établi un cadre pour la reconnaissance de ces peuples autochtones africains qui est en harmonie avec les normes internationales, et les chartes africaines des principes les plus fondamentaux. La civilisation humaine, née en Afrique, s’est développée en relation intime avec les opportunités environnementales et économiques disponibles. L’Afrique est riche en ressources naturelles et minérales, mais en premier lieu, le continent est surtout doté de ses cultures, de ses valeurs, de sa sagesse et des divers systèmes de connaissances traditionnelles, a-t-il indiqué. Le continent a besoin d’apprécier sa propre capacité intellectuelle et de mobiliser les systèmes de savoir autochtones et locaux pour trouver une voie de développement qui renforce la capacité locale, et crée des opportunités pour le développement, tout en assurant la protection d’un patrimoine naturel irremplaçable.
Abordant les questions relatives aux droits de l’homme, M. Bambanze a exprimé sa préoccupation quant à la situation instable qui prévaut dans la région de l’Afrique centrale des Grands Lacs, et insisté sur la vulnérabilité des peuples Batwa et Bambuti, qui demeurent invisibles, ce qui est extrêmement grave. Les menaces ne viennent pas seulement des milices et de ceux qui sont impliqués dans l’exploitation illégale des ressources, mais aussi des gouvernements nationaux qui refusent de permettre aux peuples autochtones de s’identifier et de s’auto-organiser, a accusé l’intervenant. Il a aussi exprimé son inquiétude au sujet des violations des droits de l’homme en cours des populations touarègues de l’Afrique occidentale et par la réponse lente de l’Union africaine pour promouvoir la participation de ce peuple au processus de stabilisation et de reconstruction du Mali et du territoire de l’Azawad. Il a loué par ailleurs le Niger pour son succès dans la prévention des conflits. Dans toutes ces situations, le représentant de la FIPAC a noté la vulnérabilité généralisée des femmes autochtones en Afrique, en particulier du fait de la violence fondée sur le genre, que ce soit en période de conflit ou en période calme. Les mutilations génitales féminines restent une violation traumatique et non résolue des droits fondamentaux des femmes en Afrique de l’Est. Peu d’enfants et de filles autochtones ont un accès équitable à l’éducation formelle dans la plupart des pays du continent, a-t-il estimé.
M. ALBERT BARUME, membre du groupe de travail de la Commission africaine des droits de l’homme sur les autochtones, a présenté les conclusions du rapport du groupe de travail qui s’est penché sur la question de la conceptualisation du terme « autochtone en Afrique », raison profonde de l’établissement du groupe de travail. La question qui se posait consistait à savoir si le concept de peuples autochtones est pertinent pour le continent, ce à quoi le groupe de travail a répondu par l’affirmative. La non-reconnaissance de l’occupation des territoires de ces communautés par les pouvoirs coloniaux et par les États postcoloniaux a été une erreur historique qui a perduré et a été répétée par les États africains postcoloniaux, qui se sont déclarés propriétaires de ces territoires. Ce problème ne concerne cependant pas toutes les communautés autochtones africaines car la présence des communautés sédentaires, les agriculteurs en particulier, a toujours été visible.
L’injustice historique doit être réglée à partir d’une approche basée sur les droits de l’homme pour que les autochtones puissent jouir de leurs territoires en toute liberté. Le problème est que la majorité des communautés autochtones du continent étaient des pastorales ou composées de chasseurs-cueilleurs, donc de nomades, qui ne laissaient que très peu de traces sur les terres qui étaient les leurs. D’autre part, il est quasi impossible de dire avec certitude « qui est le premier venu » sur certains territoires en Afrique, a estimé M. Barume. Le concept d’« autochtones », relevant des droits de l’homme, est distinct de celui de « minorités », a expliqué M. Barume. Le groupe de travail a notamment pour mandat de contrôler ce que font les États en la matière, et de faire régulièrement rapport. Il a cité comme bons exemples à suivre la République du Congo et le Cameroun, ce dernier pays ayant élaboré un plan de développement en faveur des populations autochtones. M. Barume a conclu qu’il existe une jurisprudence exhaustive en matière des droits de l’homme en Afrique. Il est impressionnant de voir tout ce qu’on apprend dans l’Examen périodique universel du Conseil des droits de l’homme auquel se sont soumis les États africains, dont beaucoup ont adressé des invitations au Rapporteur spécial, a-t-il commenté de manière positive. Les bonnes pratiques des États sont nombreuses et en cours d’exécution, a-t-il fait remarquer, pour remédier aux conditions de vie difficiles des peuples autochtones sur le continent.
La représentante d’une organisation autochtone du Kenya a appelé à mettre en place des mécanismes d’enseignement permettant d’augmenter le niveau d’éducation des femmes pastorales. Elle a cité des études qui montrent que les jeunes filles des communautés pastorales quittent l’école à l’âge de 12 ou 13 ans. Elle a évoqué le problème de l’accès à la terre et à l’héritage, en notant que les titres de propriété des troupeaux de bovins et ovins sont limités aux hommes. Elle a appelé à réduire les fossés entre les pratiques et les acquis constitutionnels. Il faut pousser les femmes à accéder aux processus décisionnels, a-t-elle ajouté. Elle a aussi appelé à promouvoir l’accès à la santé, en notant que les populations autochtones sont souvent à quatre ou cinq heures de marche du centre de santé le plus proche. « Si nous voulons que des femmes en bonne santé donnent naissance à des enfants en bonne santé, il faut rapprocher les centres de santé des communautés pastorales », a-t-elle insisté. Nous devons utiliser notre riche culture et notre artisanat pour promouvoir l’autonomisation des femmes, a-t-elle dit.
Débat général
M. RAMADHAN M. MWINYI (République-Unie de Tanzanie) a réitéré les réserves émises par sa délégation concernant les revendications des communautés autochtones, arguant que le concept d’autochtone provient de l’ère coloniale, au cours de laquelle les colons ont voulu imposer la notion selon laquelle les communautés locales étaient inférieures. Le colonialisme a marginalisé les sociétés pastorales africaines et les a confinées au sous-développement. Au lendemain de l’indépendance, la Tanzanie a pris des mesures tendant au bien-être de tous les autochtones, indépendamment de leur origine ethnique ou appartenance tribale, et ce afin de résorber les déséquilibres. Le Gouvernement tanzanien a lourdement investi dans les services sociaux et économiques en vue de l’autonomisation et de la participation politique de toutes les communautés. Un bon exemple en est le peuple Masaï, dont la vibrante culture est partie intégrante de l’identité nationale tanzanienne. Les efforts se poursuivent dans ce sens, particulièrement dans le cadre de la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le développement, de sorte à ce qu’aucune communauté ne soit laissée sur le bord de la route, a-t-il assuré. Le représentant a aussi décrit les efforts nationaux permettant aux autochtones de se constituer en villages, à travers le « Tanzania Certificate of Village », ou encore le « Collective Community Land Certificate », dont les Hazabe ont pu bénéficier.
La représentante du Groupe des femmes autochtones a dit que la situation des femmes autochtones a été aggravée par les politiques des gouvernements africains « qui ne reconnaissent vraiment pas le rôle des femmes dans la société ». Afin d’améliorer la situation des femmes, elle a jugé indispensable que les États développent des politiques et programmes qui visent à mettre fin à la violence à l’égard des femmes, et à leur discrimination dans tous les domaines de la vie. Elle a appelé à promouvoir l’éducation des jeunes filles.
M. TERENCE HAY-EDIE, du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), a cité les efforts du PNUD pour mettre en valeur et promouvoir la contribution des populations à l’adaptation au changement climatique et à la lutte contre la dégradation de la biodiversité. Nous travaillons dans sept pays africains sur l’adaptation climatique, et nous concentrons notre appui dans les quatre années à venir sur l’importance des connaissances traditionnelles et l’apport des populations autochtones en matière de gestion durable des territoires.
M. BABA FESTUS, du Caucus africain, a plaidé en faveur de l’autonomisation des femmes autochtones, de l’investissement dans l’éducation, de la protection des filles et de la participation des hommes et des garçons à ces programmes pour qu’ils comprennent mieux la nécessité de l’égalité entre les sexes. Il a appelé à considérer les femmes comme un avantage et non comme un inconvénient.
Mme ALISON CHARTRES, de l’Agence pour le développement durable de l’Australie, a dit que la marginalisation chronique, l’insécurité, le manque d’infrastructures et la commercialisation de leurs ressources et de leurs connaissances figurent parmi les défis posés aux communautés pastorales africaines. Au sein de ces communautés, les femmes se heurtent à des difficultés multiples, d’où la nécessité d’alternatives liées à l’environnement et au renforcement des capacités traditionnelles des communautés pastorales en vue de leur donner une résilience économique et écologique efficace. Dans le nord du Kenya, l’Australie appuie un programme novateur de protection sociale mis en œuvre par le Royaume-Uni en vue de la réduction de l’extrême pauvreté, a dit Mme Chartres. L’Australie a aussi appuyé, en 2011, des ménages traditionnels pastoraux dans le sud de la Somalie, ménages qui étaient affectés par la sécheresse grâce à des activités « argent contre travail ». Elle a aussi contribué à une campagne de vaccination et de traitement du bétail, tout comme elle finance également des projets non gouvernementaux et pastoraux en Éthiopie, au Soudan du Sud et au Kenya pour épauler les communautés nomades qui se sédentarisent de plus en plus et qui cherchent à adopter des techniques agricoles appropriées à leur nouveau mode de vie.
Intervenant au nom de cinq communautés pilotes impliquées dans des programmes contre le changement climatique, M. EDWARD POROKWA, de l’ONG MPIDO and Pingos, a regretté que le Gouvernement tanzanien continue de mener des expulsions de populations autochtones partout dans le pays. Il a indiqué que 600 000 autochtones tanzaniens vivent aujourd’hui sur des terres sur lesquelles ils ont été déplacés par le pouvoir coloniale en 1955. Il a dénoncé les graves violations dont sont toujours victimes les populations autochtones en Tanzanie, en citant notamment les intimidations, la privation de services sociaux et la non-reconnaissance de la notion même de populations autochtones. Il a dit que les autorités dépouillent les communautés de leurs terres et de leurs ressources pour y favoriser l’implantation de projets privés. Il a indiqué que le Conseil des droits de l’homme, dans ses remarques de novembres 2012 sur le troisième rapport périodique de la Tanzanie, « met en exergue des abus du Gouvernement tanzanien ».
La délégation du Botswana a indiqué que la Constitution et les politiques gouvernementales botswanaises accordent une grande priorité aux populations autochtones qui occupent les zones éloignées ou reculées du pays. D’ailleurs, un plan de développement, qui s’étale sur 10 ans, inclut des projets et activités de discrimination positive pour favoriser le développement de ces communautés. Après la première phase du plan et l’évaluation des résultats, des projets alternatifs ont été ajoutés pour le renforcement des capacités des communautés autochtones, a précisé la délégation.
Mme GRACE BALAWAG, du Partenariat des peuples autochtones sur le changement climatique et les forêts, a dit que ce partenariat a été créé pour renforcer les capacités des populations autochtones, afin qu’elles puissent avoir une influence sur les programmes nationaux de promotion de la gestion durable des forêts. Notant que les populations autochtones sont les populations qui ont le moins contribué au changement climatique et qui en souffrent le plus, elle a regretté l’absence d’aide pour leur permettre de renforcer leur résilience. Elle a appelé les États Membres à réviser leurs législations et politiques pour voir lesquelles d’entre elles discriminent contre les autochtones. Elle a jugé indispensable d’associer les populations autochtones à ces efforts de révision des législations discriminatoires. Elle a cité en exemple la nouvelle constitution kenyane qui reconnait les chasseurs, les cueilleurs et les communautés pastorales.
Mme MARTA NTOIPO, de Femmes autochtones africaines, s’est particulièrement inquiétée des conséquences des maladies hydriques sur les femmes autochtones. Elle a appelé à favoriser l’enseignement dans les langues maternelles. Elle a regretté les fossés qui demeurent entre les femmes autochtones et les autres femmes en matière d’accès à la santé et à l’éducation. Elle a appelé les États africains à améliorer leurs systèmes de santé de manière a disposer de stratégies de santé en phase avec les besoins des autochtones. Elle a appelé à examiner les conséquences sur la santé maternelle et infantile des toxines environnementales et des polluants.
La délégation du Kenya a déclaré que la nouvelle constitution du Kenya de 2010 est une des plus modernes au monde en matière de reconnaissance des droits. Réagissant aux interventions de la journée, la délégation a appelé à ne pas confondre les minorités et les groupes marginalisés. Elle a souligné les efforts de décentralisation menés par le Kenya et la mise en place d’un système de redistribution de ressources vers les comtés, qui tient compte des avis des minorités. « Il est important de mentionner que la nouvelle constitution a mis l’accent sur ceux qui n’ont pas jusqu’ici pu participer à la gouvernance et à la gestion des ressources au Kenya », a-t-elle insisté.
Le représentant du peuple autochtone Bubi de l’île Bubi, en Guinée équatoriale, dans le golfe de Guinée, a déclaré que les Bubi sont réputés pour leur hospitalité, leur amour de la nature et leur attachement à leur famille et à leurs enfants. Ce peuple a traversé la période de l’esclavage et plusieurs vagues coloniales. L’indépendance a été concédée par l’Espagne avec un caractère unifié, contre la volonté des Bubi. Les gouvernements successifs ont systématiquement donné l’ordre d’assassiner les Bubi, ou de les asphyxier économiquement. Les dictateurs ont aussi adopté des constitutions qui dénient chaque fois plus les droits des Bubi, avec des discriminations linguistiques et juridiques innommables. Alors qu’il fut un temps où les Bubi étaient les premiers producteurs de cacao du continent, aujourd’hui, ils ne disposent ni d’écoles ni d’infrastructures efficaces et sont confrontés à la confiscation des terres alors que la superficie de l’île est très limitée. Il a prié le Gouvernement de respecter les dispositions de la déclaration et du Programme d’action de Vienne, en particulier le droit des peuples à l’autodétermination, de faciliter le retour des Bubi exilés et de permettre aux Bubi de participer aux élections.
Le représentant de Ogiek Peoples’ Development, du Kenya, a déclaré que depuis l’époque coloniale, son peuple a subi des discriminations multiples et des expulsions de ses terres. Récemment, la Cour africaine d’Arusha a interdit au Gouvernement d’interférer dans les recherches sur leurs territoires. Si les Ogiek sont expulsés de leurs forêts, ils seront transformés en réfugiés, a-t-il alerté, en demandant au Gouvernement kenyan de respecter la politique de la Banque mondiale. Il a aussi exhorté au respect de l’arrêt de la Cour et observé que l’ambassade des États-Unis au Kenya devrait fournir des visas aux représentants des peuples autochtones pour qu’ils puissent participer aux sessions de l’Instance permanente.
M. EDWARD JOHN, membre de l’Instance permanente, a remercié la République du Congo d’avoir accueilli une réunion régionale de l’Instance permanente au mois de mars 2013. Il a salué l’appui apporté, depuis 6 ans, par l’Union africaine pour veiller à l’adoption de la déclaration de l’ONU sur les droits des peuples autochtones. Il a rappelé que les concepts de terra nullus et de la « doctrine de la découverte » ne sont pas des anachronismes et continuent d’être appliqués par les instances judiciaires de certains pays.
La représentante du Mécanisme d’assistance pour les peuples autochtones a indiqué que c’est un mécanisme financier du Fonds international pour le développement agricole (FIDA) visant à permettre la mise en œuvre de projets communautaires. Elle a indiqué que le mécanisme accordait des prêts pouvant se monter à 50 000 dollars. « Nous gérons 10 projets dans 9 pays qui ont permis une transformation en profondeur des communautés pour les aider à protéger leurs ressources », a-t-elle dit. Elle a appelé les États Membres, les agences de développement et organismes de Nations Unies à appuyer ce fonds.
La représentante du Kalagadi Youth and Women Development Network a attiré l’attention sur la situation des populations autochtones des zones semi-arides du Kalahari. « Nous n’avons aucune influence sur le Gouvernement d’Afrique du Sud et aucun moyen d’intervenir dan la gestion des nos terres et ressources », a-t-elle dit. Nous sommes toujours déplacés sur nos terres et cette situation risque d’entrainer la perte de nos connaissances traditionnelles. Elle a dit que les Khoi et les San sont deux groupes ethniques qui partagent des similitudes ethniques et linguistiques. Elle a recommandé que le Gouvernement sud-africain établisse un comité permanent traitant avec urgence les questions des droits de l’homme et toutes les questions relatives aux Khoi et aux San.
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