SG/SM/8923

EN MARGE DE LA COMMEMORATION DE LA PUBLICATION DE L’ENCYCLIQUE «PACEM IN TERRIS», KOFI ANNAN INSISTE SUR LE ROLE DE L’ONU DANS LE RESPECT DES DROITS DE L’HOMME

28/10/2003
Communiqué de presse
SG/SM/8923


KOFI ANNAN REAFFIRME SON ATTACHEMENT AU RESPECT DES DROITS DE L’HOMME A L’OCCASION DU 40e ANNIVERSAIRE DE L’ENCYCLIQUE PAPALE “PACEM IN TERRIS” DE JEAN XXIII


Déclaration liminaire du Secrétaire général, Kofi Annan, au séminaire commémorant le 40e anniversaire de l’encyclique papale «Pacem in Terris», le 7 octobre 2003:


Merci beaucoup. Madame la Présidente, Monsieur le Président de l’Assemblée générale, Monsieur le Cardinal, Excellences, Mesdames et Messieurs, et, bien entendu, tous les autres membres de la table ronde.


Je souhaite tout d’abord remercier Monseigneur Migliore et sa Mission d’avoir organisé le présent séminaire.  Je remercie tout particulièrement un éminent visiteur venu de Rome, mon ami l’archevêque, qui vient d’être nommé cardinal, Martino. Renato, merci d’avoir pris la peine de vous joindre à nous en cette occasion.


Je le prie de bien vouloir transmettre au Très Saint-Père, Jean-Paul II, ce grand messager de la paix et généreux défenseur de l’Organisation des Nations Unies, les prières et les bons voeux de tous, à un moment où nous suivons tous avec inquiétude les nouvelles de sa santé.


Il est approprié de commémorer aujourd’hui une encyclique publiée en 1963 par un autre pape important, Jean XXIII, qui vivait alors les derniers mois de sa vie, et il est approprié de le faire à l’ONU, car, dans l’un des passages les plus frappants de ce document, le pape Jean dit qu’il désire vivement que l’Organisation des Nations Unies puisse de plus en plus adapter ses structures et ses moyens d’action à l’étendue et à la haute valeur de sa mission.


Si ce désir était justifié en 1963, il l’est sans doute encore plus aujourd’hui.  En fait, j’ai exprimé le même voeu dans mon rapport sur la mise en oeuvre de la Déclaration du Millénaire et dans le discours que j’ai prononcé à l’Assemblée générale il y a tout juste deux semaines.


Comme vous le savez, je suis préoccupé par l’apparente rupture du consensus international au sujet de certains des principes fondamentaux régissant les relations internationales. J’ai vivement encouragé les Etats Membres à réfléchir sérieusement aux menaces et aux défis du XXIe siècle et à se demander s’il n’y a pas lieu de modifier nos règles et nos institutions. Nous devrons y songer sérieusement si nous voulons, collectivement, relever ces défis. Je m’apprête d’ailleurs à nommer un comité des sages composé d’hommes et de femmes auquel je demanderai de formuler des recommandations concrètes sur cette question.


Mais je ne donnerais pas la pleine mesure de cet anniversaire si je ne rappelais en outre les termes précis utilisés par Jean XIII.  «Puisse-t-il arriver bientôt,» écrit-il, «le moment où cette Organisation garantira efficacement les droits qui dérivent directement de notre dignité naturelle, et qui, pour cette raison, sont universels, inviolables et inaliénables.»


Ces mots nous interpellent, aujourd’hui comme il y a 40 ans.  Ce grand pape réformateur, dont le pur amour et la compassion avaient touché le coeur de toute l’humanité, avait saisi un aspect fondamental de la nature et de la vocation de notre Organisation.


Il avait compris que, bien que nous soyons une organisation d’Etats souverains, nos fondateurs avaient agi au nom des peuples des Nations Unies et que leur détermination de préserver les générations futures du fléau de la guerre était fondamentalement liée à la «foi dans les droits fondamentaux de l’homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l’égalité de droits des hommes et des femmes, ainsi que des nations, grandes et petites» proclamée dès l’alinéa suivant du Préambule de la Charte.


Ce lien a été démontré à plusieurs reprises lorsque les atteintes aux droits de l’homme ont mené à des conflits de grande envergure dans un pays après l’autre. Chaque fois, l’ONU a dû faire face aux conséquences de ces conflits.  Il est clair qu’elle devrait s’attaquer aux causes et à prévenir ces tragédies avant même qu’elles n’éclatent.


Jean XXIII avait également vu très clairement que la réalité était bien loin de cet idéal.  Il savait que, dans la pratique, de nombreuses personnes n’avaient pas trouvé dans notre Organisation une protection efficace de leurs droits.


Bien sûr, le problème est que si tant de personnes se tournent vers une organisation internationale pour défendre leurs droits, c’était parce qu’elles ne sont pas protégées par leur propre Etat.  Et pourtant, dans les organes directeurs de l’ONU, ces personnes se voient représentées par l’Etat même dont elles contestent les décisions.  Il est alors probable que cet État fera valoir que l’affaire relève «essentiellement de sa compétence nationale», auquel cas les dispositions du deuxième alinéa de l’article 7 de la Charte interdisait expressément à l’Organisation d’intervenir, généralement avec l’approbation des autres États Membres qui craignent qu’en encourageant une intervention ils n’établissent un précédent qui pourrait ensuite se retourner contre eux.


Pendant les 40 années qui ont suivi l’encyclique, ce problème a été de plus en plus largement reconnu.  Au milieu des années 90, en particulier, nous avons tous eu honte de notre incapacité à empêcher le génocide au Rwanda, puis dans l’ex-Yougoslavie, ce qui a conduit à un débat animé sur le devoir de protection.

Je crois que ce débat est sain et nécessaire, et je veux croire qu’à l’avenir l’ONU agira avec plus de rapidité et de détermination pour empêcher de telles atrocités, mais je suis bien obligé de dire que nos hésitations et nos atermoiements face aux événements survenus, cette année, en République démocratique du Congo et au Libéria, ne sont guère très encourageants.


En même temps, je regrette que le débat se soit autant concentré sur la question de l’intervention militaire.  Il s’agit, à l’évidence, d’une solution extrême, qui s’accompagne toujours de morts et de souffrances, souvent en grand nombre.  L’intervention militaire ne se justifie que dans des cas extrêmes, lorsque les morts et les souffrances ont déjà atteint une très grande ampleur ou lorsqu’il existe une menace imminente.


Nous devons tous espérer qu’on n’en arrive jamais là, dans aucun pays.  Et nous devons faire notre possible pour éviter de telles situations, en nous efforçant de protéger d’emblée les droits de l’homme par des moyens autres que l’intervention militaire.


L’ONU s’emploie de diverses manières à améliorer le respect des droits de l’homme dans le monde entier, et elle dispose de mécanismes de recours à qui les groupes et les individus peuvent demander de protéger leurs droits.  Il y a la Commission des droits de l’homme et le Comité des droits de l’homme, il y a les rapporteurs spéciaux sur certains thèmes et sur certains pays, et plusieurs sous-comités et groupes de travail spécialisés.


L’ONU a également un Haut Commissaire aux droits de l’homme, et ses collaborateurs travaillent inlassablement dans certains pays à veiller au respect des droits de l’homme et, dans de nombreux pays, à aider les autorités à améliorer les mécanismes nationaux de défense des droits de l’homme.


Au niveau des experts, tous ces organes fonctionnent généralement bien.  Mais plus on approche de la sphère politique, plus il devient nécessaire pour les États Membres de prendre des positions claires et de dire des choses pouvant gêner le gouvernement d’un autre Etat Membre, et plus ils deviennent hésitants et prudents.


A la Commission des droits de l’homme, en particulier, nous constatons de plus en plus souvent que les États sont davantage motivés par la solidarité politique avec d’autres États que par la volonté impartiale de défendre les droits de l’homme dans le monde entier.


C’est pourquoi je pense que l’encyclique «Pacem in Terris» continue de nous interpeller autant qu’en 1963.  Pour cette raison aussi, il est nécessaire – et j’ai l’espoir que cela sera possible –, d’adapter les structures et les moyens d’action de l’ONU à l’étendue et à la haute valeur de sa mission, afin que tous les peuples puissent effectivement se tourner vers notre Organisation pour faire valoir leurs droits.


Nous ne devons pas oublier que les États existent pour servir et protéger les peuples, et non l’inverse.  Et nous pouvons être reconnaissants aux grands dirigeants spirituels, comme Jean XXIII, qui nous rappellent cette vérité essentielle.


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