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AG/SHC/3793

QUATRE RAPPORTEURS SPÉCIAUX ET EXPERTS INDÉPENDANTS EXHORTENT LA TROISIÈME COMMISSION À TENIR COMPTE DE L’IMPACT DES MESURES ANTITERRORISTES SUR LES DROITS DE L'HOMME

27/10/2004
Communiqué de presse
AG/SHC/3793


Troisième Commission

26e & 27e séances – matin & après-midi


QUATRE RAPPORTEURS SPÉCIAUX ET EXPERTS INDÉPENDANTS EXHORTENT LA TROISIÈME COMMISSION À TENIR COMPTE DE L’IMPACT DES MESURES ANTITERRORISTES SUR LES DROITS DE L'HOMME


(Publié le 28 octobre)


Gardant à l'esprit un certain nombre d'événements récents qui ont inquiété la communauté internationale –s’agissant notamment du statut, des conditions de détention et du traitement de prisonniers mais aussi des discriminations, de la liberté de religion ou de conviction– quatre Rapporteurs spéciaux et experts indépendants de la Commission des droits de l’homme ont réaffirmé aujourd’hui, devant les délégations de la Troisième Commission, leur détermination à surveiller, chacun dans le cadre de leur mandat, les politiques, législations, mesures et pratiques mises en place par les États au nom de la lutte contre le terrorisme, afin de s'assurer qu'elles sont bien compatibles avec les normes internationales des droits de l'homme.


Ainsi, le Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, Théo van Boven, s’est dit inquiet devant le nombre croissant de tentatives de détourner l’interdiction, à caractère absolu et intangible, de la torture et d’autres formes de mauvais traitements au nom de la lutte contre le terrorisme.  Face aux arguments juridiques sur la nécessité et l’exercice du droit de légitime défense, s’appuyant sur le droit interne, récemment invoqué, il a rappelé qu’aucune mesure légale, judiciaire ou administrative autorisant le recours à la torture n’est légale au regard du droit international.  Il a aussi dénoncé les tentatives faites pour limiter la portée de la définition de la torture figurant à l’Article premier de la Convention contre la torture.  Il a par ailleurs signalé que dans les cas où des actes de tortures ont été infligés par des entrepreneurs privés sur des personnes soupçonnées d’avoir commis des actes de terrorisme, la responsabilité des États de poursuivre les auteurs de tels actes est engagée au titre du Pacte international sur les droits civils et politiques.  Il a aussi appelé à l’arrêt au recours à des centres secrets de détention et a souligné que selon la Convention contre la torture, les informations qui ont pu être obtenues par la torture sont irrecevables.  L’interdiction absolue du recours à la torture ne peut subir aucune exception et l’état de guerre, de menace de guerre, d’instabilité politique ou d’autre situation exceptionnelle ne peut être évoqué pour justifier le recours à la torture.  Il a rappelé que la résolution 1456 du Conseil de sécurité, adoptée le 20 janvier 2003, demande aux États de faire en sorte que toutes les mesures prises dans le cadre de la lutte contre le terrorisme soient conformes à leurs obligations en matière de droit international.


Nouvellement mandatés par la Commission des droits de l’homme, le Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, Philip Alston, l’Expert indépendant sur la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales tout en luttant contre le terrorisme, Robert Goldman, et le Rapporteur spécial sur la liberté de religion et de conviction, Asma Jahangir, ont également mis l’accent sur l’impact des mesures antiterroristes sur les droits de l’homme relevant de leur mandat.  M. Alston a affirmé qu’il était intolérable de faire valoir les changements fondamentaux dans les relations internationales, depuis le 11 septembre, pour revenir sur la définition de ce qui est acceptable ou inacceptable, légale ou illégale.  Il a dit son intention de lutter avec ferveur contre l’impunité et a réaffirmé que le génocide, les crimes contre l’humanité et la peine de mort étaient couverts par son mandat, quels qu’en soient les auteurs.  Soulignant le caractère spécifique de son mandat –il n’est pas responsable comme les autres devant la Commission des droits de l’homme, mais devant la Haut Commissaire, Louise Arbour– M. Goldman a repris l’opinion de la Haut Commissaire selon laquelle, sur le long terme, la détermination de veiller au respect des droits de l’homme et de la primauté du droit sera l’une des clefs du succès de la lutte antiterroriste.  Il a par ailleurs appuyé l’idée de créer un mécanisme spécial chargé d’étudier la compatibilité des mesures antiterroristes avec les obligations internationales en matière de droits de l'homme, tout en mettant en garde les États Membres sur la nécessité de lui permettre d’opérer librement et d’avoir les coudées franches dans les limites d’un mandat bien défini.


Pour sa part, Asma Jahangir a fait savoir que dans le contexte actuel d’une montée de l’intolérance et des tensions entre les différentes communautés religieuses, elle envisageait de faire de la protection de la liberté de religion et de conviction la priorité de son mandat.  À ce titre, elle a signalé qu’elle s’emploierait à travailler de concert avec les autres Rapporteurs sur la protection de la liberté d’expression.  L’exercice d’un droit ne doit pas empiéter sur la jouissance d’un autre droit ou d’une liberté fondamentale, a-t-elle affirmé, en soulignant que la liberté de religion et de conviction ne pouvait se concrétiser dans un environnement où l’une ou l’autre religion ou croyance est stigmatisée.  Une des garanties essentielles de la liberté de religion et de conviction, a-t-elle dit, est la neutralité du gouvernement. 


Faisant valoir que la faim tue plus que n’importe quelle guerre contemporaine ou n’importe quel attentat terroriste, le Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation, Jean Ziegler, a estimé que seule une approche normative du droit à l’alimentation permettrait d’assurer une nourriture adéquate à même de garantir des conditions de vie décentes pour tous.  Aujourd’hui, s’est-il indigné, dans un monde qui produit déjà une alimentation suffisante pour nourrir tous les hommes, ce sont 842 millions de personnes, soit deux millions de plus que l’année dernière, qui souffrent de malnutrition.  Un enfant de moins de cinq ans meurt toutes les cinq secondes de maladie liée à la faim, a-t-il souligné. 


Demain, jeudi 28 octobre, à partir de 10 heures, la Commission entendra Gabriela Rodríguez Pizarro, Rapporteur spécial sur les droits de l’homme des migrants; John Dugard, Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967; et Cherif Bassiouni, Expert indépendant chargé d’examiner la situation des droits de l’homme en Afghanistan.  À partir de 15 heures, elle conclura son dialogue avec Jean Ziegler, Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation, et entendra Paolo Sérgio Pinheiro, Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme au Myanmar; Vitit Muntarbhorn, Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans la République démocratique populaire de Corée; et Titinga Frédéric Pacéré, Expert indépendant sur la situation des droits de l’homme dans la République démocratique du Congo.


SITUATIONS RELATIVES AUX DROITS DE L’HOMME ET RAPPORTS DES RAPPORTEURS ET REPRÉSENTANTS SPÉCIAUX


Rapport du Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (A/59/324)


Dans le présent rapport, le Rapporteur spécial, Théo van Boven, traite des sujets qui le préoccupent particulièrement.  Il attire l’attention sur les tentatives faites pour tourner l’interdiction, de caractère absolu et intangible, de la torture.  Il examine ensuite le principe de refoulement, rappelant la jurisprudence qui le sous-tend et notant la recrudescence des pratiques qui y contreviennent.  Enfin, il attire l’attention sur les répercussions les plus courantes de la torture sur les victimes.


Le Rapporteur spécial signale que l’argument juridique de la nécessité et de l’exercice du droit de légitime défense, s’appuyant sur le droit interne, a été avancé récemment comme justification pour dégager la responsabilité pénale de représentants de l’État soupçonnés d’avoir perpétré ou fomenté des actes de torture contre des personnes soupçonnées d’avoir commis des actes de terrorisme.  Le Rapporteur spécial tient à redire que le caractère absolu de l’interdiction de la torture et d’autres formes de mauvais traitements signifie qu’aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu’elle soit, qu’il s’agisse de l’état de guerre ou de menace de guerre, d’instabilité politique intérieure ou de tout autre état d’exception, ne peut être invoquée pour justifier la torture.  En outre, il ajoute que le droit interne ne saurait être invoqué pour justifier le non-respect des obligations qu’imposent les instruments internationaux et le droit international coutumier.  Rappelant la nécessité de supprimer les lieux de détentions secrets, le rapport souligne que, bien que le statut juridique des détenus soit encore assez flou, il n’existe en revanche aucune incertitude quant aux obligations, normes et protections internationales qui leur sont applicables, l’interdiction de la torture valant pour tous les individus sans exception et sans discrimination, quel que soit leur statut juridique.


Constatant qu’il ne fait pas de doute que toutes les questions relatives aux droits de l’homme, et en particulier celles qui concernent l’interdiction de la torture et des autres formes de mauvais traitements, sont étroitement en rapport avec la lutte menée pour prévenir et combattre les actes de terrorisme, le document apporte une attention particulière au principe de non refoulement, qui risque d’être battu en brèche, en vertu duquel les États ont l’obligation fondamentale d’empêcher que des actes de torture soient infligés à une personne, non seulement dans tout territoire sous leur juridiction, mais aussi d’empêcher de tels actes en ne mettant pas une personne sous le contrôle d’un autre État dans lequel il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture.


Le Rapporteur spécial est d’avis qu’il est essentiel de recenser les nombreux aspects des effets de la torture sur les victimes afin de mieux évaluer leurs besoins et de mieux y répondre, en particulier sur le plan médical et psychosocial, et de formuler des recommandations visant à assurer les remèdes les plus adéquats et les plus effectifs.


Déclaration liminaire


M. THÉO VAN BOVEN, Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, a relevé avec inquiétude le nombre croissant de tentatives faites pour tourner l’interdiction, de caractère absolu, de la torture et d’autres formes de mauvais traitements au nom de la lutte contre le terrorisme.  Face aux arguments juridiques sur la nécessité et l’exercice du droit de légitime défense, s’appuyant sur le droit interne, récemment invoqué, il a rappelé qu’aucune mesure légale, judiciaire ou administrative autorisant le recours à la torture n’est légale au regard du droit international.  Permettre la torture est en soi une violation de l’interdiction de la torture, a-t-il poursuivi.  Des tentatives ont été faites pour limiter la portée de la définition de la torture figurant à l’article premier de la Convention contre la torture, mais il a rappelé que cette définition ne peut être altérée en fonction des besoins et des souhaits des États.  Il a par ailleurs signalé que dans les cas où des actes de tortures ont été infligés par des entrepreneurs privés sur des personnes soupçonnées d’avoir commis des actes de terrorisme, la responsabilité des États est engagée au titre du Pacte sur les droits civils et politiques.  Notant que de nombreux suspects, y compris des enfants, sont détenus indéfiniment sans statut juridique précis et se voient nier l’accès à des avocats, il a appelé à l’arrêt au recours à des centres secrets de détention et a soutenu que détenir quelqu’un dans un lieu de détention secret et/ou illégal devrait être un délit passible de sanctions.


Bien que certaines autorités nationales aient jugé recevables dans une procédure judiciaire des éléments de preuve qui ont pu être obtenus par la torture, a-t-il poursuivi, la Convention contre la torture précise que ces informations sont irrecevables.  Reconnaissant les menaces que font peser le terrorisme et le devoir de l’État de veiller au bien–être de ses citoyens, il a néanmoins souligné que l’interdiction absolue du recours à la torture ne pouvait subir aucune exception et que l’état de guerre, de menace de guerre, d’instabilité politique ou d’autre situation exceptionnelle ne pouvait être évoqué pour justifier le recours à la torture.


Sur le principe de non-refoulement, il a estimé qu’il était inadmissible pour les autorités d’un pays de remettre une personne aux autorités d’un autre pays sans l’intervention d’une autorité judiciaire et sans la possibilité pour la personne de contacter ses proches ou ses avocats.  Dans ce cadre, le recours aux assurances diplomatiques par le pays d’origine que la personne transférée ne subira pas des actes de tortures est contestable, a-t-il poursuivi, ajoutant que dans certains cas et, en dépit de l’obtention de telles assurances, les personnes transférées ont subi des actes de torture.  Il a rappelé que la résolution 1456 demande aux États de faire en sorte que toutes les mesures prises dans le cadre de la lutte contre le terrorisme soient conformes à leurs obligations en matière de droit international.


Dans le cadre de la réhabilitation des victimes, il a indiqué la nécessité de réfléchir à une approche multidisciplinaire comprenant une assistance médicale, un soutien financier, une réadaptation sociale et une assistance légale, compte tenu de l’impact multiple de la torture sur les victimes et leurs proches.


En conclusion, annonçant la fin de son mandat et son départ à la retraite, il a offert une suite d’observations.  Il a tout d’abord indiqué que les Rapporteurs spéciaux sont une composante essentielle du système des Nations Unies pour la promotion et la protection des droits de l’homme, et qu’ils constituaient les yeux et les oreilles de la Commission des droits de l’homme.  Il a poursuivi en appelant à plus de coordination entre les Rapporteurs spéciaux.  Un suivi approprié de leurs recommandations est essentiel pour assurer l’impact du travail des Rapporteurs spéciaux, a dit M. van Boven, qui a signalé qu’au cours de son mandat, il a toujours défendu, en toute neutralité, les personnes afin d’assurer qu’elles ne soient pas soumises à la torture.


Dialogue


Le Rapporteur spécial a fait valoir que si le consensus sur une interdiction juridique de la torture existe, la pratique est différente.  Il a ainsi souligné que l’interdiction de la torture était consacrée dans presque tous les instruments des droits de l’homme et qu’elle faisait parti du droit coutumier international.  Mais, actuellement et depuis ces trois dernières années, il a noté avec inquiétude l’érosion de la prohibition de cette pratique, en particulier au niveau intellectuel.  Il a indiqué qu’il est du rôle du Rapporteur spécial mais aussi d’autres organes des droits de l’homme d’insister sur l’interdiction absolue du recours à cette pratique, même en cas exceptionnel.  Suite à une question de la Suisse sur le fait que des employés d’entreprises privées aient fait subir des actes de tortures aux détenus, le Rapporteur spécial a rappelé que lorsque les entreprises privées utilisent la torture, l’état reste responsable.


À une question des Pays-Bas sur le non aboutissement des demandes de visite du Rapporteur spécial dans certains pays, M. van Boven a répondu qu’aucun pays ne refuse une telle visite de manière catégorique.  Le non se déguise, a-t-il dit, sous le prétexte de problèmes logistiques ou de conditions exceptionnelles, telle qu’une élection imminente.  Le problème c’est que dans le cas de refus, on met à mal le principe de coopération avec les Nations Unies, a poursuivi le Rapporteur spécial, qui a qui a ajouté que ces visites ne se limitent pas à aller voir ce qui se passe, mais sont aussi l’occasion de faire des recommandations et d’assurer leur suivi.


Environ 50 pays ont déclaré qu’ils ouvriraient leurs portes à toutes les visites des Rapporteurs Spéciaux, ce qui constitue une évolution très positive, a constaté M. van Boven, qui a encouragé les autres États à en faire de même.  Il a indiqué, suite à une question du Yémen sur la demande faite par le Rapporteur spécial aux États-Unis d’autoriser une visite à la base de Guantánamo, qu’en cas de refus d’un pays à une demande de visite, il faut revenir à la charge (à moins qu’il n’y ait une amélioration spectaculaire de la situation) et continuer à s’entêter afin d’obtenir une réponse.  Dans ce même cadre, le représentant de la Fédération de Russie a souligné la volonté de son pays de coopérer et de recevoir la visite des Rapporteurs spéciaux.  La déléguée des États-Unis a par ailleurs noté que son gouvernement espère pouvoir inviter bientôt le Rapporteur spécial pour discuter des sujets de préoccupation.  Elle a précisé qu’il n’y avait pas de pays plus inquiet que le sien devant la question de la torture, et qu’il a mis en place des mécanismes d’enquête pour vérifier les allégations de recours à la torture.


M. van Boven a en outre signalé que la torture est souvent perpétrée dans des endroits secrets, contrairement à d’autres violations des droits de l’homme, telles que la peine capitale, qui sont commis au grand jour.  De ce fait, il est plus difficile d’en parler ouvertement, mais il a souligné l’importance de surmonter ces difficultés et d’aborder directement la question de la torture.  Malgré la douleur ressentie par les victimes de la torture en racontant leurs expériences, a-t-il poursuivi, elles trouvent le courage de témoigner, et la communauté internationale a le devoir de les écouter.  Interpellé par le représentant de Cuba sur le rôle des médias dans la révélation des cas de torture, M. van Boven a reconnu que la divulgation par les medias de certaines pratiques est cruciale.  Mais, sans minimiser l’importance des informations diffusées par les médias pour son travail, il a précisé qu’il avait recours à d’autres sources d’information.  Il a par ailleurs déclaré que lorsque que des cas de tortures sont mis à jour, les autorités des pays concernés sont dans l’obligation d’émettre sans équivoque des déclarations réaffirmant que la torture est interdite quelles que soient les circonstances.  Ce genre de déclaration est d’une grande importance, a-t-il insisté.


Suite aux interventions de plusieurs délégations, M. van Boven a indiqué que du moment où le Rapporteur spécial entre en relation avec un pays, il doit avoir les recommandations du Comité contre la torture en main, et tenir compte de ces recommandations dans ses propres conclusions.  Cela est essentiel, a-t-il poursuivi, mais il a signalé que le manque de ressources ne permet pas toujours d’en faire le suivi tel qu’il devrait l’être.  Suite à une question du Canada sur les cas dans lesquels le Rapporteur spécial se préoccupait de la question de la peine de mort, il a signalé qu’il était par principe contre cette peine, mais a reconnu qu’il n’y a pas de consensus au sein des Nations Unies sur cette question.  Il y a deux dimensions de peine capitale sur lesquelles je travaille, a-t-il dit.  D’une part, lorsque la peine capitale est exécutée de manière cruelle (comme dans les cas de lapidation ou des pendaisons successives qui ne tuent pas la victime d’un seul coup), et d’autre part, lorsque la condamnation se fonde sur des preuves obtenues sous la torture.  Dans ce dernier cas, a-t-il précisé en réponse à une question posée par le Costa Rica, il insiste sur l’inadmissibilité de telles preuves –point sur lequel l’Article 15 de la Convention contre la torture est très précis.  Il a pourtant noté que l’on assiste actuellement à une tendance inquiétante dans la matière, puisque des informations recueillies sous la torture dans un pays ont pu être utilisées dans des procès judiciaires tenus dans d’autres pays.  Il est essentiel d’accorder aux avocats et aux juges le droit et le devoir d’examiner ces sources d’informations.


S’agissant de la violence sexuelle contre les femmes en tant qu’élément de torture, il a signalé que ce concept avait été entériné par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et qu’il constitue un crime contre l’humanité.  Il a ajouté qu’il travaillait avec le Rapporteur spécial sur les violences à l’encontre des femmes.  Quant à la réhabilitation des victimes de la torture, le Rapporteur spécial a souligné le travail du Fonds de contributions volontaires des Nations Unies pour les victimes de la torture, qui permet d’apporter un soutien financier aux organisations qui s’occupent de la réhabilitation par des activités juridiques, sociales ou médicales.  Il a indiqué qu’il fallait explorer des moyens d’assurer la participation de Organisation mondiale de la santé (OMS) dans les aspects médicaux de la réhabilitation.


Rapport d’activité sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires présenté par la Rapporteure spéciale de la Commission des droits de l’homme (A/59/319)


Le rapport de la Rapporteure spéciale, Mme Asma Jahangir, porte sur la période du 1er juillet 2002 au 1er juin 2004.  Il est consacré à plusieurs problèmes spécialement préoccupants, qui, de son avis, appellent une attention particulière ou exigent une mobilisation d’urgence.  Il est divisé en cinq sections, chacune étant axée sur des facettes différentes du problème des exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, et présente aussi les conclusions et recommandations de la Rapporteure spéciale sur les questions relevant de son mandat, dont le détail est rappelé en section I.  Dans la section II, elle rend compte des principales activités qu’elle a menées dans le cadre de son mandat au cours de la période considérée.  La section III contient un aperçu des diverses situations comportant des violations du droit à la vie de certains groupes et des questions intéressant particulièrement la Rapporteure spéciale.


Selon Mme Jahangir, rien n’indique que le nombre de violations du droit à la vie ait baissé au cours des six années de son mandat.  En effet, note-t-elle, le nombre croissant de communications relatives à des violations présumées du droit à la vie témoigne de la fréquence des exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires commises dans le monde.  Elle se dit préoccupée par les informations selon lesquelles de plus en plus de gouvernements utilisent délibérément la force excessive contre des terroristes présumés ou des civils dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.  Elle se félicite de la création d’un mécanisme de collecte d’informations sur les situations ou les menaces –potentielles ou réelles– de génocide ou de crimes contre l’humanité, essentiel dans la perspective d’une évolution vers une forme de justice de transition, et pour venir à bout de l’impunité.


La Rapporteure spéciale appelle tous les États favorables au maintien de la peine de mort à instituer un moratoire des exécutions capitales et à créer des commissions nationales qui seraient chargées de faire le point de la situation à la lumière des normes et résolutions internationales, de façon à ce qu’ils puissent veiller au respect effectif de toutes les sauvegardes et garanties applicables.  Compte tenu du quasi-consensus actuel sur l’abolition de la peine de mort pour ceux qui ont moins de 18 ans au moment où les crimes qui leur sont reprochés ont été commis, a-t-elle poursuivi, elle recommande d’abolir complètement ces exécutions.


Elle encourage tous les gouvernements à ratifier la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide.  Les États concernés devraient, avec le concours de la communauté internationale, prendre toutes les mesures nécessaires pour faire en sorte que les actes de violence communautaire ne dégénèrent pas en massacres qui pourraient prendre les dimensions d’un génocide.  Elle demande instamment à tous les États qui n’ont pas encore ratifié le Statut de Rome de la Cour pénale internationale de le faire.  Tous les États qui n’ont pas encore ratifié les quatre Conventions de Genève du 12 août 1949 pour la protection des victimes de la guerre et leurs deux protocoles additionnels, sont encouragés à le faire.  Elle souligne que les personnels des forces armées et des autres forces de sécurité, y compris les personnels de police, devraient être instruits du contenu de ces instruments ainsi que d’autres instruments relatifs aux droits de l’homme.  Les gouvernements des pays comptant des groupes terroristes actifs doivent veiller à ce que les opérations anti-insurrectionnelles soient conduites conformément aux normes relatives aux droits de l’homme, de façon à réduire au minimum les pertes de vies humaines, et dans le respect du principe de proportionnalité.  Pour mieux faire face au problème des exécutions extrajudiciaires commises par des membres des forces de l’ordre, elle recommande que les gouvernements publient régulièrement des statistiques sur les plaintes concernant les exécutions extrajudiciaires.  Les gouvernements devraient étudier la possibilité de mieux protéger les personnes en détention, note-t-elle, en soulignant que tous les cas de mort en détention doivent faire l’objet d’une enquête approfondie et être traités par un organe judiciaire indépendant.  Elle ajoute que les gouvernements devraient veiller à l’autonomie et l’indépendance des instituts de médecine légale. 


Déclaration liminaire


M. PHILIP ALSTON, Rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, récemment entré en fonction, a présenté le rapport (A/59/319) de son prédécesseur, Asma Jahangir, en soulignant qu’il fournit un instantané de la situation sur les questions relevant du mandat.  S’agissant de ses intentions dans le cadre de son mandat, M. Alston a indiqué qu’il favoriserait le dialogue avec les gouvernements, mènerait ses activités dans le cadre de son mandat en invoquant les règles applicables et les principes du droit international à l’appui de ses prises de position.  Il a déclaré qu’il avait l’intention de travailler étroitement avec la société civile, en particulier pour recueillir les informations sur les exécutions commises de par le monde, de s’attacher à prévenir le recours à de telles pratiques, de dénoncer les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, et de tenir les États pour responsables quand ils ont commis de tels actes ou n’ont pas pris les mesures appropriées pour sanctionner les actions commises par d’autres.  Il a souligné qu’il se concentrerait sur les résultats plutôt que sur le rendement.  Mieux vaut envoyer moins de communications aux gouvernements et bien les cibler plutôt que de se prêter à un échange prolifique pour la forme, a-t-il dit en ajoutant qu’il ne s’engagera pas dans une tentative de définir les termes « extrajudiciaires », sommaires » et « arbitraires » mais s’acquittera de son mandat tel que défini dans les diverses résolutions de l’Assemblée générale et de la Commission des droits de l’homme.  Il a estimé qu’il serait bon d’introduire à l’avenir une dimension thématique à son rapport dans laquelle il présenterait une question en détail et énoncerait des recommandations sur les moyens de traiter cette question.  Pour ce qui est des addendum à son rapport ciblés sur la situation dans un pays, il a dit qu’il mettrait en avant les réponses ou l’absence de réponses des États Membres à ses préoccupations et à ses demandes d’information, de visite, etc.  


Dialogue


Répondant aux observations et questions des délégations, M. Alston a réitéré son intention, dans un souci d’éviter les doubles emplois, d’entretenir une coopération étroite avec les autres Rapporteurs et experts nommés par la Commission des droits de l’homme, en particulier avec celui chargé de la torture, celui chargé de la violence à l’égard des femmes et le Conseiller spécial sur la prévention du génocide.  S’agissant d’engager un dialogue avec les États Membres, il a notamment indiqué qu’il attacherait une grande importance au suivi des recommandations faites par ses prédécesseurs ou par lui-même.  Répondant à une question du représentant de Cuba, il a dit que l’enjeu principal de la problématique des droits de l’homme était la mise en œuvre des recommandations au niveau national, et a souligné que les Rapporteurs spéciaux jouaient entre autre un rôle de catalyseur pour aider les gouvernements à mettre en œuvre leurs obligations en vertu des instruments internationaux. 


Il a par ailleurs insisté sur l’absence d’obligation de révéler ses sources, pourvu qu’il soit capable de démontrer que ses enquêtes sont fondées sur des sources fiables, que les faits se sont révélés avérés et les responsabilités ont été établies.  Il a pris note des invitations lancées à son endroit par les représentants de la Colombie et de la Côte d’Ivoire.


En réponse aux préoccupations du représentant de l’Afghanistan, il a souligné que le génocide et les crimes contre l’humanité étaient couverts par son mandat, qui que soient les auteurs de ces crimes, et lui a assuré qu’il étudierait avec attention, dans le cadre de la lutte contre l’impunité, les crimes contre l’humanité perpétrés en Afghanistan pendant les différentes phases de conflit que ce pays a connu, que ce soient par des éléments étrangers ou non.


Il a signalé qu’il interprétait la référence dans le rapport de Mme Jahangir à la période de l’après 11 septembre comme une mise en garde contre les tentatives de certains gouvernements de faire valoir qu’il y avait des changements fondamentaux dans les relations internationales depuis cette date, et que ces changements modifiaient la définition de ce qui est acceptable ou inacceptable. 


Sur la question des références à l’orientation sexuelle en tant que motif ayant entraîné une exécution, il a insisté sur l’importance d’adopter l’approche la plus large possible, et a fait valoir qu’il ne voyait pas de raison d’ignorer de telles questions, compte tenu du fait qu’un certain nombre d’allégations rapportaient des exécutions sur la base de l’orientation sexuelle de la victime. 


Il a par ailleurs réaffirmé que la peine de mort tombait sous le coup de son mandat.  Il a souligné qu’on ne pouvait pas mettre en cause l’opportunité de déclarer un moratoire sur la peine capitale en le comparant à un moratoire sur les peines d’emprisonnement à vie.  L’exécution est irréversible, alors que l’emprisonnement à vie ne l’est pas, a-t-il dit.  À ce titre, il a souligné qu’il souhaite engager un dialogue ouvert sur la question de la peine de mort, en particulier avec les États qui ont choisi de maintenir cette peine.  S’agissant de la peine de mort sur les mineurs, il a indiqué que seuls huit pays ont mis en exécution une telle sanction depuis 1990, et il a souligné que la tendance laissait penser que l’abolition de la peine de mort pour les mineurs pourrait intervenir dans un proche avenir. 


Rapport d’activité établi par Mme Asma Jahangir, Rapporteure spéciale chargée d’étudier la question de la liberté de religion ou de conviction (A/59/366)


La nouvelle Rapporteure spéciale, Asma Jahangir, a été officiellement chargée de ce mandat concernant la liberté de religion ou de conviction le 24 juillet 2004.  Dans son rapport, elle se borne à présenter les communications qui ont été transmises par son prédécesseur ainsi que les réponses reçues et à rappeler les autres résultats importants du mandat.  Le rapport couvre au total 39 communications transmises à 29 États.


Dans les conclusions du rapport, la Rapporteure spéciale constate que, dans un certain nombre de pays, les tensions s’accroissent dans les communautés religieuses et entre elles, ce qui pourrait donner lieu à divers affrontements.  Dans ces conditions difficiles, la Rapporteure spéciale indique que les gouvernements doivent s’employer à renoncer à intervenir par voie législative ou au moyen de mesures qui pourraient en fin de compte restreindre la liberté de religion ou de conviction, ce qui aggraverait encore la situation.


D’autre part, la Rapporteure spéciale note que de nombreuses informations font état d’actes d’intolérance et de haine contre les musulmans et leur religion.  En même temps, un nombre égal d’informations indiquent que certains musulmans et groupes islamiques connus emploient des propos extrêmement virulents contre d’autres religions et leurs adeptes.  En pareil cas, les gouvernements doivent rester neutres.  Même si, selon le rapport, des efforts sont fait dans ce sens, on trouve également des exemples de fonctionnaires ouvertement partiaux et de lois proposées par les gouvernements qui établissent une discrimination entre les diverses communautés religieuses.


Déclaration liminaire


Mme ASMA JAHANGIR, Rapporteure spéciale sur la liberté de religion ou de conviction, a indiqué qu’elle s’attacherait, avant de transmettre des communications aux États Membres, à déterminer si les allégations dont elle se fait la porte-parole sont avérées.  Elle a souligné que la religion était inévitablement et invariablement un sujet de référence dans le cadre de son mandat, mais elle a précisé qu’elle concentrerait ses efforts aux aspects liés à la protection de la liberté de religion ou de conviction, guidée par l’Article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et par l’Article 18 du Pacte international sur les droits civils et politiques, par la Déclaration de 1981 sur l’élimination de toutes les formes d’intolérance et de discrimination fondées sur la religion ou la conviction, et par l’avis du Comité des droits de l’homme nº22 de 1993.  Elle a souligné qu’elle veillerait à intégrer la dimension égalité entre les sexes dans toutes ses activités. 


Elle a par ailleurs appelé les États Membres à lui transmettre des invitations à se rendre sur le terrain afin de lui permettre de nourrir sa réflexion sur la base d’informations de première main.  Elle a dit son intention de concentrer ses efforts sur les pays où il y a des problèmes, notamment les situations qui exigent une réponse urgente de la part du gouvernement concerné, mais qu’elle s’emploierait également à identifier les bonnes pratiques qui ont permis de promouvoir une culture de tolérance.  À ce titre, elle a indiqué qu’elle avait d’ores et déjà fait des démarches auprès des Gouvernements d’Azerbaïdjan, du Bangladesh, de l’Indonésie, de la République islamique d’Iran, et de l’Ouzbékistan.  Elle a précisé que de janvier à septembre 2004, 39 communications ont été transmises à 29 États et que sur ces 29 États, 14 avaient déjà répondu.


Elle a reconnu la difficulté que pose aux États leur responsabilité de protéger, d’une part, tous les individus, y compris les communautés religieuses ou les communautés de conviction, contre tous les actes de violence ou d’intolérance perpétrés par des acteurs non étatiques, qui eux-mêmes appartiennent à des groupes religieux, et d’autre part, de poursuivre les auteurs de tels crimes en leur offrant les garanties appropriées en vertu des normes internationales des droits de l’homme.  Elle a aussi souligné la difficulté d’assurer l’équilibre entre le respect de la liberté de religion et la liberté d’expression.  L’exercice d’un droit ne doit pas empiéter sur un autre droit, a-t-elle dit.  Elle a aussi souligné qu’un certain nombre d’États utilisaient les mesures antiterroristes de manière inappropriée pour limiter la liberté de religion ou de conviction, en violation du droit international relatif aux droits de l’homme.  Elle s’est dite convaincue que l’intolérance nourrissait l’intolérance et a appelé les États à s’acquitter de leurs obligations en vertu des normes des droits de l’homme, y compris dans le cadre de la lutte contre la violence perpétrée au nom d’une religion. 


Dialogue


Répondant aux observations et questions des délégations, Mme Jahangir a précisé que l’enregistrement des cultes ne constitue pas en soi un délit, mais que par contre certains aspects de l’enregistrement posaient des problèmes en terme de droits de l’homme.  À ce titre, elle a expliqué qu’elle s’était entretenue avec des experts de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et a invité les États Membres à s’inspirer des lignes directrices établies par l’OSCE sur ce sujet.  Elle s’est dit convaincue que la priorité de son mandat était la promotion et protection des droits individuels et la lutte contre l’intolérance et les persécutions religieuses, qui constitue l’aspect prévention.  Elle a indiqué qu’elle souhaitait établir une coopération étroite avec les autres Rapporteurs, en particulier sur la question de la liberté d’expression.  Elle a à nouveau insisté sur l’importance qu’elle accorde aux visites de pays.  À ce titre, elle a pris note de l’invitation du Nigéria.  Aller sur le terrain permet de comprendre la sensibilité des acteurs et de comprendre les problèmes qui se posent à chaque gouvernement, a-t-elle dit. 


Elle a souligné que face à l’intolérance et aux atteintes à la liberté de religion ou de conviction, on pouvait adopter une approche volontariste, consistant à promouvoir la tolérance dans les programmes d’éducation et à encourager le dialogue entre les religions en l’élargissant à la société civile pour dépasser le niveau restreint des dirigeants religieux.  Elle a souligné que la liberté de religion et de conviction devait jouir d’une certaine autonomie que seule garantissait la neutralité du gouvernement.  Cette autonomie, a-t-elle expliqué, est menacée dès qu’un gouvernement stigmatise l’une ou l’autre religion ou croyance.  Elle a regretté de constater que la liste des phobies, et en particulier l’islamophobie, rallongeait, et que chacune de ses phobies allait en s’intensifiant.  Enfin, elle a souligné l’importance d’avoir des ressources pour remplir son mandat et a réitéré le caractère absolu de la liberté de religion ou de conviction, en précisant toutefois que ses manifestations ne justifiaient en aucun cas des délits et des crimes. 


Droit à l’alimentation (A/59/385)


Le Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation, Jean Ziegler, a offert une vue d’ensemble de l’état actuel de la faim dans le monde, passant en revue les activités menées par le Rapporteur spécial au cours de l’année écoulée, puis s’adressant aux situations particulièrement préoccupantes au regard du droit à l’alimentation.  Le fait marquant est que la faim ne cesse de se répandre dans le monde. Aujourd’hui, dans un monde qui produit déjà une alimentation suffisante pour nourrir tous les êtres humains, ce sont 842 millions de personnes qui souffrent de malnutrition.  Les indicateurs de la faim ont grimpé chaque année depuis le Sommet mondial de l’alimentation, en 1996, à l’occasion duquel les gouvernements s’étaient engagés à réduire la faim.  Il a souligné que la faim tue bien plus de personnes que n’importe quelle guerre contemporaine ou n’importe quel attentat terroriste.  Un enfant de moins de cinq ans meurt toutes les cinq secondes de maladie liée à la faim.  Il est révoltant que nous laissions la faim tuer tant de jeunes enfants, a-t-il dit.  Le droit à l’alimentation est un droit fondamental, inhérent à tout être humain.


Le Rapporteur spécial s’est dit gravement préoccupé par la situation actuelle d’un certain nombre de pays et régions, en particulier au Soudan, en République populaire démocratique de Corée, à Cuba et dans les territoires palestiniens occupés.  Il a exhorté les Gouvernements de la République populaire démocratique de Corée et du Soudan de prendre immédiatement des mesures pour mettre fin aux violations du droit à l’alimentation de leurs populations.  Il a exhorté de même le Gouvernement israélien, en tant que puissance occupante, à respecter ses obligations au regard du droit international relatif aux droits de l’homme ou du droit humanitaire concernant le droit à l’alimentation des personnes vivant dans les territoires palestiniens occupés.  Il a également enjoint au Gouvernement des États-Unis de s’abstenir de toute mesure unilatérale portant atteinte au droit à l’alimentation de la population de Cuba.  Pour faire appliquer le droit à l’alimentation, a noté M. Ziegler, il est essentiel que chacun comprenne mieux ce à quoi correspond ce droit.  Il a indiqué que le Groupe de travail intergouvernemental de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) travaille actuellement à l’élaboration de « directives volontaires » visant à aider les gouvernements dans l’action qu’ils mènent pour réaliser le droit à l’alimentation selon une conception de la sécurité alimentaire fondée sur les droits.  Le rapport montre l’état d’avancement des travaux sur la question, mais fait observer que ce projet de directives risque d’être trop timide en raison des quelques gouvernements qui se montrent réticents à renforcer la protection du droit à l’alimentation.


Le dernier chapitre du rapport est consacré à une nouvelle question d’importance pour le droit à l’alimentation : les modes de subsistance reposant sur la pêche.  Dans nombre de pays, notamment d’Asie mais aussi d’Afrique et d’Amérique latine, nombreux sont ceux dont l’accès à l’alimentation et les moyens d’existence reposent sur la pêche et les ressources halieutiques.  Or, met-il en garde, la restructuration actuelle du commerce des produits de la pêche et de l’industrie halieutique a parfois des répercussions néfastes sur les moyens d’existence et la sécurité alimentaire des pêcheurs qui se livrent à la pêche artisanale et à la pêche de subsistance, laissant nombre d’entre eux à la traîne dans la course vers l’industrialisation, la privatisation et l’adaptation des exportations.  Il faut veiller avec soin à ce que les changements apportés aux politiques et aux programmes n’amènent pas à empêcher de fait les pêcheurs se livrant à la pêche artisanale et à la pêche de subsistance d’accéder aux zones de pêche.  Il faudrait s’assurer que le passage à l’industrialisation, à la privatisation et à l’adaptation de l’industrie halieutique à l’exportation ne se traduise pas par le transfert aux riches des droits et des ressources des pauvres.  Le droit à l’alimentation est avant tout le droit de pouvoir se nourrir soi-même, dans la dignité, a-t-il insisté, et exige donc que l’on prenne des mesures en faveur de la protection des moyens de subsistance, en particulier dans les cas où les solutions de rechange sont rares.  Le droit à l’alimentation requiert que l’on respecte, protège et réalise ce droit pour tous, y compris pour les populations marginalisées qui vivent de la pêche.


M. JEAN ZIEGLER, Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation, s’est alarmé de ce que la lutte pour le droit à l’alimentation sur une base normative recule alors que la faim avance.  Selon les chiffres de la FAO, 842 millions sont victimes de malnutrition et un enfant de moins de cinq ans meurt toutes les cinq secondes d’une maladie liée à la faim.  La faim augmente chaque année dans une planète qui regorge de ressources qui, selon la FAO, permettrait de fournir 2 700 calories par jour pour 12 milliards d’habitants, a-t-il dit.  Chaque personne qui meurt de faim meurt assassinée, a lancé le Rapporteur spécial.  S’il a vu des signes d’espoir, notamment avec l’initiative « Action contre la faim et la pauvreté », organisée sous les auspices des Présidents brésilien et français, qui préconise entre autres d’explorer de nouveaux modes de financements du développement, il a constaté les nombreux défis qui demeurent.


Présentant les résultats de ses recherches analytiques sur les tendances en matière de réalisation du droit à l’alimentation, il a tout d’abord souligné sa préoccupation par rapport à la restructuration en cours dans la production halieutique.  Le poisson compte pour 23,1% de l’apport total en protéines animales en Asie et pour 19% en Afrique, et cette moyenne est plus élevée chez les populations vivant de la pêche ou en zone côtière, a précisé M. Ziegler, notant que 35 millions de personnes participent directement aux activités de pêche ou de pisciculture, et environ 100 autres millions occupent un emploi en rapport avec les pêches.  Il a indiqué que les produits de la pêche s’élèvent à 130 millions de tonnes chaque année et que ce rapide accroissement reflète les changements importants intervenus dans l’industrie halieutique.  Il s’est inquiété de la destruction des communautés artisanales de pêcheurs incapables de résister face au poids de la pêcherie industrielle.  Il a exhorté la communauté internationale à prendre des mesures afin de maintenir en vie ces communautés artisanales, et s’assurer que les nouvelles politiques en matière de pêcherie ne remettent pas en cause leurs moyens de subsistance.


Parlant des directives volontaires pour la réalisation du droit à l’alimentation, qui ont été négociées à Rome par le groupe de travail constitué à la suite du sommet mondial de l’alimentation de 2002, il a reconnu que si le droit à l’alimentation n’a pas été réaffirmé, une vingtaine de mesures concrètes ont pu être élaborées.  C’est la première fois que des gouvernements se sont réunis pour mener un débat approfondi sur le sens et le contenu du droit à l’alimentation, même si ce débat s’inscrit dans un contexte politique et économique extrêmement difficile, a estimé M. Ziegler.  Il a d’ailleurs encouragé les États à ratifier les directives volontaires de Rome au prochain conseil directeur de la FAO.


Le Rapporteur spécial a ensuite fait le point sur quatre cas dans lesquels la situation au regard du droit à l’alimentation est particulièrement préoccupante: le Soudan, en RPDC, à Cuba et dans les Territoires palestiniens occupés.  Pour ce qui est du Soudan et de la situation au Darfour, il a remarqué que deux millions de personnes dépendent de l’aide publique internationale, mais qu’un grand nombre continue à mourir.  En RPDC, il a rappelé que 6,2 millions de personnes dépendent exclusivement de l’aide humanitaire internationale.  Il a déploré que l’appel à contribution n’ait pu être couvert qu’à la hauteur de 30% des besoins.  Soulevant le problème des citoyens qui fuient leur pays pour se rendre en Chine et qu’il a appelé les réfugiés de la faim, et en déplorant le manque d’action de la communauté internationale, il a noté que des renseignements précis indiquent que ceux qui sont renvoyés dans leur pays subissent des répressions terribles.  Il a estimé que le blocus unilatéral imposé par les États Unis envers Cuba constitue une violation du droit à l’alimentation.  Quant à la situation dans les Territoires palestiniens occupés, il a souligné que 22% des enfants y sont gravement sous alimentés.  Il a également précisé que 85% des ressources aquifères sont détournées vers les colonies illégales et que la construction « illégale » du mur entraîne la destruction de centaines d’hectares de terres arables, privant ainsi des milliers de Palestiniens de leurs ressources.  Il a estimé que les mesures d’encerclement militaire ont des conséquences graves sur la population.  Appliquer des punitions collectives contre toute une population, qui se traduisent par une crise alimentaire, est contraire au droit international humanitaire international, a dit M. Ziegler.


La lutte pour le droit à l’alimentation est loin d’être gagnée, a conclu le Rapporteur spécial.  Il s’est dit en faveur d’une approche normative du droit à l’alimentation, afin d’assurer une nourriture adéquate à même de garantir des conditions de vie décentes telles que définies dans l’Article 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.  Il a néanmoins précisé que cette vision normative n’était pas partagée par certaines organisations internationales du système des Nations Unies, en particulier le Fonds monétaire international (FMI) pour qui seul le marché mondial peut régler la question du droit à l’alimentation.  Selon le FMI, si les forces du marché et la liberté du commerce sont assurées, la faim reculera d’elle-même.  Mais, a poursuivi M Ziegler, alors que l’Organisation mondiale du commerce a obtenu des avancées très importantes ces neufs dernières années pour assurer le progrès du marché capitaliste, la faim n’a pas reculé pendant la même période.  Seule une approche normative pourra assurer de mettre en place le droit à l’alimentation, a-t-il estimé.


Dialogue


Au sujet des directives volontaires adoptées à Rome afin d’assurer la réalisation du droit à l’alimentation, M. Ziegler a reconnu, à la suite d’une question posée par le représentant des Pays-Bas, le caractère moins contraignant de ces directives par rapport au Pacte international relatif aux droits sociaux, économiques et culturels, qui prescrivent les obligations des États en matière de droit à l’alimentation.  Il a néanmoins indiqué que leur caractère volontaire permettra de toucher des États qui ne sont pas tenus par le Pacte.  En matière de réalisations concrètes dans la promotion du droit à l’alimentation, il a cité des exemples précis de ce qui pouvait être accompli.  La Commission paritaire en Afrique du Sud a ainsi le droit de plaider devant la Cour suprême pour attaquer, entre autres, toutes les décisions gouvernementales qui porteraient atteinte au droit d’accès à l’eau, qui est inclus dans le droit à l’alimentation, a-t-il indiqué.  Ainsi, une décision de privatisation de la distribution de l’eau qui entraînerait une augmentation insupportable du coût de l’eau peut être mise en question, a poursuivi le Rapporteur spécial.  En Inde, a-t-il dit, le Gouvernement a créé une obligation selon laquelle les États de la fédération doivent ouvrir les dépôts de provision en temps de disette ou de famine.  La Cour suprême, saisie par des organisations non gouvernementales, a, sur cette base, ordonné l’ouverture de ces dépôts, ce qui a permis la régulation du marché par la mise en vente des céréales.


Il a reconnu que la discrimination contre les femmes  en matière de droit à l’alimentation continu d’être un problème.  Il y avait consacré une large part dans son rapport de 2003 et il continue à chercher des solutions à ce problème crucial.  Il a notamment cité les efforts entrepris en Éthiopie afin d’autoriser l’accès des femmes à la propriété et à la terre.  Il a également remarqué qu’au Burkina Faso, les femmes devaient parcourir 20 à 22 kilomètres pour avoir accès à une source d’eau, et qu’il fallait s’attacher à trouver des mesures pour résorber cette catégorie de discrimination qui touche beaucoup de femmes.


En réponse aux observations du représentant de la République démocratique populaire de Corée, il a indiqué qu’il avait demandé à cinq reprises de se rendre dans ce pays, mais que sa requête avait été refusée à chaque reprise.  Comme je ne peux pas aller dans votre pays, je suis obligé de citer des sources secondaires mais crédibles, a-t-il poursuivi, faisant référence, notamment, au moratoire déclaré par de nombreuses ONG, qui ont pris la décision de quitter le pays parce qu’elles ne pouvaient assurer que la nourriture qu’elles distribuaient atteignait la population.


Le délégué israélien a mis en cause l’impartialité du rapport sur la situation des territoires occupés, qui ne se trouve pas dans une situation alimentaire d’urgence, estimant que le Rapporteur spécial outrepassait son mandat et présentait une vision partielle du conflit, sans tenir compte de la complexité de la situation sur le terrain.  M. Ziegler a répondu qu’il avait bénéficié de la coopération du Gouvernement israélien à toutes les étapes de sa visite.  Il a précisé que la Commission des droits de l’homme lui avait imposé un mandat singulier pour se rendre dans les Territoires occupés.  Ce mandat n’était pas de parler des racines du conflit mais de se concentrer sur les obstacles au droit à l’alimentation.


La représentante des États-Unis a regretté que le rapport du Rapporteur spécial contienne des informations inexactes.  Elle a estimé que la réalisation du droit à l’alimentation est un objectif qui devait être atteint de manière progressive et ne doit pas comporter des obligations légales internationales.  En réponse, le Rapporteur spécial a reconnu la générosité des États-Unis en matière de fourniture d’aide alimentaire, notamment au travers de son soutien au Programme alimentaire mondiale (PAM), mais il a suggéré que ce pays nie le droit à l’alimentation car la notion d’un tel droit s’oppose à la vision néolibérale défendue par les États-Unis.  Il a rappelé que, d’après la vision des États-Unis, seul le marché peut fixer le prix des aliments, et c’est seulement en cas de disfonctionnement du marché qu’une intervention d’urgence est justifiée.  Il a par ailleurs déclaré que cette vision va à l’encontre de celle partagée par toutes les entités qui travaillent en faveur des droits de l’homme.


Déclaration liminaire


M. ROBERT KOGOD GOLDMAN, Expert indépendant sur la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales tout en luttant contre le terrorisme, nommé le 9 juillet 2004, a rappelé que l’Assemblée générale avait demandé au Haut Commissariat des droits de l’homme de terminer une étude sur la compatibilité des mesures antiterroristes avec les obligations internationales en matière de droits de l'homme.  Il a indiqué que le rapport qu’il présentera à la soixante-et-unième session de la Commission des droits de l’homme, qui sera notamment basée sur l’étude récemment transmise à l’Assemblée générale par le Haut Commissariat, fournira une analyse tant thématique que technique, et qu’aucun pays ne serait nommé explicitement.  Les noms des États pourront cependant figurer dans les notes explicatives, en rapport avec des décisions ou des recommandations d’un ou l’autre organe conventionnel ou d’un autre mandataire. 


Dialogue


Répondant aux observations et questions des délégations, M. Goldman a rappelé qu’il avait été nommé pour un an et qu’il était responsable devant le Haut Commissaire et non pas, comme les autres mécanismes, devant la Commission des droits de l’homme.  Il a appuyé la proposition de la Suisse de créer un mécanisme spécial de portée universelle et globale, chargé d’étudier la compatibilité des mesures antiterroristes avec les obligations internationales en matière de droits de l'homme.  Cependant, il a souligné que le travail sporadique et incomplet qui a déjà été fait avait souffert de l’opposition d’un certain nombre d’États Membres.  Dans ce contexte, il a estimé qu’il fallait tout d’abord créer un environnement favorable pour que ce mécanisme nouveau, une fois créé, puisse opérer librement et avoir les coudées franches, dans les limites d’un mandat bien défini dans l’objectif de protéger les droits de l’homme tout en luttant contre le terrorisme.  Il a dit qu’il veillera à éliminer les doubles emplois possibles entre son activité et celles d’autres mécanismes spéciaux, et a souligné la spécificité de son mandat non opérationnel. 


Il a par ailleurs fait valoir l’importance que les États tiennent pleinement au courant le Comité contre le terrorisme du Conseil de sécurité (CTC) des mesures prises dans le cadre de la lutte antiterroriste, et ce dans le respect des normes internationales des droits de l’homme.  À ce titre, il a souligné le besoin d’intensifier la coopération entre le Haut Commissariat aux droits de l’homme et le CTC.  Pour ce qui est des thèmes qu’il abordera dans son étude, il a notamment cité la question de l’applicabilité extraterritoriale du droit humanitaire, le principe du non-refoulement, la relation étroite entre droit international relatif aux droits de l’homme et droit international humanitaire, et les questions relatives aux acteurs non étatiques.  Il a précisé qu’il se concentrerait sur la pratique des États et sur la manière dont ils s’acquittent de leurs obligations en vertu des traités internationaux.  Il a également souligné la nécessité pour les états de circonscrire au respect du droit international, du droit international humanitaire, et du droit international relatif aux droits de l’homme, les mesures prises pour lutter contre les actes commis par des acteurs non étatiques, dans le cadre de conflits armés ou non, en violation du droit international, et en particulier du droit international relatif aux droits de l’homme. 


Droit de réponse


La représentante du Yémen a salué l’activité du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires et a souligné que son pays a toujours garanti à ses citoyens la jouissance de leurs droits.  Elle a déploré que le Rapporteur parle de « dangereux précédent d’exécutions extrajudiciaires ou sommaires perpétrés avec le consentement du Gouvernement » en faisant référence aux six hommes tués, le 3 novembre 2002, lors d’un voyage en voiture.  Elle a indiqué que les services secrets disposaient d’informations selon lesquelles ils avaient participé aux attentats contre un bateau de guerre des États-Unis et un pétrolier français dans le port d’Aden, et que ces personnes avaient refusé de se livrer, auquel cas leurs droits auraient été protégés.  Elle a aussi affirmé que le droit serait le seul juge dans toute divergence d’opinion. 


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