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AFR/888-HR/4729

LA NOTION DE « RESPONSABILITE DE PROTEGER » AU CENTRE DE LA REFLEXION SUR LES MOYENS DE PREVENIR DE FUTURS GENOCIDES

07/04/2004
Communiqué de presse
AFR/888
HR/4729


Table ronde commémorant le dixième

anniversaire du génocide rwandais


LA NOTION DE « RESPONSABILITE DE PROTEGER » AU CENTRE DE LA REFLEXION

SUR LES MOYENS DE PREVENIR DE FUTURS GENOCIDES


La table ronde commémorant le dixième anniversaire du génocide rwandais a été l’occasion d’entendre un certain nombre d’intervenants réfléchir aux causes de l’échec de la communauté internationale à empêcher les événements tragiques déclenchés en avril 1994 mais également aux moyens d’éviter qu’un tel drame ne se reproduise.


L’indifférence et le manque de volonté politique ont été désignés par Mme Louise Fréchette, Vice-Secrétaire générale des Nations Unies, comme les causes principales de l’incapacité à empêcher et arrêter le génocide.  L’ancien Commandant adjoint de la Force de la MINUAR, la Mission de l’ONU au Rwanda, a pour sa part rappelé que les Nations Unies ne sont que la volonté de ses Etats Membres et que les plus importants d’entre eux, en avril 1994 au Rwanda, n’ont eu que la volonté politique d’évacuer leurs ressortissants.  Le Rwanda était un navire en détresse qui a été abandonné au milieu de l’océan, a-t-il regretté.


Cependant, comme l’a rappelé l’Ambassadeur du Rwanda au cours du débat qui s’est tenu en fin de séance, s’il est important de s’interroger sur l’échec passé de la communauté internationale, il faut à présent inventer de nouveaux outils de prévention.  A cet égard, il a été question des conclusions de la Commission internationale de l’intervention et de la souveraineté des Etats mise en place par le Canada.  M. Lloyd Axworthy, ancien Ministre des affaires étrangères de ce pays, a expliqué que cette commission a été créée dans l’objectif de définir la responsabilité de la communauté internationale en matière de protection des populations.  Les travaux de la Commission se sont tout particulièrement attachés à délimiter les limites entre la souveraineté des Etats et la responsabilité de protéger.  Cette dernière, a indiqué M. Mohammed Sahnoun, Conseiller spécial du Secrétaire général, doit reposer sur un certain nombre de critères avant d’aboutir à une intervention armée.  Parmi ces critères, figure notamment la notion de « la cause juste », à savoir le rassemblement de preuves avant d’intervenir car il ne peut y avoir d’intervention militaire que si le seul objectif est de sauver des vies humaines. 


M. Sahnoun et M. Axworthy ont toutefois précisé que la responsabilité de protéger ne pouvait devenir un outil efficace que s’il était relayé par la volonté d’agir de la communauté internationale, et en particulier du Conseil de sécurité.  C’est pourquoi, ils ont tout deux insisté sur l’importance d’un examen approfondi de cette notion par l’Assemblée générale des Nations Unies de manière à trouver un équilibre entre la souveraineté et l’intervention humanitaire. 


Enfin, au rang des solutions proposées pour prévenir de futurs génocides, a également été évoqué le rôle de forces d’intervention rapides.  Mme Samantha Power, Maître de conférence de l’Université de Harvard a exhorté tous les Etats en mesure de la faire à se doter d’une telle force.  Elle a également souhaité que soient mis en place des mécanismes permettant de faire comprendre aux gouvernements qu’ils devront payer un pris politique pour leur inaction face à un génocide.


TABLE RONDE COMMÉMORANT LE DIXIÈME ANNIVERSAIRE DU GÉNOCIDE RWANDAIS


Ouvrant la table ronde, la Vice-Secrétaire générale des Nations Unies, Mme LOUISE FRECHETTE, a rappelé qu’en ce jour solennel où nous commémorons dans le monde entier le dixième anniversaire du génocide du Rwanda, nos pensées doivent être tournées vers les victimes et que nous devons nous rappeler que nous avons échoué collectivement à protéger quelque huit cents milliers de personnes, hommes, femmes et enfants sans défense.  Elle a souligné la nécessité de tirer les leçons de cet échec.  Partout nous devons surveiller les signes avant-coureurs d’un génocide.  C’est pourquoi le Secrétaire général a annoncé un plan d’action de prévention du génocide.  La souveraineté n’est pas la seule barrière à la protection des peuples, il y a aussi l’indifférence et le manque de volonté politique.  Les présentateurs ici présents, a-t-elle souligné, bien que venant d’horizons différents, ont un point en commun, ils travaillent tous pour que le monde prenne la question du génocide plus au sérieux. 


Le Général de division HENRY KWAMI ANYIDOHO, ancien Commandant adjoint de la Force de la MINUAR, a déclaré que les atrocités d’avril 1994 au Rwanda ont fait l’effet d’un coup de massue.  Beaucoup de livres ont été écrits, des stations de radio dans le monde entier ont organisé des émissions à ce sujet, les Nations Unies et l’Organisation de l’Union africaine (OUA) ont mis en place leurs propres commissions d’enquête et un grand nombre d’universités ont poursuivi des recherches.  Cependant, a fait remarquer le Général, nous continuons à essayer de comprendre ce qui n’a pas marché.  Dix après le génocide, le monde a compris qu’il y avait eu une paralysie complète de la communauté internationale.  Que pouvons-nous faire pour que tels événements ne se répètent pas? 


Il y a une explication à l’échec de la communauté internationale qui revient dans toutes les études, a indiqué M. Anyidoho: le manque de volonté politique.  Car nous savons tous que les Nations Unies ne sont que la volonté de leurs Etats Membres.  Ce sont ces derniers qui disposent de pouvoir.  Aujourd’hui, il faut reconnaître nos responsabilités et faire preuve de bonne volonté pour amener les changements nécessaires.  Il y a un grand nombre de facteurs qui ont contribué au déclenchement des massacres au premier rang desquels figurent l’absence d’étude approfondie sur la situation au Rwanda qui aurait pu permettre de prévenir les événements, ainsi que l’absence de soutien logistique et de volonté politique. 


En tant que Commandant adjoint de la Force, M. Anyidoho est revenu sur le début des massacres au Rwanda et a posé la question de savoir pourquoi la France, l’Italie et la Belgique se sont contentées d’évacuer leurs ressortissants sans porter assistance aux Rwandais.  Pourquoi la Force de l’ONU n’a-t-elle pas été renforcée pour évacuer les personnes en danger?  La communauté internationale a en outre malheureusement cédé à la pression du Gouvernement belge en faveur du retrait des troupes.  Seul le bataillon ghanéen est resté sur le terrain.  Le navire en détresse a été abandonné au milieu de l’océan.


Le Général Anyidoho a ensuite rappelé que l’OUA avait lancé une mission d’observation au Rwanda et avait demandé un renforcement des troupes mais la réponse a été trop lente à venir.  Le génocide avait déjà commencé.  Il faut aussi rappeler aux Africains ce qui s’est passé, a-t-il estimé, en préconisant de prendre des mesures concrètes et de ne pas simplement attendre que l’assistance vienne de l’extérieur.  L’intervenant a estimé que si le Rwanda n’avait pas été en faillite à l’époque, il n’en serait pas arrivé au génocide.  C’est pourquoi, a-t-il estimé, il faut lutter contre les facteurs qui sont des signes avant-coureurs des catastrophes.  Il faut absolument qu’il existe des Etats chefs de file et que soient mis en place des mécanismes de prévention des conflits.  Il est aussi nécessaire que les Nations Unies prennent des mesures réelles et pénalisent les Etats qui fournissent des armes pour alimenter les conflits.  Les membres des Nations Unies ont été témoins du fait que rien n’a été fait pour empêcher le génocide.  C’est pourquoi il faut maintenant se rapprocher de solutions concrètes et respecter nos promesses.


M. LLOYD AXWORTHY, ancien Ministre des affaires étrangères du Canada, a rappelé qu’il était membre du cabinet du Ministre des affaires étrangères canadien au moment du génocide.  Il s’est juré de ne jamais oublier que son pays, tout en essayant d’être efficace, avait néanmoins laissé faire cette horreur sans intervenir réellement.  Il a présenté la Convention d’Ottawa et la Cour pénale internationale comme de nouveaux outils créés depuis le génocide rwandais et qui viennent s’ajouter à nos possibilités de protéger les vies humaines.  Il a rappelé l’exemple du recours à la force pour mettre un terme au nettoyage ethnique qui a été perpétré au Kosovo.  Même si la décision de lancer une guerre n’est pas facile, a–t-il souligné, nous devons nous interroger sur la manière dont nous devons honorer notre responsabilité en matière de protection des populations et sur les moyens dont nous disposons à cet effet.


C’est dans ce contexte qu’a été créée la Commission sur la souveraineté et la protection au sein du Gouvernement canadien pour se pencher sur les limites de la souveraineté lorsque des populations sont en danger.  L’ancien Ministre a précisé que l’intervention au titre de la protection des personnes dépendait de règles internationales qui restaient encore à définir.  Les travaux de la Commission ont abouti à reconnaître la souveraineté non plus comme accompagnée de la prérogative d’utiliser la force, mais comme obligée de répondre à la nécessité première de protéger les populations.  Il est important que le principe de la responsabilité de protéger soit examiné par l’Assemblée générale de manière de trouver un équilibre entre la notion de souveraineté et l’intervention humanitaire.  Il a déclaré qu’il comprenait les inquiétudes de certains pays du Sud qui craignent, au vu de l’expérience iraqienne, que cette responsabilité de protéger se traduise par la justification d’une nouvelle forme d’interventionnisme. 


Il a souligné la nécessité d’un mécanisme d’urgence des Nations Unies en matière militaire et policière.  Il s’est félicité de la portée de la Cour pénale internationale qui peut punir individuellement les responsables de crimes sans tenir pour responsable l’ensemble du pays de ces criminels.  Il faut réfléchir à cette responsabilité de protéger en l’appliquant à l’autre grande menace que constituent les armes de destruction massive.  Face à de nouveaux risques, il nous faut de nouvelles méthodes avec de nouvelles normes.  La porte est ouverte et la communauté internationale doit saisir cette occasion de protéger les victimes et les personnes vulnérables. 


M. MOHAMMED SAHNOUN, Conseiller spécial du Secrétaire général, a posé la question de savoir pourquoi la communauté internationale n’avait pas réagi avec plus de détermination pour mettre un terme au génocide.  Comment avons-nous permis qu’un génocide se perpétue?  La préoccupation à l’époque pour certains pays était de sauver leurs ressortissants.  Comment pouvons-nous surmonter ce manque de volonté politique?  Il faut aujourd’hui réfléchir aux raisons de cet échec.  M. Sahnoun a aussi demandé comment il était possible de conférer la légitimité à une intervention de la communauté internationale pour qu’elle puisse mieux protéger les personnes en cas de menace de génocide lorsque les Etats ne sont plus en mesure de le faire.  Dans ce type de circonstances, a–t-il estimé, la communauté internationale a un devoir moral d’agir. 


Dans ce contexte, la Commission internationale sur l’intervention et la souveraineté des Etats initiée par le Gouvernement du Canada a développé le nouveau principe de « la responsabilité de protéger ».  Cette responsabilité est d’autant plus justifiée lorsqu’elle se fonde sur un processus crédible de prévention.  Nous avons pour responsabilité de renforcer les capacités des institutions locales et de la société civile et de mettre en place des mécanismes d’alerte rapide qui peuvent reconnaître et analyser les signes avant-coureurs de conflits. 


Les gouvernements de leur côté doivent s’engager à respecter leurs populations et, si les Etats ne coopèrent pas, il faut alors que la communauté internationale prenne des mesures coercitives.  Il faut aussi appliquer des sanctions ciblées vers le leadership.  La responsabilité de protéger peut en outre signifier la nécessité d’une intervention militaire.  Cette dernière doit être fondée sur des critères tels que celui de « la cause juste » qui signifie que l’on a besoin de preuves avant d’intervenir car il ne peut y avoir d’intervention militaire que si le seul objectif est de sauver des vies humaines.  Il faut ensuite se baser sur le critère des moyens proportionnels afin de comprendre et de définir l’échelle, la durée, l’intensité de l’intervention avant sa mise en œuvre.  A la question de savoir qui a le droit de déterminer si une intervention militaire doit être lancée, M. Sahnoun a répondu que tout le monde est d’accord pour dire que ce droit revient aux Nations Unies et au Conseil de sécurité.  Le rôle de ce dernier est fondamental car la Charte lui permet d’intervenir militairement pour sauver la paix.  Il faut aussi mettre en place un code de conduite du recours au droit de veto de façon à ce qu’il ne soit pas utilisé pour interdire une intervention qui, sans ce droit, serait acceptée à l’unanimité par les membres du Conseil.  De leur côté, les organisations régionales ont un rôle accru à jouer car elles peuvent appuyer une intervention lancée dans le cadre des Nations Unies.  Il faut aussi que l’Assemblée générale émette une déclaration qui entérinerait le concept de la responsabilité de protéger.


Mme SAMANTHA POWER, Maître de conférence de l’Université de Harvard, auteure récipiendaire du prix Pulitzer pour son livre intitulé « A problem from Hell: America and the Age of Genocide », a essayé de comprendre pourquoi et comment des personnes des Nations Unies, des Américains en particulier, ont pu demander le retrait de soldats de maintien de la paix du Rwanda, alors que l’on savait des vies en danger.  Elle s’est demandée comment des soldats de la paix affectés à la protection de civils ont pu quitter une caserne par une porte alors qu’en même temps des miliciens entraient par une autre pour procéder au massacre.  Citant l’exemple du Soudan, elle a déclaré que lorsque l’on constate des viols, des déportations et des assassinats de populations, on est déjà dans le rouge.  Au Rwanda, on disposait d’outils pour intervenir.  Même si la coutume en vigueur aux Nations Unies est de ne pas interrompre un Ambassadeur, même lorsque l’on sait qu’il a les mains sales, a poursuivi l’intervenante.  Les Etats-Unis auraient par exemple pu stopper la radio des Mille collines qui appelait à l’extermination des Tutsis d’émettre.  Comme exemple de l’échec de la communauté internationale, elle a cité le fait que le Président Clinton n’avait pas jugé nécessaire de réunir ses ministres une seule fois pendant que 800 000 Rwandais étaient exterminés, pour se pencher sur la question.  Elle a regretté la condescendance du monde occidental en regrettant que le plus souvent il soit mis fin aux opérations trop tôt, lorsque les choses commencent à peine à aller mieux alors qu’il faudrait une action humanitaire en profondeur.  Par exemple, il ne s’agit pas seulement de renverser les Taliban, mais d’assurer une réelle reconstruction économique et sociale de l’Afghanistan.  


S’agissant de l’expérience de l’Iraq, elle a indiqué que si les arguments sur les armes de destruction massive (ADM) n’ont pas permis de convaincre la communauté internationale sur la légitimité d’une intervention américaine en Iraq, il semble que c’est plutôt la politique internationale des Etats-Unis dans son ensemble, avec l’opposition à la création Cour pénale internationale (CPI), qui ait été la cause de ce manque d’adhésion à l’approche américaine.


En outre, l’intervenante a souligné la nécessité pour les démocraties qui ne sont pas de grandes puissances de jouer un rôle diplomatique dynamique.  Elle s’est interrogée sur les moyens d’encourager la prise de risque et l’esprit d’entreprise au sein de la bureaucratie onusienne en rappelant l’exemple d’un sergent sénégalais qui de ses mains a sauvé des centaines de personnes avant de trouver la mort lui-même au Rwanda.  Elle a suggéré qu’un prix annuel soit décerné aux personnels de l’ONU pour ce type de conduite exemplaire.  Enfin, elle a rappelé le rôle clef joué par les ONG sur le terrain. 


En conclusion, elle a déclaré qu’il fallait montrer et faire comprendre aux gouvernements qu’ils devront payer un prix politique pour leur inaction ou leurs responsabilités face à un génocide.  Elle a souhaité que l’on cesse d’utiliser les termes flous de communauté internationale et de volonté politique, en insistant sur la nécessité de répondre à des questions comme « Qui ne voulait pas quoi faire? A quel moment? Pourquoi? ». 


Au cours du débat qui s’est tenu par la suite, l’Ambassadeur du Rwandaa constaté que la communauté internationale commence à se rendre compte de ce qui s’est passé au Rwanda, mais a souligné qu’il est aujourd’hui très important d’aller au-delà des regrets.  Il faut réfléchir à ce qui doit être fait et veiller à ce que les plans d’action soient suivis d’effets.  L’Ambassadeur de la Suède a pour sa part demandé comment le système des Nations Unies et les Etats Membres peuvent agir ensemble pour mettre fin au conflit au Darfour? 


Reprenant la parole, M. AXWORTHY a estimé que toutes les solutions à la prévention du génocide existaient et qu’il revenait maintenant aux Etats d’agir concrètement.  Par exemple, Mme POWER a demandé à l’Ambassadeur de la Suède, pour répondre à sa question, si son pays était en mesure de mettre en place immédiatement une force d’intervention rapide: les Etats doivent prendre des initiatives concrètes et cesser de parler des grands principes, a-t-elle déclaré.


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