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SG/SM/9405-AFR/988

AU-DELÀ DES CONNAISSANCES TECHNIQUES, « UNE RÉVOLUTION VERTE » AUTHENTIQUEMENT AFRICAINE REQUIERT UNE VOLONTÉ POLITIQUE À L'ÉCHELLE MONDIALE, ESTIME KOFI ANNAN

06/07/2004
Communiqué de presse
SG/SM/9405
AFR/988


AU-DELÀ DES CONNAISSANCES TECHNIQUES, « UNE RÉVOLUTION VERTE » AUTHENTIQUEMENT AFRICAINE REQUIERT UNE VOLONTÉ POLITIQUE À L'ÉCHELLE MONDIALE, ESTIME KOFI ANNAN


Vous trouverez ci-après le texte intégral de l’allocution prononcée par le Secrétaire général, Kofi Annan, à l'ouverture de la réunion de haut niveau sur les « nouvelles stratégies pour atteindre en Afrique l'objectif du Millénaire qui concerne la faim »: « La révolution verte de l'Afrique: un appel à l'action », à Addis-Abeba, le 5 juillet:


Nous sommes réunis ici aujourd’hui pour travailler sur un des problèmes les plus graves de la planète: le fléau de la faim, qui a ruiné la vie de centaines de millions d’Africains et qui continuera sans doute de le faire si nous n’agissons pas plus énergiquement et de toute urgence.


Les chiffres parlent d’eux-mêmes.  Au sud du Sahara, près d’un tiers de la population –hommes, femmes et enfants confondus– sont gravement sous-alimentés.  L’Afrique est le seul continent où l’on constate une aggravation plutôt qu’un recul de la malnutrition infantile.


Les 10 dernières années, hélas, n’ont permis d’enregistrer que très peu de progrès.  Pour plusieurs dizaines de pays, l’objectif de développement du Millénaire qui consiste à réduire de moitié, d’ici l’année 2015, la proportion de la population qui souffre de la faim semble plus un mirage insaisissable qu’un but réaliste.


À cela s’ajoute la pandémie de sida, qui aggrave encore l’emprise de la faim en privant notre continent de toute une génération d’agriculteurs.  C’est pourquoi en Afrique, lutte contre la faim et lutte contre le sida doivent aller de pair.


Mais nous ne sommes pas venus ici pour débiter des statistiques ou ressasser nos échecs collectifs.  Nous sommes ici pour chercher une issue à la crise.  Nous sommes ici en tant que parties prenantes du mouvement de transformation rurale et agricole de notre continent bien-aimé.


La faim est une crise complexe.  Pour résoudre cette crise, nous devons nous attaquer à une série de problèmes croisés qui tiennent à l’agriculture, à la santé publique, à la nutrition, à une organisation défavorable et injuste du marché, à la faiblesse de notre infrastructure et à la dégradation de notre environnement.


En Asie, en Amérique latine et au Moyen-Orient, une « révolution verte » a multiplié par trois les rendements agricoles et libéré des centaines de millions de gens de la faim.  L’Afrique, elle, attend encore sa révolution verte.


Cela s’explique au moins, en partie, par le fait que les avancées scientifiques qui ont si bien marché sur les autres continents ne peuvent pas être appliquées telles quelles au nôtre.  Nous pratiquons, en effet, une gamme large et variée de cultures vivrières.  Les agriculteurs d’Afrique mettent en œuvre une grande diversité de techniques agricoles et dépendent beaucoup plus des cultures pluviales que des cultures irriguées, ce qui les rend vulnérables aux variations climatiques.  Ils sont également handicapés par des frais de transport beaucoup plus élevés.  Les sols qu’ils travaillent ont perdu une grande partie de leurs nutriments.  L’érosion, le déboisement et l’appauvrissement de la biodiversité constituent autant de handicaps supplémentaires.  Comme le disait Norman Borlaug, qui fut le père de la révolution verte en Asie, « on ne peut se payer le luxe de défendre l’environnement quand on a le ventre vide ».


Ce fardeau pèse certes sur l’ensemble de la société africaine, mais les femmes sont les premières concernées.  Car ce sont les femmes qui accomplissent la plus grande partie des travaux agricoles.  Ce sont elles qui cultivent, transforment et préparent les repas du continent.  Ce sont elles qui vont chercher l’eau et le bois.  Ce sont elles qui prennent soin des malades du sida.  Et malgré cela, elles n’ont pas facilement accès au crédit, aux technologies, à la formation professionnelle et aux services.  On leur refuse même certains droits, y compris –c’est un comble!– le droit de posséder la terre.


En Afrique, la sous-alimentation frappe d’abord les femmes et les filles.  Souvent, après un mariage trop précoce, elles accouchent de bébés qui n’ont pas le poids normal parce qu’elles sont elles-mêmes sous-alimentées.  Le fléau de la pauvreté et de la maladie se transmet ainsi de génération en génération.  C’est bien pour rompre ce cycle et transmettre aux enfants d’Afrique un héritage différent que nous nous trouvons ici aujourd’hui.


La réalisation du Plan d’action adopté au Sommet mondial de l’alimentation en 1996 est restée très en deçà de nos espérances.  L’Afrique, en particulier, n’a pas réussi à se libérer de l’éternel retour des crises alimentaires.  C’est pourquoi j’ai exhorté les spécialistes et les chercheurs du monde entier à nous faire bénéficier de leurs idées, de leurs découvertes et de leurs connaissances et à se mettre au service de la cause de la sécurité alimentaire et du développement agricole de l’Afrique.  Nous entendrons aujourd’hui un certain nombre d’entre eux nous présenter leurs propositions, et nous devrions commencer à voir le fruit de leurs travaux.


Il y a deux ans, j’ai demandé au Conseil interacadémique de réfléchir à une stratégie de prévention de la famine et d’élimination de la faim dont souffrent des millions d’Africains.  La semaine dernière, le Conseil a formulé une série d’idées-force, qui privilégient notamment la création de solides institutions scientifiques et techniques au service de l’agriculture, ces institutions devant être considérées comme un objectif stratégique et non pas comme un bénéfice secondaire.  Le Conseil souligne également qu’à elle toute seule une « révolution verte » ne sera pas suffisante et qu’il faudra lui ajouter tout un « arc-en-ciel d’évolutions » adaptées à la diversité des problèmes à résoudre.  Je vous recommande d’écouter attentivement tout à l’heure l’exposé des membres du Conseil interacadémique.


J’ai aussi fait appel aux compétences exceptionnelles réunies au sein de l’Équipe du projet du Millénaire sur la faim.  Les recommandations de cette équipe sont à la fois ambitieuses et remarquablement concrètes.  Elles engagent les pays à adopter des plans d’action nationaux articulés autour des six grands objectifs suivants: amélioration des rendements agricoles; amélioration de l’alimentation; ouverture de l’accès aux marchés; remise en état des sites agricoles dégradés; autonomisation des femmes; et augmentation des dépenses agricoles.


Ces initiatives et les recommandations auxquelles elles ont donné lieu sont en parfaite cohérence avec la stratégie approuvée par le Sommet mondial de l’alimentation, qui propose, comme solution à long terme, le développement agricole et rural, et comme solution à court terme, une aide aux populations qui en ont besoin.  Plus important encore, peut-être, ces recommandations ne sont nullement des vœux pieux.  Elles s’appuient sur une analyse rigoureuse et sur des données d’expérience.  Si l’on accorde à l’Afrique un appui adéquat, tant sur le plan national que sur le plan international, elle peut réussir cette « révolution verte » du XXI siècle qui lui est si nécessaire.


À quoi ressemblerait cette révolution?


Nous verrions se généraliser l’emploi de techniques confirmées d’irrigation à petite échelle et de collecte des eaux en vue d’accroître les rendements.


Nous verrions une amélioration des plantes alimentaires, grâce à des travaux de recherche financés par les pouvoirs publics et axés exclusivement sur l’Afrique.


Et nous verrions les sols s’enrichir à nouveau, grâce à l’emploi de techniques agricoles et forestières adaptées et d’engrais organiques et minéraux.


      L’électrification des campagnes, conjuguée à une plus grande facilité d’accès aux technologies de l’information, et notamment aux réseaux de téléphonie cellulaire, permettrait d’accroître les rendements agricoles.


L’adoption de programmes locaux d’alimentation scolaire permettrait de donner aux élèves des repas équilibrés tout en offrant des débouchés supplémentaires aux agriculteurs de l’endroit.


Et la mise en place de filets de sécurité sociale, qu’il s’agisse de réserves de céréales ou de systèmes d’alerte précoce, permettrait de protéger les populations les plus vulnérables.


La liste est, certes, loin d’être complète.  Soyons bien conscients cependant que, prises isolément, ces solutions sont insuffisantes.


On voit mal, en effet, l’avantage qu’il y a à enrichir les sols et à assainir l’eau si, en même temps, on laisse sans routes, sans sources d’énergie ou sans semences des villages qui vivent dans la pauvreté.


Et on n’améliorera guère les rendements même si on enrichit les sols tant que les familles d’agriculteurs continuent d’être décimées par des maladies qu’il est possible de prévenir et de traiter, comme le VIH/sida et le paludisme, et si l’on ne fait rien pour les rendre moins vulnérables aux chocs économiques et aux catastrophes naturelles.


Nous ne devons pas, par ailleurs, nous interdire d’étudier les possibilités offertes par les biotechnologies, qui peuvent contribuer puissamment à la réalisation des objectifs du Millénaire pour le développement, à condition d’être judicieusement mises en œuvre et d’être encadrées par des mesures de sécurité adéquates et transparentes.


Pour que l’entreprise réussisse, il faudra que chaque gouvernement africain adhère sans réserve aux objectifs du Millénaire pour le développement et formule des stratégies nationales alignées sur le calendrier de réalisation de ces objectifs et sur les chiffres visés pour 2015.


Il faudra aussi que les pays industrialisés apportent un appui plus concret et plus convaincant aux stratégies formulées par les pays d’Afrique en mettant fin à leurs pratiques commerciales néfastes, en offrant leur assistance technique et en augmentant à la fois le volume de leur aide (pour le mettre en cohérence avec les objectifs de développement visés) et la proportion de cette aide qui est affectée à l’agriculture, cette proportion étant la moitié de ce qu’elle était il y a 20 ans.


Et nous devrons travailler en étroite collaboration avec l’Union africaine, le Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique, la société civile, le secteur privé et, bien sûr, les agriculteurs africains.


Mais par-dessus tout, pour que l’entreprise réussisse, il faudra faire preuve de volonté politique.  Comme le montrent les exposés que vous entendrez aujourd’hui, ce ne sont pas les connaissances qui manquent. Les orientations et les principes généraux sont bien connus et largement acceptés.  Ce qui manque, comme toujours, c’est la volonté de traduire ces connaissances dans la pratique.


À nous maintenant de montrer ce que « solidarité mondiale » veut dire!


Faisons chacun notre part pour aider les agriculteurs d’Afrique et leurs familles à échapper à leur misère chronique, et pour aider les sociétés africaines à prendre résolument le chemin d’un développement équilibré et durable.


Préparons tous ensemble une révolution verte authentiquement africaine, une révolution attendue depuis trop longtemps déjà, une révolution qui aidera le continent à réaliser ses aspirations à la dignité et à la paix.


Et ne laissons plus jamais la faim –une faim qui n’a aucune raison d’être– ruiner des vies et compromettre l’avenir de tout un continent.


Je vous promets l’appui sans réserve du système des Nations Unies.  Et je remercie tous ceux qui ont aidé à préparer les manifestations d’aujourd’hui, et notamment le Gouvernement et le peuple éthiopiens qui nous ont réservé un accueil si chaleureux.


Un grand merci à tous.


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