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SG/SM/9126

LE SECRETAIRE GENERAL SE PRONONCE POUR DES INTERVENTIONS RIGOUREUSES, Y COMPRIS MILITAIRES, POUR PREVENIR OU ARRETER UN GENOCIDE

26/01/04
Communiqué de presse
SG/SM/9126


LE SECRETAIRE GENERAL SE PRONONCE POUR DES INTERVENTIONS RIGOUREUSES, Y COMPRIS MILITAIRES, POUR PREVENIR OU ARRETER UN GENOCIDE


On trouvera ci-après le texte de l’allocution du Secrétaire général, Kofi Annan, au Forum international de Stockholm, le 26 janvier 2004:


Il ne peut y avoir de question plus importante, ni d’obligation plus impérieuse, que la prévention du génocide.


On pourrait aller jusqu’à dire que la prévention du génocide était un des buts initiaux de l’Organisation des Nations Unies. Parmi les « indicibles souffrances » que le fléau de la guerre avait infligé à l’humanité figuraient, au moment où l’ONU a été créée, un génocide d’une ampleur monstrueuse. Les mots « plus jamais ça » étaient sur toutes les bouches.


Trois ans plus tard, l’Assemblée générale adoptait la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, qui est entrée en vigueur en 1951 et compte aujourd’hui 130 États parties.


À l’article premier de cette convention, les parties contractantes confirment que le génocide, qu’il soit commis en temps de paix ou en temps de guerre, est un crime du droit des gens, qu’elles s’engagent à prévenir et à punir.


Pourtant, il y a encore eu des génocides. Et les États ont été jusqu’à refuser de les appeler par leur nom, pour se dérober à leurs obligations.


Les événements qui se sont produits dans les années 90 dans l’ex-Yougoslavie et au Rwanda sont particulièrement révoltants. La communauté internationale, qui avait sans aucun doute les moyens de les empêcher, n’en eut pas la volonté.


Ces souvenirs sont particulièrement douloureux pour l’ONU. Au Rwanda, en 1994, et à Srebrenica, en 1995, nous avions du personnel de maintien de la paix sur le terrain, à l’endroit et au moment précis où étaient perpétrés des actes de génocide.


Au Rwanda, certains de nos soldats de la paix ont perdu la vie en essayant de défendre les victimes. Honneur leur soit fait.


Mais au lieu de leur envoyer des renforts, nous les avons rappelés.


Dans les deux cas, ce sont les États Membres qui ont fait les erreurs les plus graves, surtout dans la façon dont les décisions ont été prises au sein du Conseil de sécurité. Mais l’échec nous revient à tous.


En novembre 1999, dans mon rapport à l’Assemblée générale sur la chute de Srebrenica, j’ai appelé l’attention sur de graves problèmes en matière de doctrine et sur le plan institutionnel, notamment « l’ambivalence profonde de l’ONU par rapport au rôle de la force dans la poursuite de la paix » et « son idéologie d’impartialité, y compris face aux tentatives de génocide ».


Un mois plus tard, une enquête indépendante faite à ma demande, sous la direction d’une éminente personnalité, un ancien premier ministre de votre pays, a mis en lumière des problèmes semblables dans la façon dont l’ONU avait agi lors du génocide au Rwanda : « un manque de ressources et un manque de volonté d’accepter l’engagement qui aurait été nécessaire pour empêcher ou arrêter le génocide ».


Les deux rapports contenaient des recommandations importantes tendant à ce que les capacités de l’ONU soient renforcées et son mode de fonctionnement transformé. J’ai fait de mon mieux pour les appliquer, avec un certain soutien des États Membres.


En fait, depuis que je suis Secrétaire général, je me suis constamment efforcé de remplacer un mode de fonctionnement axé sur la réaction par un mode de fonctionnement axé sur la prévention, en particulier celle des conflits armés. C’est là une question qui touche directement au thème de cette rencontre, puisque c’est à l’occasion de conflits armés qu’ont lieu la plupart des génocides, même s’il y a des exceptions.


Nous devons nous attaquer aux causes profondes de la violence et des génocides : l’intolérance, le racisme, la tyrannie et le discours public déshumanisant qui nient la dignité et les droits de groupes entiers.


Nous devons en particulier protéger les droits des minorités, qui sont les plus souvent visées.


Dans de trop nombreuses parties du monde d’aujourd’hui, l’importance de la prévention n’est reconnue qu’en théorie, et encore.


Et à l’Organisation des Nations Unies, il subsiste des lacunes évidentes dans les moyens d’alerte rapide susceptibles d’être mis en oeuvre en cas de génocide ou de crimes semblables, ainsi que dans les moyens d’analyse et de gestion de l’information reçue.


Nous devons de toute urgence prendre des mesures pour remédier à ces lacunes, comme l’Assemblée générale l’a reconnu en juillet dernier quand elle a adopté une résolution historique sur la prévention des conflits. Je remercie le Gouvernement suédois pour les efforts inlassables qu’il a déployés afin de faire adopter cette résolution.


Mais cela étant dit, même le système d’alerte rapide le plus perfectionné qui soit sera complètement inutile si les États n’ont pas la capacité et la volonté d’agir quand l’information leur parvient.


Pour améliorer notre capacité d’action, je propose que nous étudiions certaines idées nouvelles. Par exemple, les États parties à la Convention contre le génocide pourraient envisager de créer un comité de prévention des génocides qui se réunirait périodiquement pour examiner les rapports et faire des recommandations sur les mesures à prendre. De tels organes ont été créés pour favoriser l’application d’autres traités internationaux. Pourquoi ne pas faire de même?


Nous devrions également envisager de désigner un rapporteur spécial sur la prévention des génocides, qui serait épaulé par le Haut Commissaire aux droits de l’homme mais ferait rapport directement au Conseil de sécurité, et qui mettrait bien en évidence le lien, souvent ignoré jusqu’à ce qu’il ne soit trop tard, entre les violations massives et systématiques des droits de l’homme et les menaces contre la paix et la sécurité internationales.


En 1999 déjà, je me suis senti tenu d’avertir l’Assemblée générale des dangers que posait l’inaction face à de telles violations.


Je suis très reconnaissant au Gouvernement canadien d’avoir réagi à cet avertissement en créant la Commission internationale de l’intervention et de la souveraineté des États. Le rapport de cette Commission, publié en 2001 sous le titre « La responsabilité de protéger » a modifié de façon créative et très prometteuse les prémisses du débat sur cette question ô combien épineuse.


Grâce à la Commission, nous comprenons désormais qu’il ne s’agit pas de parler de droit d’intervention, mais bien de responsabilité : en premier lieu, celle qu’ont tous les États de protéger leur population, mais aussi, en fin de compte, celle qu’a l’ensemble de l’espèce humaine de mettre tous ses membres, en toutes circonstances, à l’abri des pires exactions.


Cette doctrine naissante est porteuse de beaucoup d’espoir pour l’humanité. Je pense qu’elle sera de plus en plus largement acceptée, grâce aux débats qui se tiendront à l’ONU et ailleurs.


On pourrait d’ailleurs dire qu’elle a déjà été acceptée – au moins implicitement – quand l’Organisation des Nations Unies a institué des tribunaux internationaux chargés de poursuivre les auteurs d’actes de génocide et d’autres crimes apparentés dans l’ex-Yougoslavie et au Rwanda. Et désormais, la Cour pénale internationale s’efforce d’appliquer le même principe de façon plus générale.


J’espère de tout coeur que la Cour dissuadera ceux qui seraient tentés, à l’avenir, de commettre des actes de génocide ou de déclencher des campagnes de violence. Avec le temps, le principe éthique qu’incarne la Cour devrait être progressivement intériorisé et accepté par les dirigeants politiques et militaires de tous les pays et par les combattants dans tous les conflits.


Mais cela n’arrivera que si des mesures énergiques sont prises pour appréhender les coupables et intervenir en cas de génocide ou de risque de génocide.


Le génocide, qu’il soit imminent ou déjà en cours, est pratiquement toujours, sinon par définition, une menace contre la paix. En tant que tel, il doit donner lieu à des interventions politiques vigoureuses et concertées et, dans les cas les plus extrêmes, à des interventions militaires.


Cela signifie que nous devons disposer de critères précis pour faire la distinction entre les situations où il existe de véritables risques de génocide (ou de violations des droits de l’homme à la même échelle), qui appellent une intervention militaire, et celles où le recours à la force ne serait pas légitime.


Pour résumer, Mesdames et Messieurs, il est clair que la communauté internationale a l’obligation de prévenir les génocides. Je crois aussi que, collectivement, nous avons la possibilité de le faire. La question est donc : en avons-nous la volonté?


Je désire ardemment voir venir le jour où nous pourrons dire sans crainte de nous tromper que, face à un nouveau Rwanda ou à un nouveau Srebrenica, le monde réagirait à temps et efficacement.


Mais ne nous leurrons pas : ce jour-là n’est pas encore venu. Tous, nous devons poursuivre nos efforts pour nous en rapprocher.


Je vous remercie.


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