LES OPERATIONS MILITAIRES NE DOIVENT PAS ETRE PRESENTEES COMME UNE ACTION HUMANITAIRE, DECLARE LE SECRETAIRE GENEAL
Communiqué de Presse
SG/SM/7632
LES OPERATIONS MILITAIRES NE DOIVENT PAS ETRE PRESENTEES COMME UNE ACTION HUMANITAIRE, DECLARE LE SECRETAIRE GENEAL
20001124On trouvera ici le texte de lallocution prononcée le 20 novembre par le Secrétaire général, M. Kofi Annan, à loccasion de louverture du Colloque de lAcadémie internationale de la paix, sur laction humanitaire; était également présent le Ministre néerlandais des affaires étrangères, M. Jozias van Aartsen :
Je tiens dabord à vous remercier, Monsieur le Ministre, et à remercier votre gouvernement davoir proposé ce colloque sur un sujet qui préoccupe beaucoup lOrganisation des Nations Unies, et de remercier lAcadémie internationale de la paix, qui, comme à laccoutumée, a démontré quelle était prête à discuter dune question pareillement troublante.
Je devine que certains dentre vous sattendent à ce que je répète ce que jai dit devant lAssemblée générale, lan dernier, au sujet de lintervention et de la souveraineté. Si cest le cas, je crains de vous décevoir, car ce nest pas ce quà lONU nous appelons « action humanitaire ».
En fait, ce colloque est tout à fait utile, arrive au bon moment, car le mot « humanitaire » lui-même, engendre de plus en plus de confusion.
Le dictionnaire Le Robert définit cette notion comme « ce qui vise au bien de lhumanité » et renvoie au mot de philanthropie.
Dans ce sens du mot, nous sommes probablement tous fondés à nous considérer comme des humanitaires, et certainement à désigner ainsi laction des Nations Unies, depuis le développement jusquau maintien de la paix, et, en fait, cest bien de cette façon que le public, en général, considère notre action.
Aux Nations Unies, pourtant, le terme est plus étroitement défini.
Lensemble de notre action vise la préservation de la vie humaine et lamélioration de sa qualité. Mais les humanitaires, parmi nous, sont ceux qui travaillent à sauver des vies exposées à un danger immédiat, et à atténuer des souffrances qui sont déjà aiguës.
Ce sont eux qui apportent des aliments à ceux qui sont menacés de mourir de faim, une aide médicale à ceux qui sont blessés, un abri à ceux qui ont perdu leur logis, du réconfort à ceux qui ont perdu leurs proches.
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Ce sont eux qui voient souffrir lhumanité, et qui, chaque jour, sont les spectateurs de ces souffrances dans les opérations quils entreprennent sur le terrain. Dans leur travail, ils voient ces souffrances, et ne savent que trop que celles-ci ne sont pas des choses sans cause, mais sont au contraire causées par la nature ou par lhomme. Or, dans une grande proportion, ces souffrances pourraient être évitées, par des politiques plus sages, ou plus vigoureuses. Et bien entendu, si elles peuvent être évitées, il faut les éviter.
Les travailleurs humanitaires en sont conscients comme personne. Rien nest plus frustrant que le spectacle de souffrances humaines généralisées quand vous savez que ces souffrances auraient pu être évitées si seulement de meilleures décisions avaient été prises au bon moment, ou si on avait pensé aux conséquences humaines des décisions prises.
La plupart des travailleurs humanitaires apprennent aussi, rapidement, que leur travail a parfois des résultats qui vont au-delà du secours immédiat des souffrances quils ont pour mission déviter.
Lidéal humanitaire est de traiter tous les hommes comme égaux, et de faire du besoin et de la souffrance les seuls critères qui diront qui il faut aider. Trop souvent nous constatons que notre bonne volonté impartiale nest pas neutre dans ses effets.
À maintes reprises, dans les conflits des 20 dernières années, nous avons vu laide humanitaire manipulée par les belligérants et par des régimes peu scrupuleux pour servir leurs intérêts politiques. Chaque jour, dans le travail humanitaire des Nations Unies, nous sommes face à des dilemmes moraux angoissants.
Devons-nous continuer à dépêcher des aliments aux non-combattants dans une zone contrôlée par un belligérant, quand nous savons quune grande partie de cette aide alimentaire sera détournée au profit des combattants et que nous ne pourrons atteindre ceux qui sont de lautre côté?
Devons-nous permettre aux armées de prélever un certain pourcentage des secours, pour quelles autorisent leur acheminement jusquaux populations dans le besoin, quand cela peut avoir pour effet de prolonger le conflit?
Devons-nous aider les victimes à gagner des zones de sécurité, quand, ce faisant, nous aidons également leurs persécuteurs à contrôler leurs lieux dhabitation et à « nettoyer » les zones quils souhaitent débarrasser de leur population?
Devons-nous continuer à apporter des secours humanitaires à un pays où une grande partie de la population les femmes par exemple sont dépouillées de leurs droits les plus élémentaires? Sans secours, leurs besoins risquent de devenir plus aigus, mais les secours risquent au contraire daider à stabiliser le régime en place et ainsi à prolonger loppression.
En bref, les catastrophes humanitaires, très souvent, ont des causes politiques et laction humanitaire a souvent aussi des effets politiques.
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Il nest donc pas surprenant que les travailleurs humanitaires aient souvent des opinions politiques bien arrêtées.
Certains dentre nous voient avec horreur les souffrances causées par les guerres et deviennent ainsi des pacifistes intraitables, rejetant lidée même quune guerre puisse jamais être juste.
Dautres réagissent dans le sens opposé, et préconisent une action militaire décisive pour mettre fin aux tueries et au nettoyage ethnique dont les sinistres effets ne sont que trop visibles.
Certains insistent pour ne soccuper que des souffrances immédiates et ne pas avoir à se demander si les secours apportés ce jour ne risquent pas dentraîner, demain, de nouvelles souffrances.
Dautres considèrent que cette façon de penser est naïve, irresponsable, et que laide humanitaire devrait être subordonnée à lobservation de certaines règles minimales de comportement, par les bénéficiaires et leurs dirigeants.
Mais que se passe-t-il quand ces conditions ne sont pas réunies, ou quand des promesses sont faites mais non tenues? Allons-nous simplement laisser les gens mourir? Les humanitaires ne peuvent sy résoudre.
Bien entendu, il ny a pas de réponse facile à ces questions, et, dans la vie réelle, on ne peut dire quil existe un humanitarisme intégralement neutre. Lhomme est en effet un animal politique et la politique affecte toutes les activités humaines.
Jespère quau cours de ce colloque, vous maiderez à préserver le caractère spécifique de laction humanitaire, de façon quon ne la confonde pas avec tout autre chose.
David Malone nous a dit, dans sa lettre dinvitation, que le titre « Action humanitaire » renvoyait à « lensemble des réponses humanitaires aux situations de conflit et de crise, depuis la fourniture de laide avec le consentement des États, jusquà lintervention militaire ».
Jirai un peu plus loin et je dirai abandonnons simplement lutilisation du terme « humanitaires » pour décrire des opérations militaires.
Et je sais que vous allez dire que, lan dernier, jai parlé dintervention humanitaire.
Bien entendu, lintervention militaire peut être entreprise pour des motifs humanitaires.
Je suis moi-même convaincu, et je pense que cela ressort implicitement de la Charte, quil existe des cas où lutilisation de la force peut être légitime et nécessaire car il ny a pas dautres moyens de sauver un grand nombre de gens en les protégeant de la violence et du massacre. Jespère que ces cas demeureront très rares, et je suis fermement convaincu quil nous appartient de les rendre plus rares encore. Et pourtant, de tels cas existent.
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Une intervention militaire de cette nature ne devrait donc pas, à mon avis, être confondue avec une action humanitaire. Autrement, nous nous verrions utiliser des expressions telles que « bombardement humanitaire », et lopinion ne tarderait pas à sabandonner au cynisme.
Et je me souviens que durant la crise du Kosovo, jai eu une longue conservation avec notre grand ami Cornelio Sommaruga, qui était très gêné de voir que les organismes humanitaires se trouvaient mis sur la touche et que les forces des pays de lOrganisation du Traité de lAtlantique-Nord (OTAN) se trouvaient profondément engagées dans des activités humanitaires. Et Cornelio élevant soudain la voix me dit « Vous devez faire quelque chose, vous devez dire à lOTAN de ne pas tomber dans le mélange des genres, de ne pas prendre notre place, et nous nous ne pouvons pas laisser la confusion sinstaller, car cela donnerait limpression que ce sont les mêmes qui jettent les bombes et apportent le pain. Nous sommes chargés dapporter le pain, quils soccupent des hostilités, ou de ce quil y a à faire là-bas. » Son propos était celui dun homme passionné.
Je pense que les travailleurs humanitaires pensent parfois que lintervention militaire est indispensable dans une situation donnée. Mais ils ne considèrent pas cette intervention comme faisant partie de leur propre travail.
Au contraire, leur irritation est à son comble quand ils voient que leur travail est utilisé en lieu et place dune action politique ou militaire, car les politiques nont pas la volonté de faire leur travail correctement.
Certains humanitaires en sont si profondément convaincus quils ont en fait abandonné le travail purement humanitaire pour entrer dans la vie politique. Je respecte cette façon de voir et je pense que ceux qui demeurent dans le domaine humanitaire doivent également leur être reconnaissants de cette attitude, qui a lavantage de clarifier la division du travail.
Aucun gouvernement ne doit être amené à craindre que lacceptation de laide humanitaire soit la première étape dune intervention militaire.
Au contraire, les gouvernements devraient être ardemment désireux dautoriser laide humanitaire à atteindre leur peuple, sans entraves, car, ce faisant, ils suppriment un prétexte au moins dintervention militaire. Cest en effet dans lintérêt de chacun que de distinguer nettement les deux choses.
Tout au moins cest là mon point de vue. Mais je vous écouterai avec beaucoup dattention, Monsieur le Ministre, et je prendrai connaissance avec beaucoup dintérêt de lopinion des autres participants.
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