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S’ADRESSANT AUX CONSEILLERS EN ÉTUDES STRATÉGIQUES ET INTERNATIONALES, KOFI ANNAN DONNE UN APERÇU DES GRANDES QUESTIONS QUI SERONT EXAMINÉES AU SOMMET DE SEPTEMBRE

21/06/2005
Secrétaire généralSG/SM/9946
Département de l’information • Service des informations et des accréditations • New York

S’ADRESSANT AUX CONSEILLERS EN ÉTUDES STRATÉGIQUES ET INTERNATIONALES, KOFI ANNAN DONNE UN APERÇU DES GRANDES QUESTIONS QUI SERONT EXAMINÉES AU SOMMET DE SEPTEMBRE


« L’ONU a besoin des États-Unis et les États-Unis ont besoin de l’ONU »


On trouvera ci-après le texte du discours prononcé le 20 juin, à New York, par le Secrétaire général de l’ONU, M. Kofi Annan, devant les conseillers internationaux du Center for Strategic and International Studies des Etats-Unis:


Merci, M. Kissinger, de cette chaleureuse présentation.  J’ai été très heureux de vous entendre dire ces mots.  C’est pour moi un privilège autant qu’un plaisir d’être là et de m’adresser à un groupe de responsables des milieux d’affaires internationaux aussi éminent.  En fait, pas plus tard que la semaine dernière, j’étais à Paris où j’ai également rencontré des responsables des milieux d’affaires qui font partie du Pacte mondial.  Le Président Chirac, le Premier Ministre Blair et moi-même nous sommes entretenus avec eux, les avons encouragés à s’intéresser activement aux questions de développement et leur avons rappelé que le secteur privé a un rôle important à jouer et qu’ils peuvent vraiment changer la donne dans certains de ces pays, non seulement par leurs investissements mais aussi en conseillant certains pays et gouvernements quant à la manière de développer les petites et moyennes entreprises.  Et donc ce soir, j’ai la chance de m’adresser à un autre groupe, mais sur un sujet différent.


Comme on vous en a informé, je ne puis, ce que je regrette, rester longuement avec vous.  Je pars ce soir pour Bruxelles, où je dois assister à une conférence internationale sur l’Iraq où 80 pays et institutions examineront comment on peut aider à stabiliser l’Iraq et dont les travaux seront coprésidés notamment par l’ONU, l’Union européenne et le Gouvernement des États-Unis.


Henry, c’est quand j’ai des conflits de calendrier comme celui-là que j’aimerais avoir l’assurance nécessaire pour dire, comme vous l’avez dit un jour, « une crise la semaine prochaine? Impossible mon emploi du temps est déjà complet ». [rires]


Mais j’apprécie particulièrement de pouvoir vous parler en ce moment, c’est-à-dire à un moment où l’ONU traverse une période cruciale, et son indispensable relation avec les États-Unis également.


Au cours des deux ou trois dernières années, cette relation a traversé quelques orages.  Mais je sais que vous tous qui êtes là comprenez que l’engagement et l’esprit d’initiative des États-Unis sont essentiels pour que l’ONU fasse un travail efficace mais aussi à quel point une ONU efficace est dans l’intérêt des États-Unis.  Pour le dire simplement, l’ONU a besoin des États-Unis et les États-Unis ont besoin de l’ONU.

Cette année représente un tournant dans l’histoire de l’Organisation des Nations Unies.  Ce n’est pas seulement l’année qui marque son soixantième anniversaire: c’est aussi une année où elle fait des plans et engage un débat constructif sur l’avenir: comment vaincre la pauvreté et atteindre les Objectifs du Millénaire pour le développement? Comment édifier un système de sécurité collective qui permette de neutraliser les menaces qui pèsent sur l’humanité en ce siècle? Comment aussi faire mieux respecter les droits de l’homme dans chaque pays?


C’est un moment où nous sommes déterminés à réformer l’ONU pour la rendre plus habile à traiter les questions mondiales auxquelles nous sommes confrontés –dont certaines attendent une réponse depuis des années.


Le Sommet de 2005 qui se tiendra à New York à la mi-septembre –on vous en a parlé plus tôt– sera le plus grand rassemblement de dirigeants mondiaux de toute l’histoire: à la date d’aujourd’hui, 175 chefs d’État et de gouvernement ont fait savoir qu’ils y assisteraient, ce qui montre l’importance qu’ils attachent aux questions qui y seront examinées.  Nous avons là une occasion unique de réformer l’Organisation, qui ne se présente qu’une fois par génération; si nous la laissons passer, je ne sais pas quand elle se représentera.  Les enjeux n’ont jamais été aussi élevés et les chefs d’États et de gouvernement se voient de plus en plus contraints de s’accorder sur des questions capitales.  Les négociations progressent; mais le temps manque et il reste encore beaucoup à faire.


Il y a trois mois, dans un rapport intitulé « Dans une liberté plus grande », j’ai proposé une série de mesures concrètes pour que le Sommet de 2005 prenne des décisions historiques propres à renforcer notre sécurité collective, redynamiser notre lutte contre la pauvreté et faire progresser la cause des droits de l’homme et de la démocratie dans le monde entier.  J’ai proposé également de procéder à la refonte la plus radicale de l’ONU en 60 ans.


Permettez-moi tout d’abord de vous entretenir de quelques-unes des questions les plus urgentes qui attendent une décision dans le domaine de la paix et de la sécurité:


Il nous faut désespérément construire un front uni contre le terrorisme sous toutes ses formes.  L’ONU doit parler haut et clair pour dénoncer ce fléau et, en tant qu’instance internationale, le combattre efficacement.  Il faudra pour cela une nouvelle stratégie globale, conforme aux modalités que j’ai exposées.  Il faudra aussi que les États Membres s’unissent derrière une définition commune du terrorisme.  Certains d’entre vous seront peut-être surpris, mais jusqu’à présent, il n’y a pas de définition commune du terrorisme parce que, chaque fois que quelqu’un soulève la question, on lui répond, je cite: « Ce que d’aucuns considèrent comme des terroristes sont pour d’autres des combattants de la liberté ».  Et il faut permettre aux combattants de la liberté de mener à bien leur combat.  Mais la définition toute simple que nous demandons aux États Membres d’adopter, c’est que, quelle que soit la cause défendue, on n’a pas le droit de tuer ou de blesser des civils innocents et des non-combattants.  Parce que c’est cela le terrorisme, purement et simplement et cette évidence morale doit être acceptée par tous.  Nous espérons qu’en septembre, tous les États Membres en conviendront.

Nous devons agir collectivement et de façon décisive pour prévenir la prolifération des armes biologiques, chimiques et nucléaires –en particulier pour éviter qu’elles ne tombent dans les mains de terroristes.  J’ai été profondément ébranlé par le fait que la Conférence des Parties chargée d’examiner le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires n’est pas parvenue le mois dernier, à relever les défis auxquels nous sommes confrontés.  Je suis particulièrement préoccupé par le fait que la confiance dans le régime de non-prolifération nucléaire commence à s’éroder et que, si les chefs d’État et de gouvernement n’agissent pas résolument pour la restaurer en septembre, nous risquons de ne plus pouvoir maîtriser la situation.


Il nous faut par ailleurs résoudre plus efficacement le problème crucial de la reconstruction après les conflits.  Je crois que la population des États-Unis n’ignore plus rien désormais de la consolidation de la paix après les conflits, que ce soit en Afghanistan ou en Iraq.  Et nous à l’ONU, nous sommes aujourd’hui engagés en maints endroits dans des opérations de consolidation de la paix.  Je suis encouragé par le large consensus qu’a recueilli ma proposition de combler le vide institutionnel actuel en créant une commission de consolidation de la paix –nouvel organe qui serait chargé d’évaluer les besoins des populations à l’issue d’un conflit et d’y répondre.  Cela nous aiderait à éviter des tragiques échecs tels que ceux que nous avons connus en Afghanistan avant 2001, et plus récemment en Haïti et dans un certain nombre de pays africains.  La Commission sera composée d’un groupe de parties prenantes issues de la communauté des donateurs, des organisations financières internationales, du système des Nations Unies et du pays en difficulté, qui devra établir un plan et veiller à son exécution à moyen et à long termes, ce qui vaut mieux que d’organiser des élections et de proclamer qu’avec elles, on en a terminé : les élections ne sont qu’une phase du processus.


Deuxièmement, il y a des questions tout aussi pressantes dans le domaine du développement.  Pour la première fois dans l’histoire, nous avons le pouvoir et les moyens de mettre un terme à la pauvreté extrême –tous les pays se sont engagés à faire la moitié du chemin en ce sens – c’est-à-dire à faire reculer la pauvreté de 50% – en atteignant les Objectifs du Millénaire pour le développement fixés à 2015.


Heureusement, il existe désormais un large consensus, fondé sur les engagements pris par les pays développés aussi bien que par les pays en développement lors de la Conférence de Monterrey d’il y a trois ans, sur ce que chacun des partenaires doit faire.


Nous savons que chacun de nous, chaque pays en développement, doit adopter une stratégie nationale qui lui permette de renforcer la gouvernance, de livrer une guerre sans merci contre la corruption et d’adopter des politiques propres à stimuler le secteur privé, à créer des emplois et à mobiliser pleinement les ressources nationales.


Et nous savons ce que les pays donateurs comme les États-Unis doivent faire –augmenter l’aide au développement, élargir et renforcer l’allégement de la dette et s’engager à conclure le cycle des négociations commerciales de Doha.  Je suis particulièrement encouragé par la décision qu’a prise récemment l’Union européenne d’augmenter substantiellement son aide publique au développement et par l’accord auquel est parvenu le Groupe des Huit en ce qui concerne l’annulation de la dette.


Nous avons des priorités très claires dans un certain nombre de domaines.  Par exemple, mettre en place des systèmes de santé dans les pays en développement est dans l’intérêt de toutes les nations –non seulement pour enrayer la propagation de maladies endémiques telles que le VIH/sida, mais aussi pour protéger les populations du monde entier contre les épidémies mortelles de maladies infectieuses, qu’elles soient spontanées ou provoquées.  Le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) a été un premier avertissement.  Aujourd’hui, la grippe aviaire fait rapidement grossir les rangs des experts et des dirigeants –dont certains de vos propres hommes politiques, les sénateurs Frist, Lugar et Obama– qui nous avertissent que nous sommes terriblement mal préparés.  Et rappelons-nous: la dernière fois qu’une épidémie a frappé, il y a eu des millions de morts.


Troisièmement, nous devons accorder encore plus d’importance aux droits de l’homme et à l’état de droit dans la conduite des affaires internationales.  Les institutions internationales actuellement en place ne suffisent pas à garantir le respect des droits de l’homme dans la pratique.  Les problèmes de la Commission des droits de l’homme sont devenus si notoires qu’ils remettent en question la crédibilité de l’ensemble du système des Nations Unies.  Je crois que le temps est venu de remplacer la Commission par un Conseil permanent des droits de l’homme, dont la composition serait de préférence réduite et qui placerait la barre plus haut en matière d’admission.  De même, le moment est venu de nous acquitter de notre responsabilité collective de protéger les individus et de nous débarrasser de toute idée qui conduirait à accepter un génocide au nom de la souveraineté.  Nous soutenons que c’est aux gouvernements qu’incombe la responsabilité de protéger leurs citoyens contre des violations patentes et systématiques des droits de l’homme.  Mais quand les gouvernements concernés ne veulent pas ou ne peuvent pas le faire, qui doit être tenu responsable? Nous soutenons que dans ce cas, c’est le Conseil de sécurité qui doit prendre des mesures, allant des sanctions diplomatiques à l’autorisation, dans les cas extrêmes, de l’usage de la force.


Quatrièmement, j’ai fait des propositions concrètes pour renouveler la structure de l’Organisation des Nations Unies.  Une Assemblée générale revitalisée mettrait l’accent sur les grandes questions du jour.  Un Conseil économique et social rajeuni aurait un rôle plus stratégique à jouer pour aider à formuler des politiques cohérentes en matière de développement et à le mettre en œuvre.  Et si nous devons effectivement créer quelques nouvelles institutions, nous devrions aussi être disposés à abolir celles dont nous n’avons plus besoin, comme le Conseil de tutelle, et parvenir à le faire.  J’ai essayé de faire abolir ce organe en 1997 mais n’y suis pas parvenu; nous tâcherons cette fois de réussir.


Que dire du Conseil de sécurité?  Bien sûr, sa composition actuelle est à l’image du monde de 1945 et non du XXIe siècle.  Pour lui conserver son efficacité pendant une bonne partie de ce siècle, il faut le réformer de façon à y inclure les États Membres qui contribuent le plus à l’activité de l’Organisation sur les plans financier, militaire et diplomatique, et accepter aussi d’en élargir la composition, de la rendre plus représentative, ce qui rendrait le Conseil lui-même plus démocratique.  Lorsque celui-ci a été établi, près des trois quarts de ses membres n’étaient pas indépendants et n’étaient pas encore des États Membres.  Il y en avait environ 50, et il y en a aujourd’hui 191.  Il faudrait aussi continuer à s’occuper activement de la question de la gouvernance.  Les États Membres sont saisis de cette importante question depuis plus de 10 ans et nous l’avons débattue à l’infini : nous connaissons les problèmes qui y sont liés et j’espère que nous serons capables de prendre une décision cette fois-ci.


Enfin, il faudrait rendre tous les organismes des Nations Unies complètement transparents et comptables de leurs activités, non seulement auprès des États Membres mais aussi auprès du public.  Nous sommes particulièrement conscients des besoins de réforme mis en évidence par les événements de ces derniers mois – les révélations inquiétantes concernant le Programme « pétrole contre nourriture », les conclusions connexes de la Commission Volcker et des enquêtes parlementaires des États-Unis et d’autres rapports sur l’exploitation sexuelle pratiquée par des Casques bleus sur le terrain.


Si nous avons fait d’énormes progrès dans bien des domaines opérationnels, ces quelques dernières années, il y a encore des problèmes auxquels il nous faut remédier d’urgence concernant le contrôle de l’audit, la responsabilisation du personnel d’encadrement, la publication des informations financières et les résultats en général.


Dans les réformes déjà en cours figurent des mesures destinées à améliorer le comportement professionnel des cadres supérieurs; à renforcer le contrôle et la responsabilisation; à faire respecter la déontologie; et d’améliorer la transparence, notamment en exigeant des hauts fonctionnaires qu’ils publient plus systématiquement les informations financières dont ils disposent.


J’estime encourageant que les activités que nous menons pour réformer la gestion interne de l’Organisation aient été reconnues dans le rapport final que l’Équipe spéciale de l’Institute of Peace des États-Unis sur l’Organisation des Nations Unies a publié la semaine dernière.


Dans ce rapport, que j’estime sincère et constructif, l’Équipe spéciale a adopté un point de vue équilibré sur l’ONU et je suis d’accord avec bon nombre de ses recommandations.  Dans l’ensemble, j’ai été très réconforté de constater qu’il témoigne d’une meilleure compréhension de l’importance de l’Organisation pour les États-Unis d’Amérique.  Le rapport examine les moyens de rendre l’ONU plus efficace –pour servir non seulement les intérêts du peuple américain mais, dans notre monde de plus en plus interdépendant, l’intérêt de tous les peuples.


Le rapport appuie et adopte bon nombre de mes principales initiatives et propositions visant à combattre le terrorisme et la prolifération, à promouvoir les droits de l’homme et à présenter des réformes institutionnelles plus vastes.  Et il souligne que la crise au Darfour constitue un test capital, à la fois pour les États Membres et pour l’Organisation des Nations Unies.


Mesdames et Messieurs, ce même rapport dit aussi [je cite]: « Pour que l’Organisation des Nations Unies surmonte ses difficultés actuelles, les États-Unis devront lui montrer la voie à suivre.  Le moment est venu pour elle de changer et de reconfirmer sa place dans le nouvel environnement international d’aujourd’hui » [fin de citation].


Nous sommes d’accord là-dessus.  J’espère que les États-Unis contraindront l’Organisation à atteindre ces objectifs et qu’ils ne le feront pas isolément, mais en partenariat avec d’autres États Membres qui partagent les mêmes idéaux et souhaitent autant qu’eux que l’Organisation soit réellement au service de tous les peuples.  Comme le rapport le dit également –je cite à nouveau: « Pour réussir, la diplomatie américaine doit bâtir une forte coalition, comprenant les États Membres les plus importants de diverses régions et de divers groupes … dont beaucoup partagent le vif désir des États-Unis de réformer l’ONU pour en faire une organisation efficace ».


Si je puis me permettre d’emprunter les mots d’un éminent Américain, M. John W. Gardner, je dirai que les institutions ont le don de se faire « coincer entre les impitoyables feux croisés de ceux qui les aiment sans les critiquer et de ceux qui les critiquent sans les aimer ».  Vous qui êtes ici ce soir, je sais que vous n’appartenez à aucun de ces deux groupes. [rires]


Vous êtes plutôt des partisans éclairés de cet instrument incontournable qu’on appelle l’Organisation des Nations Unies.  Je remercie chacun d’entre vous de votre engagement et je compte sur votre appui dans les moments décisifs qui nous attendent.


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À l’intention des organes d’information • Document non officiel
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