FEM/1156

AU REGARD DE LA PERSISTANCE DE STEREOTYPES ET DE COUTUMES A SINGAPOUR, LES EXPERTS S'INQUIETENT DE L'ABSENCE DE MESURES POSITIVES POUR ENCOURAGER L'EMANCIPATION DES FEMMES

09/07/2001
Communiqué de presse
FEM/1156


Comité pour l’élimination de

la discrimination à l’égard des femmes

25e session

515e séance – après-midi


AU REGARD DE LA PERSISTANCE DE STEREOTYPES ET DE COUTUMES A SINGAPOUR, LES EXPERTS S'INQUIETENT DE L'ABSENCE DE MESURES POSITIVES POUR ENCOURAGER L'EMANCIPATION DES FEMMES


Les 23 experts du Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes ont cru déceler une contradiction entre le développement économique que connaît Singapour, qui fait penser à une économie du XXIème siècle, et son développement social, qui semble être freiné par les mentalités et les coutumes jugées archaïques.  Pour les experts du Comité, qui poursuivaient cet après-midi l'examen du rapport initial et du deuxième rapport périodique de Singapour, les femmes singapouriennes, en particulier les femmes musulmanes, sont encore traitées comme des citoyens de second rang et sont victimes de nombreuses discriminations. 


Les experts se sont inquiétés de l'absence dans la politique du Gouvernement de mesures positives visant à éliminer les préjugés et les pratiques coutumières fondées sur l'idée d'infériorité ou de supériorité de l'un ou l'autre sexe ou d'un rôle stéréotypé des hommes et des femmes.  En effet, l'article 5 de la Convention fait obligation aux Etats parties de prendre toutes les mesures appropriées pour modifier les schémas et modèles de comportements socioculturels de l'homme et de la femme porteurs de discrimination fondée sur le sexe.  La tradition asiatique de l'homme chef de famille, le respect des croyances religieuses et personnelles des minorités musulmanes, l'égalité des droits fondée sur la méritocratie, sont autant de raisons invoquées par Singapour dans son rapport pour expliquer son interprétation de la Convention et ses réserves qui ont été mises en cause, compte tenu de la persistance de discrimination à l'égard des femmes dans tous les domaines de la vie de la société, que ce soit le mariage, la nationalité des enfants, le partage des responsabilités dans le couple et la famille, la participation à la vie publique et politique ou encore l'égalité des chances dans l'enseignement et sur le marché du travail. 


S'adressant à Mme Yu-Foo, Secrétaire parlementaire du Ministère du développement communautaire et des sports venue défendre la politique menée par son pays en matière de lutte contre les discriminations fondées sur le sexe depuis 1995, date à laquelle Singapour a adhéré à la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination, aux côtés de fonctionnaires de son ministère, des services d'immigration et d'état civil, du Ministère de la justice et du Conseil singapourien des organisations féminines, les experts se sont surtout interrogés sur la capacité des femmes, en particulier des femmes musulmanes, à participer sur une base égale à la vie politique, économique, communautaire et aussi familiale.  Les experts se sont interrogés sur la volonté politique du Gouvernement de Singapour d'oeuvrer pour l'émancipation des femmes et l'égalité de leurs droits avec ceux des hommes dans la réalité de leur vie quotidienne.


Les questions ont porté sur les dispositions de la Convention relatives aux mesures provisoires spéciales pour accélérer l'égalité de facto entre hommes et femmes; l'élimination des schémas culturels et sociaux; le trafic et l’exploitation des femmes; la participation à la vie politique et publique; la possibilité pour les femmes de représenter leur gouvernement à l'échelon international; l'acquisition, le changement et la conservation de la nationalité pour les femmes et leurs enfants; l'accès à l'éducation, la discrimination dans le domaine de l'emploi; dans le domaine des soins de santé; dans les autres domaines de la vie économique et sociale; la condition de la femme rurale; l'égalité devant la loi; et le mariage et les rapports familiaux.


La délégation singapourienne aura l'occasion de répondre à ces questions, le vendredi 13 juillet à partir de 10 heures. 


Les 23 experts du Comité sont : Mmes Charlotte Abaka (Ghana), Ayse Feride Acar (Turquie), Sjamsiah Achmad (Indonésie), Emna Aouij (Tunisie), Ivanka Corti (Italie), Feng Cui (Chine), Naela Gabr (Egypte), Françoise Gaspard (France), Maria Yolanda Ferrer Gomez (Cuba), Aida Gonzalez Martinez (Mexique), Savitri Goonesekere (Sri Lanka), Rosalyn Hazelle (Saint-Kitts-et-Nevis), Fatima Kwaku (Nigéria), Rosario Manalo (Philippines), Asha Rose Metengeti-Migiro (Tanzanie), Mavivi Myakayaka-Manzini (Afrique du Sud), Frances Livingstone Raday (Israël), Zelmira Ragazzoli (Argentine), Hanna Beate Schöpp-Schilling (Allemagne), Heisoo Chin (République de Corée), Maria Regina Tavares da Silva (Portugal), Chikako Taya (Japon) et M. Göran Melander (Suède).


Le Comité se réunira à nouveau demain, mardi 10 juillet, à partir de

10 heures 30.  Les experts entameront l'examen du rapport initial d'Andorre. 


EXAMEN DES RAPPORTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 18 DE LA CONVENTION SUR L’ELIMINATION DE TOUTES LES FORMES DE DISCRIMINATION A L’EGARD DES FEMMES


*     Examen du rapport initial et du deuxième rapport périodique de Singapour (CEDAW/C/SING/1 et 2)


Reprenant la série de questions entamée ce matin, Mme EMNA AOUIJ a d’abord estimé que le développement économique et social, louable à Singapour, ne peut se pérenniser sans un développement politique et celui des mentalités au risque de voir un déséquilibre au sein de la société.  La femme doit trouver son rôle de citoyenne à part entière, a-t-elle arguée en ajoutant que l’économie du XXIème siècle ne peut cohabiter avec une société archaïque.  La communauté musulmane est régie par des lois différentes donnant ainsi lieu à une cohabitation de deux sociétés musulmane et bouddhiste.  Il s’agit là d’un véritable cas de discrimination par rapport aux femmes musulmanes qui est à part à la fois dans la vie privée et dans la vie publique, a poursuivi l’experte.  Les femmes, a-t-elle demandé, peuvent-elles être officiers d’état civil dans des municipalités régies par des lois civiles?  Peuvent-elles être juges auprès des tribunaux civils? Peuvent-elles choisir l’une ou l’autre société?  Comment les femmes s’organisent-elles?  Sont-elles intégrées au sein de la société, dans les ONG ou dans les cadres administratifs?  Ont-elles des ONG spéciales qui militent pour elles?  A son tour, Mme HANNA BEATE SCHOPP-SHILLING a souhaité savoir comment Singapour peut avoir une législation qui ne vise que les femmes mères qui travaillent et pas les pères qui travaillent? 


Il s’agit là d’une contradiction au titre de l’article 5 de la Convention qui stipule que la maternité est une fonction sociale, a estimé l’experte.  Y-a-t-il des efforts pour éliminer cette différence conformément à l’esprit de la Convention? a encore souhaité savoir l’experte avant de revenir sur une “question préoccupante” relative à la primauté qui est donnée aux valeurs familiales au détriment du cadre juridique.  Les lois sont là pour instaurer un cadre neutre; la primauté du droit garantissant l’égalité entre tous les citoyens, a-t-elle dit.  Poursuivant sur l’article 5, Mme MARIA YOLANDA FERRER GOMEZ a demandé des compléments d’informations sur la conception du rôle commun des hommes et des femmes.  Les valeurs traditionnelles étant discriminatoires en ce qui concerne la femme, il est préoccupant de constater l’absence d’efforts pour contrer l’impact des valeurs traditionnelles et instaurer ainsi un vrai partage des tâches, a estimé l’experte avant d’étayer ses propos par la représentation des femmes dans les médias.  Concernant l’article 12, elle a souhaité savoir pourquoi aucun effort n’est déployé pour inclure les hommes dans la résolution des problèmes liés à la planification de la famille.  Le Gouvernement a-t-il l’intention de continuer de sensibiliser la population de Singapour à l’égard de la polygamie en particulier, a-t-elle encore demandé. 


Toujours sur l’article 5, Mme HEISO SHIN a souhaité connaître la signification exacte du concept de “famille saine”.  En ce qui concerne le rôle des hommes et des femmes, elle a demandé si les cours “d’économie familiale” sont obligatoires ou facultatifs pour les hommes comme pour les femmes?  Quel est le nombre de garçons qui suivent ces cours et d’ailleurs, a-t-elle ajouté, à quoi bon offrir ces cours si, dans le même temps, rien n’est fait pour modifier le contenu des manuels scolaires en ce qui concerne la représentation des femmes?  A son tour, M. GORAN MELENDER a demandé s’il existe une explication pour la baisse des condamnations à la suite des crimes perpétrés contre les femmes.  Venant à l’article 6, Mme ROSARIO MANALO a d’abord  rappelé que les immigrés représentent 30% de la population active.  Elle a surtout soulevé la question des femmes domestiques pour dénoncer les restrictions graves que connaissent ces dernières concernant leurs droits fondamentaux.  Que faites-vous pour corriger ces violations et notamment celle qui consiste à leur interdire de tomber enceinte?   L’amendement du code pénal visant à renforcer les sanctions contre les abus physiques et sexuels sur ces domestiques semble ne pas avoir suffi, les cours et les tribunaux laissant traîner les choses, a encore estimé l’experte avant de demander comment Singapour coordonne ses efforts pour surmonter ces abus alors même qu’il a émis des réserves sur l’article 11.  Ces réserves violent donc les objectifs mêmes de la Convention, a poursuivi l’experte avant de s’attarder sur la question de la traite des femmes.  Singapour, a-t-elle dit, est un lieu de transit de cette traite.  Comment fait-il face à ces questions?


Intervenant aussi sur la question de la traite des femmes et de la prostitution, Mme LIVINGSTONE RADAY a souhaité savoir combien de prostituées et de responsables de la traite ont été accusés et condamnés.  S’agissant des mesures prises pour empêcher l’utilisation de Singapour comme zone de trafic, quel type de protection est offert aux témoins? a, en outre, voulu savoir l’experte.  Mme AIDA GONZALEZ MARTINEZ a elle souhaité mieux comprendre les mesures prises pour combattre le trafic des femmes et des enfants.  Sur l’article 7, Mme FENG CUI a estimé que le faible niveau de participation des femmes au processus de prise de décisions constitue un paradoxe au regard du niveau élevé du développement économique et social de Singapour.  Là, le principe de la méritocratie ne semble pas fonctionner, a estimé l’experte, puisque Singapour a un des taux les plus bas rencontrés dans le monde.  Est-ce le manque de femmes qualifiées qui explique le problème ou y-a-t-il plutôt une discrimination occulte à l’égard des femmes?  A son tour, Mme FRANÇOISE GASPARD a demandé les véritables raisons de cette “faiblesse particulière” dans la participation au processus de prise de décisions.  Y-a-t-il une réflexion sur un éventuel recours à des mesures de discrimination positive?  Quelle est l’action du Gouvernement pour au moins encourager les organisations politiques à présenter davantage de femmes ou pour encourager les ONG féminines à s’engager dans le débat politique?  


Abordant l’article 8, Mme MYAKAYAKA-MANZINI a souhaité savoir ce qui est fait pour encourager les femmes à s’engager dans les affaires internationales?  Sur l’article 9, Mme IVANKA CORTI a estimé que les réserves de Singapour mettent le citoyen dans une “situation de faiblesse”.  Je suis, a-t-elle dit, très étonnée des réserves mais aussi de la façon dont Singapour traite la question de la nationalité alors même qu’il est un pays de transit et qu’il connaît un taux assez élevé de mariages avec des étrangers.  Qu’en est-il pour une femme étrangère qui, ayant épousé un Singapourien, demande le divorce? Qu’en est-il des enfants, quelles sont les dispositions relatives à la garde des enfants, en particulier dans le cas où la mère étrangère veut quitter le pays?  En ce qui concerne l’acquisition de la nationalité, qu’est-ce-que le permis de résidence donne comme droits et comment l’acquérir?  Quels sont les droits que confère la citoyenneté singapourienne? a-t-elle encore demandé.  Mme SAVITRI GOONESEKERE a, elle, dit vouloir soulever une “contradiction” qui veut que Singapour se réclame de la culture asiatique tout en pratiquant une sorte de déni des droits de la femme et de l’enfant né à l’étranger comme l’attestent les dispositions relatives à la nationalité.  Est-ce que cette loi a été contestée et, sinon, pour quelle raison?


Concernant l’article 10, Mme CHIKAKO TAYA a souhaité savoir comment Singapour justifie la pratique des quotas dans certaines facultés universitaires pour limiter le nombre de femmes.  Pourquoi les garçons reçoivent beaucoup plus de bourses que les filles? a demandé M. GORAN MELANDER.  Mme SJAMSIAH ACHMAD a, elle, voulu savoir comment le pays procède pour assurer l’égalité entre les écoles publiques et privées. Quelle est la politique en ce qui concerne les fonctionnaires du service national et a-t-elle des conséquences pour les femmes, a demandé? à son tour, Mme SAVITRI GOONESEKERE.    


Mme MARIA YOLANDA FERRER GOMEZ a demandé que soit mis à la disposition du Comité une ventilation du chiffre relatif à la population active féminine et, en particulier, la proportion de femmes dans la production réservée à l'exportation.  Quels sont leurs droits?  S'agissant de l'écart entre les salaires, quelles mesures sont envisagées du point de vue législatif pour éliminer celui-ci et assurer l'égalité des salaires, a-t-elle ajouté.  Quelles sont les conditions que les femmes doivent remplir pour s'inscrire comme chercheur d'emploi.  Mme CHIKAKO TAYA a, pour sa part, encouragé Singapour à étendre le champ d'application de la loi sur le travail pour qu'elle s'applique aux domestiques et aux postes de direction. Elle a aussi demandé des précisions sur la procédure de plainte contre les employeurs pour les personnes victimes de discrimination. 


Revenant sur la question des travailleurs étrangers, Mme LIVINGSTONE RADAY a demandé des précisions sur la question des licenciements de travailleurs migrants pour cause de maternité.  Elle s'est aussi déclaré préoccupée par le fait que les permis de travail sont liés à l'employeur ce qui empêche les porteurs de tels permis de se défendre d'éventuelles discriminations perpétrées par cet employeur.  Elle a demandé si le Gouvernement envisage d'éliminer la discrimination entraînée par la limitation des droits des femmes enceintes.  Venant à la législation et aux dispositions discriminatoires, elle a fait observer que l'adoption d'une loi interdisant la discrimination fondée sur le sexe est nécessaire. 


S'agissant des politiques d'encouragement des naissances, Mme FENG CUI a demandé si le Gouvernement a étudié les répercussions d'une telle loi sur les femmes et sur leurs possibilités d'emplois.  Elle s'est demandée si elle devait comprendre, en lisant le rapport, que seules les familles instruites étaient encouragées à avoir plus d'enfants.  Mme HANA BEATE SCHOPP-SCHILLING a demandé que le Gouvernement fournisse toutes les statistiques relatives à l'emploi, ventilées par sexe, par âge et par secteurs d'activités.  Elle a demandé des précisions sur le mécanisme de calcul des pensions de retraite, de même que sur l'existence de règles pour la fixation des salaires dans les secteurs public et privé. 

Mme SAVITRI GOONESEKERE s'est interrogée sur l'opportunité, dans un contexte de mondialisation, de laisser à l'employeur la liberté de régler la question des modalités d'emploi et de congés sans l'obliger, par des dispositions contraignantes, à respecter certaines obligations et les droits des travailleurs. 


Mme CHARLOTTE ABAKA, Présidente du Comité, a fait observer que les droits fondamentaux de procréation des femmes domestiques sont violés et a appelé le Gouvernement à changer les dispositions relatives aux droits des domestiques.  S'agissant de l'article 12, elle a demandé des statistiques de l'impact du VIH/sida ventilés par sexe, âge et ethnie.  Y-a-t-il des programmes pour les personnes victimes du sida? Comment se fait-il qu'il n'y ait pas d'informations dans le rapport sur le statut légal de l'avortement et sur les programmes pour lutter contre la toxicomanie?  S'agissant de l'article 13, elle a demandé des explications sur le statut fiscal de l'épouse par rapport à son mari.  Elle a demandé des explications sur la capacité juridique de l'épouse, notamment dans le cas où, dans le ménage, seule la femme travaille.  Pour ce qui est de l'interprétation donnée à l'article 15, Mme FATIMA KWAKU a demandé si le Gouvernement ou le Conseil des organisations féminines envisage de publier un guide sur la Convention et sur les droits des femmes comme cela a été fait sur la famille.  


Poursuivant la série de questions sur l’article 16, Mme AYSE FERIDE ACAR a argué que le respect de la culture ne saurait se faire au détriment des droits de la femme, en ajoutant que l’exercice de ces droits commence au sein de la famille et, en particulier, dans le cadre du mariage.  Elle a donc demandé à Singapour de revenir sur ses réserves à l’article 16 ou du moins de les réduire à une déclaration plus spécifique.  Elle a plaidé pour une interprétration plus progressiste de l’article en appelant le Gouvernement à susciter un débat public sur ces questions.  Rappelant que l’article 375 du code pénal singapourien stipule que les relations sexuelles avec une femme de moins de 13 ans est considéré comme un viol, l’experte a argué qu’il est difficile de comprendre la réglementation en la matière lorsque l’on sait que l’âge légal de mariage avec le consentement des parents est fixé à 16 ans pour les musulmanes et à 18 ans pour les autres.  Qu’advient-il d’un homme qui a une relation sexuelle avec une fille âgée de 13, 14 ou 15 ans?  Elle a aussi posé des questions sur les dispositions relatives à l’adultère et au divorce au regard de la charia. 


Quelles sont les règles qui régissent les droits des femmes musulmanes mariées à la libre circulation et au travail? a encore demandé l’experte avant de conclure sur une question concernant les statistiques sur l’éducation ou la violence à l’égard des femmes et de demander ces statistiques ventilées par sexe mais aussi par groupe ethnique ou religieux.  Enfin, Mme FATIMA KWAKU est revenue sur la question de la polygamie dont la loi dispose qu’elle est autorisée sous réserve du consentement d’un cadi.  Elle a argué que les cadis étant des hommes; cette loi ne peut être que discriminatoire à l’égard de la femme.


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