LE SECRETAIRE GENERAL PRIE LES PALESTINIENS ET LES ISRAELIENS DE FAIRE PREUVE DU COURAGE DU PRESIDENT SADATE AVANT QU’IL NE SOIT TROP TARD
Communiqué de presse SG/SM/8491 |
LE SECRETAIRE GENERAL PRIE LES PALESTINIENS ET LES ISRAELIENS DE FAIRE PREUVE DU COURAGE DU PRESIDENT SADATE AVANT QU’IL NE SOIT TROP TARD
On trouvera ci-après l'allocution du Secrétaire général de l'ONU, M. Kofi Annan, à la Conférence commémorative Anouar Sadate qui a eu lieu aujourd'hui à l'Université du Maryland:
C’est un immense honneur pour moi, Madame, de donner ici en votre présence cette conférence dédiée à la mémoire de feu votre époux, une des plus grandes figures politiques de l’histoire récente.
C’est aussi un très grand honneur pour moi, Mesdames et Messieurs, de recevoir, en présence du Gouverneur Glendening, ainsi que du Président et du doyen de l’Université, MM. Mote et Goldstein, un doctorat décerné par cette éminente université, dont l’État du Maryland a toutes les raisons de s’enorgueillir.
L’Université du Maryland contribue de manière insigne à la compréhension des affaires internationales – et l’admirable travail que réalise le professeur Shibley Telhami, titulaire de la chaire Anouar Sadate pour la paix et le développement, en apporte une preuve éclatante.
Je tiens à vous féliciter en particulier de ces heureuses initiatives que sont le concours de dissertation sur la paix et le concours de composition artistique pour la paix, organisés, le premier, à l’intention des élèves des écoles secondaires et, le deuxième, à l’intention des étudiants de la faculté des arts. Il y a peu de choses plus importantes en matière d’éducation que d’encourager les jeunes à mettre leur imagination au service de la recherche de la paix.
Je voudrais, à ce propos, dire ma reconnaissance pour le travail effectué par le Programme de l’Université sur la sécurité mondiale et le désarmement, qui depuis deux ans collabore avec le Groupe d’experts de l’Organisation des Nations Unies sur l’éducation en matière de désarmement et de non-prolifération. L’éducation dans ces domaines est plus indispensable que jamais, tant aujourd’hui nous sommes hantés tous par les dangers que représentent les armes de destruction massive.
Dans une semaine exactement ce sera le vingt-cinquième anniversaire de la visite d’Anouar Sadate à Jérusalem, en 1977.
Rarement geste politique n’a autant mérité d’être qualifié d’« historique ».
L’événement a captivé les esprits. Il a transformé le paysage politique du Moyen-Orient et fait d’Anouar Sadate un personnage historique.
Le Président Sadate a montré du courage, un esprit de décision et une remarquable intuition politique lorsqu’il a fait ce qui jusque-là eut été impensable pour n’importe quel dirigeant arabe : il est allé à Jérusalem et, s’adressant directement au Parlement et au peuple israéliens, il leur a dit «nous vous accueillons parmi nous dans des conditions de sécurité et de sûreté absolues».
Cette visite était un extraordinaire acte de foi et d’imagination. Anouar Sadate avait compris que les Arabes ne récupéreraient pas la terre qu’Israël avait occupée à moins de lui offrir en échange une paix authentique et totale.
Et il a eu suffisamment d’intelligence et d’imagination pour faire le geste qui a touché au cœur le peuple israélien.
À partir de là, il a réussi à convaincre les Israéliens qu’ils pouvaient véritablement connaître la paix avec l’Égypte si – mais seulement si – ils renonçaient à l’occupation du territoire égyptien, en disant que jamais la paix ne peut s’instaurer sur l’occupation du territoire d’autrui.
Et ce geste a enclenché un processus qui a débouché sur un traité de paix entre les deux pays, fondé sur la normalisation des relations et le retrait complet d’Israël du territoire égyptien. Autrement dit, « terre contre paix ».
Le malheur a voulu que cette voie sur laquelle Sadate s’était engagé le conduise aussi à sa disparition prématurée, ou du moins l’en rapproche. Il avait certainement conscience lui-même du risque qu’il prenait, et cette conscience donne la mesure de son courage. Comme Itzhak Rabin 14 ans plus tard, il a payé de sa vie la paix.
Considérant le processus de paix au Moyen-Orient aujourd’hui, je voudrais pouvoir dire que ces deux sacrifices suprêmes ont apporté au Moyen-Orient une paix juste, durable et globale, ou que les dirigeants d’aujourd’hui font preuve des mêmes qualités de courage, d’imagination et de sagesse politique.
Hélas, il n’en est rien. À l’heure où nous parlons, Israéliens et Palestiniens sont toujours enfermés dans un conflit meurtrier.
La paix ne s’est pas faite non plus entre Israël et ses voisins au nord. La trêve réalisée sur ce front demeure fragile et précaire.
Une atmosphère de morosité et de défaitisme s’est abattue sur la région. Il y a toujours entre les deux parties cette défiance totale et ce manque absolu de confiance qu’avait évoqués Sadate devant la Knesset. Comme il avait raison de dire qu’en l’absence d’une solution juste du problème palestinien, jamais il ne sera possible de parvenir à cette paix juste et durable à laquelle est attaché le monde tout entier.
De part et d’autre – chez les Palestiniens et chez les Israéliens – seuls ceux qui pensent que leur ennemi pourra être vaincu par la force et la violence croient avec une cynique certitude au succès ultime de la méthode qu’ils ont choisie.
Pourtant, dans les deux cas, cette certitude est dépourvue de fondement.
Quel que soit le prix qu’ils seront contraints à payer, les Israéliens n’abandonneront jamais l’État qu’ils ont construit.
Et je dois ajouter que, de son côté, l’Organisation des Nations Unies ne permettra jamais qu’un de ses États Membres soit détruit par une force extérieure. C’est précisément pour empêcher de telles choses que l’Organisation a été créée et, il y a 12 ans, dans le cas du Koweït, elle s’est montrée à même de relever le défi.
Cela dit, il devrait être évident aussi que les Palestiniens ne s’accommoderont jamais de l’occupation et de l’expropriation persistantes de leur territoire, pas plus qu’ils ne renonceront à revendiquer la souveraineté et l’indépendance nationale.
Ils sont tout aussi fermement attachés à leur territoire que les Israéliens au leur, et tout aussi ardents dans leurs aspirations nationales. Eux aussi ont droit à leur propre État, et au soutien de l’Organisation des Nations Unies et de l’opinion publique mondiale.
La seule manière de régler le conflit réside dans la solution envisagée par le Conseil de sécurité et par Anouar Sadate lui-même dans ce discours historique qu’il a prononcé devant la Knesset il y a 25 ans : deux États, Israël et la Palestine, vivant côte à côte à l’intérieur de frontières sûres et reconnues.
L’emplacement précis de ces frontières doit certes faire l’objet de négociations entre les parties, mais il ne fait de doute pour personne qu’elles doivent être fondées, comme l’a dit Sadate, sur la cessation de l’occupation des territoires arabes occupés en 1967.
Cette année-là, 1967, peu après qu’Israël eut occupé les parties restantes de la Palestine sous mandat, le long du Sinaï égyptien et du Golan syrien, le Conseil de sécurité a souligné l’inadmissibilité de l’acquisition de territoire par la guerre, affirmé qu’une paix juste et durable au Moyen-Orient devait être fondée sur le retrait d’Israël « des territoires occupés lors du récent conflit », et affirmé également le droit de tous les États de la région « de vivre en paix à l’intérieur de frontières sûres et reconnues à l’abri de menaces ou d’actes de force ».
Tel est le principe « terre contre paix » – et la résolution 242 est depuis longtemps acceptée par toutes les parties comme base d’un règlement pacifique.
C’est un règlement de cette nature qui est envisagé dans l’initiative de paix saoudienne adoptée par les Etats arabes lors de leur sommet en mars dernier, et c’est à un règlement de cette nature qu’Israéliens et Palestiniens donnent la préférence.
Sur ce point, tous les sondages d’opinion sont d’accord.
La majorité des Palestiniens acceptent qu’Israël continue d’exister et sont prêts à vivre à ses côtés dans leur propre État.
Par ailleurs, la majorité des Israéliens admettent que la paix requiert l’établissement d’un État palestinien couvrant presque entièrement le territoire occupé en 1967.
Ce qui fait défaut de part et d’autre, c’est la confiance mutuelle et, sans cette confiance, il devient difficile de conserver l’espoir de parvenir à la paix.
Les Israéliens, sous le coup d’attaques terroristes à répétition qui font un nombre effroyable de victimes parmi la population civile, ont cessé de croire au désir de paix des Palestiniens.
Ils se demandent si le partenaire qu’ils pensaient avoir trouvé lors des accords d’Oslo existe réellement. Ils se demandent si, tout compte fait, les Palestiniens n’ont pas réellement l’intention de les jeter à la mer. Les paroles, autant que les actes, des extrémistes palestiniens et les manifestations de joie qui se produisent parfois dans les rues palestiniennes après un attentat terroriste particulièrement sanglant ne font que confirmer leurs doutes.
Pour cette raison, le public est de plus en plus favorable aux mesures de sécurité draconiennes par suite desquelles plus d’un million de Palestiniens se sont retrouvés en dessous du seuil de pauvreté et la majorité des Israéliens qui souscrivent à l’échange de terres contre la paix hésitent, en l’absence de toute perspective de paix, à confronter la puissante minorité qui souhaite conserver les terres occupées pour toujours.
Il est toutefois tragique de constater que ces mêmes mesures draconiennes, associées à la poursuite et à l’intensification de la politique israélienne d’établissement de colonies dans le territoire occupé, ont pour effet de repousser à un horizon toujours plus lointain les perspectives de paix et d’une sécurité durable.
Les Palestiniens, pour leur part, ont cessé de croire à la volonté de paix israélienne. Ils évoquent à cet égard la politique inacceptable des assassinats de militants, dont certains, dans des zones fortement peuplées, font de nombreuses victimes civiles. Ils font observer qu’Israël ne cesse d’imposer de nouvelles conditions à remplir avant tout retour à la table des négociations et détruit les institutions dirigeantes de l’Autorité palestinienne, tout en réclamant leur réforme.
Confinés dans leurs villes et villages en raison des barrages routiers et, la plus grande partie du temps, obligés de rester chez eux à cause du couvre-feu, les Palestiniens constatent qu’une colline après l’autre se couvre de nouvelles constructions israéliennes et qu’une vallée après l’autre est sillonnée de routes réservées aux colons israéliens.
En certains endroits, des agriculteurs palestiniens ont été tués par des colons extrémistes qui cherchaient à leur voler leur récolte d’olives. Comme l’a dit un journaliste israélien, le message est clair : « ce n’est pas une guerre contre la terreur dans les territoires, mais une campagne visant à accroître la pauvreté et la faim parmi la population palestinienne » et à forcer ainsi les Palestiniens à abandonner leurs terres.
Il existe certes des Palestiniens qui se sont courageusement élevés contre les tactiques iniques et contre-productives de la terreur et des attentats-suicide à la bombe. Toutefois, dans l’environnement actuel, ils ont du mal à se faire entendre.
Étant donné les événements des deux années écoulées, il était peut-être inévitable que les deux peuples en viennent à douter fondamentalement de la réalité de leur engagement mutuel en faveur de la paix. Chaque jour, ces doutes s’ancrent plus profondément et la reprise des négociations politiques devient encore plus difficile.
D’une manière ou d’une autre, nous devons rendre l’espoiraux deux peuples, en renforçant patiemment leur confiance mutuelle. C’est précisément ce que cherche à faire le Quatuor de parties externes intéressées – l’Organisation des Nations Unies, les États-Unis, l’Union européenne et la Fédération de Russie – en établissant un plan de campagne crédible comprenant des mesures synchronisées susceptibles, dans un délai de trois ans, de nous faire passer de la situation sombre dans laquelle nous nous trouvons actuellement à la solution pacifique fondée sur l’existence de deux États, à laquelle aspire la majorité de part et d’autre.
Ce plan de campagne est dressé avec le plus grand soin et est actuellement presque au point.
Les membres du Quatuor ont parfaitement conscience que la crédibilité de ce plan de campagne dépendra des résultats obtenus. Cependant, les résultats eux-mêmes ne sont possibles que si l’espoir existe. En l’absence d’une promesse claire et nette quant au résultat final et de progrès politiques visibles sur cette voie, aucune des deux parties n’aura sans doute le courage de prendre les risques que chacune d’elles doit prendre, dès le départ, pour améliorer la sécurité et les conditions de vie de l’autre partie. C’est pourquoi nous disons que ce processus a pour moteur l’espoir, tout autant que l’obtention de résultats.
Et c’est là certainement que toutes les parties peuvent s’inspirer de l’exemple d’Anouar Sadate.
La sagesse et la prudence ne lui auraient certes pas dicté de faire ce qu’il a fait. Aller à Jérusalem sans aucune assurance préalable quant aux concessions que pourrait éventuellement faire l’autre partie semblait à l’époque, pour presque tous les Arabes, un acte de folie, pour ne pas dire de trahison pur et simple.
Et pourtant, le Président Sadate comprenait l’importance cruciale de la psychologie en temps de guerre et de paix.
Il comprenait que le comportement politique est profondément influencé par l’image mentale que chaque partie se fait de l’autre – et que parfois cette image ne peut être modifiée que par un acte d’une audace extraordinaire.
Avec une grande imagination, Sadate a compris que si les Arabes se sentaient opprimés par la force apparemment toute puissante d’Israël, Israël pour sa part se sentait menacé par l’hostilité générale du monde arabe qui l’entoure.
Plus que tout, le peuple israélien avait besoin – et a toujours besoin – de se sentir accepté par ses voisins, pour trouver le courage de reprendre les négociations de bonne foi malgré les événements traumatisants des deux dernières années et de faire les concessions nécessaires.
Au stade actuel du conflit, je suis convaincu que l’une et l’autre parties aspirent profondément à ressentir ce sentiment d’acceptation.
De nombreux Palestiniens, voyant les ravages qu’Israël est capable d’infliger à leur société, ont de la difficulté à imaginer que les Israéliens, eux aussi, vivent dans la peur et que ce n’est qu’en éliminant cette peur qu’ils peuvent espérer parvenir à une relation nouvelle et plus équilibrée. Et pourtant, il en est ainsi.
De nombreux Israéliens, pour leur part, considèrent qu’ils ont déjà assez fait pour prouver qu’ils sont prêts à accepter les Palestiniens comme voisins et à leur laisser la place nécessaire pour vivre en tant que nation.
Malheureusement, l’expérience concrète de nombreux Palestiniens a été très différente et Israël doit faire beaucoup plus pour gagner leur confiance. Tant que l’établissement de colonies et la confiscation de terrains se poursuivent, tant qu’il n’existe pas d’horizon politique et tant qu’il n’y a pas d’engagement réel pour la négociation des dernières questions de statut restant à régler, les Palestiniens ne seront jamais persuadés qu’Israël désire la paix.
Les Israéliens auront peut-être du mal à le croire. Et pourtant, il en est ainsi.
La communauté internationale est prête à apporter son aide. En fait, nous nous devons d’aider les Israéliens et les Palestiniens à faire tomber la barrière dont parlait Sadate : « une barrière faite de méfiance, de rejet et de peur, de mauvaise foi et d’illusion d’interprétations tendancieuses de chaque événement et de chaque déclaration ».
Mais nous ne pouvons aider que ceux qui veulent bien qu’on les aide.
Ce dont ont besoin les deux parties, c’est de se doter de dirigeants aussi éclairés que le fut Anouar Sadate en son temps.
Formons des voeux pour qu’elles y parviennent avant qu’il ne soit trop tard.
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