En cours au Siège de l'ONU

SG/SM/7411

FORUM DU MILLENAIRE: LE SECRETAIRE GENERAL SE FELICITE DE LA ôREVOLUTION DES ONGö ET LES APPELLE A OEUVRER POUR UNE MONDIALISATION PLUS JUSTE

24 mai 2000


Communiqué de Presse
SG/SM/7411


FORUM DU MILLENAIRE: LE SECRETAIRE GENERAL SE FELICITE DE LA “REVOLUTION DES ONG” ET LES APPELLE A OEUVRER POUR UNE MONDIALISATION PLUS JUSTE

20000524

Vous trouverez ci-après le texte de l’allocution que le Secrétaire général, M. Kofi Annan, a prononcée lors de la cérémonie d’ouverture du Forum du millénaire des organisations non gouvernementales et de la société civile, qui se tient au Siège du 22 au 26 mai 2000.

Je suis très heureux de vous accueillir à l’Organisation des Nations Unies. Je salue aussi chaleureusement ceux qui nous regardent à partir de Genève, de Nairobi, de Vienne, de Buenos Aires et de Chicago, ainsi que sur le Web.

En étant si nombreux ce matin dans la salle de l’Assemblée générale, vous démontrez votre volonté de collaborer avec l’Organisation des Nations Unies, et avec les gouvernements, pour édifier un monde meilleur.

Non seulement vous donnez vie à ces peuples au nom desquels la Charte des Nations Unies a été écrite, mais vous nous apportez aussi la promesse d'un pouvoir des peuples, celui de donner un sens réel à la Charte pour l'humanité toute entière au XXIe siècle.

Dans certains milieux, les organisations non gouvernementales ont depuis peu mauvaise presse. Au lendemain des manifestations de Seattle, elles ont été accusées d’être intransigeantes et même hostiles, de semer le trouble et même la destruction, d’être opposées à la technologie et même au progrès.

Ces étiquettes méconnaissent le rôle de pionnières que les ONG jouent dans divers domaines extrêmement importants qui vont des droits de l’homme à l’environnement en passant par le développement et le désarmement. A l'ONU, nous savons qu'aux conférences mondiales des années 90, c’est vous qui avez souvent donné le ton. Vous avez sensibilisé et vous avez agi, vous avez fait pression sur les gouvernements et vous avez travaillé avec eux.

Nous savons que la révolution des ONG a été rendue possible par quelque chose que vous avez compris avant les gouvernements : comment employer à votre avantage les outils de la révolution de l’information. Les technologies des communications vous ont permis d’établir des contacts et d’interagir par-delà presque toutes les frontières. Vous avez compris que les problèmes sans passeports requièrent des solutions sans frontières.

Nous pouvons dire sans risquer de nous tromper que la révolution des ONG est une des conséquences les plus heureuses de ce phénomène qui caractérise notre époque : la mondialisation. Mais si la mondialisation vous donne de nouveaux outils, elle suscite aussi de profondes inquiétudes.

Je l'ai personnellement constaté à Seattle. La réunion de l’Organisation mondiale du commerce n’était peut-être pas le lieu idéal, mais à mon sens, les protestataires ont voulu montrer que beaucoup de gens se sentent perdus et vulnérables dans un monde qui change si rapidement, d’où la nécessité d’aller vers eux et de leur expliquer le lien entre ce qui se passe au niveau local et ce qui se passe à l'échelle mondiale.

Dans le monde du XXIe siècle, ce ne sont pas seulement les peuples et les nations qui sont interdépendants, ce sont aussi les problèmes.

Et tout vous avez compris qu’il fallait agir au niveau mondial pour promouvoir les causes qui vous sont chères, vous commencez à regarder au-delà du particulier – quelle qu’en soit l’importance – et à vous tourner vers la réalité plus large et plus complexe qui nous entoure aujourd’hui, vers le lien entre le local et le mondial.

Je crois aussi que, quelle que soit la cause que vous défendiez, dénoncer la mondialisation elle-même n'aidera pas. Je crois que les pauvres sont pauvres non pas parce que la mondialisation est excessive, mais parce qu’elle est insuffisante, et parce qu’ils en sont exclus.

À mon avis, le défi primordial de notre époque est de faire en sorte que la mondialisation ne signifie pas seulement des marchés plus vastes. Pour que ce grand bouleversement soit une réussite, nous devons apprendre à mieux gouverner et, surtout, à mieux gouverner ensemble. Nous devons apprendre à gouverner en étant à l’écoute des gens pour répondre à leurs besoins.

S’il y a une leçon à tirer de l’expérience récente, c’est que, même si la mondialisation a fait des gagnants et des perdants, l’affrontement ne mène à rien. La solution n’est pas de transformer les gagnants en perdants et vice versa.

La solution est de veiller à ce que personne ne perde pied, à ce que nous soyons tous portés par le courant de notre époque. Il me semble que pour aller de l’avant, les Etats et les autres acteurs doivent ensemble faire face aux défis et aux conséquences de la mondialisation.

Que votre action porte sur la promotion de la femme ou l’éducation, l’aide humanitaire ou la santé, elle ne pourra aboutir que si les bienfaits de la mondialisation sont répartis plus équitablement. Que vous définissiez des politiques ou travailliez sur le terrain, dans le monde développé ou dans le monde en développement, vous ne parviendrez pas à vos fins si des régions entières restent en marge de l’économie mondiale.

Aujourd’hui, des milliards de gens sont marginalisés. Tant qu’ils ne feront pas partie de la nouvelle communauté mondiale, vous ne pourrez pas les atteindre, les aider ou les mobiliser.

Nous avons les moyens d'ouvrir à tous les horizons nouveaux du monde actuel. Nous devons maintenant trouver la volonté d’agir. Vous savez sans doute déjà que c’est là la priorité que j’ai demandée aux États Membres de se donner lorsqu’ils se réuniront en septembre pour le Sommet du millénaire.

Peut-être avez-vous déjà lu le Rapport du millénaire que je leur ai présenté en prévision du Sommet et dans lequel je dresse un plan d’action en plusieurs parties intitulées « Vivre à l’abri du besoin », « Un monde libéré de la peur », « Pour une planète viable » et « Rénover l’Organisation des Nations Unies ». Aujourd’hui, je vous demande, à vous ONG, d’être à la fois des chefs de file et des partenaires : quand il le faut, en guidant les gouvernements et en les incitant à se montrer à la hauteur de vos idéaux et, quand il le faut, en travaillant avec eux à la réalisation de leurs objectifs.

Car mon rapport, s’il lance un défi aux gouvernements, vous est aussi adressé. D’où son titre « Nous, peuples ». Et si je suis ici pour vous demander d’inciter vos dirigeants élus à adhérer au plan d’action qui y est proposé, je vous demande aussi de m’aider à donner une expression concrète aux objectifs qu'il propose. Vous avez amené les États à définir et à adopter de nouvelles normes de conduite internationales. Nous devons maintenant veiller à ce que ces normes soient appliquées.

Vous pouvez faire beaucoup à cet égard. Permettez-moi de vous donner quelques exemples.

Au plan international, vous pouvez contribuer à arracher des milliards de gens de la misère en les aidant à s’intégrer à l’économie mondiale. Les gouvernements détiennent la clef permettant d’ouvrir les marchés aux produits des pays pauvres. Ils détiennent aussi la clef permettant de libérer les pays pauvres de la dette et, du même coup, de dégager des ressources pour leur développement. Ils peuvent aussi remédier au problème de la diminution de l’aide publique au développement et cibler leur aide plus efficacement.

Par votre action de sensibilisation dans ces trois domaines cruciaux, vous pouvez inciter les gouvernements à faire les bons choix en faveur des pauvres de la terre. Et par votre travail comme partenaires d’exécution, vous pouvez faire en sorte que les orientations choisies changent vraiment la vie quotidienne des gens.

Vous pouvez apporter votre soutien au « Pacte mondial » que j’ai proposé l’an dernier lorsque j’ai invité le monde des affaires à adhérer à certaines valeurs essentielles dans les domaines des normes de travail, des droits de l’homme et de l’environnement.

Cette initiative a reçu l’appui d’un large éventail d’associations représentant le patronat, de mouvements syndicaux et d’organisations non gouvernementales. J’espère pouvoir donner, d’ici cet été, la liste des premiers chefs d’entreprise qui se seront associés à nous pour faire du Pacte mondial une réalité tangible.

Le Pacte mondial permet à tous les acteurs non étatiques de s’unir en vue d’atteindre des buts communs et de promouvoir des valeurs universelles auxquelles les gouvernements ont adhéré sur le papier mais qui sont loin d’être toujours respectées dans la pratique.

En soutenant le Pacte, vous contribueriez à doter les marchés mondiaux de ce qui leur a fait défaut jusqu’à présent : des bases sociales et écologiques. Vous contribueriez à la création d’un marché qui ne soit pas une jungle soumise à la loi du plus fort, mais un instrument de prospérité fondé sur des normes sociales et des principes écologiques s'appliquant à tous, ainsi que sur les droits de l’homme.

Vous pouvez nous aider à combler le fossé numérique qui actuellement prive des régions entières des bienfaits des technologies de l’information. La moitié des êtres humains n’ont jamais utilisé un téléphone, et a fortiori un ordinateur. Moins de 1% des Africains ont déjà utilisé l’Internet.

Cela signifie que des milliards de personnes sont non seulement privées d’un outil vital pour le développement, mais sont aussi exclues des réseaux que vous avez mis en place pour faire bouger les choses. Ces milliards de personnes, si elles maîtrisaient la technologie, pourraient non seulement bénéficier de votre action, mais aussi promouvoir activement les causes que vous défendez.

Pour combattre cette forme d'exclusion, vous pouvez participer à l’une des initiatives que je propose en vue de combler le fossé numérique, par exemple celle qui a été baptisée UNITeS, pour United Nations Information Technology Service.

Ce collectif de bénévoles interviendra dans les pays en développement pour former des groupes de personnes à l’utilisation et aux applications des technologies de l’information et favorisera la création d’autres groupements de ce type tant au Nord qu’au Sud. Nous recherchons actuellement pour ce projet des sources de financement externes, du matériel et des personnes qui s'y connaissent en informatique. Vous qui avez déjà si bien su tirer profit des technologies de l’information, vous êtes à coup sûr très bien placés pour transmettre vos compétences dans ce domaine.

Vous pouvez aussi mettre ces compétences au service du partenariat en faveur de l’éducation des filles – l’une des priorités de mon rapport – dont l’ONU a pris l’initiative. De multiples études ont démontré qu’il n’y a pas d’instrument de politique sociale, économique ou sanitaire plus efficace que l’éducation des filles. Pour être couronnée de succès, notre initiative a besoin de votre expertise, de votre énergie et de présence partout dans le monde. De nombreuses ONG ont déjà apporté de remarquables contributions à l’éducation des filles dans certains pays, et cette année vous avez lancé votre propre alliance mondiale pour l’instruction élémentaire universelle.

Sans nul doute, de telles alliances mondiales entre ONG partageant les mêmes objectifs, qui se sont déjà avérées efficaces dans le cas de l’allégement de la dette et la Cour pénale internationale, sont destinées à se généraliser à l’avenir. Elles font de vous d’importants relais pour traiter avec les gouvernements et avec l’Organisation des Nations Unies; elles vous permettent de décupler vos moyens et d'étendre considérablement votre champ d’action. J’espère qu’elles vous mettront en mesure d’exercer une influence décisive sur une large gamme de questions, notamment le trafic d’armes légères.

Ce fléau de la guerre moderne ne pose pas problème uniquement au niveau de la sécurité; il représente aussi une menace pour les droits de l’homme, le développement et la bonne gouvernance. L’an prochain, l’Organisation des Nations Unies convoquera la première Conférence sur le trafic d’armes légères, à laquelle, je l’espère, les organisations de la société civile seront invitées à participer pleinement. Par le biais des alliances, vous pouvez aussi nous aider à arrêter la progression du VIH/sida chez les jeunes.

Nous comptons sur vous pour vous faire les avocats des hommes, des femmes et des enfants frappés par cette épidémie, pour continuer votre œuvre de sensibilisation et de prévention, et pour faire pression sur les gouvernements et les organisations internationales afin qu’ils fassent preuve de transparence et se montrent responsables. J’ai mis les dirigeants des pays du monde en demeure de rompre la conspiration du silence qui, à certains endroits, entoure cette épidémie. Le silence est synonyme de mort.

Vous pouvez, en faisant pression sur les gouvernements pour qu’ils signent et ratifient les traités et conventions internationales, continuer sur la lancée des campagnes mondiales que vous avez déjà menées avec succès en faveur du renforcement des normes multilatérales et de la mise en place de régimes juridiques. Une fois ces traités et conventions ratifiés, vous pouvez aider à les faire appliquer.

Depuis la création de l’Organisation des Nations Unies, plus de 500 conventions multilatérales ont été adoptées; ensemble, elles constituent un vaste cadre juridique qui pose les bases d’un monde meilleur.

Lors du Sommet du millénaire, les gouvernements auront la possibilité d’ajouter leur signature à tout traité ou toute convention dont, en ma qualité de Secrétaire général, je suis dépositaire. J’ai écrit aux gouvernements pour les encourager à saisir cette occasion. Ces traités sont l’expression des préoccupations et des aspirations des peuples du monde, dont ils devraient pouvoir améliorer la vie quotidienne. Sur ce point-là aussi, j’attends de vous que vous fassiez ce que vous savez si bien faire : pousser les gouvernements à l’action en exigeant que la raison d’Etat cède le pas aux aspirations des peuples.

Quelle que soit votre réponse face aux exigences de notre époque si complexe, vous devez tous savoir que si vous vous regroupez pour mener une action collective, votre voix sera plus forte et vous serez dès lors mieux entendus; que si vous préférez le consensus à l’affrontement, votre participation sera davantage recherchée; que si vous forgez des alliances au lieu de risquer d’entrer en concurrence, vos ressources communes seront mieux utilisées; et que si vous mettez l’intérêt commun au-dessus des intérêts particuliers et faites le lien entre l’action au niveau local et au niveau mondial, vous obtiendrez davantage de résultats.

En parlant résolument d’une seule voix, vous pouvez nous aider à faire jouer la mondialisation au profit de tous les peuples du monde : vous pouvez œuvrer à la mondialisation de la solidarité.

C'est ce que, dans mon rapport du millénaire, je demande aux gouvernements de faire. Et ce qui prend corps aujourd’hui dans cette salle, c’est la promesse d’un monde dans lequel les peuples auront le pouvoir. Car s’il suffit d’une seule personne dans une salle comble pour créer une majorité, vous deviendrez à coup sûr la nouvelle superpuissance. Je ferai, quant à moi, tout ce que je peux pour que nos autres partenaires de la communauté internationale vous écoutent très attentivement.

Je vous remercie de m’avoir écouté, d’être présents ici, et par-dessus tout, de faire de l’année du millénaire, 55 ans après la création de l’Organisation des Nations Unies, celle où « nous, peuples des Nations Unies » pourrons de nouveau trouver un terrain d’entente. J’attends avec impatience le résultat de vos délibérations. Je vous remercie infiniment.

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