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SOC/CP/220

LES DISPARITES ECONOMIQUES ET LES CONFLITS POLITIQUES EXPLIQUENT DE NOMBREUSES FORMES DE LA CRIMINALITE TRANSNATIONALE

12 avril 2000


Communiqué de Presse
SOC/CP/220


LES DISPARITES ECONOMIQUES ET LES CONFLITS POLITIQUES EXPLIQUENT DE NOMBREUSES FORMES DE LA CRIMINALITE TRANSNATIONALE

20000412

VIENNE, 12 avril -- Nombre de types de crime transnational ont pour cause la grande disparité économique entre les pays et les conflits politiques, a fait observer ce matin M. Vincenzo Ruggiero, Professeur à l’Université de Middlesex (Royaume-Uni), en présentant le rapport intitulé “Coopération internationale pour lutter contre la criminalité transnationale : nouveaux défis au XXIe siècle”. L’interdépendance économique et le développement des échanges économiques internationaux facilitent le transfert de biens et la circulation des personnes d’un pays à l’autre, explique le rapport qui note les préoccupations que suscite l’entrée dans le monde de la finance de criminels opérant au niveau transnational. Pour faire face aux différentes formes de la criminalité transnationale organisée, il a été préconisé de renforcer l’entraide judiciaire et d’assurer la coordination des services de police du monde entier.

Le Procureur général de Lyon (France), M. François Falletti, a dans ce contexte souligné l’importance du rôle des procureurs généraux en raison de leurs responsabilités en matière d’enquête. Il a suggéré de s’appuyer sur les réseaux existants, telle l’Association internationale des procureurs généraux, pour renforcer la coopération judiciaire internationale.

Au cours du débat qui a suivi, les intervenants ont fait part de leur expérience nationale en matière de lutte contre la criminalité organisée, et notamment ses formes transnationales. La question de l’extradition a été évoquée par plusieurs délégations qui ont notamment souligné les problèmes posés par l’application de législations différentes, par exemple en ce qui concerne la peine de mort ou lorsque le crime faisant l’objet d’une demande d’extradition a, selon le pays extradant, un caractère politique.

Dans le cadre du débat présenté par le Président du dixième Congrès, M. Penuell Mpapa Maduna, Ministre de la justice et du développement constitutionnel de l’Afrique du Sud, le Procureur général adjoint du Mexique, le Ministre de la justice de la Barbade, ainsi que les représentants des pays suivants sont intervenus : Thaïlande, Pays-Bas, Turquie, Japon, Zambie, Australie, Ouzbékistan et Syrie.

Le Congrès poursuivra ses travaux, cet après-midi à 15 heures.

Coopération internationale pour lutter contre la criminalité transnationale organisée : nouveaux défis au XXIe siècle (A/CONF.187/6)

Ce document de travail établi par le Secrétariat rend compte de certaines des craintes, réelles et imaginaires, que suscite aujourd’hui la criminalité transnationale organisée. Il s’agit d’un document de synthèse, en ce sens que certains problèmes y sont recensés, que des questions y sont posées, que des arguments y sont présentés, mais qu’aucune solution définitive n’est proposée.

La notion de crime transnational - classiquement défini comme les crimes dont la conception, la perpétration et/ou les effets directs ou indirects font intervenir plus d’un pays - recouvre différentes infractions qui relèvent essentiellement, parfois simultanément, de la criminalité organisée, de la criminalité des entreprises, de la criminalité en col blanc et du crime politique. Il est extrêmement difficile d’établir une frontière nette entre la définition de la criminalité organisée et celle de la criminalité des entreprises. De même, dans l’expression “criminalité transnationale”, l’emploi de l’adjectif “transnationale” peut prêter à controverse, parce qu’il n’en est pas toujours ainsi. Par exemple, dans le cas de la plupart des marchés illégaux, des biens illicites sont produits localement et seule leur distribution se fait à l’échelle internationale.

La criminalité ne doit pas être assimilée exclusivement aux activités illégales d’organisations comme la mafia italienne, le syndicat du crime russe, les triades chinoises, les yakuza japonais, les cartels colombiens ou encore les réseaux nigérians, souligne le document. De même, il ne faudrait pas se polariser uniquement sur des activités classiques comme le trafic de drogues, la traite des êtres humains, le trafic de marchandises volées et le blanchiment de produits illégaux. La criminalité transnationale organisée englobe la fraude fiscale, la contrefaçon de vêtements et de matériel électronique, l’escroquerie vis-à-vis d’institutions financières internationales, la concurrence déloyale sur les marchés internationaux, l’espionnage industriel, l’importation et l’exportation de plantes et d’animaux protégés, le trafic d’oeuvres d’art et le rejet illégal de déchets industriels toxiques. Elle recouvre aussi, outre les activités illégales de groupes ou d’organisations terroristes, la violation des sanctions et embargos imposés à des pays par la communauté internationale et l’agression perpétrée contre des pays sous forme de guerre et de génocide. Les activités criminelles transnationales s’accompagnent pour la plupart de faits illégaux comme la corruption de fonctionnaires, et le blanchiment de capitaux à travers des institutions bancaires ou des organismes extraterritoriaux. Enfin, le fait que les membres d’un groupe criminel organisé transnational soient, au besoin, au nom de leurs intérêts, prêts à recourir à la violence et en mesure de le faire suscite force préoccupations.

Au cours des dernières décennies écoulées, les activités criminelles transnationales se sont considérablement développées tant géographiquement que numériquement, un phénomène qui s’inscrit dans le cadre du processus général de mondialisation. Les trafiquants profitent de cette situation, en empruntant des itinéraires commerciaux parallèles ou les mêmes itinéraires commerciaux

Nombre de types de crime transnational ont pour cause la grande disparité économique entre les pays et les conflits politiques. Plusieurs questions prêtent à controverse, comme celle de savoir dans quelle mesure les pays économiquement plus développés encouragent la criminalité transnationale. Deuxième controverse, de nombreux responsables voient dans la criminalité transnationale organisée la conséquence de l’arrivée dans des pays économiquement plus développés d’un nombre croissant d’individus et de groupes divers

Certaines définitions de la criminalité internationale font intervenir la notion de transmission ethnique, selon laquelle des cultures et des groupes nationaux sont censés monter dans l’échelle de la criminalité jusqu’à atteindre une position dominante sur les marchés illégaux. Etant donné le développement de la mobilité sociale, géographique et interculturelle, l’ethnicité serait, moins que la mobilité elle-même, une cause de la criminalité ou un facteur qui la favorise. Il faudrait donc s’employer à analyser la manière dont la mobilité géographique, sociale et culturelle peut faciliter les activités criminelles. Il faudrait aussi réfuter catégoriquement l’équation trop facile migrants + marginalisation = criminalité.

Le placement dans les pays économiquement plus développés de produits illégitimes soulève d’autres controverses. Il apparaît de certaines études que des groupes criminels renoncent progressivement à leur participation à l’activité économique visible pour orienter le revenu de leurs activités criminelles vers le secteur financier, lequel offre l’avantage du secret. L’entrée dans le monde de la finance de criminels opérant au niveau transnational annoncerait un éclatement, le dévoilement des règles, l’érosion de l’éthique et la fin de la concurrence, et en dernier ressort une “purge” dont seuls les meilleurs sortiraient vainqueurs. Les arguments sur lesquels s’appuie cette conviction sont notamment le fait que les groupes criminels organisés sont accusés de bouleverser l’harmonie entre demande et offre. Les chefs d’entreprises légitimes accumulent eux aussi une richesse inerte et n’orientent pas toujours tous leurs revenus vers des investissements dynamiques ou la consommation. Il se peut aussi que des entrepreneurs légitimes et des politiciens transfèrent des capitaux à l’étranger en toute légalité mais trouvent le moyen de les faire fructifier en recourant à des pratiques illégales. Il importe, à ce propos, de souligner que les capitaux dits “flottants”, qui sont généralement et presque automatiquement associés au produit d’activités criminelles blanchi, comprennent en fait des capitaux acquis, légitimement ou autrement, par des acteurs officiels.

La question se pose aussi de savoir si les groupes criminels organisés initient les entrepreneurs et politiciens qui opèrent en marge de la légalité ou trouvent en eux des maîtres. Décrire les membres des groupes criminels organisés comme étant visiblement différents pour pouvoir être acceptés dans le monde des affaires, c’est ignorer que la cooptation dans ce monde s’opère à travers des individus et des groupes qui font office d’intermédiaires. La rencontre entre la criminalité transnationale organisée et l’économie officielle, c’est la rencontre de deux mondes qui échappent à une régulation stricte et qui s’écartent des règles qu’ils ont officiellement établies pour eux-mêmes.

Le document présente ensuite plusieurs exemples, assortis d’observations, qui montrent que la criminalité transnationale se trouve au confluent du crime organisé, de la criminalité des entreprises et de la criminalité en col blanc. La criminalité transnationale organisée n’est pas uniquement le fait d’organisations centralisées très structurées ou d’hommes d’affaires sans scrupules. Elle relève plutôt de réseaux lâches, dans lesquels sont impliqués des acteurs très divers, qui sont prêts à saisir les occasions qui se présentent et constituent pour ce faire des alliances ponctuelles. Il serait aussi erroné de considérer que les pratiques illégales touchant aux migrants relèvent exclusivement de la relation victime-oppresseur, et réfléchir au fait que certaines victimes sont consentantes, alors que d’autres ne le sont pas.

Un des éléments qui préoccupent les pouvoirs publics est la mobilité des groupes criminels transnationaux, qui tirent parti du fait que la législation n’est pas uniforme d’un pays à l’autre et se déplacent afin d’en exploiter les failles et les incohérences. On a préconisé diverses mesures pour réduire les incohérences juridiques et la mobilité des groupes criminels, parmi lesquelles la conclusion d’accords entre divers pays, la création de groupes de travail mixtes et une coopération accrue entre les services de répression. Il faudrait réfléchir au fait que des mesures de ce type, qui supposent la coordination des services de police du monde entier, risquent de donner lieu à la création de réseaux, ainsi qu’à des pratiques et à des alliances techniques et politiques qui échappent à tout contrôle démocratique, au niveau national aussi bien qu’international. Les craintes que suscitent les graves menaces posées par la criminalité transnationale organisée pourraient ainsi jouer au détriment de l’état de droit et des droits civils. Il faudrait en outre s’interroger sur le fait que la criminalité transnationale organisée crée une demande pour les produits qu’elle introduit sur les marchés.

On pense généralement que la criminalité des entreprises et des cols blancs rencontre plus d’indulgence (sur le plan social comme sur le plan légal) que la criminalité de type mafieux. Du fait que ces types de comportements criminels sont liés, la tolérance relative dont jouissent habituellement les criminels en col blanc risque de s’étendre aux membres de groupes criminels organisés de type mafieux. Des recherches plus poussées sur les causes des divers types de criminalité transnationale organisée s’imposent. Il faudrait aussi étudier davantage les effets des mesures dissuasives et punitives ainsi que le rôle des services de répression.

Le dernier chapitre du document porte sur l’application de la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée et des protocoles additionnels. Etant donné la façon satisfaisante dont progressent les négociations, il est probable que l’Assemblée du millénaire sera en mesure d’adopter la Convention et les Protocoles. L’ONU aura un rôle central à jouer pour promouvoir et faciliter l’application de la Convention et de ses protocoles. Afin de mener à bien les tâches de promotion, de conseil, de formation et de renforcement des capacités qui lui incomberont, le Centre pour la prévention internationale du crime devra cependant être renforcé.

Déclaration liminaire

M. PENUELL MPAPA MADUNA, Ministre de la justice et du développement constitutionnel de l’Afrique du Sud et Président du Dixième Congrès : la criminalité organisée recourt à des méthodes de plus en plus en sophistiquées. Une réponse efficace à ce fléau requiert une coordination nationale et internationale entre les autorités chargées de la sécurité. L’entraide judiciaire et la coopération internationale sont indispensables pour prévenir la criminalité transnationale organisée. Le projet de convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée constitue un instrument important dans ce contexte. Cette convention qui devrait être adoptée par l’Assemblée générale du millénaire à l’automne prochain comprend notamment des dispositions relatives à l’extradition, à l’entraide judiciaire et au transfert des personnes condamnées. A ce titre, elle pourrait servir d’assise pour le renforcement de la coopération internationale en matière de lutte contre le crime.

Présentation du rapport

M. VINCENZO RUGGIERO, Professeur à l’Université de Middlesex, Royaume-Uni : le caractère “transnational” de la criminalité signifie que les activités criminelles sont commises en dehors des frontières. Cela suppose également que l’expansion d’un pouvoir criminel local s’étend sur l’arène internationale. Par exemple, l’évasion fiscale est transnationale par sa nature même, de même que l’espionnage industriel, le trafic illicite d’œuvres d’art ou le déversement des déchets toxiques. Le blanchiment de l’argent est assuré avec la complicité d’institutions financières. Notre attention ne devrait pas se porter exclusivement sur le trafic illicite des stupéfiants, qui constitue un crime international traditionnel. Si on insiste sur son sens étymologique, le crime transnational donnerait lieu à une énumération indéfinie des cas qui entreraient dans cette catégorie.

Les conflits politiques sont source de violence et encouragent aussi le trafic et le mouvement de personnes ou de biens. Concernant le trafic des petites armes, il existe une grande complexité dans les alliances et les partenariats qui le favorisent. Dans quelle mesure les pays développés encouragent-ils la criminalité transnationale dans les pays en développement? On tend à imputer la responsabilité aux pays producteurs mais on ne fait pas mention de la demande. La criminalité transnationale est difficile à déterminer car il ne suffit pas de tenir compte de la structure et de l’organisation des activités criminelles considérées. Lorsque la criminalité traditionnelle et les formes nouvelles de la criminalité transnationale seront liées, on pourra s’interroger sur la manière dont la société réagira.

Déclarations

M. SUCHART TRAIPRASIT, Ministre de la justice de la Thaïlande : la criminalité transnationale organisée a menacé considérablement l’ordre public et le tissu de nos sociétés. Le phénomène de la mondialisation auquel nous sommes confrontés aujourd’hui est devenu plus complexe à la fois en raison de ses dimensions et de son fonctionnement. La Thaïlande estime qu’il incombe à tous les pays de lutter contre la criminalité transnationale organisée de la manière la plus efficace possible en vue de maintenir la paix et l’ordre. A cet égard, elle réaffirme qu’elle coopérera avec les autres pays ainsi qu’avec les institutions internationales. Dans ce contexte, le gouvernement thaïlandais a coparrainé le Séminaire ministériel Asie- Pacifique sur le renforcement des capacités dans le domaine de la lutte contre la criminalité transnationale organisée avec le Bureau des Nations Unies pour le contrôle des drogues et la prévention du crime, tenu à Bangkok, les 20 et 21 mars 2000. Ce séminaire avait pour objectif de promouvoir la compréhension et la coopération régionales dans la lutte contre la criminalité transnationale organisée et de mobiliser l’appui politique en faveur de la finalisation du projet de convention contre la criminalité transnationale organisée et ses trois protocoles. A l’issue du séminaire, les participants ont réaffirmé leur engagement politique à œuvrer étroitement ensemble et à prendre toutes les mesures nécessaires pour lutter contre la criminalité transnationale organisée. Ils ont également réaffirmé leur plein appui en faveur de la finalisation du projet de convention contre la criminalité transnationale organisée et ses protocoles d’ici la fin de l’année. Ces efforts régionaux ne constituent qu’une première étape. Se félicitant que le dixième Congrès pour la prévention du crime vise à éliminer la criminalité transnationale organisée la Thaïlande propose d’accueillir le prochain Congrès à Bangkok. Une assistance financière et la coopération technique pour développer les ressources humaines sont nécessaires pour encourager et permettre aux pays de renforcer leur législation et autres capacités nationales. L’accent doit être mis sur la formation de tout le personnel de la justice pénale afin qu’il soit en mesure d’utiliser pleinement les techniques juridiques novatrices contre la criminalité transnationale organisée. Cette formation contribuerait non seulement à mettre en œuvre sur le plan national la future convention contre la criminalité transnationale organisée, mais renforcerait également la coopération entre les pays concernés.

M. FRANCOIS FALLETTI, Procureur général de Lyon, France : il existe un consensus pour dire qu’il faut renforcer les moyens de lutte contre la criminalité organisée. Le projet de convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée et ses protocoles constituent à l’évidence des instruments importants à cet égard. Il faut dépasser les démarches déclaratoires et les prises de positions solennelles, qui bien qu’utiles ne suffisent pas, et s’interroger sur les moyens concrets et pratiques d’améliorer la coopération internationale en matière de lutte contre la criminalité. Cela veut dire, pour ce qui est de la coopération policière, s’adapter pour opérer des rapprochements entre les diverses autorités chargées d’enquêter. Il faut cependant souligner qu’il n’y a pas de bonne coopération policière sans coopération judiciaire efficace et vice-versa. Or, la coopération judiciaire connaît des lenteurs, des lourdeurs et des complexités dont certaines sont compréhensibles. Mais il faut être conscient de ce qu’il existe bien des mauvaises raisons pour que la coopération judiciaire se déroule dans ces conditions, comme l’approche bureaucratique, la mauvaise connaissance des textes juridiques des autres pays, l’ignorance des circuits internationaux.

Les autorités judiciaires doivent prendre conscience de l’enjeu et, tout spécialement, les procureurs en raison de leur responsabilité importante en matière d’enquête. Les problèmes juridiques et pratiques sont innombrables en ce qui concerne la conduite des enquêtes. Les procureurs jouent un rôle très important en matière d’extradition, quelle que soit la législation du pays en la matière, ainsi que lorsque des recours sont prévus à l’intérieur des systèmes juridiques. De grandes disparités existent entre les pays. Dans certains, il y a des autorités centrales qui ont un rôle plus ou moins important. Dans d’autres, on a mis en place un procureur national qui assure la coordination des enquêtes. Dans d’autres, il y a des magistrats de liaison qui exercent leurs fonctions auprès du Ministère de la justice ou, à l’étranger, auprès de leur ambassade. Dans d’autres systèmes encore, on développe les transmissions directes dans le cadre du réseau judiciaire européen. Dans ce cadre, des CD-ROMS ont été développés pour présenter les systèmes judiciaires des Etats et les procédures suivies par ceux-ci.

Nous devons réfléchir aux moyens d’améliorer la fluidité de la coopération judiciaire internationale. Plusieurs pistes peuvent être suivies. Il faut, dans ce contexte, être conscient de l’intérêt de certains réseaux qui permettent aux procureurs de se rencontrer, comme l’Association internationale des procureurs qui rassemble des procureurs de quelque 80 pays et tient une conférence annuelle qui permet à ceux-ci de se rencontrer sur divers thèmes, comme la lutte contre la corruption, ou la pornographie enfantine. Cette Association a élaboré un annuaire qui rassemble des informations sur 38 juridictions dans le monde. Ce type de démarche est très précieux pour faciliter la coopération concrète en matière judiciaire internationale. Il faudrait réfléchir au moyen de constituer à l’intérieur des différents pays des points de contact judiciaire qui seraient amenés à procéder à une analyse des dossiers et à faciliter la coopération internationale conduite dans le cadre officiel. Il ne s’agit pas de remettre en cause le rôle des autorités centrales mais de leur apporter un soutien technique dans la mise en œuvre de l’entraide répressive internationale.

Une autre piste est la constitution de banques de données sur les différents systèmes judiciaires des pays et les différentes législations. Cette approche devrait être concrète. On pourrait, par exemple, introduire sur Internet des modèles de requête. Le Centre des Nations Unies pour la prévention de la criminalité internationale pourrait apporter une aide utile à cet égard. En conclusion, il semble extrêmement important d’engager une réflexion sur la question de la coopération judiciaire afin d’assurer une mise en œuvre plus efficace des conventions existantes et des instruments en cours d’élaboration sous l’égide de l’ONU en matière de lutte contre la criminalité organisée.

M. DAVID SIMMONS, Ministre de la justice de la Barbade : les petits Etats insulaires ne disposent pas des ressources nécessaires pour lutter de manière efficace contre le trafic illicite et pernicieux des stupéfiants et substances psychotropes. En outre ce trafic encourage la corruption des fonctionnaires. Il incombe à tous les Etats concernés, tant les Etats producteurs de l’Amérique latine que les Etats consommateurs de l’Europe et de l’Amérique du Nord, d’œuvrer en étroite coopération pour lutter contre le trafic de drogues. Il y a certains pays qui font état d’une baisse généralisée de la criminalité mais d’une augmentation des crimes violents ou sexuels. Ceci est évident à la Barbade. La coopération internationale et régionale a permis de réduire de manière spectaculaire le trafic illicite des stupéfiants. Toutefois, ceux qui se livraient auparavant à ce trafic, se sont convertis à d’autres activités criminelles. Les initiatives les plus précieuses reposent sur la coopération internationale. La Barbade a conclu des traités d’extradition et d’entraide judiciaire notamment avec les Etats-Unis. Dans la région des Caraïbes, deux plans d’action ont été lancés en 1996 et en 1997 avec la coopération du Programme des Nations Unies pour le contrôle international des drogues (PNUCID). Comme l’a reconnu M. Pino Arlacchi, ces plans régionaux d’action sont efficaces. Le 10 mai 1997, en vertu d’un plan d’action défini avec les Etats- Unis, la Barbade a renforcé ses mesures de lutte contre la criminalité transnationale organisée.

Le Forum sur les institutions financières off-shore, organisé par les Nations Unies dans les îles Caïmanes a été particulièrement apprécié par les pays des Caraïbes. Les pays développés sont en mesure d’assister les pays en développement en transférant leur technologie et en échangeant leurs expériences pour assurer une lutte bien ciblée contre la criminalité. Il est indispensable de moderniser le système judiciaire des pays de la région. A cet égard, la Barbade a invité les institutions financières de Bretton Woods à apporter leur assistance. La Convention de 1988 sur le trafic illicite des stupéfiants et des substances psychotropes continue de constituer une bonne base pour la coopération internationale.

M. JORGE MADRAZO CUELLAR, Procureur général adjoint du Mexique : pour le Mexique et en raison de sa situation géographique, la criminalité organisée est devenue le premier risque qui pèse sur la sécurité nationale. Au Mexique, la criminalité organisée est étroitement liée au trafic de stupéfiants, mais opère également dans le secteur du trafic des migrants, du trafic d’armes, des enlèvements, du vol organisé de marchandises qui sont revendues au marché noir, des attaques contre les banques et d’autres délits qui affectent gravement la société. Face à cette situation, de nouveaux modèles et systèmes juridiques ont été mis en place au cours des dernières années en vue d’être en mesure de mieux lutter contre la criminalité organisée. La coopération internationale a également été développée afin de mieux lutter contre les formes transnationales de la criminalité organisée.

Une loi sur la criminalité organisée a été adoptée qui établit des mécanismes novateurs, prévoyant notamment la possibilité d’intercepter les conversations téléphoniques, d’infiltrer les groupes criminels et de négocier avec les repentis qui dénoncent leurs complices. Une nouvelle section a été créée auprès du Bureau du Procureur général qui est composé de différentes sections pour éviter d’être touché par la corruption. On a mis au point un système national de sécurité publique et des normes minimales pour la formation et l’entrée dans la police.

Des mesures importantes ont été prises dans le domaine de l’extradition. Ainsi, le Gouvernement a pris la décision de changer sa politique et d’autoriser la remise de citoyens mexicains, ce qui est important en particulier pour les Etats- Unis et d’autres pays voisins d’Amérique latine. Il s’agit d’un changement de cap fondamental et nous attendons aujourd’hui que la Cour suprême statue sur la constitutionnalité de cette décision. Divers problèmes se posent cependant en matière d’extradition. Ainsi, il y a des modalités tout à fait différentes aux Etats-Unis et au Mexique en ce qui concerne la peine de mort. La peine de mort n’étant pas prévue par la législation mexicaine, le Mexique n’extrade pas des personnes condamnées à la peine capitale. Par le passé, la Cour suprême a considéré que la prison à perpétuité était une peine inhabituelle et donc inconstitutionnelle. Or, le Gouvernement actuel considère que la condamnation à perpétuité n’est pas forcément inhabituelle puisqu’aux Etats-Unis elle est prononcée fréquemment et qu’elle est également envisagée dans le cadre de la future cour pénale internationale.

Le Mexique considère que l’entraide judiciaire est un instrument efficace pour lutter contre la criminalité transnationale organisée. Dans le cas particulier du Mexique, les traités d’entraide judiciaire sont très efficaces en ce qu’ils permettent de traiter directement avec les autorités centrales des autres pays. L’entraide judiciaire a permis de renforcer les échanges d’informations lors d’enquêtes sur la criminalité transnationale et d’entendre des témoins. Il existe néanmoins des obstacles, comme le secret bancaire qui est observé dans certains pays. Au Mexique, la divulgation d’informations financières est autorisée en cas d’enquête. Le Mexique évolue aussi rapidement dans la lutte contre le blanchiment d’argent. Depuis 1990, il dispose d’une législation appropriée et des progrès ont été réalisés en ce qui concerne les démarches judiciaires de lutte contre le blanchiment d’argent. L’un des principaux problèmes en ce domaine touche aux preuves. Il est en effet difficile de prouver qu’il y a eu blanchiment. Il faut généralement préciser qu’il y a eu un délit antérieur au blanchiment d’argent. En outre, il est souvent difficile de faire la différence entre l’argent sale et l’argent propre.

En ce qui concerne la lutte contre la corruption intérieure qui, au Mexique, est liée au trafic des stupéfiants, il est très difficile d’agir efficacement, bien qu’il soit particulièrement important de combattre ce fléau. Depuis 1997, un service central a été mis sur pied qui permet de vérifier à priori si les fonctionnaires ont été recrutés par des criminels ou ont fait l’objet de demandes de corruption. Divers examens, notamment psychologique, médical, toxicologique, sont prévus, ainsi que, depuis tout récemment, le passage au détecteur de mensonges. On travaille actuellement sur la protection des juges. L’idée est de mettre en place des juges spécialisés en matière de lutte contre la criminalité organisée. A cet égard, il est impératif de pouvoir combiner protection et indépendance des juges, tout particulièrement pour ce qui est de la lutte contre la criminalité organisée.

M. DATO STEENHUIS, Procureur général des Pays-Bas : le problème des langues constitue un des obstacles à une coopération efficace dans la lutte contre la criminalité transnationale organisée. A la deuxième réunion tenue à Rouen en octobre 199, un cours de langues a été dispensé aux procureurs des Etats Membres de l’Union européenne. Une autre réunion de même nature aura lieu au cours de cette année en Suède. Les Pays-Bas participent activement aux efforts de lutte contre la criminalité transnationale organisée, notamment en vertu des conventions bilatérales, régionales et internationales. Les Pays-Bas souhaitent échanger leurs informations et expérience nationale avec tous les participants du Congrès.

M. SEREF UNAL (Turquie) : la Turquie a adopté en juillet 1999 une nouvelle loi sur la prévention des organisations criminelles qui vise les profits illicites. Déjà, dans le cadre d’une loi de 1996 sur le blanchiment d’argent et les stupéfiants, avait été crée au sein du Ministère des finances un département spécial d’enquête sur les crimes financiers. Cette loi contient également des dispositions relatives à la saisie et la5 confiscation des bénéfices tirés d’activités illicites. De l’avis de la Turquie, l’extradition constitue une mesure particulièrement efficace en matière de lutte contre la criminalité transnationale. Toutefois, dans le cadre des conventions existantes en la matière d’extradition et dans la pratique, l’extradition n’est pas garantie lorsque le délit qui motive une requête en ce sens est considéré comme ayant un caractère politique. Dans la pratique, il y a en outre une tendance croissante à considérer des actes criminels comme des délits politiques, ce qui fait obstacle à l’extradition de ces criminels. La solidarité entre les nations qui s’efforcent de lutter contre la criminalité internationale et transnationale exige que les Etats soient disposés à appliquer le principe “aut dedere aut punire”, c’est-à-dire extrader ou poursuivre en justice. Le Code pénal de la Turquie applique le principe de la territorialité à quelques exceptions près. L’octroi facile par les pays du statut de réfugié à des criminels constitue un autre obstacle la mise en œuvre des traités en matière d’extradition. Dans de tels cas, la procédure d’extradition devrait primer sur la procédure d’asile et le droit d’asile ne devrait pas être accordé avant la conclusion de la procédure d’extradition. La Turquie exprime l’espoir que la convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale permettra d’éliminer ces obstacles.

La police et la gendarmerie turques ont acquis une grande expérience en matière de lutte contre le trafic illicite de stupéfiants, qui est étroitement lié au terrorisme, au trafic d’armes et à la criminalité transnationale organisée. En coopération avec le PNUCID, une Académie internationale d’application de la loi va être créée prochainement en Turquie, ce qui permettra à notre pays d’échanger ses connaissances et son expérience dans ce domaine. Cette Académie fournira une formation aux agences de lutte contre le trafic de drogue d’autres pays. Elle se concentrera sur des problèmes réels, comme les communications, l’échange de renseignements et la coopération entre Etats et développera des stratégies de lutte contre le trafic de drogue, la criminalité transnationale organisée et le blanchiment d’argent. Elle facilitera aussi la coopération régionale et internationale.

M. GOROV AOKI (Japon) : la criminalité transnationale organisée, notamment le trafic illicite des armes à feu ou des stupéfiants, les activités économiques illicites, le blanchiment de l’argent et le trafic des migrants, constituent une menace grave non seulement pour la sécurité des individus, mais également pour la société démocratique et l’économie de marché mondiale. Il incombe donc à tous les pays de lutter ensemble contre ce problème. A cet égard, le Gouvernement japonais est engagé à coopérer activement avec les autres pays pour faire face à la

criminalité transnationale organisée de manière efficace et solidaire. Partie à plusieurs instruments multilatéraux en matière de lutte contre le trafic illicite des stupéfiants et des armes à feu, le Japon estime que ces instruments devraient constituer la nouvelle base sur laquelle la communauté internationale fonde sa lutter contre la criminalité transnationale organisée. Il réaffirme qu’il continuera à participer activement aux négociations sur le projet de convention contre la criminalité transnationale organisée et ses protocoles afin qu’ils soient adoptés d’ici la fin de l’année. Dans le cadre de la coopération du G8, le Japon a participé au Groupe d’experts sur la criminalité internationale organisée. Il s’est par ailleurs engagé à prendre part aux efforts visant le renforcement de la coopération régionale en Asie-Pacifique en organisant des séminaires et conférences permettant un échange d’informations et d’expériences nationales entre les autorités judiciaires et de la police des pays de la région. Dans ce contexte et en vue de promouvoir la synergie de ces efforts dans différents domaines de la lutte contre la criminalité transnationale organisée, l’Agence nationale de police et le Ministère des affaires étrangères organisent, en coopération avec le Ministère de la justice une conférence régionale sur l’application des lois contre la criminalité transnationale organisée.

M. J.C. KASONGO, Secrétaire général du Ministère de l’intérieur de la Zambie: le taux de criminalité dans le monde, et particulièrement dans les pays en développement augmente de manière rapide. Aujourd’hui, la criminalité a pris une dimension transnationale, sa nature et ses activités ont évolué. La criminalité est aujourd’hui organisée et capable de pénétrer et d’utiliser les institutions de l’Etat. Les criminels ont de bons contacts au sein de ces institutions pour faciliter le déroulement de leurs activités criminelles. Ils recourent de façon générale à des moyens sophistiqués, souvent par le biais d’intérêts commerciaux légitimes, pour blanchir l’argent de leurs bénéfices. Ces organisations ont également accès à des armes pour assurer la protection de leurs transferts et pour éliminer éventuellement leurs concurrents. Les cartels criminels organisés n’ont aucun respect pour les frontières nationales. Ils collaborent entre eux et échangent leurs informations. En revanche, les forces de police agissent de manière isolée, ce qui rend plus difficile la lutte contre la criminalité transnationale.

Pour garantir le succès de cette lutte, il est impératif de s’engager sur la voie d’une coopération régionale et internationale étroites. Depuis 1997, la police des pays d’Afrique australe réagit en étroite coopération contre les vols de véhicules, le trafic des stupéfiants et des armes à feu ainsi que des pierres précieuses. Par l’échange de leurs informations, ces forces de police empêchent efficacement les cartels criminels d’opérer. La prévention du crime doit s’attaquer aux causes et aux opportunités d’activités criminelles particulières. Elle doit également viser l’application des lois et la réduction de l’insécurité. La stratégie de prévention du crime doit reposer sur le principe de l’assistance à tous ceux qui peuvent ou devraient régler un problème lié à la criminalité. Des partenariats doivent rassembler ceux qui souhaitent contribuer à l’élimination de la criminalité.

M. ADAM GRAYCAR (Australie) : si on veut lutter de manière efficace contre le grave problème de la traite des êtres humains, il faut rappeler qu’en mars 1999 a été lancé le Programme mondial contre le trafic des êtres humains. Il faut faire en sorte que la criminalité transnationale organisée soit en ligne de mire dans la lutte contre ce trafic et que la coopération internationale soit renforcée. Les gouvernements doivent faire quelque chose pour lutter contre tous les aspects de la traite des êtres humains et veiller, en particulier, à protéger les témoins et à aider les victimes. L’Australie est particulièrement préoccupée par ce problème, en tant que pays de destination de migrants dont un grand nombre arrivent dans le pays par voie clandestine.

La traite des êtres humains et l’introduction clandestine de migrants sont deux concepts différents. Dans le cas de la traite des êtres humains, les victimes sont soumises à diverses formes d’exploitation, notamment dans l’industrie du sexe, l’agriculture ou l’industrie des loisirs. Si nous avons, en Australie, des preuves de l’introduction clandestine de migrants et de la traite d’êtres humains, les données statistiques sont cependant peu nombreuses. Jusqu’à récemment, la loi ne prévoyait pas de mesures contre la traite des êtres humains et les pratiques d’esclavage n’ont fait que tout dernièrement l’objet d’une législation. Les autorités douanières, judiciaires et de police de tous les pays doivent coopérer pour lutter contre ce fléau.

Tout un éventail de trafiquants existent. Il y a des amateurs, des petits groupes de criminels organisés et aussi des réseaux de trafic à même de répondre à tous les besoins. La réponse des autorités est bien souvent inadaptée. En Australie, la police fédérale, les services de douane et d’immigration ont travaillé ensemble et en coopération au niveau international. Toutes les activités de répression ont été accompagnées de changements dans la législation. Ainsi, une législation sur le tourisme sexuel impliquant des enfants a été adoptée et la législation en matière de lutte contre la criminalité transnationale organisée a été renforcée.

Mme LILIYA R. BAKIEVA (Ouzbékistan) : La question de la coopération internationale dans la lutte contre la criminalité transnationale est opportune compte tenu de l’ampleur du problème, la mise au point de mesures concrètes est en effet essentielle. Le projet de convention contre la criminalité transnationale organisée en cours de négociation contribuera largement à faire obstacle aux activités criminelles transnationales organisées.

Le terrorisme a des liens très étroits avec le trafic illicite des stupéfiants et des armes à feu. C’est pourquoi, il faut examiner de manière approfondie les causes sous-jacentes du terrorisme pour éliminer ce phénomène. Par une déclaration présidentielle adoptée le 19 octobre 1999, le Conseil de sécurité a reconnu l’impact dévastateur du terrorisme et la nécessité de renforcer la coopération internationale pour en venir à bout. Les mesures visant à combattre le terrorisme devraient s’attaquer aux sources de financement et moyens qui y contribuent.

Le représentant de la République arabe syrienne : diverses formes de crimes ont fait leur apparition sur la scène internationale, notamment dans le domaine économique. La dimension transnationale de ces crimes appelle un renforcement de la coopération internationale. L’élaboration de principes directeurs en matière de prévention du crime et de justice pénale offre une base permettant d’améliorer la justice pénale aux niveaux national et international. La création d’instruments modèles qui pourraient être utilisés pour améliorer les législations nationales constitue un moyen pour s’attaquer aux crimes graves sous tous leurs aspects. La coopération internationale pourrait devenir plus efficace si on renforçait l’échange d’informations et d’expériences, l’entraide en matière d’enquête, ainsi qu’en ce qui concerne la confiscation des biens illicites, et l’assistance technique.

Il conviendrait aussi d’élaborer des conventions bilatérales et multilatérales en matière d’extradition et d’élaborer des normes en ce qui concerne la confiscation des profits du crime, le blanchiment d’argent et les investissements liés aux activités criminelles. Toutes ces formes de coopération nécessitent un appui plus grand aux organisations nationales, régionales et internationales engagées dans la lutte contre la criminalité organisée. La Syrie condamne avec fermeté le terrorisme criminel et réaffirme qu’elle ne permet à personne de perpétrer de tels actes à partir de son territoire. La Syrie fait toutefois la différence entre le terrorisme criminel et la résistance à l’occupation par des peuples dont le territoire est occupé par des forces étrangères et dont les droits sont quotidiennement violés.

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