“AFGHANISTAN, UN AN APRES”: SECURITE ET RELEVEMENT ECONOMIQUE RESTENT ETROITEMENT LIES CONSTATENT LES PARTICIPANTS A LA REUNION-DEBAT
Communiqué de presse AG/1361 |
Assemblée générale
Réunion débat à participation non limitée de
l’Assemblée générale sur le thème
«Afghanistan: un an plus tard»
“AFGHANISTAN, UN AN APRES”: SECURITE ET RELEVEMENT ECONOMIQUE RESTENT
ETROITEMENT LIES CONSTATENT LES PARTICIPANTS A LA REUNION-DEBAT
Un an près la chute de Kaboul, le risque est grand de voir le processus politique et constitutionnel de Bonn et les efforts de reconstruction du Gouvernement de transition afghan délégitimés si la sécurité n’est pas rétablie au cours des prochains mois, a mis en garde ce matin le Représentant spécial adjoint du Secrétaire général des Nations Unies pour l’Afghanistan. M. Jean Arnaud, qui intervenait lors du débat consacré par l’Assemblée générale à « l’Afghanistan : un an après », a indiqué que le processus de Bonn et les efforts de reconstruction de l’Afghanistan requièrent avant tout l’adhésion de la population qui est elle-même sujette au rétablissement de la sécurité. L’insécurité est en passe de saper tous les progrès réalisés en une année et résulte en grande partie de la fragmentation de la société et de la multiplicité des groupes armés qui ont émergé après la chute des Taliban, a indiqué M. Arnaud.
Prenant l’exemple des attaques récentes perpétrées par des groupes armés contre des écoles de jeunes filles qui ont été incendiées dans le centre et le nord de l’Afghanistan, le Ministre afghan de la reconstruction, M. Amin Farhang, s’est à son tour inquiété du fait que certaines forces d’Al Qaeda soient encore actives dans le pays et visent, à terme, à constituer un contre pouvoir. Afin de ne pas laisser les seigneurs de la guerre provoquer un affrontement entre le processus de Bonn et les traditions afghanes, l’élargissement de l’influence bénéfique de la force multinationale au-delà de Kaboul a été identifié comme l’une des mesures que pourrait prendre la communauté internationale pour renforcer la sécurité et consolider l’autorité du Gouvernement de transition, et ce au-delà des efforts déjà déployés en matière de formation et d’équipement de l’armée et de la police afghanes. Interrogé par le délégué du Royaume-Uni sur les mesures concrètes à mettre en œuvre pour consolider la sécurité, M. Arnaud a estimé que le déploiement dans les principales villes et provinces afghanes des forces afghanes récemment formées pourrait être encadré par les forces étrangères qui ont contribué à leur formation.
Principale cause d’insécurité dans certaines régions comme le Badakhstan, la culture du pavot et la production d’opium ont acquis une véritable légitimité pendant les 23 années de guerre et durant le régime des Taliban, a déploré le Représentant de l’Office contre la drogue et le crime, M. Bernard Frahi. En 2002, entre 69 000 et 79 000 hectares de terres utilisés pour la culture du pavot ont été recensés et près de 3 400 tonnes d’opium ont été produites dans cinq provinces identifiées comme des “poches” du trafic des drogues, a précisé M. Frahi. Saluant
les mesures sans précédent prises par le Gouvernement de transition afghan pour encourager l’élimination de la culture du pavot et la production d’opium, certaines délégations ont toutefois souligné, à l’instar du Royaume-Uni, que des cultures de substitution devraient être promues en remplacement du pavot, sa production constituant un symptôme de la pauvreté.
A cet égard, des mesures spécifiques devraient être intégrées dans les programmes d’appui à la reconstruction et au développement économique du pays qui devraient être axés sur le développement des capacités agricoles et rurales, a indiqué le Conseiller économique principal du Président Hamid Karzai, M. Ishaq Naderi. M. Naderi a en outre fait valoir que compte tenu de l’état de délabrement de l’Afghanistan, l’aide internationale n’avait pas été à la hauteur des besoins du pays en matière de stabilisation, de consolidation de l’état de droit et de relèvement économique. Pourtant, l’ancien Conseiller spécial auprès du Représentant spécial du Secrétaire général, M. Mukesh Kapila, a rappelé que jusqu’ici, 1,9 milliard de dollars avait été versé par les donateurs, ce qui dépasse les contributions initiales promises à Tokyo. Pour sa part, le Ministre afghan de la reconstruction, M. Amin Farhang a observé que sur le 1,3 milliard effectivement décaissés, 600 millions de dollars ont été versés aux institutions des Nations Unies, 600 autres millions aux ONG, tandis que le Gouvernement n’a disposé que de 100 millions de dollars.
Animées respectivement par le Secrétaire général adjoint aux affaires politiques, M. Kieran Prendergast, et par M. David Malone, Président de l’Académie mondiale pour la paix, les deux tables rondes sur les questions politiques et économiques ont donné lieu à des échanges de vues avec les représentants des États Membres, des agences et institutions spécialisées des Nations Unies et des organisations non gouvernementales.
PREMIERE SESSION SUR LES QUESTIONS POLITIQUES
M. JAN KAVAN, Président de la cinquante-septième session de l’Assemblée générale, a expliqué que l’idée d’organiser un Groupe de travail sur l’Afghanistan a été motivée par le souci de consulter les États Membres des Nations Unies sur les propositions qu’ils pourraient faire concernant la reconstruction de l’Afghanistan. Il a souhaité que l’Assemblée générale puisse formuler des recommandations pour de futures actions de l’ONU en Afghanistan en tirant des enseignements acquis après une année d’assistance économique et humanitaire en Afghanistan. Il a présenté les quatre intervenants de la première table ronde consacrée aux questions politiques, à savoir M. Amin Farhang, Ministre de la reconstruction du Gouvernement de transition afghan, M. Jean Arnaud, Représentant spécial adjoint du Secrétaire général pour l’Afghanistan, M. Ahmed Rashid, Journaliste et M. Barnett Rubin, Directeur des Etudes au Centre sur la coopération internationale (New York University), table ronde animée par M. Kieran Prendergast, Secrétaire général adjoint aux affaires politiques.
M. KIERAN PRENDERGAST, Secrétaire général adjoint aux affaires politiques, donnant lecture d’un message du Secrétaire général des Nations Unies, M. Kofi Annan, a rappelé que l’Accord de Bonn, en décembre 2001, avait prévu un programme d’activités relativement lourd pour l’année 2002, et il a salué les progrès réalisés dans les domaines politique, économique et humanitaire. La convocation d’urgence de la Loya Jirga, l’élection du Président Karzaï, la création de l’Administration transitoire ont été autant de manifestations des efforts déployés pour la mise en œuvre de l’Accord de Bonn, a indiqué M. Annan dans ce message. Le Secrétaire général souligne en outre que l’aide humanitaire est désormais acheminée, que les salaires des fonctionnaires sont régulièrement versés, que les infrastructures sont en cours de réhabilitation et de construction et que les réfugiés ont commencé à regagner le pays en nombre important. A cet égard, M. Annan souligne la contribution importante des effectifs de la Mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan (MANUA) et de son Représentant spécial, M. Lakdhar Brahimi, mais ajoute que les enjeux demeurent importants, tant dans les domaines de la sécurité ou du développement, que de la stabilisation des institutions politiques et sociales.
M. AMIN FARHANG, Ministre afghan de la reconstruction, a rappelé le déroulement du processus de reconstruction de son pays depuis l’Accord de Bonn jusqu’à la convocation de la Loya Jirga sous l’égide des Nations Unies, en juin dernier. Il a également remarqué que le retour de l’ancien roi d’Afghanistan dans le pays avait été un facteur de stabilité. La deuxième phase a consisté à créer un certain nombre de commissions chargées de l’administration de l’Etat, dont la Commission des droits de l’homme, celle chargée de la société civile, celle sur les financements privés, celle sur la liberté de la presse (qui permet aujourd’hui à 150 journaux de paraître dans Kaboul), et celle chargée de la rédaction de la constitution. En outre, plusieurs commissions travaillent sur la sécurité du pays et ont commencé à réfléchir à la future armée afghane qui sera financée par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, et à la police grâce à l’assistance de l’Allemagne. Mais le Ministre a également fait état des problèmes qui ont affecté le Gouvernement, dont l’assassinat du Vice-Président, celui d’un ministre et une tentative d’attentat contre le Président Karzaï. En outre, il a reconnu que les pouvoirs locaux gardaient le contrôle des sources de revenus locales et déploré le poids des chefs de guerre.
M. R A G FARHADI, représentant de l’Afghanistan auprès des Nations Unies, a lu un message du Président Karzaï assurant que son pays était prêt à prendre toutes les mesures nécessaires pour éviter de retomber dans la guerre. S’agissant de l’administration du pays, il a énuméré les commissions qui avaient été créées, telles la commission judiciaire, de la fonction publique, du droit des femmes, etc,. L’évolution de la situation a montré que le type de réunion comme celle de Tokyo, sur l’aide à la reconstruction, était indispensable, a-t-il poursuivi, indiquant qu’elle avait été suivie le 13 septembre 2002 à New York par la réunion d’un groupe de travail sur la reconstruction de l’Afghanistan: cette réunion a permis de rappeler aux pays donateurs les engagements qu’ils ont pris, a-t-il estimé. Il a remercié la communauté des donateurs, leur rappelant que paix et sécurité, d’une part, reconstruction d’une autre, allaient de pair et qu’on ne pouvait obtenir l’une sans l’autre.
M. Kieran Prendergast, reprenant la parole, a rappelé que le Département des affaires politiques (DPA) a été, depuis 1993, saisi de la question de l’Afghanistan, avant de transmettre ce dossier au Département des opérations de maintien de la paix.
M. JEAN ARNAUD, Représentant spécial adjoint du Secrétaire général pour l’Afghanistan, a souligné les trois composantes du processus de paix en Afghanistan, à savoir la mise en place d’un Gouvernement pleinement représentatif, la création d’institutions transparentes et démocratiques, et la reconstruction sociale et économique. Ces composantes sont celles de la plupart des processus de paix engagés par les Nations Unies, a-t-il observé, car elles permettent de remédier aux conséquences de la guerre. Au terme d’un conflit, la légitimité des gouvernants est souvent atteinte, a-t-il souligné, d’où la nécessité d’élargir la base des gouvernements, soit par un partage équilibré du pouvoir, soit par des élections. La guerre civile affecte également le pouvoir judiciaire, souvent mis au service d’intérêts militaires à court terme, a-t-il constaté ensuite, d’où la nécessité de réhabiliter les institutions judiciaires. Enfin la guerre détruit les infrastructures, d’où la nécessité d’une relance économique qui permette le retour des réfugiés et des déplacés, et la relance de l’activité dans certains secteurs sociaux (santé et éducation). En Afghanistan, a poursuivi M. Arnaud, le processus politique prévoit la tenue d’élections à la mi-2004 et d’ici là, le Gouvernement transitoire à base élargie doit conduire le processus de reconstruction. La réforme des institutions est en cours grâce aux commissions indépendantes créées ces derniers mois (judiciaire, droits de l’homme, réforme de la fonction publique, commission constitutionnelle) dont la tâche est de définir les bases de nouvelles institutions.
Ce processus fragile et décisif pour l’avenir de l’Afghanistan requiert l’adhésion de la population, a-t-il souligné ensuite, et pour cela, l’élément le plus important est le rétablissement de la sécurité. Et la difficulté principale de l’Afghanistan est le rétablissement de la sécurité, a dit M. Arnaud, et c’est là un problème grave car au-delà de la reconstruction et du renforcement de la démocratie et de la gouvernance, l’insécurité sape l’importance du processus de Bonn, aux yeux des Afghans. En effet, a-t-il expliqué, la poursuite de la guerre contre le terrorisme et le fait que l’effondrement des Taliban ait cédé la place à une société fragmentée et à une multiplicité de groupes armés qui jouent un rôle déterminant constituent deux raisons d’insécurité. A ce jour, le Gouvernement n’a pas su faire face à cette insécurité en raison du manque de moyens militaires et de police, mais aussi du fait que les moyens diplomatiques et de négociation du Président Karzaï n’ont pas abouti, a-t-il constaté. Si au cours des prochains mois la sécurité n’est pas rétablie, il y a un danger sérieux de voir le processus de Bonn perdre sa légitimité et le Gouvernement de transition afghan s’affaiblir. C’est tout le processus politique et constitutionnel qui est menacé a-t-il dit, et tout le processus de reconstruction qui est compromis. Le problème qui nous est posé à nous, communauté internationale, est de savoir comment aider le Gouvernement afghan à consolider la sécurité et à cet égard, il importe de trouver le moyen d’étendre l’influence bénéfique de la force multinationale au-delà de Kaboul. Il faut également appuyer les efforts en cours pour la création d’une nouvelle armée et d’une nouvelle police, a poursuivi M. Arnaud tout en saluant les efforts des États-Unis qui ont étendu leur travail à la réforme de l’institution militaire et engagé des discussions avec les chefs de factions pour assurer leur participation aux nouvelles institutions. D’autres donateurs comme l’Allemagne ont également pris des mesures dans certains domaines liés au développement de la police et de l’institution militaire, a ajouté M. Arnaud, avant de rappeler que les Nations Unies ont pour leur part créé un Fonds d’affectation spéciale pour financer les salaires et autres équipements de la police et de l’armée.
M. BARNETT RUBIN, Directeur des Etudes au Centre sur la coopération internationale (New York University) a évoqué les progrès de la réforme politique depuis la Conférence de Bonn l’an dernier. Il y a une tendance, a-t-il relevé, des pays donateurs à identifier reconstruction institutionnelle et élections, mais sans les institutions fondamentales que sont l’administration et la sécurité, les institutions purement démocratiques seront vides de sens et ne réussiront pas. Aujourd’hui, faute de Parlement, l’exécutif afghan supporte un fardeau énorme: il a du mal à trouver des gens compétents, il est trop pléthorique pour être vraiment efficace et certains ministres sont nommés pour représenter leur région mais n’ont pas de personnel compétent pour leur ministère. D’autant qu’après la Loya Jirga de juin dernier, il conviendra d’approuver la constitution puis d’organiser des élections en 2003, mais il faudra sans doute, selon lui, adopter des modalités transitoires pour organiser le scrutin. Les Nations Unies ont là un rôle d’appui à jouer, à commencer par le recensement, car il n’y en a jamais eu dans ce pays, a souligné M. Rubin en remarquant que le pays vivait dans un chaos administratif.
Pour M. Rubin, le Gouvernement outre son caractère fragmenté est confronté à une série de problèmes institutionnels; trouver les gens compétents, plaire aux donateurs, plaire aux Afghans qui vivent en zone urbaine ou à l’étranger autant qu’à ceux qui vivent en zone rurale, gérer les groupes islamiques, certains armés, devenus très puissants depuis la Loya Jirga. Il fallait s’attendre à ces problèmes dans un pays qui sort de 25 ans de guerre et reste gouverné par les fusils, a estimé M. Rubin qui s’est rendu à quatre reprises sur place depuis le mois de mars. Pour lui, toutefois, le grand problème est l’absence de pouvoir réel du Gouvernement pour gouverner et assurer la sécurité et aucune élection ne suffira à lui permettre de contrôler le territoire tant qu’il n’y aura pas de sécurité ni d’administration. Il est peu probable que l’Afghanistan sera une démocratie consolidée en juin 2004, a-t-il conclu, mais ce qui est le plus important, d’ici là, est de consolider le gouvernement et que les bailleurs de fonds versent leur aide par l’intermédiaire du Gouvernement.
M. AHMED RASHID, Journaliste, a insisté sur le fait que la situation restait vraiment fragile. Le processus de Bonn avait promis aux Afghans la reconstruction et pas seulement de l’argent; le renforcement des capacités du Gouvernement pour qu’il puisse gérer tout le pays, ce qui n’est pas le cas; la sécurité, mais là encore il y a échec de la communauté internationale en dehors de Kaboul; et enfin, la non-ingérence des voisins de l’Afghanistan: or, le véritable danger aujourd’hui c’est que celle-ci augmente en raison du vide politique dans le pays alimenté par les chefs de guerre qui ont des liens extérieurs. L’une des grandes craintes du Président Karzaï et des ministres est justement l’augmentation de l’ingérence extérieure, selon M. Rashid qui a appelé la communauté internationale à en tenir compte. Des groupes et Etats étrangers financent des seigneurs de la guerre, des pays continuent de soutenir des groupes extrémistes qui appuient les Taliban, Al Qaeda et certaines forces rémanentes près de Kandahar. Il faut que ces pays cessent d’apporter leur soutien à ces groupes d’autant que le véritable danger serait un rassemblement de ces forces dans un pays voisin. M. Rashid a également expliqué que des pays fournissent du matériel au Ministère de la défense en vertu de traités et d’accords qui ne relèvent pas des accords internationaux: le fait que ce matériel arrive sans l’autorisation de la communauté internationale et notamment des trois pays chargés de la reconstruction des forces armées pose un problème sérieux.
La première chose que doivent faire les Nations Unies, selon M. Rashid, est d’obtenir un engagement de la communauté internationale à ne pas s’ingérer dans les affaires afghanes; il faut mettre en place un mécanisme géré par les Nations Unies qui serait appuyé par les donateurs, qui pourrait comprendre les Ministres des affaires étrangères des pays concernés et inclurait l’Afghanistan et ses voisins: ce mécanisme permettrait à l’Afghanistan de discuter de l’ingérence extérieure et de dialoguer avec ses voisins des grands problèmes qu’il rencontre; enfin la communauté internationale devrait s’engager à reconstruire les forces de sécurité et mettre en place des mécanismes détaillés qui définiraient le fonctionnement de ces forces.
La question de la sécurité a été au cœur de l’échange de vues avec les États Membres qui ont, à l’instar de la délégation de la Suède, souhaité savoir si les attaques contre les écoles incendiées ces derniers temps dans le centre et le nord de l’Afghanistan étaient motivées par la tentation de porter atteinte à l’éducation des jeunes filles. Pour M. Arnaud, l’objectif de ces attaques est de provoquer un affrontement entre le processus de Bonn et les traditions afghanes, le Représentant spécial adjoint invitant la communauté internationale à déjouer ce genre de pièges. Pour sa part, le Ministre afghan de la reconstruction a estimé que certaines forces d’Al Qaeda étaient encore actives en Afghanistan et visent, à terme, à constituer un contre-pouvoir. Il a donc demandé de nouveau l’élargissement de la force multinationale au-delà de Kaboul. Le représentant de la Colombie, faisant allusion aux propos de M. Rashid qui affirmait dans son intervention que les seigneurs de la guerre sont aidés par certains pays, a souhaité savoir si des groupes radicaux installés dans certains pays n’aident pas les groupes armés afghans.
A cet égard, M. Rashid a recommandé la création d’un mécanisme pour renforcer la sécurité et la stabilité en l’Afghanistan et par le biais duquel le Gouvernement afghan pourrait saisir en privé le Conseil de sécurité sur certains problèmes d’insécurité liés à l’ingérence d’autres États voisins. Cette position a été position appuyée par le représentant de l’Inde qui a jugé que la crédibilité des Nations Unies à cet égard est en jeu. Le délégué du Royaume-Uni a demandé à M. Arnaud quelles suggestions il pouvait faire pour permettre à la communauté internationale d’étendre l’influence de la force multinationale. Le Représentant spécial adjoint a estimé que dans le domaine de la formation et du déploiement en dehors de Kaboul des forces afghanes récemment formées, la communauté internationale devait apporter un appui par le biais des forces étrangères qui ont contribué à leur formation en appuyant leur déploiement dans les principales villes et provinces afghanes.
La représentante du Danemark, qui s’exprimait au nom de l’Union européenne, a souhaité que la communauté internationale finance suffisamment l’organisation des élections et soutienne la reconstruction des institutions. Le représentant de l’Italie a insisté sur l’importance de la reconstruction du système judiciaire afghan, car le succès de la reconstruction du pays dépendra de la primauté du droit. Il a rappelé à cet égard que la question sera traitée lors d’une conférence qui se tiendra les 19 et 20 décembre à Rome. M. Barnett Rubin a fait valoir que les Afghans ont tendance à croire qu’on les a trompés et qu’il y a déjà un début de réaction. Par conséquent, les Nations Unies devraient se concentrer sur la sécurité sinon rien ne se fera; le deuxième élément devra être la reconstruction avec la mise en place d’un budget national.
Pour M. Ahmed Rashid, les barons de la guerre sont encore plus forts qu’il y a un an; citant les troubles récents des étudiants à Kaboul, il a estimé qu’ils traduisaient les difficultés éprouvées. Le Gouvernement n’a pas les ressources pour remédier aux problèmes et il faut donc lui donner de l’argent pour qu’il soit en mesure d’inverser cette image négative.
DEUXIEME SESSION SUR LES QUESTION ECONOMIQUES
Animée par M. DAVID MALONE, Président de l’Académie mondiale pour la paix, la deuxième table ronde sur les questions économiques réunissait Mme Julia Taft, Administrative assistante et Directrice du Bureau de la prévention des crises et du relèvement (PNUD); M. Mukesh Kapila, Ancien conseiller spécial auprès du Représentant spécial du Secrétaire général pour l’Afghanistan; M. Bernard Frahi, Représentant de l’Office contre la drogue et le crime; et M. Éric Morris; Directeur du Bureau de liaison de New York du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Le Ministre afghan de la reconstruction, M. Amin Fahrang, et le Conseiller économique principal du Président Hamid Karzaï, M. Ishaq Naderi, sont intervenus dans le débat.
Mme JULIA TAFT, Administrative assistante et Directrice du Bureau de la prévention des crises et du relèvement (PNUD), a expliqué que l’appropriation du processus de reconstruction de l’Afghanistan par les institutions de transition avait été le principal objectif de l’action des Nations Unies dans le pays au cours de l’année écoulée. Au-delà des secours, au lendemain de la Conférence de Tokyo sur la reconstruction, il était important de procéder à la mise en place de mécanismes de financement de la reconstruction et de la réhabilitation de l’Afghanistan, a-t-elle dit, mentionnant notamment le Fonds d’affectation spéciale pour l’Afghanistan géré par la Banque mondiale. Par ailleurs, le renforcement des capacités a été au cœur de nos préoccupations, a-t-elle poursuivi et la communauté internationale a financé le retour et la réinstallation de réfugiés afghans qualifiés par le biais de l’OIM. Des programmes de formation dans différents ministères ont également été financés, notamment dans l’éducation et la santé, a-t-elle dit, avant de souligner le travail accompli par l’Allemagne pour la constitution de la police et sa formation. Le mois prochain à Oslo, un programme de reconstruction de l’Afghanistan sera divulgué, a-t-elle dit, et sera axé sur le développement agricole et sur celui des zones urbaines. Ce programme permettra aux ONG de s’inscrire dans le processus de reconstruction de l’Afghanistan, a-t-elle ajouté. Mme Taft a salué ensuite le lancement de la nouvelle monnaie, le
Nouvel Afghani, et annoncé que la société KPMG s’était vue confier l’évaluation et la mise en place d’un système fiscal. Elle a indiqué que des efforts devaient être encore déployés dans la mobilisation des investissements et la promotion du secteur privé, mais que ces domaines sont liés à la sécurité. Elle s’est inquiétée de l’appauvrissement des ressources du pays, l’administration payant moins que les Nations Unies, le secteur privé ou les ONG, d’où la nécessité d’augmenter les salaires du secteur public pour attirer les compétences vers ce secteur.
M. MUKESH KAPILA, Ancien conseiller spécial auprès du Représentant spécial du Secrétaire général pour l’Afghanistan, s’est concentré sur l’aide apportée à l’Afghanistan au cours de l’année écoulée. La Conférence de Bonn, puis la Conférence de Tokyo, ont été la manifestation symbolique de la volonté de la communauté internationale de voir l’Afghanistan renaître. Les donateurs s’y sont engagés à verser plus de 5 milliards de dollars pour cinq ans, dont 1,7 milliard pour la première année et en outre 0,7 milliard supplémentaire promis, soit 2,4 milliards de dollars en tout pour 2002. Jusqu’ici 1,9 milliard a été versé ce qui dépasse les contributions initiales promises à Tokyo et 1,4 milliard a été effectivement décaissé. Les fonds versés ont donc été importants et l’essentiel, deux tiers, viennent des Etats-Unis, de l’Union européenne et du Japon, le reste venant d’une trentaine de pays dont les voisins immédiats de l’Afghanistan. On s’attend à ce que nombre de ces pays proches poursuivent leurs efforts.
Les sommes décaissées, a-t-il expliqué, ont été affectées au retour des réfugiés, à l’éducation et à l’éradication des maladies comme la polio ainsi qu’à l’assistance alimentaire. Les projets de redressement des infrastructures publiques sont en bonne voie. Les réalisations sont donc déjà énormes, a-t-il fait valoir. La coordination a été bonne entre les donateurs, avec un groupe d’appui à l’Afghanistan qui représente une quinzaine d’institutions et garantit un accès plus grand aux populations vulnérables. Pour l’avenir, nous avons une Autorité transitoire en Afghanistan qui a mis en place un mécanisme de coordination à Kaboul. Se défendant de décrire un tableau trop rose de la situation, M. Kapila a estimé que les donateurs avaient tenu leurs promesses et que la réponse n’avait jamais été aussi efficace; mais le problème est que les besoins ont été sous-estimés à Tokyo, selon lui. Les besoins sont beaucoup plus grands et les donateurs devront se montrer encore plus généreux à l’avenir. Enfin il a noté que 60 % des sommes a été investi dans l’aide humanitaire, mais 40 % dans la reconstruction et le développement ce qui est une part importante et même inédite.
M. BERNARD FRAHI, Représentant de l’Office contre la drogue et le crime, évoquant le problème des drogues, a rappelé que la culture du pavot et la production d’opium dans les provinces ont acquis une légitimité pendant les 23 années de guerre et durant le régime des Taliban qui collectait un impôt sur la culture du pavot. En 2002, entre 69 000 et 79 000 hectares de terres sont utilisés pour la culture du pavot et près de 3 400 tonnes d’opium sont dans une zone limitée à cinq provinces, a-t-il indiqué. Il a salué les mesures sans précédent prises par le Gouvernement de transition afghan pour encourager l’élimination de la culture du pavot et la production d’opium, en particulier dans la période actuelle de semailles. Mais il a souligné toutefois que la stabilité sociale et politique est indispensable à l’appui de ces efforts. La culture du pavot et la production d’opium sont un symptôme de la pauvreté en Afghanistan, d’où la nécessité d’appuyer des stratégies à long terme de développement et de réduction de la pauvreté. La communauté internationale doit mettre en œuvre des programmes d’appui au redressement pour construire des écoles, des centres de soins, pour créer des emplois à tous les travailleurs saisonniers qui gagnent de l’argent lors de la récolte du pavot. La question du trafic de drogues est liée à la création d’un cadre juridique et d’institutions judiciaires, à la mise en place de capacités de police et de maintien de l’ordre à Kaboul et dans les poches de trafic de régions telles que le Badakhstan, mais elle est également liée à l’intégration de l’Afghanistan dans une plate-forme internationale de lutte contre la drogue avec ses voisins.
M. ERIC MORRIS, Directeur du Bureau de liaison de New York du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, a rappelé qu’au début de 2001, les 4 à 5 millions d’Afghans réfugiés représentaient la principale population réfugiée au monde, assurant par la suite que les retours avaient été massifs cette année, avec deux millions de retours enregistrés jusqu’à la semaine dernière au lieu des 850 000 escomptés. Mais il a jugé préoccupant ce nombre important de retours car il fait peser de grosses pressions sur un système déjà fragile. Politiquement, il est important de stabiliser ces populations de retour. La première condition est d’assurer leur sécurité, mais aussi l’institution d’un état de droit. M. Morris a indiqué que de nombreux Pachtounes continuaient de quitter le Nord du pays et qu’une commission avait été créée spécialement pour encourager ces populations à rentrer chez elles. En résumé, il a déclaré que les questions portent sur la durabilité de ces retours enregistrés et prévenu qu’en cas d’échec les conséquences seraient très graves. Malgré tout, il a estimé qu’il y aurait 1,5 million de retours supplémentaires pour l’année à venir.
M. AMIN FARHANG, Ministre afghan de la reconstruction, a exposé les propositions des autorités s’agissant du trafic des drogues: donner suffisamment d’argent aux paysans pour les inciter à remplacer les drogues par d’autres produits agricoles; former une police spéciale internationale pour le contrôle du trafic des drogues; obtenir la collaboration des pays voisins qui refusent de le faire à l’exception de la République islamique d’Iran; que les pays consommateurs, Europe et Amérique, fassent quelque chose pour mieux contrôler la consommation des drogues chez eux. Le Ministre a par ailleurs évoqué la question des réfugiés, rapportant que les autorités afghanes s’inquiétaient de retours non contrôlés qui entraîneraient de nouveaux départs. Une partie d’entre eux repart vers le Pakistan ou converge vers les villes, où elle crée des problèmes économiques et de sécurité.
M. ISHAQ NADERI, Professeur à l’Université de New York et Conseiller économique principal du Président Hamid Karzaï, a surtout fait valoir que l’Afghanistan était en miettes et que l’aide internationale n’était pas si énorme ni ne répondait aux besoins du pays en matière de stabilité, d’état de droit et de relèvement économique. Il faut en outre renforcer les capacités du secteur privé, car c’est lui qui va développer l’économie. L’idée d’une conférence internationale mentionnée par certains orateurs est une bonne idée mais il faudrait voir comment orienter le processus de reconstruction et la sécurité. L’économie afghane, pour M. Naderi, doit être relancée à travers son agriculture, en tenant compte du fait que la majorité de la population active est rurale. Il faut enfin consentir des efforts pour ramener les professions libérales afghanes en Afghanistan et les associer de plus près au processus car c’est la seule façon de consolider le redressement.
Ouvrant le débat sur cette question, M. Malone s’est demandé si les ressources déployées par la communauté internationale étaient conséquentes au regard des engagements pris à Tokyo et si les questions de sécurité ne risquaient pas de compromettre les autres aspects de la reconstruction et du développement de l’Afghanistan, que ce soit la lutte contre les drogues, l’éducation ou les investissements privés. Le représentant de la Malaisie a indiqué que des efforts importants devraient être déployés dans les domaines de la bonne gouvernance et de la primauté du droit et, à cet égard, rappelant que 50% de la fonction publique était composé de femmes il y a 20 ans, il a déploré que 85% des femmes afghanes est aujourd’hui analphabète. Comment les intégrer dans le processus de reconstruction, a-t-il demandé? Le représentant du Royaume-Uni a lui estimé qu’il fallait trouver des produits de substitution pour les producteurs d’opium afin de lutter efficacement contre les drogues. Le représentant du Pakistan a souligné l’importance des projets économiques transfrontaliers dans le développement de l’Afghanistan avant de contester le fait que l’instabilité croissante dans ce pays soit liée à l’ingérence des États voisins. Des dizaines de membres d’Al Qaeda ont été arrêtés par le Pakistan qui s’est joint à la coalition antiterroriste mondiale, a rappelé le délégué, indiquant la détermination de son Gouvernement à œuvrer pour la stabilisation de l’Afghanistan.
Au cours du débat qui s’est ensuivi, le représentant de la Norvège a rappelé que son pays accueillera en décembre la réunion du groupe d’appui. Le représentant du Kenya s’est interrogé sur le déséquilibre constaté entre secours humanitaire et activités de redressement et le représentant du Japon a également considéré qu’il fallait se concentrer sur les activités de redressement économique et d’aide au secteur agricole, mais tout en surveillant de près les conditions de sécurité dans les zones rurales. Le Ministre afghan de la reconstruction a également fait valoir le lien étroit entre sécurité et reconstruction. Mais il a aussi relevé que sur le 1,3 milliard de dollars parvenu à l’Afghanistan, 600 millions avaient été versés aux institutions des Nations Unies, 600 millions aux ONG et seuls 100 millions de dollars étaient allés directement au Gouvernement. Mme Taft a assuré, en retour, que le Gouvernement ayant su se doter de structures propres, les donateurs seront désormais davantage confiants.
Enfin, comme le représentant de la Turquie craignait que des réfugiés de retour ne soient réinstallés dans des zones autres que leur région d’origine, M. Morris, a souligné qu’il était fondamental en effet que tous les groupes puissent regagner leur région d’origine. Il a par ailleurs relevé que selon des informations à vérifier, de nouveaux départs vers l’Iran et le Pakistan auraient été enregistrés qui pourraient avoir un mauvais effet sur les réfugiés se trouvant encore dans ces deux pays.
En conclusion, M. David Malone a jugé que les efforts importants engagés en faveur de l’Afghanistan étaient encore insuffisants. Pour lui, il est bien trop tôt pour que l’ONU et les ONG croient la cause gagnée. Quant au Président de l’Assemblée générale, il a rappelé que l’Assemblée aura un débat le 6 décembre sur la situation en Afghanistan.
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