CONFÉRENCE DE PRESSE DU REPRÉSENTANT SPÉCIAL SUR LE DROIT À L’ALIMENTATION, M. OLIVIER DE SCHUTTER, CONCERNANT LES SOLUTIONS À APPORTER À LA CRISE ALIMENTAIRE MONDIALE
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CONFÉRENCE DE PRESSE DU REPRÉSENTANT SPÉCIAL SUR LE DROIT À L’ALIMENTATION, M. OLIVIER DE SCHUTTER, CONCERNANT LES SOLUTIONS À APPORTER À LA CRISE ALIMENTAIRE MONDIALE
Tsunami silencieux, catastrophe créée par la main de l’homme, violation grave du droit à l’alimentation. Le nouveau Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation, M. Olivier de Schutter, n’a pas trouvé assez de mots pour décrire la crise alimentaire mondiale et ses conséquences à moyen et à long termes. Il a pointé un doigt accusateur sur les « causes structurelles » que sont l’industrie des agrocarburants, le manque d’investissement dans le secteur agricole des pays du Sud, les distorsions du régime commercial international, la concentration excessive des chaines de production et de distribution et les mouvements non contrôlés des fonds spéculatifs.
Au cours d’une conférence de presse donnée aujourd’hui au Siège de l’ONU à New York, le nouveau Représentant spécial a proposé comme première réponse la convocation d’une session extraordinaire du Conseil des droits de l’homme, de préférence avant la tenue de la Conférence de haut niveau sur la sécurité alimentaire, les changements climatiques et les bioénergies qu’organise l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) du 3 au 5 juin 2008. à Rome.
Les États membres du Conseil doivent parler d’une même voix et appeler, a souhaité M.de Schutter, à la mise en œuvre des recommandations des organes de traités des droits de l’homme et des directives de 2004 de la FAO. Ils doivent faire pression que tous les pays adoptent des stratégies liées à l’exercice du droit à l’alimentation comme l’ont déjà fait certains d’entre eux.
Après le « flamboyant » Jean Ziegler, le nouveau Représentant spécial qui forme l’espoir « de pouvoir aller au-delà de la polarisation et de dépolitiser ces questions » a tout de même déclaré: si au lieu d’être menacées par une insécurité alimentaire, les 100 millions de personnes que décompte aujourd’hui la Banque mondiale, faisaient l’objet d’une arrestation arbitraire, le monde entier se soulèverait à juste titre contre une violation aussi flagrante de leurs droits. Or, le droit à l’alimentation, qui est inscrit dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, reste absent des agendas internationaux et plus grave encore, des prescriptions macroéconomiques.
Le nouveau Représentant spécial n’a pas désavoué les mesures d’urgence prises par les États pour répondre à la crise alimentaire, comme les restrictions à l’exportation de vivres, la création de filet de sécurité ou la distribution gratuite de nourriture. Mais c’est oublier la vraie nature de la crise, a dit craindre M. de Schutter, qui a identifié cinq causes structurelles en citant d’abord la poursuite « irresponsable et aveugle » des politiques liées aux agrocarburants.
Il a « sans hésitation et avec réalisme » demandé le gel immédiat des investissements dans cette industrie et la tenue de discussions approfondies sur la pertinence d’une activité destructrice de l’environnement et grande consommatrice d’eau et de terres, énergie et ressource non renouvelables. Très franchement, a avoué le nouveau Représentant spécial, je n’ai pas très confiance en ces technologies qui, au lieu de répondre à la nécessité d’économiser les ressources naturelles, les épuisent.
M. de Schutter s’est promis de discuter avec le Brésil qui, fabriquant de l’éthanol à partir de la canne à sucre, rejette toute responsabilité dans la crise alimentaire actuelle. Canne à sucre, maïs ou soja, le but est toujours d’utiliser des terres arables pour « nourrir des voitures et pas des gens », a commenté M. de Schutter en pointant du doigt la tentation d’aggraver la déforestation de l’Amazonie pour répondre à la demande de produits vivriers.
Comme deuxième et troisième cause structurelle, le nouveau Représentant spécial a cité le manque d’appui au secteur « oublié » de l’agriculture dans les pays en développement et les distorsions du régime commercial international. C’est pourquoi, le Cycle de Doha doit à tout prix réussir, a-t-il souligné, en appelant cependant à faire preuve de prudence face à « une question très complexe ». En discutant de l’élimination des subventions agricoles pratiquées dans les pays du Nord, il ne faut pas oublier que de nombreux pays en développement sont des importateurs nets de vivres. Ils pourraient vivre comme un « véritable choc » la hausse des prix qui résulterait d’une disparition subite des subventions, a-t-il prévenu.
En quatrième lieu, le nouveau Représentant spécial a cité le degré très élevé de concentration des chaînes de production et de distribution. Les sociétés concernées, « ces faiseurs de crise », ont un pouvoir économique trop important que sert une manipulation judicieuse des droits de propriété. M. de Schutter a exprimé son intention de dialoguer avec ces sociétés pour les convaincre de leur responsabilité dans l’exercice du droit à l’alimentation.
Pour finir, il s’est arrêté sur les fonds spéculatifs qui investissent aujourd’hui quelque 75 milliards de dollars dans les industries du blé, du maïs ou du bétail. Il faut de toute urgence, a-t-il préconisé, prendre des mesures pour atténuer les risques liés à ces activités dont la volatilité des prix.
La crise alimentaire a fait perdre au monde entre 5 et 10 ans de progrès en matière de lutte contre la pauvreté. Les ménages ne sont pas les seuls à faire face à la flambée des prix alimentaires, les organisations humanitaires aussi, a fait remarquer le nouveau Représentant spécial. M. de Schutter a, par ailleurs, relevé les conséquences « ignorées » de la réaction tardive de ces organisations. Dans la plupart des cas, a-t-il dénoncé, ces organisations arrivent après les récoltes, concurrençant ainsi les producteurs locaux. Elles doivent donc réfléchir à des stratégies de sortie non seulement pour éviter la dépendance mais aussi pour préserver la compétitivité du secteur agricole local.
Le nouveau Représentant spécial a qualifié de « complémentaire » le travail de l’équipe spéciale que se propose de créer le Secrétaire général pour examiner la question de la sécurité alimentaire. En 2006, a rappelé M. de Schutter, l’ONU a identifié les trois piliers de ses activités, à savoir la paix et la sécurité relevant du Conseil de sécurité; le développement du Conseil économique et social (ECOSOC); et les droits de l’homme du Conseil des droits de l’homme qui est donc l’organe idoine pour s’occuper de la question du droit à l’alimentation. Dans la réponse qu’il doit apporter à la crise alimentaire, a souhaité le nouveau Représentant spécial, le Conseil doit aussi s’attarder sur la question de la planification familiale « parce que les ressources de la planète s’épuisent ».
Nommé il y a deux jours par le Conseil des droits de l’homme, M. de Schutter est Professeur de droit à l’Université de Louvain et au Collège de l’Europe. Spécialiste des droits économiques et sociaux ainsi que des droits de l’homme, il est également membre de la Global Law School Faculty de l’Université de New York et Professeur invité de Columbia University.
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