SG/SM/9847-DC/2956

KOFI ANNAN APPELLE LES ÉTATS À TROUVER LES MOYENS VIABLES DE CONCILIER LE DROIT AUX UTILISATIONS PACIFIQUES AVEC L’IMPÉRATIF DE LA NON-PROLIFÉRATION DES ARMES NUCLÉAIRES

03/05/2005
Communiqué de presse
SG/SM/9847
DC/2956


KOFI ANNAN APPELLE LES ÉTATS À TROUVER LES MOYENS VIABLES DE CONCILIER LE DROIT AUX UTILISATIONS PACIFIQUES AVEC L’IMPÉRATIF DE LA NON-PROLIFÉRATION DES ARMES NUCLÉAIRES


Vous trouverez ci-après le texte intégral de l’allocution prononcée par le Secrétaire général de l’ONU, M. Kofi Annan, devant la Conférence des Parties au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, le 2 mai 2005:


En 1945, année où a été fondée l’Organisation des Nations Unies, notre monde est entré dans l’ère nucléaire avec les terrifiantes explosions d’Hiroshima et de Nagasaki.  Peu après, nous étions en pleine guerre froide, et la menace de l’anéantissement pesait sur l’humanité.  Cette époque dangereuse est peut-être terminée, mais les menaces nucléaires demeurent.  Assurément, au cours des cinq années écoulées depuis notre dernière réunion, le monde s’est vu une fois de plus confronté aux dangers nucléaires, qu’il s’agisse de nouveaux ou d’anciens périls. 


Je suis fermement convaincu que notre génération peut bâtir un monde marqué par des progrès ininterrompus sur la voie du développement, de la sécurité et des droits de l’homme – un monde qui vivra « dans une liberté plus grande ».  Mais je sais aussi que tout espoir d’accéder un jour à un tel monde serait réduit à néant par une catastrophe nucléaire dans l’une ou l’autre de nos grandes métropoles.  Dans le chaos et la confusion qui s’ensuivraient immédiatement, il y aurait sans doute bien des questions appelant une réponse.  S’agissait-il d’un acte de terrorisme? D’un acte d’agression commis par un État? D’un accident? Toutes ces hypothèses ne sont peut-être pas également probables, mais toutes sont possibles.


Imaginons, rien qu’un instant, quelles pourraient être les conséquences.  Des dizaines, voire des centaines, de milliers d’êtres humains périraient d’un seul coup, et bien d’autres mourraient de leur exposition au rayonnement.


L’impact planétaire serait également considérable.  L’attention des dirigeants internationaux se polariserait sur cette menace existentielle.  Des mécanismes de sécurité collective mis en place au prix d’efforts opiniâtres pourraient être discrédités.  Des libertés et des droits fondamentaux durement acquis pourraient être compromis.


La diffusion des technologies nucléaires en vue d’utilisations pacifiques pourrait être bloquée.  Les ressources affectées au développement seraient sans doute fortement réduites.  Et les marchés financiers, les échanges commerciaux et les transports mondiaux pourraient être durement touchés, ce qui ne manquerait pas d’avoir des conséquences économiques majeures.  Dans les pays pauvres, des millions d’êtres humains risqueraient de connaître des privations et des souffrances encore accrues. 


La stupeur cédant la place à la colère et au désespoir, les dirigeants de toutes les nations représentées ici à cette conférence – ainsi que les dirigeants de celles qui ne le sont pas – devraient se poser la question : comment en est-on arrivé là? Puis-je avoir la conscience tranquille? Aurais-je pu faire davantage pour réduire le risque en renforçant le régime destiné à le prévenir?


Dans notre univers interdépendant, une menace contre l’un de nous est une menace contre tous, et la responsabilité de notre sécurité mutuelle est une responsabilité partagée par tous.  S’il en est ainsi pour toutes les menaces, cela est encore plus vrai quand il s’agit de la menace nucléaire. 


Nous sommes tous à la merci du plus faible maillon de la sécurité et de la sûreté nucléaire, à la merci du plus faible maillon dans nos efforts en faveur du désarmement et pour la prévention de la prolifération.  Et la mise en place d’un système performant, efficace et équitable capable de réduire les menaces nucléaires est une lourde responsabilité qui nous incombe à tous. 


Il y a 35 ans, nos prédécesseurs ont eu la sagesse de conclure le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires afin de prévenir la prolifération et de promouvoir le désarmement tout en garantissant le droit à l’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire.  Depuis lors, le Traité a été et demeure l’une des pierres angulaires de la sécurité mondiale, et a eu raison des sombres prédictions de ses critiques. 


Les armes nucléaires n’ont pas proliféré dans des dizaines d’États.  En fait, les États qui ont renoncé à leurs ambitions de se doter d’armes nucléaires sont plus nombreux que ceux qui ont acquis de telles armes.  Des États sont devenus parties à des zones exemptes d’armes nucléaires, et je salue les progrès récemment réalisés vers l’établissement d’une zone exempte d’armes nucléaires en Asie centrale.  La norme universelle de non-prolifération a été fermement établie – et elle a été réaffirmée lors de vos deux dernières conférences d’examen.


La fourniture des matières nécessaires à la production de telles armes a fait l’objet d’une étroite surveillance.  De nombreux États ont pu bénéficier des avantages des utilisations pacifiques de l’énergie nucléaire.


Nous avons été également témoins de l’adoption de mesures, telles que le récent Traité de Moscou, de démantèlement des armes et de réduction des stocks. 


D’importantes initiatives multilatérales ont également été prises pour réduire le risque du terrorisme nucléaire.  Dans sa résolution 1540, le Conseil de sécurité a affirmé que tous les États avaient l’obligation d’assurer la sécurité des matières sensibles et d’en contrôler l’exportation.  Et je suis certain que vous serez encouragés, comme je le suis moi-même, par la décision prise le mois dernier par l’Assemblée générale d’adopter la Convention contre le terrorisme nucléaire.


Mais nous ne pouvons pas nous permettre d’être complaisants.  Il est clair que le régime n’a pas suivi le rythme du progrès technologique et de la mondialisation, et ces dernières années des événements de toute nature l’ont mis à rude épreuve. 


La faillite des régimes internationaux ne résulte pas d’une violation unique, aussi grave ou inacceptable soit-elle.  Elle est la conséquence de nombreuses violations qui s’accumulent jusqu’au moment où le fossé entre les promesses et les résultats devient impossible à combler.  Au moment où vous vous réunissez pour votre conférence d’examen du Traité de non-prolifération, votre tâche primordiale est de réduire cet écart.


Vous allez entendre, je n’en doute pas, de nombreuses vérités au cours de cette conférence.


Les uns insisteront sur la nécessité de prévenir la prolifération dans les régions les plus volatiles.  Certains souligneront que nous devons faire en sorte que le respect du Traité de non-prolifération, et sa mise en œuvre, soient universels.


D’autres encore diront que la dissémination des technologies du cycle du combustible nucléaire constitue un risque inacceptable de prolifération.  D’autres rétorqueront que l’accès aux utilisations pacifiques de la technologie nucléaire ne doit pas être compromis.


Certains dénonceront la prolifération comme un grave danger.  D’autres feront valoir que les arsenaux nucléaires existants constituent un danger mortel.


Pourtant, j’appelle chacun de vous à reconnaître toutes ces vérités.  Je vous demande de reconnaître que le désarmement, la non-prolifération et le droit aux utilisations pacifiques sont tous d’une importance vitale.  Je vous appelle à reconnaître que tous ces aspects sont trop importants pour être traités comme des otages des politiques passées.  Et je vous appelle à reconnaître que tous imposent des responsabilités à tous les États. 


Si vous voulez être à la hauteur de ces défis, une action s’impose sur plusieurs fronts. 


Premièrement, vous devez renforcer la confiance dans l’intégrité du Traité, compte tenu plus particulièrement du premier retrait annoncé par un État.  Si les violations n’entraînent pas une réaction immédiate, la garantie collective la plus fondamentale sur laquelle repose le Traité sera sérieusement mise en doute. 


Deuxièmement, vous devez faire en sorte que les mesures visant à garantir le respect du Traité soient plus efficaces, afin de maintenir la confiance dans l’exécution des obligations assumées par les États.  Par exemple, l’adoption universelle du modèle du Protocole additionnel a trop longtemps tardé.  Le modèle doit devenir la nouvelle norme pour la vérification du respect du Traité.


Troisièmement, vous devez prendre des mesures pour réduire la menace de la prolifération, non seulement parmi les États, mais aussi parmi les acteurs non étatiques.  Maintenant que les dangers d’une telle prolifération apparaissent clairement, il est également clair que tous les États ont l’obligation universelle d’adopter au niveau national des mesures efficaces de contrôle et de police.


Quatrièmement, le caractère ambivalent de l’énergie nucléaire pose un problème que vous devez regarder en face.  Le régime ne sera pas viable si des dizaines d’États développent les phases les plus sensibles du cycle du combustible nucléaire et se dotent de la technologie nécessaire pour produire rapidement des armes nucléaires – et, bien entendu, chaque État qui s’engage dans cette voie donne aux autres l’impression qu’ils doivent en faire de même.  Tous les risques seraient ainsi multipliés – le risque d’accident nucléaire, de trafic, d’emploi par des terroristes, et d’emploi par les États eux-mêmes.


Pour éviter cela, vous devez trouver des moyens viables de concilier le droit aux utilisations pacifiques avec l’impératif de la non-prolifération.  Les États qui souhaitent exercer leurs droits incontestés de développer et d’utiliser l’énergie nucléaire à des fins pacifiques ne doivent pas prétendre qu’ils ne peuvent le faire qu’en se dotant de capacités susceptibles d’être utilisées pour construire des armes nucléaires.  Mais, dans le même ordre d’idées, ces mêmes États ne devraient pas avoir l’impression que le seul moyen de bénéficier des avantages de l’énergie nucléaire est de se doter d’une capacité nationale leur permettant d’accéder au cycle complet du combustible nucléaire.


Dans une première étape, il faudrait accélérer la conclusion d’un accord sur la mise en place de mesures incitatives encourageant les États à renoncer volontairement à se doter d’installations du cycle du combustible.  Je félicite l’Agence internationale de l’énergie atomique et son Directeur général pour les efforts qu’ils ont entrepris afin de parvenir à un consensus sur cette question vitale, et j’invite tous les États à suivre leur exemple. 


Ces mesures réduiraient dans une large mesure le risque de l’emploi d’armes nucléaires.  Mais, en fin de compte, le seul moyen de garantir que ces armes ne soient jamais employées, c’est de faire en sorte que notre monde soit exempt d’armes nucléaires.


Si nous voulons vraiment un monde sans armes nucléaires, il nous faut dépasser l’emphase rhétorique et la gesticulation politique, et commencer à réfléchir sérieusement aux moyens d’atteindre notre objectif.


Certaines mesures initiales s’imposent d’elles-mêmes.  La négociation rapide d’un traité sur l’arrêt de la production des matières fissiles pour tous les États est une condition vitale et indispensable.  Tous les États devraient affirmer leur volonté d’instituer un moratoire sur les essais, et de faire en sorte que le Traité sur l’interdiction complète des essais nucléaires entre rapidement en vigueur.  Le Groupe de haut niveau a également approuvé, à juste titre, la recommandation adressée à tous les États dotés d’armes nucléaires de lever l’état d’alerte de leurs armes existantes, et de donner des garanties négatives de sécurité aux États non dotés d’armes nucléaires.


Mais vous devez aller plus loin.  Beaucoup d’États continuent de vivre sous un parapluie nucléaire, le leur ou celui d’un allié.  Il faut trouver des moyens de réduire, et finalement, d’éliminer, le recours à la dissuasion nucléaire.


Une étape importante serait franchie si les anciens adversaires de la guerre froide prenaient eux-mêmes l’engagement – irrévocable – d’opérer de nouvelles réductions de leurs arsenaux, afin que le nombre de têtes nucléaires ne se chiffrent plus par milliers, mais par centaines.  On ne peut espérer parvenir à des réductions aussi considérables que si chaque État a une idée claire et fiable des quantités de matières fissiles à la disposition de chaque autre État, et si chaque État a confiance dans le régime de sécurité applicable à ces matières dans les autres États.


L’obligation d’améliorer la transparence et la sécurité est donc une obligation qui incombe à tous les États – dotés ou non d’armes nucléaires.  En fait, si tous les États ne reconnaissent pas que le désarmement, de même que la non-prolifération, exige des mesures de la part de tous et de chacun, l’objectif du désarmement général et complet ne restera qu’un rêve lointain.


Dans le même temps, nous devons tenir compte du fait que l’attitude des États face au Traité de non-prolifération est inévitablement liée aux questions plus vastes de la sécurité nationale, régionale et mondiale.  Plus nous ferons d’efforts pour régler les conflits régionaux, moins les États seront tentés de se doter d’armes nucléaires.  Plus les États auront confiance dans notre système de sécurité collective, plus ils accepteront volontiers de s’en remettre à un régime renforcé de non-prolifération, au lieu de recourir à la dissuasion.  Et nous nous rapprocherons ainsi de l’objectif vital qu’est l’adhésion universelle au Traité.


Dans mon rapport « Dans une liberté plus grande », j’ai proposé aux États Membres une vision d’un système rénové de sécurité collective pour le XXIe siècle.  Lorsque les dirigeants de la planète se rencontreront en septembre, ils devront prendre des décisions audacieuses pour faire de cette vision une réalité.


C’est là un programme ambitieux.  Mais les conséquences d’un échec seraient trop graves pour que nous révisions nos objectifs à la baisse.  Dans le même temps, chacun peut voir clairement ce qu’annonce le succès : un monde où la menace nucléaire est réduite et, finalement, un monde sans armes nucléaires.


Notre monde ne se rapprochera pas de cette vision si vous n’acceptez que quelques-unes des vérités que vous allez entendre au cours de cette conférence.  En tant que responsables du Traité, vous devrez tenir compte de tous les dangers nucléaires qui menacent l’humanité.


Assurément, les détonations dont Hiroshima et Nagasaki ont retenti il y a maintenant longtemps vous dictent on ne peut plus clairement vos responsabilités.  J. Robert Oppenheimer, l’un des pères de la première bombe, nous a prévenus : « Les peuples de ce monde doivent s’unir, ou ils périront […] C’est ce que la bombe atomique nous a dit explicitement pour que tous le comprennent ».


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