L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE TIENT, À LA DEMANDE DE SON PRÉSIDENT, UNE RÉUNION EXCEPTIONNELLE SUR LA CRISE FINANCIÈRE MONDIALE
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Assemblée générale
Soixante-troisième session
Table ronde interactive sur la crise
financière mondiale - matin et après-midi
L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE TIENT, À LA DEMANDE DE SON PRÉSIDENT, UNE RÉUNION EXCEPTIONNELLE SUR LA CRISE FINANCIÈRE MONDIALE
Au lieu du G-8 ou du G-20, confions au G-192 le soin de trouver des solutions
légitimes, dans le cadre de l’ONU, à la menace qui plane sur tous les pays, propose le Président
Le Président de l’Assemblée générale a lancé, aujourd'hui, un appel pour que les 192 États Membres des Nations Unies s’unissent pour trouver une réponse à la crise financière et remédier d’urgence aux lacunes du système économique actuel. Il a, dans cette perspective, organisé deux tables rondes réunissant d’éminents universitaires et spécialistes, parmi lesquels figurait M. Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie en 2001.
La communauté internationale se trouve aujourd'hui devant une crise financière complexe dont les dimensions ne sont pas encore très claires, mais dont les conséquences seront certainement graves et décisives, a souligné ce matin M. d’Escoto Brockmann à l’ouverture de la première table ronde. Il a estimé que tous les pays devraient participer à la recherche de solutions, préconisant « le recours à un G-192, plutôt qu’un G-8 ou un G-20 ». Les Nations Unies incarnent l’enceinte idéale et légitime pour discuter de ces questions, a-t-il fait valoir dans un appel qui a d’ailleurs été relayé par un grand nombre de délégations et d’experts tout au long de la journée. Fort de cette conviction, le Président de la soixante-troisième session de l’Assemblée générale avait d’ailleurs annoncé le 21 octobre dernier, la mise en place d’un groupe de travail de haut niveau, présidé par M. Stiglitz, qui a été chargé d’examiner le système financier mondial actuellement dans la tourmente.
Il faut rompre avec « cette exubérance irrationnelle », cette « cupidité effrénée » et cette « corruption généralisée » qui ont été autorisées par des gouvernements qui ont oublié la responsabilité qu’ils ont de protéger leurs citoyens, a fait remarquer Miguel d’Escoto Brockmann. À l’instar du Président de l’Assemblée générale, de nombreuses voix se sont élevées aujourd'hui pour dénoncer les dérives du système économique actuel. Il ne faut pas perdre de vue que la crise financière touche des personnes, des êtres humains, a souligné Joseph Stiglitz en constatant que l’architecture du système financier international n’a pas fonctionné et s’est avérée incapable de protéger aussi bien les États que les individus. Un tel système peut, à l’extrême, signifier que les conditions de vie d’un grand nombre de personnes sur terre dépendent des caprices d’un petit groupe de spéculateurs, a noté M. Prabhat Patnaik, Professeur au Centre d’études économiques et de planification de l’Université Jawahawl Nehru en Inde. Devant le caractère irrationnel de telles dispositions, il a plaidé pour une intervention rigoureuse et proactive de l’État dans le système économique.
Il ne suffit pas de réaménager le système, il s’agit de le transformer, a pour sa part estimé François Houtart, Professeur à l’Université catholique de Louvain, en Belgique. Au cours des échanges, plusieurs experts et délégations se sont en effet élevés contre la tentative de se contenter de « colmater les brèches » existant dans le système actuel. Ils ont relevé la nécessité de créer de nouvelles structures et de nouvelles institutions, dont le fonctionnement sera basé sur des principes de transparence, de bonne gouvernance et de surveillance accrue, et dont les politiques intégreront davantage l’être humain et la dimension du développement. Pour Mme Sakiko Fukuda-Parr, Professeur de relations internationales à la New School de New York, c’est un véritable « New Deal » qu’il faut mettre en place en plaçant la protection de la sécurité humaine comme objectif prioritaire des systèmes économiques nationaux et mondiaux.
Nombre d’intervenants ont souligné que la crise financière actuelle constitue une opportunité unique pour procéder à une refonte du système économique mondial et lancer de nouvelles initiatives. Ainsi, M. Pedro Páez, Ministre de la coordination des politiques de l’Équateur, a estimé que pour obtenir des résultats rapides, c’est au niveau régional qu’il faut créer de nouvelles architectures financières, entre les composantes desquelles une coordination serait assurée. M. Calestous Juma, Professeur de la pratique du développement international à la Kennedy School de l’Université Harvard, a pour sa part enjoint les Nations Unies à créer « une enceinte de diplomatie financière » pour discuter des questions qui ont jusqu’ici été laissées au Fonds monétaire international et à la Banque mondiale. Parmi les autres idées proposées aujourd'hui par les participants à la table ronde pour régler les problèmes causés par la crise figurait notamment celle d’établir une réserve de fonds multilatérale, basée sur un panier de devises, apte à fournir des liquidités aux pays en développement en cas de crise. Plusieurs intervenants ont également réclamé un changement de paradigme en vue de l’établissement d’un mode de société plus centré sur l’être humain.
TABLE RONDE I
Déclaration liminaire
M. MIGUEL D’ESCOTO BROCKMANN, Président de la soixante-troisième session de l’Assemblée générale, a expliqué avoir convoqué aujourd'hui d’éminents spécialistes et universitaires pour qu’ils partagent avec les délégations l’opinion qu’ils ont sur la crise financière actuelle qui, a-t-il souligné, se répand à travers le monde comme une traînée de poudre. Les experts réunis aujourd'hui permettront de mieux orienter les actions que nous allons lancer pour affronter la crise financière, a-t-il précisé, avant d’espérer qu’ils feront des recommandations précises aux États Membres pour qu’ils puissent mettre en place un ordre économique mondial stable et durable. Le Président de l’Assemblée générale a souligné que la communauté internationale se trouve aujourd'hui devant une crise financière complexe dont les dimensions ne sont pas encore très claires mais dont les conséquences seront certainement graves et décisives. Il a fustigé la tendance à « l’exubérance irrationnelle », cette « cupidité effrénée » et cette « corruption généralisée » autorisées par des gouvernements qui ont oublié la responsabilité qu’ils ont de protéger leurs citoyens. Il a fait remarquer que de simples ajustements ne pourront parvenir à restaurer la prospérité et la confiance. Il faut reconstruire ce que nous avons détruit, a souligné M. d’Escoto Brockmann, avant de préciser qu’il serait cependant insensé de revenir à la situation qui prévalait. La communauté internationale a la responsabilité et l’opportunité d’aller plus loin que la protection des banques et les garanties données aux investisseurs, a-t-il fait observer.
Le Président de l’Assemblée générale a, par ailleurs, souligné que tous les pays devraient participer à la recherche de solutions, dans le cadre d’un processus démocratique. Il est temps de cesser de considérer l’économie mondiale comme le domaine réservé de quelques groupes de pays, a-t-il averti. Le G-8, le G-15 et le G-20 ne sont pas suffisamment larges et inclusifs pour pouvoir résoudre ces problèmes, a souligné M. d’Escoto Brockmann, avant d’ajouter qu’un G-192 serait plus adapté à la situation actuelle. Il a indiqué que la réponse devra être multidimensionnelle et prendre en considération les pauvres. Il est nécessaire de procéder à des changements fondamentaux de mentalité, a-t-il souligné, précisant qu’il faudra notamment s’atteler à la question de la viabilité d’une culture de consommation excessive qui nourrit une spéculation irresponsable. Le Président de l’Assemblée générale a également souhaité que les gouvernements aient le courage d’informer leurs citoyens sur les sacrifices qu’il faudra consentir. Ces sacrifices, a-t-il d’ailleurs précisé, devront être partagés et non pas jetés sur les épaules des seuls pays pauvres.
Exposés
M. JOSEPH STIGLITZ (États-Unis), Professeur à l’Université Columbia de New York et lauréat du prix Nobel d’économie en 2001, a souligné que la crise financière mondiale exigeait une réaction mondiale et a salué la légitimité dont jouissent les Nations Unies dans ce domaine. Il a indiqué que face à cette crise mondiale, les réactions devaient être guidées par les principes de solidarité et de justice sociale et devaient transcender les frontières nationales. Il a ajouté qu’il fallait réfléchir à l’équilibre nécessaire entre les gouvernements et les marchés tout en respectant les principes de transparence et de vigilance. Nous devons nous placer dans cette perspective qui permet de comprendre que les marchés, et l’économie en général, ne sont pas une fin en soi, mais qu’ils sont là pour servir nos concitoyens, a-t-il insisté. S’inquiétant de l’accent excessif mis sur la seule recherche des bénéfices, il a rappelé que les intérêts des entreprises, des actionnaires et des consommateurs n’étaient pas forcément les mêmes. Par ailleurs, il a expliqué que les actions des compagnies et autres entreprises avaient une influence directe sur les politiques, et que si la concurrence était indispensable, des risques extrêmes avaient été pris récemment. Il a regretté que la réaction américaine à la crise se soit basée sur ce que « Wall Street pourrait proposer pour améliorer la vie de l’Américain moyen », mais a noté que cette approche qui privilégie d’abord le sommet en espérant qu’une fois satisfait celui-ci fera profiter la base ne fonctionnait pas (« trickle down economics »). On a fait trop peu pour s’attaquer à la source du problème, dont les retombées ont eu pour conséquences des licenciements d’employés et des pertes de logement pour les petites gens, a-t-il constaté.
Il a déclaré que dans la recherche de solutions à la crise actuelle, il fallait respecter les principes de transparence et de bonne gouvernance. Il a précisé que toute solution mondiale devait prendre en compte l’impact de cette crise sur des pays dont les marchés fonctionnaient pourtant bien. La crise nous donne la possibilité de revoir nos doctrines économiques et d’y intégrer davantage les grands changements qui sont intervenus ces dernières années, mais qui ne sont pas reflétés dans les dispositions prises au niveau mondial, a-t-il estimé. M. Stiglitz a souligné qu’il fallait opérer des réformes profondes pour doter les économies de systèmes financiers solides pouvant soutenir la promotion de la prospérité. Il a ajouté que ces systèmes devaient être plus équitables et transparents. Il faut développer un consensus international sur ces questions graves, a-t-il poursuivi, en arguant que les institutions financières internationales devaient se doter d’une nouvelle légitimité et d’une meilleure représentation de tous les pays du monde. Il a indiqué qu’aujourd’hui, les Nations Unies représentaient la seule institution à cet égard légitime. Toutefois, il a soutenu que la réponse à la crise exigerait de l’expertise et donc de faire appel au Fonds monétaire international (FMI) et à la Banque mondiale. Il a déploré que ces deux institutions aient, auparavant, adopté une approche « étroite » selon laquelle les forces du marché suffisent à réguler l’économie.
Tous les pays, surtout ceux développés, qui sont à l’origine de la crise actuelle, doivent revoir à tout prix les systèmes de réglementation et de vigilance, a poursuivi le lauréat du prix Nobel d’économie 2001. Il a estimé que les réformes en cours ne suffiraient pas, et qu’il fallait, entre autres, éliminer la rigidité des lois antitrust; donner à tous ceux qui en sont demandeurs un accès au crédit; assainir le système et contenir les excès qui ont eu lieu dans les transactions opérées par les institutions financières. Il a aussi noté que la stabilité des prix n’était pas suffisante pour assurer la prospérité économique, car elle pouvait favoriser et générer une croissance instable. Enfin, il a plaidé pour une surveillance accrue des systèmes financiers, affirmant que « la myopie » envers la nécessité d’opérer des réformes et de se doter des moyens de contenir l’inflation avait eu une incidence très négative aux États-Unis. Il a déclaré que l’Assemblée générale et le Conseil économique et social de l’ONU (ECOSOC) notamment, devaient jouer un rôle de chef de file aux côtés des institutions financières internationales pour mettre en place une meilleure gouvernance du système et s’assurer que les politiques adoptées sont le fruit d’une minutieuse réflexion. Il faut une nouvelle relation entre l’Assemblée générale et les institutions de Bretton Woods, et ces dernières doivent être obligées de mieux rendre compte de leurs actions, a préconisé Joseph Stiglitz. Nous sommes tous responsables collectivement et devons faire de notre mieux pour éviter une nouvelle crise. Nous devons garantir que les politiques pratiquées à l’intérieur du système financier favorisent un développement durable et équitable, a-t-il conclu.
M. PRABHAT PATNAIK (Inde), Professeur au Centre d’études économiques et de planification de l’Université Jawahawl Nehru, a fait remarquer que les discussions sur la crise financière actuelle tendent à se focaliser surtout sur l’éclatement de la bulle immobilière qui s’est produit aux États-Unis. Elles omettent de dire que ce sont de telles bulles qui ont permis les périodes de prospérité du capitalisme contemporain, a dit M. Patnaik. Il a précisé qu’en son temps, John Maynard Keynes avait compris qu’un des défauts majeurs de ce système économique résidait dans son incapacité à distinguer les actions prises dans un esprit d’entreprise de celles initiées par des spéculateurs et, partant, de la tendance qu’a le système à se faire régulièrement dominer par les spéculateurs. Un tel système, a expliqué M. Patnaik, implique que les conditions de vie d’un grand nombre de personnes sur terre dépendent des caprices d’un petit groupe de spéculateurs. Dès lors, le caractère irrationnel de telles dispositions a poussé Keynes à parler de la « socialisation de l’investissement », a poursuivi l’universitaire indien. Ceci signifie qu’il incombe aux gouvernements de faire leur maximum afin de galvaniser une demande suffisante, qui elle-même favorise la production, pour ensuite assurer le plein emploi. En d’autres termes, il faut une politique rigoureuse et proactive de l’État, a résumé M. Patnaik. Il a précisé que ce modèle a bien fonctionné pendant les « trente glorieuses », qui ont été trois décennies de plein-emploi et d’augmentation sensible des revenus et des niveaux de dépenses. Il a ensuite souligné qu’en raison de l’interdépendance entre les économies, les gouvernements ont élaboré des politiques qui n’étaient parfois pas dans l’intérêt de leurs populations. Au fil des ans, a-t-il expliqué, l’intervention au niveau budgétaire pour assurer la pérennité de la croissance s’est mondialisée.
M. Patnaik a préconisé d’examiner de près les limites et le caractère irrationnel des hautes conjonctures qui sont liées à des périodes de bulles économiques. Il faut prendre conscience du changement de paradigme qui est en train de se produire, tout en ayant à l’esprit que le marasme actuel va durer, a-t-il averti. En effet, il a fait remarquer que des indicateurs de récession sont déjà visibles et annoncés. En ce qui concerne l’injection de liquidités dans le système financier par certains pays développés, il a estimé que de telles mesures s’avèrent généralement inadéquates dans une situation où la récession est déjà bien ancrée et où les politiques vont dans le mauvais sens. Ces mesures devraient être accompagnées d’une augmentation des dépenses et de la mise en place d’une vraie réglementation de la part de l’État, a-t-il souligné, relevant l’importance, dans ce contexte, de parvenir à une situation où l’État intervient et régule l’économie.
M. Patnaik a ensuite attiré l’attention sur certains des effets de la crise financière actuelle. Il a expliqué que les revenus liés à l’exportation de biens risquent de diminuer dans de nombreux pays. Il a notamment souligné que de nombreuses économies émergentes, qui ont souscrit des prêts à brève échéance, pourraient se retrouver dans une situation difficile. En outre, toute récession du type de celle qui se profile à l’horizon pourrait s’accompagner d’un déclin du commerce des produits de base, a-t-il averti, soulignant, par là, son impact très important sur les agriculteurs et les petits exploitants. La disponibilité des denrées alimentaires va elle aussi diminuer, a indiqué M. Patnaik, en prévenant contre les menaces importantes que fait planer la crise financière sur la sécurité alimentaire. Face à cette situation, l’universitaire indien a estimé très important que les pays en développement adoptent aussi des mesures d’incitation à la consommation et favorables au renforcement du pouvoir d’achat au profit de leurs populations, y compris les plus démunies. Il faut dépenser plus pour le bien-être, la sécurité sociale, l’éducation, a-t-il préconisé, précisant que ces secteurs de dépenses budgétaires devraient être augmentés pour permettre, peut-être, de compenser les dommages que la crise va infliger à l’ensemble du monde. Il faut relancer l’économie et l’activité des petits agriculteurs, notamment en promouvant la production de céréales, a-t-il ajouté.
Mme SAKIKO FUKUDA-PARR (Japon), Professeur de relations internationales à la « New School » de New York, s’est penchée sur les risques posés par des crises financières qui menacent la sécurité humaine, et sur la nécessité d’établir des garde-fous contre les effets de ces dysfonctionnements. Elle a indiqué que les pays en développement subissaient les impacts de la crise financière dans leur économie réelle. Elle a précisé que ces États, bien qu’ils aient mis en œuvre des politiques macroéconomiques saines, avaient peu de contrôle sur les turbulences financières actuelles, qui ont été provoquées ailleurs. Parmi les impacts de la crise sur les pays en développement, elle a cité la chute des prix des produits de base, le rétrécissement des marchés d’exportations, le déclin de l’aide publique au développement (APD) et des flux de capitaux privés, dont les envois de fonds des migrants. Elle a aussi évoqué les conséquences humaines des crises économiques, rappelant par exemple que le taux de chômage aux Philippines avait atteint 10% après la crise financière asiatique de 1997-1998. De plus, elle a noté que ces crises entraînaient un déclin des dépenses du gouvernement dans les secteurs sociaux. Elle a souligné que les pauvres et les personnes les plus vulnérables étaient les plus touchés par les conséquences humaines des crises et que ces catégories de gens étaient aussi les plus lentes à s’en remettre. Elle a particulièrement mis l’accent sur la situation des femmes, qui paient souvent le prix le plus élevé de la chute des revenus des ménages.
Mme Fukuda-Parr a rappelé que lors des crises des années 1980, les programmes d’ajustement mis en place avaient « déséquilibré la vie des gens pour équilibrer les budgets ». De même, elle a estimé que, dans les années 1990, les crises survenues en Asie du Sud-Est avaient mené à l’imposition de politiques néolibérales orthodoxes, assorties de conditionnalités, qui avaient eu des coûts humains importants. Concernant la réponse à apporter à la crise actuelle, elle a estimé qu’il ne fallait pas réduire les budgets d’aide, les filets de sécurité sociale ou les mesures en faveur de la lutte contre les changements climatiques. Elle a aussi suggéré d’intégrer des mesures en faveur des pauvres dans le relèvement postcrise, notamment en faveur des femmes. Mettant en avant l’exemple de l’Argentine, elle a noté que ce pays avait réussi à retrouver une croissance annuelle de 8% entre 2002 et 2008 et à réduire la pauvreté en se concentrant sur des priorités de développement à long terme et en mettant fin à des décennies de privatisation imposée, juste après la crise qu’il avait connue. Elle a rappelé que ce type de politiques était bien loin de celles mises en avant par le Consensus de Washington pour assurer le relèvement des économies après les crises économiques des années 80. Enfin, Mme Fukuda-Parr a estimé que les politiques nationales seules ne pouvaient garantir la sécurité humaine et que des solutions mondiales devaient être trouvées. Elle a souhaité qu’un nouveau « New Deal » considère la protection de la sécurité humaine comme un objectif prioritaire des systèmes économiques nationaux et mondiaux.
Échange de vues
Le représentant de la France, s’exprimant au nom de l’Union européenne, a fait remarquer que la crise financière actuelle est la plus grave qu’ait connu le monde depuis les années 30. Cette crise, a-t-il précisé, a révélé les déséquilibres dans le fonctionnement du système économique international et dans sa supervision. Elle a montré qu’il y a eu une dissimulation des risques et une diffusion de ces risques dans le système entier. Elle a été le révélateur des défaillances de la gouvernance économique internationale, a-t-il précisé. Le représentant français a souligné qu’une telle situation requiert une action coordonnée et responsable de la part des autorités de contrôle et de supervision. Il a expliqué que l’approche européenne consiste à consolider le système économique européen, tout en étant attentif aux conséquences de cette crise sur la stabilité et le développement des pays les plus pauvres et les plus vulnérables. Il a ainsi réaffirmé avec fermeté l’engagement de l’Union européenne en faveur du financement du développement. Il a souligné que le règlement de cette crise appelle un travail étroit de collaboration au niveau multilatéral et une réforme ambitieuse de la gouvernance économique. Il a plaidé en faveur de la responsabilisation de tous les acteurs, de la transparence de tous les segments des marchés, de la cohérence des normes et du système de contrôle, de l’anticipation des risques, et ce pour qu’un travail étroit soit mené par tous les partenaires afin de procéder à une réforme complète du système, dans un esprit de coopération et d’ouverture. Le représentant de la France s’est également inquiété des replis protectionnistes et des crispations nationalistes. Il a fait remarquer que le Sommet prévu à Washington à la mi-novembre est la première étape importante qui marque la volonté d’ouvrir une discussion de fond sur les thèmes centraux. Il s’agit du début d’un processus qui sera immédiatement suivi par la Conférence de Doha, afin d’assurer que la crise financière actuelle ne compromette pas les engagements internationaux et le financement du développement, a-t-il précisé.
Le représentant d’Antigua-et-Barbuda, parlant au nom du Groupe des 77 et de la Chine, s’est demandé comment la communauté internationale pouvait faire face à cette crise sans précédent. Si son épicentre se trouve dans les pays les plus développés, la crise ne s’en est pas moins propagée dans le monde entier, a-t-il souligné. Il a estimé que cette crise est imputable à l’absence de vigilance et de réglementation. Cette houle titanesque ne s’arrêtera pas là, a-t-il averti, avant de s’inquiéter qu’elle ne vienne se greffer aux autres crises, qui sont alimentaire et énergétique. Nombre de pays ont le sentiment qu’ils vont se retrouver à la traîne du fait de cette crise, a-t-il souligné, en déplorant qu’aucune institution internationale ne se sente capable d’intervenir. Les bourses plongent, les investissements étrangers directs sont en recul, les recettes sur les actifs diminuent, les réserves fondent, les envois de fonds vers les pays en développement baissent, les recettes liées au tourisme et aux exportations risquent de décliner, a fait remarquer le représentant d’Antigua-et-Barbuda. Il a fait valoir que ces effets cumulés montrent qu’il faut ensemble faire face à cette crise de manière globale sans se laisser obnubiler par le secteur financier. Comment parer aux effets négatifs de cette crise dans le monde entier? Comment aider les pays à y faire face? Comment remédier aux carences de la gouvernance internationale?, s’est-il demandé. Le Groupe des 77 et de la Chine attend beaucoup du débat de Doha à cet égard, a-t-il indiqué.
Le représentant du Qatar a fait remarquer que les turbulences financières actuelles ont, à la différence des crises antérieures, touché tous les pays, riches comme pauvres, développés comme en développement. Soulignant que cette crise a mis en lumière la précarité de la structure financière internationale, il a plaidé pour une refonte en profondeur du système. Si le Fonds monétaire international ne peut pas jouer un rôle dans cette crise, il faut revoir son fonctionnement en profondeur, a-t-il souligné. Le représentant du Qatar s’est également inquiété que cette crise remette en cause le financement du développement.
Le représentant du Mexique, qui intervenait au nom du Groupe de Rio, a insisté sur l’importance d’agir de manière coordonnée pour diminuer les risques, et sur la nécessité de mettre en place une restructuration profonde des règles qui régissent les échanges économiques et financiers internationaux. Il a indiqué que les prochaines semaines permettront de « poser de nouvelles règles du jeu », en tenant compte de l’intérêt de tous et en garantissant la transparence et l’ouverture. Les Nations Unies se doivent de jouer un rôle central dans ce processus, a-t-il ajouté, en saluant l’idée de constituer un groupe d’experts de haut niveau sur la crise financière, ce qui a été fait à l’initiative du Président de l’Assemblée générale. Il a affirmé que les ajustements prévus à court et moyen terme devraient être rassembleurs et intégrateurs, et que les Nations Unies devaient lancer un appel clair dans ce sens. Il a précisé que la Conférence de Doha serait aussi l’occasion de réfléchir aux réponses à apporter à cette crise.
Le représentant de l’Espagne a souhaité que le Fonds monétaire international (FMI) soit réformé en profondeur, en lui octroyant un plus grand rôle de surveillance et en renforçant son rôle de prêteur pour les économies les plus vulnérables. Il a affirmé que la crise actuelle devait amener le monde à créer un nouvel ordre économique financier, qui soit plus solide, plus responsable, et qui soit au service de la communauté internationale dans sa totalité. Pour sa part, la représentante des Philippines a mis l’accent sur la nécessité d’une meilleure coordination entre les marchés financiers afin de garantir une réaction plus rapide et efficace face aux crises financières. Elle a en outre proposé d’améliorer les normes de gestion des risques, une gestion qui doit se faire à plus long terme.
Le représentant des États-Unis a reconnu la nécessité de réformer le système financier américain pour renforcer la confiance dans les marchés. Il a indiqué que les États-Unis avaient mis en place des mesures en ce sens, suite aux recommandations d’experts, notamment en ce qui concerne la transparence et la gestion des risques. En outre, il a souligné que les États-Unis avaient lancé des « actions agressives » pour protéger leur situation financière au plan national, mais aussi celle de la communauté mondiale. Il a estimé que les gouvernements pourraient continuer à apporter des liquidités aux banques et à renforcer les institutions financières. Il a, par ailleurs, rappelé la déclaration récente des leaders du G-8 qui met en relief leur volonté de travailler ensemble pour résoudre la crise. Le représentant a expliqué que le sommet du G-20 et des institutions financières internationales, prévu à Washington, le 15 novembre, permettra de passer en revue les progrès réalisés pour redresser la situation et d’identifier les racines profondes de la crise. Alors que les solutions préconisées ne sont pas forcément les mêmes, un accord sur un ensemble de principes est fondamental pour éviter une crise ultérieure, a-t-il soutenu. Il a aussi espéré que ce sommet permette de se pencher sur les effets de la crise sur les économies émergentes et sur l’assistance qu’il faut leur fournir. La crise actuelle ne doit pas devenir une excuse pour ne pas honorer les engagements en matière de développement international, a enfin déclaré le représentant, en affirmant qu’il fallait rejeter le protectionnisme et s’engager pour conclure le Cycle des négociations commerciales de Doha, meilleure solution pour assurer la prospérité et sortir de la pauvreté.
Le représentant du Venezuela a déploré que certains pays entreprennent de régler cette crise en petits groupes, comme si elle n’était pas du ressort de tous les pays. C’est dans l’enceinte des Nations Unies qu’il faut trouver des solutions et des alternatives, a-t-il estimé, en saluant à cet égard la décision du Président de l’Assemblée générale d’organiser cet événement spécial. Comme le représentant du Chili, il a souligné que l’épuisement du modèle capitaliste est de plus en plus évident, se réjouissant que la porte soit aujourd'hui ouverte à des opportunités inédites de changement et d’adoption de nouvelles options qui permettraient de créer des modèles de sociétés plus humaines. Il a estimé urgent de réformer le système financier international, et a préconisé la création d’institutions financières régionales. Pour sa part, le représentant de la Chine a souligné qu’il fallait améliorer les mécanismes de contrôle et de supervision des institutions financières. Il s’agit en outre de mettre au point un système de prévention, d’accélérer l’établissement d’un nouveau système financier, et d’assurer la stabilité du système monétaire, a-t-il ajouté.
Le représentant du Royaume-Uni a estimé qu’une réponse mondiale, et concertée, est la seule solution à cette crise. La crise financière a révélé de nombreuses failles qu’il faudra examiner pour faire en sorte que ce type de situation ne se reproduise plus, a-t-il souligné. Il a souhaité que la gouvernance internationale se dote d’un système d’alerte précoce pour trouver une réponse transcontinentale au genre de crise qui affecte aujourd’hui le monde, et qu’elle ne se contente pas simplement de colmater des brèches. Il a prôné plus de surveillance et a demandé l’élaboration de normes internationales de surveillance qui s’appliqueraient à tous les pays et à toutes les institutions. Le Fonds monétaire international a un rôle clef à jouer à cet égard, a-t-il souligné. Il a, par ailleurs, réaffirmé qu’il importe, en ces temps de turbulences, de ne pas diminuer les efforts en faveur du développement qui doivent, a-t-il précisé, rester une priorité.
Le représentant de l’Inde a déploré que les institutions financières internationales semblent partager la philosophie des spéculateurs. On a abandonné le mandat qui, à l’origine, avait été donné aux institutions de Bretton Woods, a-t-il souligné. Il a, dès lors, souhaité avoir l’avis des panélistes concernant quel type de nouvelle institution financière il fallait désormais créer. Il a également demandé des précisions sur l’idée, avancée par M. Stiglitz, de procéder à un audit des institutions de Bretton Woods.
Le représentant de la Jamaïque a estimé que la crise reflétait les déséquilibres systémiques mondiaux, qui perdurent. Il a indiqué, à l’instar du représentant de l’Égypte, que les réponses à apporter à la crise actuelle devaient prendre en compte la nécessité de donner plus de voix et de participation aux pays en développement dans la gouvernance économique mondiale. Il a aussi noté que la crise exigeait une réponse coordonnée et a salué l’universalité et la légitimité dont jouissent les Nations Unies à cet égard. La représentante du Brésil a appuyé ce point de vue. Le représentant de la Jamaïque s’est félicité de la proposition d’organiser des débats thématiques lors de la soixante-troisième session de l’Assemblée générale afin d’examiner la question de la gouvernance économique internationale. Il s’est également réjoui de l’établissement d’une Équipe spéciale de haut niveau sur la situation actuelle, mais a souhaité que les pays en développement y soient plus présents et mieux représentés.
Après que le représentant du Japon ait insisté sur la nécessité de protéger les pays et les populations les plus vulnérables et de promouvoir la sécurité humaine, le représentant de l’Argentine a estimé que la crise était le résultat de l’imposition d’un modèle de pensée qui incite « à la maximisation des gains sans accorder d’attention à la prudence et à l’éthique ». Il a précisé que cette crise n’avait pas été créée par les économies « périphériques » mais par un phénomène irresponsable de gestion du crédit à la consommation qui a causé la création d’une bulle spéculative, sans relation avec la réalité, sur le marché américain. Le représentant a estimé qu’il y avait une crise de légitimité du capitalisme et qu’on avait assisté à l’éclosion de circonstances politiques extraordinaires marquées par une tentative de récupération de l’espace qui revient à l’État. Il faut désormais renforcer le rôle des instruments de l’État dans la conception et la gestion des politiques macroéconomiques, a-t-il préconisé.
Concluant la table ronde de la matinée, Mme SAKIKO FUKUDA-PARR a fait remarquer que le processus de réforme de l’architecture financière ne devrait pas être mené uniquement dans le secteur bancaire, mais également dans les domaines, plus vastes, des structures gouvernementales et des institutions financières internationales. Il faut créer l’espace nécessaire à la promotion du développement et protéger les efforts déployés par les pays en développement à cet égard, a-t-elle souligné.
La réforme de l’architecture financière mondiale ne peut pas être détachée de la manière dont la communauté internationale considère le développement pour les années à venir, a averti M. PRABHAT PATNAIK. Il a estimé qu’il était inutile de se contenter d’apporter quelques modifications et de colmater des brèches pour empêcher que la prochaine bulle n’éclate aussi violemment que celle qui a créé la situation dans laquelle le monde se retrouve aujourd'hui. Il faut réfléchir à un autre paradigme de développement, a-t-il insisté.
M. Patnaik a souligné l’importance de mettre en œuvre un ensemble d’actions coordonnées, sous l’égide des Nations Unies. Il a, par ailleurs, reconnu que pour certains pays, il serait peut-être adéquat de prendre certaines mesures protectionnistes pour protéger l’emploi national, par exemple. Le système mis en place au départ à Bretton Woods encourageait le protectionnisme et préconisait, dans certaines circonstances, de rompre avec la doctrine du libre-échange, a-t-il fait remarquer, avant d’appeler toutefois à réfléchir et à bien soupeser ces options avant de les adopter.
M. JOSEPH STIGLITZ a relevé l’importance de ne pas perdre de vue que, concrètement, la crise financière touche des personnes, des êtres humains, et affecte leur existence. Il a fait remarquer que la décision des États-Unis d’injecter de l’argent dans le système bancaire en réponse à la crise n’a pas apporté grand chose aux travailleurs qui ont perdu leur emploi et leur maison. L’économie s’enfonce dans un tourbillon abyssal, a-t-il averti. D’une manière générale, il a estimé que les mesures prises ont été insuffisantes et inappropriées. Ce n’est pas une surprise, étant donné que les personnes responsables de cette crise sont aussi celles qui ont été chargées d’y répondre, a-t-il ironisé.
En réponse à une observation soulevée par plusieurs intervenants, M. Stiglitz a estimé que le Fonds monétaire international n’est pas l’institution la mieux indiquée pour trouver des réponses à la crise, sauf peut-être à court terme, si on n’a pas d’autre choix. Le FMI n’a pas prévu le problème, il ne l’a pas vu venir et n’a pris aucune mesure de prévention. À ce jour, il n’a toujours pas proposé de réforme en matière de régulation pour empêcher que de tels problèmes ne se reproduisent à l’avenir, a souligné M. Stiglitz, en précisant que cette institution est « tombée dans la pensée unique du nouveau libéralisme ». Comment peut-elle être la solution alors qu’elle est autant liée aux marchés et à la philosophie qui sous-tend les phénomènes que le monde entier déplore aujourd’hui? s’est-il interrogé.
M. Stiglitz a qualifié la période actuelle « d’historique ». L’ancien modèle n’a pas fonctionné. Il a été incapable de protéger les États. Même les États-Unis. Il faut de nouvelles structures, de nouvelles institutions et rompre avec les idées fallacieuses imposées par une minorité, ainsi que les politiques erronées qui ont mené à la crise actuelle, a insisté M. Stiglitz. Il a attiré l’attention sur la nécessité aujourd'hui de développer des idées nouvelles, citant par exemple la proposition d’établir des réserves financières basées sur un panier de monnaies différentes.
TABLE RONDE II
Exposés
M. PEDRO PÁEZ, Ministre de la coordination des politiques de l’Équateur, a déclaré qu’il fallait modifier les relations de force au sein du système économique mondial et rétablir la cohérence de la redistribution. Il a noté que la production ne devait pas être au service de la spéculation financière. Il faut repenser l’appareil productif dans le cadre d’un système financier plus large et relancer la croissance dans le cadre des communautés, a-t-il estimé. Il a fait part des propositions avancées par son pays pour répondre à la crise financière. Ainsi, il a plaidé pour la mise en place d’un accord monétaire régional en Amérique du Sud qui constituerait un cadre commun pour la surveillance des taux de change dans un souci de stabilité. Il a estimé qu’un tel arrangement aurait pour effet immédiat de calmer les marchés financiers. À moyen et long terme, il a dit qu’il fallait faire avancer la Nouvelle architecture financière régionale convenue entre les Ministres des finances de l’Argentine, de la Bolivie, du Brésil, de l’Équateur, du Paraguay et du Venezuela, en mai 2008. Il a préconisé des accords similaires dans d’autres régions du monde et une coordination entre ces systèmes, arguant que c’était la manière la plus appropriée pour obtenir des résultats rapides. Il a indiqué que ces accords auraient comme bénéfices de renforcer les capacités institutionnelles et le consensus, de permettre la mise en place de politiques d’ajustement plus rapides, d’améliorer la transparence et l’information relatives aux intentions politiques, et de créer plus de liens et une plus grande confiance entre les preneurs de décision. Il a ajouté que ce modèle mettait en place un esprit positif de coopération.
Le Ministre équatorien a expliqué que cette proposition exigeait d’œuvrer dans un cadre de durabilité doté d’institutions solides. Il a précisé que la Nouvelle architecture financière régionale devait se baser sur une gouvernance démocratique et transparente et sur un nouveau processus d’intégration par la création d’une Banque du Sud, l’établissement d’un réseau alternatif de banques de développement, et le renforcement du système régional des banques centrales. M. Páez a fait valoir que sa région devait réduire les besoins artificiels en dollars dans le commerce régional et les systèmes financiers. Il a souligné que la proposition équatorienne permettrait à des pays ayant des réalités politiques, financières et économiques différentes d’avancer vers un processus d’intégration. Pour aller dans ce sens, il a noté que chaque pays devait progresser vers une nouvelle architecture financière nationale et un nouvel appareil productif.
M. CALESTOUS JUMA (Kenya), Professeur de la pratique du développement international à la Kennedy School de l’Université Harvard, a attiré l’attention sur l’utilisation de la science et de la technologie comme outils pour la transformation économique et le développement. Il est évident pour la plupart des pays en développement, qu’ils ne peuvent croître sans connaissances scientifiques et technologiques, a-t-il fait remarquer. Il a précisé qu’il importe, dès lors, de se poser la question de disposer des moyens de produire des technologies à bas prix pour les pays en développement, et de permettre l’accès de ces derniers aux innovations technologiques. L’accès au capital et au financement, de même que l’investissement dans les petites et moyennes entreprises, deviennent essentiels, a-t-il souligné à cet égard. Il a fait remarquer que la crise financière aura dans ce domaine un impact négatif. Les investissements étrangers directs qui, a-t-il précisé, sont un des vecteurs permettant l’accès aux nouvelles technologies, ont d’ailleurs déjà diminué. Il a ajouté que la récession à venir va également miner les exportations et, partant, les revenus.
Dans ce contexte, M. Juma a estimé que les Nations Unies devraient développer un nouveau domaine de « diplomatie financière » pour discuter de ces questions qui ont jusqu’ici été laissées au Fonds monétaire international et à la Banque mondiale. Les Nations Unies ont en effet la capacité de réunir toutes les nations et de permettre un apprentissage collectif et un partage des bonnes pratiques, a-t-il fait valoir, avant d’ajouter qu’aucune instance au monde ne joue pour l’instant ce rôle. Il a, à cet égard, pris pour exemple le fonctionnement de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) qui, en cas d’accident d’avion, mène des enquêtes avec toutes les parties prenantes, discute des normes pour les évaluer et, le cas échéant, les modifier partout à travers le monde. Un organe similaire devrait être créé dans le cadre des Nations Unies en ce qui concerne les secteurs financier et technologique, a-t-il estimé. Quant à savoir d’où peuvent venir les nouvelles idées, M. Juma a dit placer de grands espoirs dans la créativité des organes régionaux. M. Juma a également préconisé de tirer un enseignement des expériences accumulées par certains pays et organismes. Il a, à cet égard, réitéré l’importance de reconnaître le rôle important que l’évolution technologique a joué dans l’histoire en permettant à plusieurs reprises de sortir de la récession.
Le monde a besoin d’alternatives et pas seulement de cadres de réglementations, a souligné M. FRANÇOIS HOUTART (Belgique), Professeur émérite de l’Université catholique de Louvain. Il ne suffit pas de réaménager le système financier international, mas il s’agit de le transformer, a-t-il déclaré. Il a fait remarquer que l’ensemble des crises, financière, alimentaire, énergétique, hydrique, climatique ou sociale, relèvent d’une cause commune. Il ne s’agit pas seulement d’un accident de parcours ou d’abus commis par quelques acteurs économiques qu’il faudra sanctionner, a-t-il souligné, expliquant, par là, que la communauté internationale est confrontée à une logique qui s’étale au long de toute l’histoire économique des deux derniers siècles. De crises en réglementations, des déréglementations aux crises, le déroulement des faits répond toujours à la pression des niveaux et des taux de profit, et à la logique de l’accumulation du capital. Pour accélérer la montée des niveaux de profit, une architecture complexe de produits dérivés fut mise en place, et la spéculation s’installa alors comme un mode opératoire du système économique, a souligné M. Houtart. Ainsi, prenant pour exemple la crise alimentaire, il a expliqué que l’augmentation des prix des denrées alimentaires n’a pas été le résultat d’une baisse dans la production des denrées, mais bien le résultat combiné de la diminution des stocks, de manœuvres spéculatives, et de l’extension de la production d’agrocarburants. La vie des êtres humains a donc été soumise aux impératifs de la recherche de plus grands bénéfices financiers, a-t-il fait observer.
M. Houtart s’est déclaré en faveur de la mise en place de réglementations uniquement si elles constituent les étapes d’une transformation radicale et permettent une sortie de crise. Il a prôné un usage renouvelable et rationnel des ressources naturelles qui, a-t-il précisé, suppose une philosophie autre que l’exploitation sans limite à des fins de pur profit. Il a préconisé de privilégier la valeur d’usage sur la valeur d’échange, arguant qu’avec ce type de paradigme le marché servirait de régulateur entre l’offre et la demande au lieu d’accroître les niveaux de profit dont une minorité peut se remplir les poches. M. Houtart a également relevé l’importance de promouvoir la démocratie, pas uniquement appliquée au secteur politique, mais également au sein du système économique. Précisant, plus concrètement, l’application de telles mesures, il a expliqué, par exemple, que le nouveau rapport à adopter face à l’environnement signifie, entre autres, la récupération par les États de la souveraineté sur les ressources naturelles, l’arrêt de la pratique des monocultures, et la remise en valeur de l’agriculture paysanne. Privilégier la valeur d’usage signifie rétablir les services publics, abolir les paradis fiscaux, et annuler les dettes odieuses placées sur les épaules des États du Sud. Démocratiser les sociétés passe par l’organisation de la participation locale et va jusqu’à la réforme des Nations Unies, a-t-il expliqué. La crise financière, a-t-il conclu, constitue l’occasion unique de mettre ces mesures en application.
Échange de vues
La représentante du Nicaragua a relevé le caractère systémique et la dimension mondiale de la crise actuelle, qui exige donc une réponse mondiale. Elle a appuyé l’idée de tenir une réunion au niveau le plus élevé sur la crise, et que l’on mette en place un mécanisme de contrôle et de suivi des décisions qui seront cordonnées par les États Membres de l’ONU. Elle a aussi noté que la prochaine Conférence de Doha sur le financement du développement serait une excellente occasion pour examiner la crise financière. Le représentant de la République de Corée a pour sa part estimé que la rencontre de Doha serait l’occasion de s’assurer que ces nouveaux faits économiques ne compromettent pas les engagements pris en matière de développement.
Étant donné les conséquences de cette crise sur le développement, il est approprié que cette crise soit examinée dans le cadre de l’ONU, a indiqué le représentant du Portugal. Le délégué du Pakistan a souligné qu’une action collective, lancée en temps opportun, devrait empêcher que ne se produisent de nouveaux désastres. S’accordant avec lui sur ce point de vue, le représentant du Maroc a précisé que les Nations Unies devaient faire appel à toutes les parties prenantes et à tous les pays afin qu’ils s’engagent dans la réforme de l’architecture financière internationale et respectent les engagements qu’ils ont pris, dans le cadre du Consensus de Monterrey, de revoir la gouvernance économique mondiale. Le représentant du Honduras a pour sa part fait valoir que l’ONU et les institutions de Bretton Woods devaient avoir les mêmes objectifs. Il a noté, tout comme le représentant du Bélarus, que ces institutions avaient vieilli et devaient être transformées en vue de devenir plus démocratiques.
Tout le monde s’entend sur la nécessité d’une restructuration, mais celle-ci ne serait-elle qu’un simple maquillage ou alors sera-t-elle vraiment une réforme profonde menée par tous les pays? a demandé le représentant de la Bolivie. Notant l’appel lancé par le Président de l’Assemblée générale pour que les 192 États Membres des Nations Unies soient tous impliqués dans la recherche de la solution à apporter à la crise actuelle, le représentant de l’Indonésie s’est demandé comment parvenir à cet objectif. Il a rappelé que ce genre d’intentions avait été aussi soulevé, au niveau régional, lors de la crise financière asiatique, mais que, dix ans plus tard, on se trouvait dans la même situation.
Notre priorité immédiate devrait être de stabiliser les marchés financiers internationaux, a estimé le représentant de Singapour, en se félicitant des liquidités qui y avaient été injectées et des initiatives proposées par le FMI et la Banque mondiale pour offrir aux pays des filets de sécurité face à la crise. Toutefois, a-t-il rappelé, les mesures à court terme ne suffiront sans doute pas. Il a ainsi appelé à une réforme profonde pour examiner les faiblesses du système financier international mises en lumière par cette crise et pour leur apporter des solutions. Il a aussi précisé que l’ONU pouvait faciliter la prise en compte des opinions de tous les États Membres dans la conduite de ce processus.
La représentante de l’Équateur a déclaré que les pays ne devaient pas succomber à la tentation de faire des coupures dans les budgets sociaux, ou encore à celle de se lancer dans une augmentation de la productivité au détriment de l’environnement ou des emplois. Elle a soutenu que la crise offrait une occasion unique pour que l’économie et les marchés ne soient pas des fins en eux-mêmes, mais deviennent plutôt des véhicules pour la promotion de l’équité et le succès de la lutte contre la pauvreté. Elle a à cet égard insisté sur le rôle des initiatives régionales. Illustrant celles-ci, la représentante de la Thaïlande a noté que les pays de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE) avaient convenu que la mise en commun des réserves devrait être renforcée pour que l’on puisse créer un Fonds commun de réserve. Toujours sur cet aspect régional, le représentant de l’Éthiopie a souhaité que la communauté internationale appuie les initiatives du Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD). En outre, il a demandé que des mesures précises soient identifiées afin de pouvoir aider les pays les plus vulnérables à faire face à cette crise.
Le représentant du Canada a souligné que la nécessité d’une bonne coopération internationale n’avait jamais été aussi forte. Il a estimé que l’échec du système de réglementation était au cœur de cette crise, et qu’il fallait donc s’assurer que les lacunes du système, constatées au niveau national, n’aient pas d’effets négatifs à l’échelle mondiale. Par ailleurs, il a estimé qu’il ne fallait pas oublier les autres défis qui se posent à long terme et que la communauté internationale doit relever, particulièrement la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD).
Insistant sur le rôle du commerce, le représentant du Kenya a déclaré que la déréglementation et la libéralisation avaient renforcé la marginalisation de nombreux pays. Le commerce et le système commercial multilatéral devraient encourager et non pas décourager le développement, a-t-il souligné. Il a aussi suggéré que les États Membres demandent au Secrétaire général de préparer un rapport énumérant les propositions portant sur les mesures à prendre pour atténuer cette crise.
Ne nous rendons-nous pas compte qu’il faut revenir à des modes de consommation durables? s’est interrogé le représentant de l’Allemagne, en faisant référence à la « richesse imaginaire » du mode de consommation à crédit. Il a également souhaité que l’on trouve un équilibre entre les forces du marché et la réglementation des États. Le représentant d’Israël a, quant à lui, plaidé pour l’établissement d’un système d’alerte précoce dans le domaine financier afin d’éviter d’autres crises. Enfin, l’Observateur du Saint-Siège a affirmé qu’il fallait avant tout investir dans les êtres humains et dans l’assistance aux populations les plus pauvres.
Concluant cette table ronde, M. MIGUEL D’ESCOTO BROCKMANN, Président de la soixante-troisième session de l’Assemblée générale, s’est félicité de l’enthousiasme avec lequel les États Membres ont participé aux deux tables rondes. Il a réaffirmé que l’ONU est le seul organe démocratique, légitime et représentatif capable d’unir toutes les parties prenantes pour discuter de cette crise financière complexe. Il a fait observer que les débats du jour ont clairement souligné la nécessité pour les États de travailler à l’unisson pour identifier les lacunes de l’architecture financière internationale et trouver des solutions aux défaillances de la gouvernance actuelle. Les Nations Unies ont l’habitude de s’occuper des questions qui transcendent les frontières, a-t-il insisté. Elles disposent d’un réservoir important d’experts, et de connaissances qui peuvent contribuer au règlement, à long terme, de la crise, a dit M. d’Escoto Brockmann. Devant les conséquences globales de la crise, le Président de l’Assemblée générale a relevé l’importance de remédier à la perte de confiance dans les institutions financières internationales, ces dernières s’étant avérées incapables de répondre à la crise. Restaurer la confiance implique d’explorer de nouvelles voies, a-t-il précisé. Par ailleurs, il a souligné les préoccupations qui existent quant aux coûts humains de la crise, à la lumière des pénuries alimentaires, de la réduction des services sociaux et de la hausse du chômage que l’on observe déjà à travers le monde. Il n’est plus acceptable que les pauvres et les vulnérables paient le prix de nos erreurs, a-t-il affirmé.
Le Président de l’Assemblée générale a noté les appels lancés, lors de cette discussion, en faveur de l’établissement d’un fonds de réserve multilatéral pour assurer des liquidités aux pays en développement en temps de crise. De plus, il a estimé que les nouveaux arrangements économiques, tout comme les mécanismes de surveillance, et les outils de réglementation, devaient être basés sur une participation la plus large possible. Il a souligné que les Nations Unies étaient le meilleur partenaire imaginable dans la conduite de ce processus, et que l’Assemblée générale ferait sa part pour aider à reconstruire la confiance nécessaire pour pouvoir faire en sorte que tous travaillent ensemble afin de trouver des solutions aux problèmes communs. Dans les semaines et mois à venir, nous devons rester engagés à trouver des solutions qui transcendent les intérêts nationaux étroitement définis, a-t-il poursuivi. M. d’Escoto Brockmann a affirmé que les décisions qui seront prises devaient être mises au service du bien de toutes les populations et de toutes les nations.
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