En cours au Siège de l'ONU

SG/SM/7811

LE SECRETAIRE GENERAL MET EN GARDE CONTRE LES RISQUES D’UN RETOUR EN ARRIERE DANS LA LUTTE CONTRE LE RECHAUFFEMENT DE LA PLANETE

21/05/2001
Communiqué de presse
SG/SM/7811


LE SECRETAIRE GENERAL MET EN GARDE CONTRE LES RISQUES D’UN RETOUR EN ARRIERE DANS LA LUTTE CONTRE LE RECHAUFFEMENT DE LA PLANETE


Ci-après le texte de la déclaration faite par le Secrétaire général,

M. Kofi Annan, lors de la cérémonie de remise des diplômes, le 20 mai 2001, à la faculté de droit et de diplomatie Fletcher de l’Université Tufts :


Je suis heureux d’être parmi vous en ce grand jour ! Comme vous le savez,  nombreux sont les  Diplômés de Fletcher à s’être distingués à l’Organisation des Nations Unies ou dans les services diplomatiques d’États Membres de l’ONU.  Il existe donc un lien privilégié entre votre Faculté et l’Organisation à laquelle je suis fier d’appartenir.


J’ai aussi plaisir à retrouver la région de Boston !  Je ne vous cacherai pas que je garde d’excellents souvenirs de mon passage dans une Faculté toute proche, rivale de la vôtre, la Sloan School du Massachusetts Institute of Technology.


Je sais, pour l’avoir moi-même vécu, combien il est difficile de quitter un campus et une ville où l’on se sent bien, où l’on se sent chez soi. Mais l’heure est venue de partir… Et, sans doute, de commencer à rembourser les emprunts-études ! Mais s’il est temps de partir, c’est surtout parce qu’il y a tant de choses à faire !


Je voudrais vous parler de ce qui sera peut-être un des plus grands défis que votre génération aura à  relever :  les changements climatiques.


Cela fait plus de dix ans que la communauté internationale se prépare à faire face, en mettant au point, réglementation après réglementation, institution après institution, technologie après technologie, une stratégie aussi ambitieuse que novatrice. Ainsi, en 1992, elle a conclu un accord visant à contenir la concentration de gaz à effet de serre dans l’atmosphère pour que celle-ci ne dépasse pas le seuil d’innocuité. Les États-Unis ont été le premier pays développé à le ratifier.


Cinq ans plus tard, les parties à ce traité ont négocié le texte du Protocole de Kyoto, en vertu duquel les pays développés s’engageraient à réduire sensiblement leurs émissions de gaz à effet de serre. Cet instrument n’est toutefois pas encore entré en vigueur, en raison des désaccords qui subsistent quant à la meilleure manière de procéder aux réductions escomptées.


Il y a désaccord quant à la mesure dans laquelle il convient de recourir aux échanges de droits d’émission, système qui permettrait à certains pays de polluer moins que ce à quoi ils sont autorisés, pour revendre ensuite à d’autres leurs droits d’émission non utilisés.


Il y a désaccord quant au système selon lequel porter au crédit des pays concernés les efforts de reboisement, les arbres absorbant l’oxyde de carbone.


Il y a désaccord quant à la  manière de porter au crédit des pays industrialisés les éco-investissements qu’ils réalisent dans le monde en développement.


Comme vous le savez probablement, les États-Unis sont le pays qui produit le plus d’émissions de gaz à effet de serre; de toute évidence parce que c’est aussi l’économie la plus prospère. Il est d’autant plus important qu’ils ne se désolidarisent pas de l’action menée au niveau international pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et, d’une manière générale, des efforts visant à améliorer le rendement énergétique et à préserver l’environnement. La décision récente de l’Administration américaine de rejeter le Protocole a d’ailleurs suscité maintes inquiétudes dans le reste du monde.


Le risque d’assister à un retour en arrière, et donc à la perte de progrès durement acquis, est bien réel.  Les pays en développement pourraient bien s’avérer les premiers touchés par les changements climatiques, alors qu’ils en sont les derniers responsables. Mais il ne faut pas s’y tromper : aucun pays n’échappera aux effets du réchauffement de la planète, car le climat ne se soucie guère des frontières tracées par l’homme.


Imaginez la fonte des calottes glaciaires et la montée des océans. Des zones littorales aussi peuplées, aussi courues que Cape Cod, seraient alors menacées par l’érosion et les tempêtes. Imaginez des intempéries tellement fortes qu’elles provoquent des dégâts équivalant à des milliards de dollars. Imaginez un climat à la fois plus chaud et plus humide, où des maladies infectieuses comme le paludisme et la fièvre jaune se propageraient beaucoup plus facilement.   


Il ne s’agit pas là d’un scénario-catastrophe envisageable dans un avenir des plus lointain.  C’est la météo de demain ! Ce n’est pas non plus de la science-fiction. Les données scientifiques sur lesquelles ces prévisions se fondent sont dignes de foi. Le Groupe d’experts intergouvernementaux sur les changements climatiques, qui comprend les climatologues les plus renommés de la planète, dont bon nombre d’Américains,  a conclu, après avoir minutieusement examiné les éléments de preuve, que les changements climatiques étaient une réalité, qu’ils étaient essentiellement imputables à l’activité humaine et qu’il fallait agir vite.


Les négociations sur les changements climatiques vont reprendre en juillet. C’est donc le moment rêvé pour de réfléchir à ce que cette menace signifie pour la planète tout entière et de songer aux moyens d’y parer.  Nous sommes bien moins impuissants qu’il n’y paraît. 


Contrairement à ce que l’on croit généralement, il ne s’agit pas de faire un choix entre économie et écologie. D’aucuns prétendent en effet que protéger l’environnement, c’est freiner, voire compromettre la croissance. En réalité, c’est l’inverse qui est vrai. À moins de protéger les ressources naturelles et le patrimoine écologique de la planète, il ne peut y avoir de croissance économique soutenue.


Il ne faut pas oublier non plus le coût des opérations de nettoyage et de remise en état après les accidents de pollution,  qui apparaissent rarement dans les comptes nationaux. Sans parler des coûts indirects, en termes de santé publique par exemple, de la pollution imputable aux industries et aux automobiles.  Par ailleurs, le coût de l’inaction est trop souvent occulté : il est temps d’être moins frileux sur le plan économique et plus courageux sur le plan politique.


Le progrès technologique devrait nous permettre de détruire un autre mythe,  selon lequel il faut attendre la solution des découvertes scientifiques que feront les générations futures. En réalité, il existe déjà des centaines de technologies et de pratiques écologiquement rationnelles. Ces dernières années, l’utilisation des ressources renouvelables a marqué des progrès inespérés.


On entend parfois dire aussi que, pour admirable qu’elle soit, la notion même de conservation n’a qu’un  potentiel restreint. Pourtant, la plupart des économistes s’accordent désormais à penser que l’amélioration du rendement énergétique  et d’autres stratégies « positives » pourraient dégager des bénéfices considérables sans entraîner de coûts.


Les dirigeants d’entreprise les plus éclairés en profitent déjà pour mettre au point des technologies vertes. Bon nombre de gouvernements accompagnent la transition en faisant preuve de créativité fiscale et budgétaire, notamment en supprimant les subventions qui ont soutenu pendant longtemps des pratiques préjudiciables. Beaucoup de professionnels du secteur énergétique s’accordent à penser que les obstacles à une gestion moins polluante de l’énergie sont en train de disparaître l’un après l’autre.


L’année prochaine, un Sommet mondial sur le développement durable se tiendra à Johannesburg pour évaluer les progrès accomplis depuis le Sommet Planète Terre, qui a eu lieu il y a près de dix ans. Depuis lors, l’opinion publique est devenue plus consciente des problèmes, plusieurs traités importants ont été adoptés  et les associations écologiques n’ont cessé de faire pression pour que l’on parle d’environnement. Mais, dans la plupart des domaines, nous avons repris nos vieilles habitudes.


Tous les dirigeants de la planète doivent montrer qu’ils prennent ces questions au sérieux, mais ce sont ceux des pays industrialisés qui doivent indiquer la voie, surtout en matière de réchauffement de la planète. Les pays industrialisés sont les principaux responsables des émissions actuelles de gaz à effets de serre. Et ils  sont aussi le mieux placés, tant du point de vue économique qu’écologique, pour appliquer les réformes qui s’imposent et pour aider les autres à  faire de même.


Les pays en développement auront leur rôle à jouer, le moment venu. Il ne faut pas oublier, en effet, que les dérogations dont ils bénéficient concernant les droits d’émission ne concernent que la première phase. La Chine et d’autres pays en développement ont déjà commencé à réduire l’accroissement de leurs émissions, grâce notamment à des interventions sur les marchés et à la fermeture des centrales à charbon les plus polluantes.


Le cadre juridique offert par la Convention et le Protocole devra  évoluer au fil du temps. La bataille contre le réchauffement climatique durera pendant plusieurs générations. Il ne faudrait d’ailleurs pas n’y voir qu’un fardeau car elle ouvre aussi de nombreuses perspectives sociales et économiques. Avec le bon dosage de politiques et de pratiques, nous pouvons déclencher des retombées positives en cascade, dans divers domaines de la vie humaine. Nous pourrions galvaniser la lutte contre la pauvreté, notamment en procurant une énergie durable aux deux milliards de personnes qui ne sont pas raccordées à l’électricité. Nous pourrions inciter les entreprises et les consommateurs à changer leurs habitudes. Et nous pourrions orienter la mondialisation pour que l’environnement ne devienne pas sa première victime.


La coopération internationale elle-même pourrait en bénéficier – ou en pâtir. La façon dont évoluera le combat contre le réchauffement de la planète nous dira quel type de communauté nous avons instauré. Saura-t-elle, en anticipant les dangers, les éviter ou en atténuer les effets ou  se contentera-t-elle de traverser une crise après l’autre, dénué de tout sentiment de responsabilité et de solidarité mondiales ?   Si c’est le cas, on ne peut guère parler de « communauté », me semble-t-il.


Il est vrai que la communauté internationale, telle que nous la connaissons aujourd’hui, en est encore à un stade embryonnaire. Mais la vision qui la sous-tend est consacrée dans la Charte des Nations Unies. Elle a un langage, c’est celui du droit international.  Les outils que vous ont donnés vos études à Fletcher vous permettront d’aider la communauté internationale à  surmonter non seulement l’épreuve du changement climatique, mais encore d’autres qu’il nous faudra affronter ensemble.


Naguère encore, on avait le temps d’élaborer et d’appliquer des politiques environnementales de longue haleine. Aujourd’hui, bien que nous disposions des moyens humains et matériels de gagner la bataille contre le changement climatique, le temps de planifier minutieusement la transition vers un développement durable risque de nous manquer.  À moins, bien sûr, que vous ne fassiez ce qu’il faut.


Au moment où vous allez recevoir votre diplôme bien mérité, je voudrais vous souhaiter de jouir, tout au long de votre vie, des plaisirs qu’offre la nature, tout en étant conscient de la nécessité de la préserver.  Je vous souhaite toutes les réussites, professionnelle comme familiale, tout en vous encourageant  à vous interroger sur les incidences publiques de vos comportements privés. Et surtout, je vous souhaite une vie heureuse et bien remplie au sein de votre communauté, tout en espérant que la communauté internationale bénéficiera de vos talents et de vos idées.


*   ***   *


À l’intention des organes d’information. Document non officiel.