LE SECRETAIRE GENERAL SOULIGNE QU'UN DES PLUS GRANDS DEFIS QUE L'HUMANITE DEVRA RELEVER
Communiqué de Presse
SG/SM/7467
LE SECRETAIRE GENERAL SOULIGNE QU'UN DES PLUS GRANDS DEFIS QUE L'HUMANITE DEVRA RELEVER
20000627AU XXIe SIECLE SERA DE RENDRE LA DEMOCRATIE AUSSI UNIVERSELLE DANS LA PRATIQUE
La démocratie nous offre une double promesse : la paix et l'émancipation
On trouvera ci-après le texte de la déclaration prononcée aujourdhui à Varsovie (Pologne) par le Secrétaire général, M. Kofi Annan, à loccasion de la Conférence internationale intitulée Vers une communauté de démocraties :
"Je suis très heureux de m'associer aujourd'hui à une nouvelle coalition de démocraties qui a pour vocation d'élargir les espaces de liberté et d'aider la démocratie à prospérer là où elle a déjà pris racine.
La validité des principes démocratiques est désormais universellement reconnue. Le droit de tous les citoyens de participer au gouvernement de leur pays grâce à des élections libres et régulières, énoncé à l'article 21 de la Déclaration universelle des droits de l'homme, n'est pas spécifique à une culture particulière. Les hommes et les femmes de toutes les cultures tiennent à leur liberté de choix, et veulent avoir leur mot à dire dans les décisions qui les touchent. De plus en plus, ils comprennent que la démocratie, lorsqu'elle est bien appliquée, est la meilleure garantie d'un climat qui permette aux citoyens d'échanger des idées mutuellement enrichissantes et de trouver ensemble des solutions à leurs problèmes communs.
Un des plus grands défis que l'humanité devra relever au XXIe siècle sera de rendre la démocratie aussi universelle dans la pratique. Les nations où la démocratie est déjà bien établie devront être vigilantes pour préserver cet acquis; elles devront aussi, ensemble, aider les pays où la démocratie fait ses premiers pas. Je sais que c'est là l'objectif principal de votre nouvelle coalition, et je m'en félicite sérieusement.
Permettez-moi également de saluer le Gouvernement polonais, et en particulier le professeur Geremek, pour le rôle primordial qu'ils ont joué dans l'organisation de cette conférence. Le fait que cette réunion se tienne aujourd'hui à Varsovie est un hommage au remarquable combat pour la liberté que la Pologne a livré dans les années 80, un combat non violent qui a donné aux peuples du monde entier l'espoir qu'ils pourraient eux aussi, un jour, prendre en main leur propre destin.
La renaissance démocratique qu'a connu la Pologne en 1989 a été suivie par des progrès économiques. Le monopole de l'État n'existe plus, la décentralisation économique est à l'ordre du jour, et l'initiative individuelle est récompensée dans l'ensemble de la société. La démocratie commence vraiment à porter ses fruits. La Pologne a trouvé de nouveaux alliés, et est en passe de devenir membre de l'Union européenne.
Les sacrifices exigés de la population rendent ces résultats d'autant plus remarquables. Mais il convient de souligner qu'ils sont liés à la transition d'une économie dirigée par l'État à une économie de marché, et non à la démocratisation elle-même. Certes, ces deux processus vont souvent de pair, et il faut bien savoir que face aux coûts sociaux de la transition, la population risque de perdre foi dans la démocratie. Toutefois, ce n'est pas une raison pour ralentir la réforme économique: c'est plutôt une raison pour gérer ses effets avec le plus grand soin.
En tant que Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies, je suis particulièrement heureux que cette nouvelle coalition appuie les valeurs qui sous-tendent notre Organisation, telles qu'elles sont énoncées dans la Charte et dans la Déclaration universelle des droits de l'homme.
En fait, le thème de cette conférence : « Vers une communauté de démocraties » rejoint mon aspiration la plus profonde pour les Nations Unies. Lorsque les Nations Unies seront elles-mêmes une véritable communauté de démocraties, elles se seront rapprochées des nobles idéaux de la Charte, tels la protection des droits de l'homme et la promotion du progrès social dans une liberté plus grande.
Lorsque les Membres fondateurs de l'Organisation des Nations Unies se sont réunis à San Francisco il y a plus d'un demi-siècle, ils savaient que la paix ne pourrait avoir de fondement plus solide que le gouvernement démocratique. En prenant l'initiative d'organiser cette conférence, vous les Gouvernements de la Pologne, de la République tchèque, du Chili, de l'Inde, de la République de Corée, du Mali et des États-Unis, vous affirmez l'engagement mondial de faire de ce siècle celui des démocraties. Il est certain que jamais tant de personnes de tant de pays du monde n'ont été associées aux décisions politiques qui influent sur leur vie.
Cependant, vous n'êtes pas ici que pour vous réjouir. Vous êtes ici parce que vous savez que la démocratie est une uvre de longue haleine, que trop d'êtres humains ne jouissent pas encore de leurs droits fondamentaux, que trop de démocraties, encore imparfaites et vulnérables, risquent d'être perverties par des dirigeants impitoyables. Comme l'a dit le professeur Geremek, vous savez que « la démocratie ne nous est pas accordée une fois pour toutes. Ses fondements doivent être continuellement renforcés grâce à des efforts nationaux et à la coopération internationale ».
Les progrès accomplis par la démocratie depuis la fin de la guerre froide sont aujourd'hui menacés. Bien que la souveraineté populaire ait été établie ou rétablie dans de nombreux pays au cours des deux dernières décennies, elle est aujourd'hui compromise par un nouveau danger, que j'appelle la « démocratie feuille de vigne ».
Certes, beaucoup de jeunes démocraties progressent discrètement mais sûrement; des élections régulières et légitimes sont organisées et la passation du pouvoir se fait de manière pacifique. Mais rien qu'au cours de l'année écoulée, on a observé un nombre inquiétant de cas où l'ordre démocratique a été déstabilisé, ou maintenu uniquement sur papier alors qu'un gouvernement autoritaire avait en fait pris le pouvoir.
Dans un certain nombre d'Etats africains, l'ordre démocratique a récemment été mis à l'épreuve par des conflits, et même par un coup d'État pur et simple en Côte d'Ivoire. En Asie, le Pakistan vit de nouveau sous un régime militaire. En Amérique du Sud, la démocratie a été affaiblie dans des pays comme l'Équateur. Des dirigeants ont choisi d'user de la démagogie ou de
manipuler le processus démocratique plutôt que d'accepter les contraintes de l'ordre constitutionnel. Et récemment, le Pacifique Sud a également été déstabilisé par des coups d'État aux Fidji et aux Îles Salomon.
Mais au moins, ces tentatives visant à renverser des gouvernements démocratiquement élus ont été largement condamnées. Au sommet de l'Organisation de l'unité africaine qui s'est tenu l'année passée à Alger, les dirigeants africains ont décidé que les gouvernements qui accédaient au pouvoir par des moyens inconstitutionnels ne devaient plus s'attendre à être accueillis sur un pied d'égalité dans une assemblée de chefs d'État élus. Au début de ce mois, le Commonwealth a fermement condamné les coups d'État dans le Pacifique Sud et a suspendu les Fidji.
Je me félicite de ces positions de principe et j'espère même qu'un jour, l'Assemblée générale des Nations Unies suivra l'exemple de l'Afrique et appliquera des normes aussi strictes à ses membres. Cela étant dit, nous devons être tout aussi vigilants vis-à-vis de ceux qui voudraient renverser l'ordre démocratique d'une manière plus subtile mais tout aussi destructive. Et nous ne devons pas être dupes lorsque, après avoir saisi le pouvoir d'une manière illégitime, des dirigeants essaient de se donner une légitimité en organisant des élections qui ne sont ni libres, ni régulières.
L'ordre constitutionnel n'est pas toujours renversé soudainement au cours d'une sombre nuit de terreur. Parfois cela se fait lentement et progressivement, institution par institution, sous prétexte de défendre la démocratie elle-même. Les dirigeants affirment agir dans l'intérêt supérieur des citoyens, alors qu'ils ne font aucun cas de leurs choix.
En dénonçant ces stratagèmes et en mettant au ban de la communauté des démocraties ceux qui y revendiqueraient une place sans la mériter, les membres de cette communauté peuvent s'aider à rétablir les gouvernements démocratiques qui auraient été renversés, et renforcer ceux qui seraient en danger.
Un mandat électoral ne suffit à faire une démocratie. Pour que des élections soient réellement libres et que les citoyens se sentent réellement représentés au sein du gouvernement, il faut bien plus que cela : l'équilibre des pouvoirs, un appareil judiciaire indépendant, des partis politiques solides, une presse libre et le respect de la liberté qu'a chacun de s'exprimer sans crainte de représailles. La démocratie est trahie, même si elle est respectée dans les formes, lorsque des gouvernements élus permettent à la corruption de prospérer et sont incapables de satisfaire les besoins fondamentaux de la population.
En fait, les droits de l'homme peuvent êtres violés sous couvert de la démocratie, surtout lorsque des minorités sont exclues ou marginalisées. En revanche, une démocratie dans laquelle chacun a sa place est le meilleur mécanisme pour promouvoir les droits de l'homme et en assurer le respect. Ce point important est souligné dans le Rapport sur le développement humain de cette année, qui a pour thème « Les droits de l'homme et le développement humain » et qui sera publié dans deux jours par le Programme des Nations Unies pour le développement.
Dans de nombreuses parties du monde, l'Organisation des Nations Unies s'efforce de renforcer la démocratie, qui comprend la bonne gestion des affaires publiques et l'état de droit. En fait, le PNUD consacre plus de 50 % de ses ressources à la promotion d'une meilleure gestion des affaires de l'État et des ressources publiques.
Nous avons lancé des programmes visant à combattre la corruption et à assurer la transparence et la responsabilité dans la gestion des affaires publiques, ainsi qu'à appuyer le pluralisme politique et la liberté d'association. Nous encourageons également une décentralisation effective du pouvoir, notamment par le biais du Comité consultatif des pouvoirs locaux auprès de l'ONU. Ce sont là les conditions nécessaires à l'établissement d'une démocratie solide, dans laquelle le développement social et économique bénéficie à tous les citoyens, et non uniquement à quelques-uns.
La promotion des droits de l'homme - un de nos mandats les plus importants et un thème central à toutes nos activités - est intimement liée à tous ces efforts. Au cours des cinq dernières années, le Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme a mené plus de 30 projets de coopération technique dans des pays aussi différents que le Burundi, le Cambodge, El Salvador, la Tanzanie et le Togo.
Mais si des élections libres ne suffisent pas à faire une démocratie, il ne peut y avoir de démocratie sans élections libres. C'est pourquoi l'ONU aide également ceux de ses États Membres qui le lui demandent à organiser des élections libres et régulières. Ces huit dernières années, depuis l'établissement de notre Division de l'assistance électorale, nous avons apporté ce type d'assistance à quelque 150 États, dans le cadre de missions d'observation des élections ou dans le contexte d'opérations de maintien de la paix.
Au niveau international, nous avons contribué à l'organisation des Conférences des démocraties nouvelles ou rétablies, dont la quatrième - mais la première en Afrique - se tiendra au Bénin en décembre de cette année. Je suis heureux de savoir que votre rapport sera soumis à cette conférence. Mesdames et Messieurs,
Il y a beaucoup de bonnes raisons de promouvoir la démocratie. Une des plus importantes - aux yeux de l'Organisation des Nations Unies - est que la démocratie, lorsqu'elle s'installe dans le long terme, est un moyen très efficace de prévenir les conflits, à la fois à l'intérieur des États et entre les États.
L'histoire montre que des États gouvernés démocratiquement ne se déclarent jamais la guerre ou rarement. Mais alors que les conflits internes se multiplient, il est encore plus important de noter qu'un régime démocratique - qui protège les minorités, encourage le pluralisme politique, et maintient l'état de droit - permet de gérer les dissensions internes de manière pacifique et aide ainsi à prévenir les guerres civiles. Inversement, bien des conflits internes actuels sont imputables à des formes autoritaires et fortement personnalisées de gouvernement, à la discrimination ethnique, à des violations des droits de l'homme et à la corruption. Dans les sociétés fortement polarisées, les efforts visant à établir un ordre politique démocratique sont entravés par la concentration du pouvoir entre les mains de quelques-uns et le mépris du consensus et du compromis.
Lorsque des sociétés qui sortent d'un conflit doivent être reconstruites, il est d'une importance capitale, même si c'est parfois difficile, de promouvoir les droits de l'homme, de protéger les droits des minorités et de mettre en place, par des élections libres et régulières, des institutions légitimes et représentatives, respectueuses de l'état de droit.
Bien entendu, des plaies profondes ne guériront pas du jour au lendemain. Mais, lorsqu'une société jouit d'un espace de liberté politique et économique, grâce à un gouvernement démocratique, au respect des droits de l'homme et au développement durable, elle a la possibilité réelle d'échapper du cycle de la violence.
La démocratie nous offre donc une double promesse: la paix et l'émancipation. Je suis convaincu que des conférences comme celle-ci peuvent aider cette promesse à se concrétiser, et je vous souhaite tout le succès possible."
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