En cours au Siège de l'ONU

SG/SM/9179

IL FAUT PARVENIR A UN CONSENSUS SUR LES MENACES ET LES DEFIS MONDIAUX, DECLARE LE SECRETAIRE GENERAL AU CONSEIL D’ADMINISTRATION DE LA BROOKINGS INSTITUTION

10/03/2004
Communiqué de presse
SG/SM/9179


Il faut parvenir a un consensus sur les menaces et les defis mondiaux, declare le Secretaire general au Conseil d’administration de la Brookings Institution


On trouvera ci-après le texte de l’allocution que Kofi Annan a prononcée à l’occasion d’un dîner avec le Conseil d’administration de la Brookings Institution, le 1er mars:


Je vous remercie, mon cher Strobe, de cette présentation des plus flatteuses, et je vous souhaite à tous la bienvenue au Siège de l’ONU.  Nane et moi-même sommes très touchés de l’honneur que vous nous faites en tenant votre réunion ailleurs qu’à Washington.  Comme vous le savez, New York ne manque pas d’attrait – et je ne serais pas surpris que vous lanciez une nouvelle mode: si la Brookings vient à New York, le parti républicain tardera-t-il à lui emboîter le pas?


Monsieur Thornton, je tiens à vous remercier des propos très aimables que vous avez bien voulu m’adresser, et à vous féliciter pour deux choses:


La première est d’avoir pris la présidence de cet illustre conseil.  Chacun connaît l’importance du rôle que jouent les laboratoires d’idées dans le processus de prise de décisions à Washington; et chacun sait que la Brookings est au premier rang de ces laboratoires influents à Washington.  Comment le grand homme d’affaires que vous êtes pourrait-il mieux témoigner de l’importance qu’il accorde au bien public qu’en soutenant et en guidant cette institution?


Ensuite, je veux vous féliciter, Strobe et vous-même, pour l’importance que vous accordez aux questions internationales, et pour l’accueil que vous réservez à des personnes et à des idées venues d’ailleurs. Votre pays est aujourd’hui une puissance sans égal; il importe donc plus que jamais que les personnalités influentes de Washington comprennent le monde tel qu’il est, et soient parfaitement au fait de ce que l’on pense par-delà les frontières des États-Unis.  Vous êtes pleinement conscients, quant à vous, de la contribution que la Brookings peut apporter à cet égard.


Mais assez de compliments. Je sais que vous voulez que je vous parle de la façon dont je vois le monde aujourd’hui et dont je conçois le rôle de l’ONU en ces temps difficiles.  Je continue de croire que la période que nous traversons est riche de promesses pour l’avenir de l’humanité.  En dépit des difficultés à surmonter, si nous savons tirer parti des possibilités qui s’offrent à nous, celles-ci nous propulseront vers l’avant et nous permettront de donner à l’Organisation le rôle qui doit lui revenir au XXIe siècle.


Peut-être devrais-je tout d’abord évoquer un événement marquant qui a eu lieu ici même, il y a juste trois ans et demi: le Sommet du Millénaire.  À cette occasion, les dirigeants politiques de tous les pays du monde se sont réunis pour adopter la Déclaration du Millénaire, dans laquelle ils ont exprimé leurs aspirations communes pour l’humanité en ce nouveau siècle.


Il va de soi que les responsables n’ont pas pu résoudre tous leurs différends, mais ils ont su s’entendre sur des valeurs et des principes qu’ils partagent, ainsi que sur une vision commune du monde qu’ils souhaitent pour leurs enfants: un monde dans lequel les antagonismes pourraient se résoudre ou se gérer sans entrer en guerre, grâce à l’existence d’institutions et de processus multilatéraux; un monde dans lequel l’ONU pourrait agir de façon plus efficace; un monde où, grâce à un effort concerté des pays riches et des pays pauvres, tous les êtres humains auraient la possibilité de mener une vie décente, dans la dignité.


Dans le domaine du développement et de la lutte contre la pauvreté, des objectifs précis, à atteindre d’ici à 2015, ont même été fixés: ce sont les objectifs du Millénaire pour le développement.


Je suis convaincu que nos divers pays continuent, dans l’ensemble, de partager ces aspirations, mais un certain nombre d’événements tragiques sont venus brouiller leur vision commune des choses détournant ainsi leur attention des efforts qu’il faudrait consentir pour atteindre les objectifs du Millénaire.  C’est bien sûr au 11 septembre et à la guerre en Iraq que je pense plus particulièrement.


Ces événements ont conduit bon nombre d’entre nous à nous concentrer sur des dangers qui semblent aujourd’hui beaucoup plus imminents qu’auparavant: le terrorisme, la prolifération des armes de destruction massive, et la possibilité cauchemardesque d’une combinaison des deux.


Comme si cela ne suffisait pas, nous devons faire face à ce que je pourrais appeler des dangers secondaires, non pas parce qu’ils sont moins importants, mais parce qu’ils résultent d’une réaction – d’ailleurs parfois exagérée – aux premiers dangers que j’ai évoqués.


Je pense aux divergences très marquées que nous avons pu observer au sein de la communauté internationale quant aux circonstances qui peuvent exiger ou justifier le recours à la force, et à la question de savoir à qui revient le droit d’en décider.


Je songe à la difficulté de prémunir nos sociétés modernes, si complexes et variées, contre le terrorisme, sans porter atteinte aux libertés et à la diversité qui en font tout le dynamisme et l’agrément.


Je pense à ce que doit faire la communauté internationale pour aider les habitants des pays dévastés par la guerre et l’oppression à reconstruire leurs pays et leurs sociétés afin qu’ils puissent vivre en paix avec eux-mêmes et avec leurs voisins, sans risquer de retomber dans l’anarchie qui fait le lit des terroristes et des grands trafiquants de drogues.


Ce dernier problème s’est déjà posé dans les années 90, au Cambodge, dans les Balkans et dans bon nombre de pays d’Afrique. Aujourd’hui, il est particulièrement grave en Afghanistan et en Iraq. Les enjeux sont de taille pour nous tous.


Tous ces défis, nous devons les relever sans perdre de vue d’autres menaces beaucoup plus imminentes pour la plupart de nos concitoyens : la pauvreté et la famine, ainsi que les multiples maux qui frappent les déshérités: maladies, catastrophes écologiques, exploitation, violence, oppression.


Ces problèmes sont l’affaire du monde entier.  S’il est vrai que chaque pays doit mobiliser ses propres moyens pour y faire face nous n’en sommes pas moins tous concernés, et nombreux sont les pays qui ne disposent pas de ressources financières ou institutionnelles suffisantes pour surmonter par eux-mêmes leurs difficultés.  On ne peut dès lors s’empêcher de se poser la question: nos institutions mondiales sont-elles à la hauteur?  Sont-elles en mesure de mobiliser les énergies et de coordonner les efforts communs qui s’imposent?


Je pourrais dire tout cela autrement.  La réponse se trouve-t-elle dans la mise en place de nouvelles institutions?  Dans la transformation et l’amélioration de celles qui existent?  Ou tout simplement dans une utilisation plus efficace de ces institutions?


Je crois que pour la plupart, nous voyons d’un mauvais oeil la création de nouvelles institutions, car nous sommes déjà sursaturés d’acronymes et de sigles, témoins de la prolifération des organismes internationaux.  En effet, au train où vont les choses, nous risquons fort de devoir créer un nouvel organe ayant pour seule et unique fonction de gérer ces abréviations et de décider, par exemple, qu’en anglais, les initiales « ICC » désignent la Chambre de commerce internationale, la Cour pénale internationale, le Comité consultatif interorganisations, le Conseil international du cricket ou la Conférence circumpolaire inuit.  Je serais tenté de baptiser ce nouvel organe ET CAETERA: l’Équipe de travail pour la coordination des acronymes et l’étude technique, l’évaluation et la réglementation des abréviations.


Certes, la création de nouvelles institutions est parfois nécessaire.  Prenons un exemple plus sérieux, celui du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, qui, à mon avis, est venu combler une lacune réelle, en recueillant les contributions des donateurs et en les faisant parvenir de façon rapide et fiable à des programmes et des projets utiles mis en oeuvre dans les pays où les besoins sont les plus importants.  Je veux espérer que les donateurs le comprendront, et verseront au Fonds des contributions proportionnées à l’ampleur du problème.


Mais je pense que nous avons surtout intérêt à essayer d’améliorer et de mieux utiliser les institutions qui existent.  C’est pourquoi je viens de charger un Groupe de personnalités de haut niveau, originaires du monde entier, d’étudier « les menaces, les difficultés et les changements ».


J’ai demandé à ce groupe – dont fait partie un Américain très réputé, le général Brent Scowcroft – de me soumettre son rapport d’ici à la fin de l’année, pour que je puisse présenter des recommandations à l’Assemblée générale à sa prochaine session.


J’espère que cette initiative permettra d’aboutir à un nouveau consensus mondial sur la nature des menaces, et que l’on cessera alors de croire que le terrorisme et les armes de destruction massive, par exemple, ne concernent que le « Nord », tandis que la pauvreté et la faim ne touchent que le « Sud ».  Il faut que l’ensemble de la communauté internationale se fasse une idée claire des menaces auxquelles elle doit faire face et des défis qu’elle doit relever de façon collective, car en ignorer ne fut-ce qu’un seul pourrait anéantir l’ensemble de ses efforts.


Mais j’espère aussi que le Groupe ira plus loin dans sa tâche, et qu’il recommandera un certain nombre de changements concrets à apporter à nos institutions, y compris l’ONU, pour que nous puissions réagir collectivement et efficacement.  Si certains pays ont recours à l’action unilatérale, c’est, me semble-t-il, parce qu’ils ne croient pas qu’une réponse collective puisse être suffisamment rapide ou efficace.  C’est cela, surtout, que nous devons changer.


La solution réside sans doute, au moins en partie, dans un nouveau pacte entre les États-Unis et le reste du monde, comparable à celui que les grandes puissances ont conclu en 1945.


Mais je n’entrerai pas davantage dans les détails. J’ai demandé à des hommes et des femmes avisés de me conseiller.  Je dois leur donner le temps de penser, sans chercher à imposer mes points de vue.  Je voudrais aussi, ce soir, avoir le temps de répondre à vos questions.  Je n’épiloguerai donc pas sur le travail du Groupe, dont je tiens néanmoins à dire qu’il aura à se pencher sur des problèmes extrêmement épineux, que la crise iraquienne est venue mettre en relief.


Pour terminer, je dirai que ni le Groupe, ni les gouvernements ne pourront résoudre ces problèmes à eux seuls.  Les groupes et les gouvernements sont issus de processus sociaux bien plus vastes.  Ils ne peuvent être utiles que s’ils sont sans cesse en quête d’opinions et d’idées nouvelles et en prise sur les sociétés dont ils font partie.


C’est pourquoi une institution comme la vôtre est si importante.  Vous êtes un de ces laboratoires où s’élaborent les idées dont les groupes d’étude et les gouvernements peuvent s’inspirer.  Je tiens à vous dire à quel point je suis heureux que vous vous efforciez d’élargir votre programme, et que vous mettiez vos connaissances à la disposition de la communauté internationale.


Je sais que Mark Malloch Brown vous a déjà dit aujourd’hui tout le prix que nous attachons à votre Initiative mondiale pour la réduction de la pauvreté, et je tiens à remercier Richard Blum pour sa généreuse contribution.  Sachez également que nous apprécions énormément le travail sur la question des déplacés que Roberta Cohen fait en collaboration avec mon Représentant, Francis Deng.


Dans ce contexte, je tiens aussi à remercier tout particulièrement Jim Steinberg et son équipe pour leurs travaux sur la question de la force et de la légitimité.  Je sais que le Groupe de haut niveau suit ces travaux avec grand intérêt, par l’intermédiaire de leur directeur de recherche, Steve Stedman.


Les exemples que je viens de citer sont très prometteurs, et je suis convaincu qu’il y a beaucoup d’autres domaines dans lesquels nous pourrons encore coopérer.  Mes conseillers resteront en contact étroit avec vous pour examiner de nouvelles possibilités.


Mais j’ai déjà parlé plus qu’il n’est tolérable après un dîner.  Je vais donc m’arrêter là. Profitons du temps qui nous reste pour discuter librement des sujets que je viens d’évoquer avec vous, ou d’autres questions que vous souhaiteriez vous-mêmes aborder.


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