GA/PAL/979

DES EXPERTS FONT UN EXAMEN JURIDIQUE DE L'AVIS CONSULTATIF DE LA CIJ SUR LA BARRIÈRE DE SÉCURITÉ EN TERRITOIRE PALESTINIEN OCCUPÉ

08/03/2005
Communiqué de presse
GA/PAL/979

DES EXPERTS FONT UN EXAMEN JURIDIQUE DE L'AVIS CONSULTATIF DE LA CIJ SUR LA BARRIÈRE DE SÉCURITÉ EN TERRITOIRE PALESTINIEN OCCUPÉ


(Publié tel que reçu)


GENÈVE, 8 mars (Service d’information des Nations Unies) -- La réunion internationale des Nations Unies sur la question de la Palestine a entendu cet après-midi les présentations d'experts qui ont procédé à une analyse juridique de l'avis consultatif de la Cour internationale de justice sur la construction par Israël d'une barrière de sécurité dans le territoire palestinien occupé.


Les experts ont souligné que la Cour a ainsi affirmé des principes juridiques d'une importance fondamentale pour la Palestine, puisqu'elle affirme que la Palestine comprend Jérusalem-Est occupée et tous les territoires situés à l'est de la Ligne verte, et que le mur crée un «fait accompli» qui équivaudrait à une annexion de facto.  L'avis consultatif de la Cour revêt aussi une grande importance pour la paix en Moyen-Orient: si Israël se conformait à l'avis consultatif, à savoir, s'il démantelait les parties existantes du mur et s'abstenait de nouvelles constructions, il retirerait une source de frustration et d'amertume, qui font obstacle vers la paix.  En clarifiant les questions sur le statut du territoire, la Cour facilite une solution fondée sur de véritables arrangements entre des intérêts divergents par des concessions mutuelles.  En outre, elle ne laisse place à aucune interprétation ou spéculation.  Le mur est illicite et doit être démantelé.


L'attention a en outre été attirée sur l'obligation de réparer les dommages subis par les particuliers.  Dans ce contexte, il semble que la seule chose que la victime ait à prouver c'est que le préjudice subi résulte de la construction du mur au-delà de la Ligne verte, construction qui est globalement considérée comme illicite.  La preuve que le préjudice subi résulte plus précisément de tel ou tel fait illicite ne semble pas être exigée.  Cela pour le plus grand avantage des victimes. 


Il a aussi été souligné que la Cour, en émettant cet avis, fait peser sur la communauté mondiale et ses principaux protagonistes une immense responsabilité politique.


Les experts suivants ont présenté des exposés: M. Vaughan Lowe, Professeur de droit international public, titulaire de la Chaire Chichele au All Souls College d'Oxford; M. Michael Bothe, professeur de droit et Président de l'association allemande de droit international de Francfort; M. Avner Pinchuk, avocat auprès de l'Association pour les droits civils en Israël; M. Anis Kassim, Conseiller juridique de l'équipe de la défense palestinienne auprès de la Cour internationale de justice; M. Pierre d'Argent, professeur de droit international Université catholique de Louvain et au Collège Thomas More.  M.  Mahmoud Hmoud, de la délégation de Jordanie, a également pris la parole.


Demain matin, à 10 heures, la réunion tiendra un débat consacré à la responsabilité des gouvernements, des organisations non gouvernementales et des organisations intergouvernementales pour assurer le respect du droit international.


Exposés


M. VAUGHAN LOWE, Professeur de droit international public, titulaire de la Chaire Chichele au All Souls College d'Oxford, a déclaré que l'avis consultatif rendu par la Cour internationale de justice dans l'affaire concernant les conséquences juridiques de l'édification d'un mur dans le territoire palestinien occupé apporte des réponses qui confirment son rôle dans le cadre du système des Nations Unies et la pertinence du droit international dans les relations internationales.  La Cour a affirmé que c'est aux organes des Nations Unies qu'il appartient en principe de décider s'ils ont ou non besoin de l'avis de la Cour.  M. Lowe a souligné à cet égard que la Cour n'aurait peut-être pas accepté de se saisir de l'affaire si les États-Unis n'avaient pas imposé leur veto aux résolutions du Conseil de sécurité sur la Palestine.  Une série de rapports de l'ONU relatifs à la Palestine constituait une base factuelle adéquate, et probablement indispensable, sur laquelle la Cour pouvait se fonder pour rendre son avis.  La Cour peut identifier les questions juridiques qui se posent dans les différends politiques et statuer sur ces questions, et c'est ce qu'elle fait.


M. Lowe a estimé que la Cour a affirmé des principes juridiques d'une importance fondamentale pour la Palestine, notamment que la «Palestine» comprend Jérusalem-Est occupée et tous les territoires situés à l'est de la Ligne verte; que les colonies de peuplement israéliennes dans le territoire palestinien occupé (y compris Jérusalem-Est) ont été établies en violation du droit international; que le mur crée un «fait accompli» qui équivaudrait à une annexion de facto; qu'aussi bien Israël que la Palestine ont l'obligation de respecter de manière scrupuleuse le droit international humanitaire dont l'un des buts principaux est de protéger la vie des personnes civiles.  M. Lowe a relevé que la Cour n'est pas convaincue que la destruction du territoire palestinien par Israël soit rendue absolument nécessaire par les opérations militaires.  L'avis de la Cour reconnaît à Israël le droit et le devoir de répondre aux actes de violence afin de protéger ses civils, mais les mesures prises doivent rester conformes au droit international.


S'agissant des obligations d'Israël qui découlent de l'avis de la Cour internationale de justice, M. Lowe a souligné qu'Israël est juridiquement tenu, notamment, de respecter le droit de la Palestine à l'autodétermination; de cesser immédiatement la construction du mur, y compris à l'intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-Est, de démanteler immédiatement le mur; de verser une indemnisation pour les dommages résultant de sa conduite illicite.  Pour leur part, tous les États ont l'obligation de ne pas reconnaître la situation illicite découlant de la construction du mur dans le territoire palestinien occupé, y compris à l'intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-Est.  Ils ont également l'obligation de ne pas prêter aide ou assistance au maintien de cette situation et doivent veiller à ce qu'il soit mis fin à toute entrave à l'exercice du droit du peuple palestinien à l'autodétermination.


M. MICHAEL BOTHE, Professeur de droit et Président de l'association allemande de droit international de Francfort, a souligné que le conflit de Palestine n'a pas été seulement politique ou militaire, il a aussi créé un affrontement juridique depuis que la Société des Nations a placé la Palestine sous le régime des mandats.  Des arrangements juridiques ont été mis au point en vue de résoudre le conflit; et pourtant, le rôle du droit a été remis en question dans le cadre des dlibération de la Cour internationale de justice.  C'est pourquoi il est important de rappeler a place du droit international avant d'aborder une analyse juridique de certains aspects traités par la Cour dans son avis.


M. Bothe a souligné que, si la question posée à la Cour par l'Assemblée générale concernait les «conséquences» de la construction du mur, la Cour se devait d'examiner les raisons de cet acte illégal.  La Cour a ainsi examiné et clarifié des questions importantes de droit international en général et s'agissant de la Palestine en particulier.


L'opinion de la Cour revêt, de l'avis de M. Bothe, une grande importance, à la fois pour l'application des règles du droit international en Palestine et la paix en Moyen-Orient.  La Cour a continué d'adopter une approche restrictive s'agissant de l'interprétation des règles concernant le recours à la force ou les mesures visant à imposer un contrôle unilatéral de facto.  Elle renforce ainsi le rôle de règlements pacifiques négociés.  La Cour a reconnu comme conformes au droit international plusieurs revendications présentées par les représentants et alliés du peuple palestinien et a constaté que plusieurs faits dénoncés par le peuple palestinien constituaient de fait des violations du droit international.  M. Bothe a souligné que la frustration fait obstacle à la paix.  Si Israël se conformait à l'avis consultatif, à savoir, s'il démantelait les parties existantes du mur et s'abstenait de nouvelles constructions, il lèverait ainsi beaucoup de frustration et d'amertume, qui font obstacle sur la voie vers la paix.  En clarifiant les questions sur le statut du territoire, la Cour facilite, comme elle l'a fait à plusieurs reprises par le passé, une solution fondée sur de véritables arrangements entre des intérêts divergents par des concessions mutuelles.


M. AVNER PINCHUK, avocat auprès de l'Association pour les droits civils en Israël, a déclaré que la gravité des violations des droits de l'homme résultant de la construction de la barrière se reflète dans le temps consacré dans de telles affaires par l'Association au cours de l'année écoulée.  L'avis de la Cour présente pour les autorités israéliennes un dilemme nouveau car elles ne peuvent pas ignorer un avis aussi tranché et faisant autorité.  Néanmoins, le respect de cet avis serait en totale contradiction avec l'agenda politique actuel.  La première réaction des autorités israéliennes a été de rejeter l'avis consultatif de la Cour, le premier ministre Ariel Sharon ajoutant qu'Israël disposait de sa propre cour de justice et que «nous nous engageons à respecter ses jugements».  Il y a dix jours, Israël soulignait la nature non contraignante de l'avis consultatif et affirmait que l'avis consultatif n'était qu'une source secondaire du droit international.  L'État d'Israël affirme que l'avis consultatif est lacunaire car il est fondé sur des éléments de preuve partiels, trop anciens ou inexacts, en particulier s'agissant du tracé de la barrière. 


Soulignant qu'il a décidé de ne pas soumettre ses arguments à la Cour, l'État d'Israël déclare que l'avis consultatif est fondé sur des informations qui ne sont pas équilibrées et qui font un portrait partial de la situation dans la région.  L'État d'Israël affirme par ailleurs que, depuis que la Cour a émis son avis consultatif, le tracé de la barrière a été sensiblement modifié, et que, par conséquent, les conclusions figurant dans l'avis consultatif ne s'appliquent plus au nouveau tracé.


M. ANIS KASSIM, Conseiller juridique de l'équipe de la défense palestinienne auprès de la Cour internationale de justice, a estimé que l'avis consultatif de la Cour internationale de justice contient l'interprétation la plus autorisée qui soit du droit applicable au territoire palestinien occupé.  Toutes les conclusions de la Cour vont à l'encontre des arguments juridiques qui ont été émis par Israël depuis la guerre de juin 1967.  La Haute Cour de justice d'Israël a contribué pour beaucoup à donner aux autorités militaires d'occupation 1'«autorisation légale» de ne pas tenir compte des limites que leur imposait la loi.  Selon l'avis de la Cour, les territoires situés entre la Ligne verte et l'ancienne frontière orientale de la Palestine sous mandat ont été occupés par Israël en 1967 au cours du conflit armé ayant opposé Israël à la Jordanie; les événements survenus depuis lors dans ces territoires n'ont rien changé à cette situation; l'ensemble de ces territoires (y compris Jérusalem-Est) demeurent des territoires occupés et Israël y a conservé la qualité de puissance occupante.


Le verdict de la Cour aura certainement de multiples conséquences, souligne M. Kassim.  Ainsi, il est à présent établi au regard du droit que la zone comprise entre la Ligne verte et la frontière orientale du territoire palestinien historique sous mandat est « occupée» et qu'Israël demeure un occupant belligérant.  Cela ne signifie pas que la Ligne verte est devenue la frontière juridiquement reconnue d'Israël.  Il n'avait pas été demandé à la Cour de définir des frontières, ni de définir l'emplacement exact de la Ligne verte.  Elle s'est contentée de dire où sont situés les territoires occupés par Israël.  Par ailleurs, selon un argument largement répandu par les autorités et les juristes israéliens, la résolution 242 (1967) du Conseil de sécurité ne demande pas le retrait des forces israéliennes de l'ensemble des territoires occupés.  À l'appui de cet argument, ils notent l'absence de l'article « the» devant le mot « territories » dans le texte anglais de cette résolution.  L'avis consultatif met un terme à de telles interprétations fallacieuses.  La définition formulée par la Cour internationale coupe court à toute spéculation des juristes au sujet de l'article « the ».


Dans son avis consultatif, la Cour internationale de justice a rejeté la position d'Israël qui a constamment rejeté l'applicabilité de la quatrième Convention de Genève au territoire palestinien occupé.  La Cour estime que la Convention est applicable dans les territoires palestiniens qui étaient avant le conflit à l'est de la Ligne verte, et qui ont à l'occasion de ce conflit été occupés par Israël, sans qu'il y ait lieu de rechercher quel était auparavant le statut exact de ces territoires».  S'agissant de la décision de la Cour concernant le mur, M. Kassim souligne qu'elle ne laisse place à aucune interprétation ou spéculation.  Le mur est illicite et doit être démantelé.  L'impudence avec laquelle Israël s'obstine à dépouiller le peuple palestinien des droits élémentaires qui sont reconnus à tout peuple sous occupation devrait inciter la communauté des Nations Unies à jouer son rôle, a souligné M. Kassim.


M. PIERRE D'ARGENT, Professeur de droit international Université catholique de Louvain, Collège Thomas More, a déclaré que l'avis rendu par la Cour internationale de justice sur les questions de respect du droit international, de cessation, de restitution et de réparation, y compris la question du démantèlement du mur construit par Israël dans le territoire palestinien occupé, présente un grand intérêt pour la théorie de la responsabilité des États.  En rattachant la question du démantèlement du mur à l'obligation de mettre fin à une violation continue du droit international, plutôt qu'au principe de restitution, comme l'a fait l'Autorité palestinienne dans son exposé écrit, la Cour a évité qu'on lui oppose certains arguments juridiques, et a pris en considération la situation sociologique difficile qui règne sur le terrain.


L'affirmation par la Cour d'un droit des personnes à des réparations directes mérite aussi de retenir l'attention.  M. d'Argent a souligné que les conclusions de la Cour sont rédigées en termes très généraux et laissent entendre que toute violation du droit international, y compris des règles qui ne visent pas directement des individus, peut entraîner une obligation de réparer en faveur de particuliers.  En ce sens, l'avis consultatif ne détermine pas précisément, lorsqu il affirme l'obligation de réparer le préjudice causé, quels sont les faits illicites d'où découlent cette obligation.  Dans ce contexte, il semble que la seule chose que la victime ait à prouver c'est que le préjudice subi résulte de la construction du mur au-delà de la Ligne verte, construction qui est globalement considérée comme illicite, pour de multiples et diverses raisons.  La preuve que le préjudice subi résulte plus précisément de tel ou tel fait illicite ne semble pas être exigée.  Cela pour le plus grand avantage des victimes. 


En conclusion, M. d'Argent a déclaré que l'avenir dira quelle influence, s'il doit en avoir une, l'avis consultatif aura eue sur la solution du conflit israélo-palestinien.  Dire le droit, même lorsque c'est le principal organe judiciaire des Nations Unies qui s'exprime, peut sembler futile face à une si exceptionnelle accumulation de griefs réciproques et une aussi perdurable confrontation.  La méfiance est si profondément enracinée des deux côtés que l'universalité du droit, qui est la condition préalable à son application, n'est plus qu'une notion de plus en plus incertaine.  Pour de nombreux juristes, les fermes conclusions de la Cour vont résonner dans ce contexte comme la réaffirmation bienvenue de principes fondamentaux dont on peut craindre la dissolution.  Elles sont sans aucun doute tout à fait fondées et néanmoins ne résolvent véritablement aucun problème et elles pourraient même s'avérer destructrices pour le droit lui-même et ses institutions si, ayant fait lever de grandes espérances, elles ne donnaient naissance qu'à d'amères désillusions.  Ainsi, la Cour, en émettant cet avis, fait-elle peser sur la communauté mondiale et ses principaux protagonistes une immense responsabilité politique


M. MAHMOUD HMOUD (Jordanie) s'est réjoui qu'en dépit d'une vaste campagne visant à empêcher la Cour internationale de justice de se prononcer, cette dernière soit parvenue à faire prévaloir le droit et entendre sa voix.  Pour la première fois, un organe judiciaire a pu examiner la dimension juridique de la question de Palestine, ce qui, faut-il espérer, ne devrait pas manquer de guider la communauté internationale et les parties au processus de paix dans leur quête de paix au Moyen-Orient.  M. Hmoud a souligné que pour les États, et notamment pour Israël, respecter leurs obligations en vertu du droit international n'est pas une question de choix; il s'agit plutôt d'une question d'adhésion au principe de la primauté du droit.


Malgré le message fort envoyé par la Cour internationale de justice et la communauté internationale, Israël continue d'affirmer que le mur dans le territoire palestinien occupé est une mesure légale d'autodéfense.  Israël a indiqué qu'en réaction aux conclusions de la Haute Cour, le pays allait modifier le tracé du mur pour le rapprocher de la ligne verte, tenant compte des éléments de nécessité et de proportionnalité ainsi que des besoins humanitaires des Palestiniens.  Il faut espérer que les Nations Unies et la communauté internationale assumeront leurs responsabilités telles qu'énoncées dans l'avis consultatif de la Cour afin d'en assurer le respect.  Tout en relevant le regain d'optimisme s'agissant de la reprise du processus de paix, M. Hmoud a souligné que toute partie du mur qui demeure dans le territoire palestinien occupé constitue un obstacle à la paix.


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