SG/SM/7933

LE SECRETAIRE GENERAL EXHORTE LA CONFERENCE DE DURBAN A REPONDRE AUX ATTENTES DU MONDE ENTIER EN LANCANT UN APPEL A L’ACTION CONTRE LE RACISME

31/08/2001
Communiqué de presse
SG/SM/7933


                                                            RD/930


LE SECRETAIRE GENERAL EXHORTE LA CONFERENCE DE DURBAN A REPONDRE AUX ATTENTES DU MONDE ENTIER EN LANCANT UN APPEL A L’ACTION CONTRE LE RACISME


“Nous devons bannir de ce siècle nouveau les haines

et les préjugés qui ont marqué les précédents du sceau de l’infamie”


On trouvera ci-après le texte de l’allocution prononcée aujourd’hui par le Secrétaire général, M. Kofi Annan, à l’occasion de l’ouverture de la Conférence mondiale contre le racisme de Durban (Afrique du Sud) :


Chacun d’entre nous est touché, j’en suis sûr, par le symbolisme que revêt la conjonction du thème de cette conférence, du moment où elle se tient et de l’endroit où nous nous trouvons.


Pendant des dizaines d’années, le nom de ce pays a été synonyme de la pire forme de racisme qui soit.


Aujourd’hui, Monsieur le Président, grâce à vous et à vos concitoyens, cette Afrique du Sud longtemps associée à l’injustice et à l’oppression porte bien haut le flambeau de la raison et de l’espoir pour un continent en difficulté et pour le monde tout entier.


Je vous le demande, chers amis : où aurions-nous pu tenir cette conférence, sinon ici?


Qui, mieux que le peuple sud-africain, pourrait nous montrer la voie à suivre pour surmonter le racisme, la discrimination et l’intolérance?


Monsieur le Président, nous saluons votre direction éclairée de ce pays.


Nous saluons le mouvement héroïque que vous représentez.


Nous saluons Madiba, dont nous regrettons tous l’absence, mais qui, à un niveau plus profond, est bel et bien présent parmi nous.


Nous saluons la mémoire de tous ceux qui ont lutté pour la justice et la liberté dans ce pays, de Mohandas Gandhi à Oliver Tambo et de Steve Biko à Ruth First.


Je me dois aussi de mentionner le courage de F. W. de Klerk, qui a su faire face à l’inévitable et persuader les siens de l’accepter.


Mais tout cela étant dit, nous ne sommes pas ici pour nous réjouir. Nous sommes ici pour apprendre.


Nous sommes ici pour faire partager notre expérience, parler de l’avenir et évaluer la situation. Pour faire le bilan de ce que nous avons accompli et mesurer le chemin qui nous reste à parcourir pour, enfin, vaincre le racisme.


Une des choses dont nous pouvons nous réjouir est que le racisme soit désormais universellement condamné. Rares sont ceux qui, dans le monde d’aujourd’hui, osent affirmer ouvertement que tous les êtres humains ne naissent pas égaux en droits.


Toutefois, bien trop nombreux sont ceux qui continuent d’être persécutés parce qu’ils appartiennent à un groupe particulier, qu’il soit national, ethnique, religieux, ou fondé sur le sexe ou sur l’origine.


Souvent, la discrimination se cache derrière des prétextes fallacieux.


Quelqu’un se voit refuser un emploi parce qu’il n’a pas poussé très loin ses études; quelqu’un d’autre ne peut trouver de logement parce que le taux de criminalité est élevé dans le groupe auquel il appartient.


Les faits invoqués, même lorsqu’ils sont réels, sont souvent le résultat de la discrimination. L’injustice enferme les gens dans la pauvreté, la pauvreté devient prétexte à l’injustice, et le cercle vicieux se perpétue.


Nombreux sont ceux qui sont maltraités, ou privés de protection, parce qu’ils ne sont pas citoyens du pays où ils se trouvent, mais sont venus d’ailleurs sans qu’on les ait invités. Pourtant, beaucoup d’entre eux sont venus pour se charger de travaux que personne d’autre ne veut faire ou parce que, persécutés dans leur pays, ils n’ont eu d’autre choix que de fuir. Ces travailleurs immigrés, ces réfugiés ont particulièrement besoin de protection, et cette protection leur est due.


Ailleurs, les peuples autochtones et les minorités nationales sont opprimés parce que leur culture et leurs moyens d’expression sont vus comme des menaces à l’unité nationale. Quant ils protestent, leur culpabilité n’en devient que plus certaine.


Dans les cas les plus extrêmes, qui sont hélas bien trop courants, les membres d’un groupe sont chassés de chez eux, voire massacrés, parce que certains voient leur présence même comme une menace à la sécurité d’un autre groupe.


Parfois, ces problèmes résultent en grande partie d’injustices terribles commises dans le passé : l’exploitation et l’extermination de peuples autochtones par des puissances coloniales, ou l’utilisation de millions d’êtres humains traités comme des marchandises par d’autres êtres humains prêts à les transporter et à s’en débarrasser par profit.


Plus le temps passe, plus il devient difficile de déterminer qui furent les responsables. Mais les effets demeurent. La douleur et la colère sont encore là. Par l’intermédiaire de leurs descendants, les morts réclament que justice soit faite.


Rechercher dans des crimes passés l’origine des inégalités d’aujourd’hui n’est pas nécessairement le moyen le plus constructif de remédier à celles-ci, sur le plan matériel.


Mais l’homme ne vit pas que de pain. Les liens que chaque homme et chaque femme entretient avec le passé font partie de son identité.


Certains crimes de proportions historiques sont attribuables à des individus encore en vie, ou à des sociétés commerciales qui continuent d’exercer leurs activités. Les uns et les autres doivent s’attendre à ce qu’on leur demande des comptes. Il se peut que la société à laquelle ils ont fait tant de tort leur pardonne, dans le cadre d’un processus de réconciliation, mais ce pardon n’est pas un dû; ils ne peuvent l’exiger.


Lorsque aux profits réalisés par les uns, et aux pertes subies par les autres, ont fait suite une myriade d’autres transactions, les choses sont encore bien plus complexes. Mais il n’en existe pas moins un lien de continuité entre les sociétés et les États d’aujourd’hui et ceux qui ont, à l’époque, commis des crimes.


Chacun d’entre nous se doit de se demander quelle est sa place dans cette chaîne historique complexe. Il est assez aisé de penser aux torts que notre propre société a subis. Il est plus dérangeant de se demander dans quelle mesure notre confort repose sur les souffrances d’autrui, passées ou présentes.


Mais si nous désirons sincèrement tourner le dos aux conflits du passé, nous devons tous faire cet effort de réflexion.


Les dirigeants politiques, qui ont accepté de représenter une société tout entière, portent une responsabilité particulière. Ils doivent certes rendre compte à leurs concitoyens, mais ils doivent aussi, dans un certain sens, rendre compte des actes de leurs concitoyens et des décisions de leurs prédécesseurs.


Le passé récent offre plusieurs exemples marquants de dirigeants nationaux qui ont assumé cette responsabilité, ont reconnu les injustices commises et ont demandé pardon aux victimes et à leurs descendants, ou leur ont présenté des excuses.


Ces gestes ne peuvent réparer les injustices passées. Mais dans certains cas, ils peuvent aider les gens à vivre aujourd’hui – et demain – libres des fers dans lesquels ils ont été mis hier.


Quoi qu’il en soit, Monsieur le Président, les injustices passées ne doivent pas nous faire oublier celles d’aujourd’hui.


Nous devons tendre à bannir de ce siècle nouveau les haines et les préjugés qui ont marqué les précédents au sceau de l’infamie.


C’est une lutte qui se trouve au coeur même de l’action des Nations Unies.


Cette année nous a donné plusieurs occasions de constater que le racisme et la discrimination sont parmi les principaux obstacles à surmonter dans bien des domaines; je citerai par exemple la Conférence sur les pays les moins avancés, la session extraordinaire sur le VIH/sida et la session extraordinaire sur les enfants qui se tiendra le mois prochain.


Dans nos efforts pour maintenir et consolider la paix, nous sommes sans cesse aux prises avec les effets de la xénophobie et de l’intolérance.


Ce n’est qu’en attaquant ces maux à la racine que nous pourrons espérer prévenir les conflits. Et cela implique que des mesures déterminées soient prises pour les extirper de toutes les sociétés car, hélas, aucune n’est à l’abri.


L’année dernière, dans la Déclaration du Millénaire, les dirigeants de tous les États Membres ont décidé de « prendre des mesures pour assurer le respect et la protection des droits fondamentaux des migrants, des travailleurs migrants et de leur famille, pour mettre fin aux actes de racisme et de xénophobie dont le nombre ne cesse de croître dans de nombreuses sociétés et pour promouvoir une plus grande harmonie et une plus grande tolérance dans toutes les sociétés ».


Avec ces mots, Monsieur le Président, ils ont défini le véritable ordre du jour de la présente conférence.


Nous ne devons pas quitter ces lieux sans nous être mis d’accord sur des mesures concrètes que tous les États devraient adopter pour concrétiser leur décision. Celle-ci doit se refléter dans les budgets et les programmes de développement, dans les lois, dans les institutions et, surtout, dans l’enseignement dispensé à l’école.


Souvenons-nous que personne ne naît raciste. Les enfants apprennent le racisme en grandissant, en observant la société qui les entoure; trop souvent, les stéréotypes qu’ils rencontrent sont renforcés, délibérément ou non, par les médias.


Sans pour autant sacrifier la liberté de la presse, nous devons nous employer à réfuter les arguments pseudo-scientifiques et à remplacer les images négatives par des images positives. Nous devons apprendre à nos enfants et à nos concitoyens à ne pas craindre la diversité, mais à la chérir.


Cette conférence fut extrêmement difficile à préparer, parce que les questions qui doivent y être abordées ne sont pas de celles qui recueillent facilement un consensus.


Oui, nous sommes tous d’accord pour condamner d’une seule voix le racisme. C’est précisément pour cette raison qu’il est particulièrement douloureux, pour un individu ou un groupe, d’être accusé de racisme.


C’est une accusation qui blesse notre amour-propre, car bien peu d’entre nous se reconnaissent racistes. C’est une accusation qui suscite la peur, car si un groupe est accusé de racisme, il risque de faire l’objet de représailles, voire d’être persécuté à son tour.


On le voit très bien aujourd’hui au Moyen-Orient.

Le peuple juif a été en butte à l’antisémitisme dans bien des régions du monde; en Europe, il a subi l’Holocauste, l’abomination absolue. C’est un fait qui ne doit jamais être oublié, ni minimisé.


Il est donc compréhensible que beaucoup de Juifs soient profondément indignés quand Israël est accusé de racisme, surtout lorsque, dans le même temps, des civils innocents sont la cible d’attentats terroristes.


Toutefois, nul ne peut demander aux Palestiniens d’accepter que les injustices dont eux sont victimes – déplacements, occupation, blocus et, maintenant, exécutions extrajudiciaires  – soient ignorées pour la cause.


Chers amis, nous ne sommes pas ici pour lancer des accusations. Notre objectif n’est pas de clouer les racistes au pilori, mais d’améliorer le sort des victimes.


Nous devons admettre que tous les pays ont des problèmes de racisme et de discrimination à régler.


Plutôt que de jeter la pierre à un pays ou à une région en particulier, décidons que lorsque nous quitterons Durban, chaque pays se sera engagé à élaborer et à mettre en oeuvre son propre programme national de lutte contre le racisme, conformément aux principes généraux que nous aurons arrêtés d’un commun accord.


Pendant des mois et des semaines, nos représentants ont travaillé d’arrache-pied pour parvenir à un accord sur ces principes.


Ils ont beaucoup progressé. De grandes parties de la Déclaration et du Programme d’action font l’objet d’un accord, y compris celles qui portent sur des questions aussi délicates que les peuples autochtones, les migrants, les réfugiés et les « personnes d’origine africaine ».


Chers amis, cette conférence va mettre la communauté internationale à l’épreuve; cette conférence va montrer si la communauté internationale est prête à s’unir pour défendre une cause qui touche profondément les gens au quotidien.


Nous devons passer le test. La préparation de cette conférence a suscité une mobilisation extraordinaire de la société civile dans de nombreux pays. Elle a fait naître des attentes que nous ne pouvons décevoir.


Si nous quittons Durban sans être parvenus à un accord, nous encouragerons les éléments les plus vils de nos sociétés. Mais si, après tant de difficultés, nous avons en main, en partant, un appel à l’action soutenu par tous, nous donnerons espoir à tous les hommes et à toutes les femmes de courage qui combattent le racisme dans le monde entier.


Trêve de querelles! Laissons nos désaccords derrière nous et faisons écho au slogan qui fusa de toutes parts dans ce pays, lors des élections de 1994, à la fin du long combat contre l’apartheid :


SEKUNJALO!  Le moment est venu!


Merci beaucoup.


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